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Analyse

Grande incertitude en Slovénie à un mois des élections législatives

Élections en Europe

Corinne Deloy

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7 mai 2018
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Grande incertitude en Slovénie à un mois des élections législatives

PDF | 731 koEn français

Le 14 mars dernier, le Premier ministre slovène Miro Cerar (Parti moderne du centre, SMC) a choisi de démissionner de ses fonctions après que la Cour suprême eut annulé le référendum du 24 septembre 2017 qui portait sur la construction d'une deuxième voie ferrée (longue de 27 km) sur la ligne reliant Divaca à Koper, unique port commercial de Slovénie (22 millions de tonnes en 2016) situé sur la côte de la mer Adriatique.

Après le vote du Drzavni Zbor (Assemblée nationale), chambre basse du parlement, en faveur de cette voie ferrée, une organisation appelée Les contribuables ne doivent pas payer, emmenée par Vili Kovacic et soutenue par les partis de l'opposition, avait recueilli le nombre de signatures nécessaire (2 500 puis 40 000 au cours du mois suivant) pour déclencher l'organisation d'un référendum d'initiative populaire sur le sujet.

Le 24 septembre dernier, une courte majorité des votants (53,47%) avaient répondu "oui" à la question ; "Approuvez-vous la construction mise en service et administration de la seconde voie ferrée de la ligne Divaca-Koper telles que votées par l'Assemblée nationale le 8 mai 2017 ?", 46,50% avaient opté pour le "non". Au total, 20,55% des Slovènes s'étaient rendus aux urnes, soit juste le minimum nécessaire pour que le référendum soit validé.

En mars, la Cour suprême a jugé que le gouvernement avait manqué à son devoir de neutralité en finançant la campagne électorale avec des fonds publics.

"Les forces du passé ne nous permettent pas de travailler pour les générations futures" a déclaré Miro Cerar, qui s'est déclaré "empêché de réussir également par ses partenaires de la coalition gouvernementale –les Sociaux-démocrates et le Parti démocratique des retraités –, les forces de l'opposition, les syndicats, la Cour suprême, etc". La construction d'une deuxième voie ferrée entre les villes de Divaca et de Koper était l'un des grands projets du gouvernement. Un nouveau référendum aura lieu sur ce même sujet le 13 mai prochain, soit trois semaines avant les élections législatives.

Après la démission du chef du gouvernement, le président de la République dispose, selon la loi électorale, de 30 jours pour proposer une nouvelle personnalité à ce poste. Les partis représentés au parlement ou un groupe constitué d'au moins 10 députés peuvent également proposer un candidat. Si aucun candidat n'est élu par les députés, le parlement est alors dissous et de nouvelles élections législatives sont organisées dans les deux mois suivant la dissolution et pas moins de 40 jours après l'annonce de la date de ce scrutin. Le président de la République Borut Pahor avait très tôt exprimé sa préférence pour des élections anticipées. Le 14 avril, il a fixé la date du prochain scrutin législatif au 3 juin prochain, jour où 1,7 million de Slovènes sont appelés aux urnes pour désigner les 90 membres du Drzavni Zbor. La campagne électorale a officiellement débuté le 3 mai dernier.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Mediana pour la chaîne de télévision POP TV, le Parti démocrate (SDS) de l'ancien chef du gouvernement (2004-2008 et 2012-2013) Janez Jansa devrait arriver en tête des élections avec 13,5% des suffrages, suivi de près par la Liste Marjan Sarec (LMS), qui obtiendrait 13,3% des voix mais qui est en recul dans les sondages. Les Sociaux-démocrates (SD) de Dejan Zidan prendraient la troisième place avec 8,5% des suffrages et le Parti moderne du centre (SMC) du Premier ministre sortant Miro Cerar recueillerait 4,1% des voix, soit juste au-dessus du seuil de 4% qui permet d'avoir des élus à l'Assemblée nationale.

Miro Cerar a-t-il fait le bon geste ?

