IIème forum international de la Fondation Alcide de Gasperi
"La Personne et la Démocratie pour le développement et la paix dans un monde globalisé."
Rome - 6 novembre 2000
Monsieur le Président du Forum,
Madame de Gasperi
Excellences
Mesdames, Messieurs,
Je suis très honoré et très heureux de m'adresser à votre assemblée. Je le fais au nom de la Fondation Robert Schuman qui, comme vous le savez, a été créée en France par des personnalités prestigieuses pour contribuer à la construction européenne et au développement des relations entre l'Europe et l'ensemble du Monde, un Monde que nous voulons équilibré et libre.
Au nom du Président de Notre Fondation, M. Jean-Dominique Giuliani et de notre conseil d'administration, je rends hommage à la Fondation de Gasperi pour nous avoir réunis à Rome, comme pour l'ensemble de ses efforts, dans la ligne de la grande pensée d'Alcide de Gasperi en faveur du progrès humain. Car c'est bien de progrès humain qu'il s'agit. A la Fondation Schuman, comme vous tous, nous croyons que le véritable progrès ne peut être qu'un humanisme et que tous nos efforts en Europe et dans le Monde doivent mener à la reconnaissance pleine et entière de la personne humaine, avec ses droits et avec ses devoirs, dans un monde fraternel.
Le thème de notre Forum aujourd'hui s'inscrit bien dans ce sens : "La Personne et la Démocratie pour le développement et la paix dans un monde global". Mais si nous savons dans quelle direction nous voulons aller, nous avons bien des difficultés à savoir comment.
Il y a, ici, aujourd'hui, tant de femmes et d'hommes exceptionnels par l'expérience, la réflexion et le cœur, qu'il serait immodeste de ma part de m'engager dans une réflexion générale. C'est pourquoi, je souhaiterais simplement que vous me permettiez d'esquisser quelques observations personnelles, que je tire de ma propre expérience et particulièrement, dans le domaine public, de mon expérience d'élu local dans une petite province française, de mon expérience de syndicaliste ayant une responsabilité nationale à Paris, et de ma carrière diplomatique qui vient de s'achever à Rome où j'étais Ambassadeur de France auprès de la FAO et auprès du Programme Alimentaire Mondial.
La difficulté centrale pour l'action résulte très souvent de la confusion qui existe en toute chose, dans l'esprit de la plupart des individus à des degrés divers, dans les opinions publiques, si changeantes, et de plus en plus désinformées : confusion sur la nature, la place et le rôle de la personne humaine. Confusion sur la Démocratie. Confusion sur le développement. Et confusion sur la paix, je veux dire la paix véritable, celle que l'on reconnaît juste et non pas celle que l'on subit.
- Considérons le thème de la Démocratie. Les riches nations occidentales considèrent qu'elles ont atteint un degré élevé de Démocratie et qu'elles constituent un modèle pour les autres pays du monde, auxquels elles ne se privent pas, d'ailleurs, de donner des leçons, leçons amplifiées et répétées sans mesure par les innombrables media de la pensée unique... Pendant ce temps, dans ces mêmes nations occidentales, des millions d'êtres vivent au-dessous du seuil de pauvreté, souffrent de la faim et manquent de logement. Pendant ce temps, les prisons de ces pays développés - quelques uns mis à part - sont des lieux d'horreur. Or, chacun sait combien, dans l'histoire du Monde, les prisons et les systèmes pénaux sont significatifs de la réalité morale d'une société.
Dans ce contexte et depuis trop longtemps, les valeurs démocratiques des pays du Sud et particulièrement celles des petits pays ne sont pas suffisamment reconnues et ont peu de chances de s'épanouir, tant le rapport de forces leur est défavorable. Et pourtant, il y aurait tant de leçons à prendre dans les traditions de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique ancienne, sans parler de l'Europe ancienne.
- Evoquons aussi, très rapidement, si vous le permettez, le thème du Développement dans le dialogue Nord-Sud. Tout le monde en parle comme s'il s'agissait d'un concept clair s'appliquant à une réalité tout aussi claire. Mais rien ne va plus tout à fait dans le dialogue Nord-Sud, dès que l'on cherche à définir les moyens, les méthodes et le contenu du développement. Les experts des pays donateurs arrivent la plupart du temps avec leurs idées sur la technique et leurs à priori sur le milieu humain et social auquel ils sont supposés apporter de l'aide. C'est peut-être dans le domaine agricole et dans la lutte contre la faim que le malentendu est le plus visible.
N'entend ou pas encore, dans les cercles technocratiques dits éclairés, affirmer que le marché saura répondre aux besoins des peuples souffrant de la faim. Chacun sait, pourtant, que la plupart des huit cent millions de personnes souffrant aujourd'hui de la faim n'ont pas les moyens financiers d'accéder au marché.
Plus largement, nous voyons que l'aide au développement à tendance à se réduire. Et l'idée se répand insidieusement que c'est simplement parce que les pays bénéficiaires sont mal gérés. D'où les remèdes de cheval appelés "plans d'ajustement structurel", dont on ne dira jamais assez le caractère antisocial et l'inadéquation aux objectifs mêmes du développement. Dans le même temps, le voile est jeté sur l'une des plus terribles réalités qui est celle de l'inégalité des termes de l'échange. En bref, la globalisation économique aujourd'hui n'avance pas dans la clarté et encore moins dans la solidarité.
***
Je n'irai pas plus loin. Mais je dirai en conclusion ou plutôt en proposition de conclusion, avec la foi d'un européen et d'un citoyen du Monde :
- que la difficulté de l'action que nous avons à mener, loin de nous décourager doit nous inciter à avancer.
- que notre action, comme toute entreprise pacifique, doit d'abord être une action pour le dialogue et pour la compréhension entre les peuples.
- que l'unité essentielle de la personne humaine qui fait l'unité de l'espère humaine ne doit pas conduire à nier la diversité des identités individuelles et des identités collectives et culturelles, d'un pays à l'autre, d'une histoire à l'autre.
- que cette reconnaissance mutuelle de l'autre et de ses valeurs est la clef de toutes choses et bien entendu de la Démocratie - aux formes diverses - du développement - aux formes diverses - et de la paix - aux constructions diverses - mais qui ne peuvent résulter de la simple loi du plus fort.
C'est à ce travail de sensibilité et de raison que nous sommes appelés à contribuer.
Il y a sans doute quelque utopie à le dire. Mais nous savons tous qu'il est des utopies réalistes.
Si j'ai abordé le sujet de notre colloque dans sa relation avec le dialogue Nord-Sud, c'est parce que je crois que l'Europe ne peut pas, ne doit pas, se construire dans l'isolement moral. C'est parce que, je crois, aussi, que l'Europe et les pays développés doivent regarder la relation Nord-Sud non pas avec arrogance mais avec modestie et fraternité.
Monsieur le Président du Forum
Madame de Gasperi
Excellences
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de votre bienveillante attention.