"Par sa démission, Miro Cerar a sorti le Parti moderne du centre du gouvernement et a donc éloigné son parti de l'opinion négative généralement attaché à une participation au gouvernement" a déclaré l'analyste politique de l'institut d'opinion Valicon, Zorko Andraz. La démission du Premier ministre sortant est donc opportune et permet à Miro Cerar en se présentant comme une victime d'aborder les prochaines élections législatives dans une meilleure position que celle qui aurait été la sienne si son parti avait continué à gouverner.

Miro Cerar aime à qualifier le Parti moderne du centre de "formation social-libérale de centre-gauche". Néanmoins, celui-ci n'a pas réellement d'orientation politique claire, ce qui d'ailleurs créé des tensions en son sein.

Miro Cerar s'appuie sur son bilan à la tête du pays pour sa campagne électorale. Il affirme qu'il est parvenu à vaincre la crise économique au cours de son mandat. L'an passé, la Slovénie a enregistré une croissance du PIB de 4%, soit l'un des taux les plus élevés de l'Union européenne. La croissance devrait rester à peu près à ce niveau en 2018 selon les prévisions des économistes. De même, pour la première fois depuis l'indépendance du pays en 1991, les recettes ont été plus importantes que les dépenses : + 0,03% en 2017. Enfin, le taux de chômage, qui s'élève à 6,4%, est également le plus faible jamais enregistré depuis 2009.

Ces derniers mois, le gouvernement de Miro Cerar a cependant dû faire face à de nombreux mouvements de protestation (grèves, manifestations pour demander des augmentations de salaires), notamment venant de la fonction publique. le Premier ministre sortant considère qu'il a besoin d'un mandat supplémentaire à la tête de l'Etat pour terminer le travail qu'il a commencé.

Le Parti moderne du centre présente 87 candidats aux élections législatives .

Les Slovènes vont-ils de nouveau se donner à un nouveau venu sur la scène politique ?

Marjan Sarec, candidat malheureux à l'élection présidentielle (22 octobre-12 novembre 2017) (46,91% au 2e tour de scrutin) à laquelle il se présentait en indépendant, postule à la fonction de Premier ministre. A la tête de la Liste Marjan Sarec (LMS), parti qu'il a créé en mai 2014 et dont l'idéologie reste à définir, Marjan Sarec affirme que "la Slovénie est a genoux" et qu'il est le seul à pouvoir la sauver. A l'heure où la défiance à l'égard des responsables politiques va chaque jour croissant et dans un pays habitué à accorder sa confiance à de nouveaux venus sur la scène politique lors des élections législatives (Zoran Jankovic en 2011, Miro Cerar en 2014), Marjan Sarec pense avoir sa chance.

Selon une récente enquête d'opinion, environ la moitié des électeurs se déclarant prêts à voter en faveur de la Liste Marjan Sarec viennent du Parti moderne du centre, 10% sont issus du parti libéral du Parti démocrate (SDS) et 6% des Sociaux-démocrates (SD).

Maire de Kamnik, ville de 29 000 habitants située au nord du pays, ancien acteur (il a créé un personnage de fermier appelé Ivan Serpentinsek) et imitateur (notamment de l'ancien président de la République (2002-2007) Janez Drnovsek), l'homme a été tout d'abord membre de Slovénie positive (PS), parti libéral de gauche fondé par Zoran Jankovic en 2011, avant de fonder son parti en mai 2014 en vue des élections locales organisées à l'automne de cette même année, scrutin au cours duquel il a été réélu pour un deuxième mandat à la tête de sa ville et a remporté 14 des 29 sièges du conseil municipal.

La Liste Marjan Sarec a tenu sa convention le 14 avril dernier à Medvode, ville située près de Ljubljana. Le programme du parti comprend une réforme du système électoral. Le parti veut abolir les circonscriptions et introduire le vote préférentiel afin que les électeurs votent pour des personnes plutôt que pour des partis, accroître le nombre de circonscriptions, supprimer le Drzavni Svet (Conseil national), chambre haute du parlement, permettre au président de la République d'apposer son veto sur les lois votées par le parlement et au Premier ministre de nommer ses ministres et de remplacer ces derniers sans avoir besoin de l'accord du parlement.

Marjan Sarec promet également de mettre en place un meilleur système de santé, de lutter plus fermement contre la corruption, de veiller à la stabilité des finances, de rendre l'administration plus efficace, de développer le tourisme et de faire de la Slovénie l'un des grands pays de l'Union européenne.

"Un individu, une communauté, un pays", tel est le slogan qu'a choisi la Liste Marjan Sarec dont le programme est intitulé C'est maintenant l'heure de laisser la place à une nouvelle génération. Il présente 77 candidats, la très grande majorité d'entre eux dépourvus d'expérience électorale, au scrutin législatif.

Marjan Sarec aime à répéter qu'il ne dispose pas d'une majorité dans sa ville de Kamnik et qu'il a appris à gouverner en coalition en s'appuyant sur d'autres partis. Le nouveau venu n'a toutefois pas de base politique solide et la décision du Premier ministre sortant Miro Cerar de démissionner quelques semaines avant la date prévue des élections législatives pour tente d'apparaître comme un parti comme les autres pourrait in fine nuire à Marjan Sarec.

Du côté des membres de la coalition gouvernementale sortante

Les Sociaux-démocrates (SD) ont décidé de centrer leur campagne électorale sur les inégalités. Conduits par le ministre de l'Agriculture, des Forêts et de l'Alimentation et vice-président du gouvernement sortant Dejan Zidan, le parti propose 500 mesures pour faire de la Slovénie l'un des dix premiers pays européens en termes de qualité de vie, de développement durable, d'innovation et de performance économique et sociale dans les 8 années à venir. Son programme, intitulée Slovénie confiante 2018-2026, promet de renforcer la classe moyenne et donc de lutter contre les inégalités. Le développement d'un système de santé efficace constitue également une priorité pour les Sociaux-démocrates.

La Slovénie compte de nombreux partis positionnés à gauche sur l'échiquier politique. Certains sympathisants des Sociaux-démocrates, sans doute déçus par l'action du parti au sein du gouvernement sortant, se sont d'ailleurs tournés vers des partis plus radicaux. Au cours des derniers mois, à l'approche des élections législatives, les Sociaux-démocrates ont effectué un léger virage sur leur gauche.

Le Parti démocratique des retraités (DeSUS) dirigé par le ministre sortant des Affaires étrangères Karl Erjavec, se positionne au centre-gauche sur l'échiquier politique mais il a néanmoins participé à tous les gouvernements qui se sont succédé en Slovénie depuis 1997. Le parti défend le droit de chaque retraité qui a travaillé durant 40 années de recevoir au moins 1 000 € de retraite.

Le Parti démocratique des retraités a obtenu son résultat le plus élevé à des élections législatives lors du précédent scrutin du 13 juillet 2014 avec 10,18% des suffrages et dix élus. 7 des députés sortants sont candidats à leur propre succession le 3 juin.

A droite, le Parti démocrate en lutte pour la première place

Le Parti démocrate (SDS), parti libéral dirigé par l'ancien chef du gouvernement (2004-2008 et 2012-2013) Janez Jansa, a longtemps dominé la droite slovène. Le parti considère que les précédentes élections législatives du 13 juillet 2014, desquelles elle a longtemps été la grande favorite, lui ont été volées. En effet, un an avant le scrutin, le 5 juin 2013, son dirigeant Janez Jansa avait été condamné à 2 ans de prison ferme pour corruption [1], une condamnation qui avait été confirmée par la Haute Cour le 28 avril 2014.

Le parti, qui reste le seul à avoir effectué un mandat de 4 ans (2004-2008) à la tête de la Slovénie avec la même coalition gouvernementale, dispose d'un important réseau local. Il est en course pour la place de premier parti du pays. Il défend la famille et ce qu'il appelle le "patriotisme positif" qui consiste surtout à s'opposer à l'accueil de réfugiés venus du Moyen-Orient (notamment de Syrie et d'Irak) ou d'Afrique (d'Ethiopie, du Soudan et de Libye) sur le territoire slovène.

"Le résultat des élections législatives dépendra davantage de la capacité des partis à mobiliser les électeurs convaincus que de leur capacité à convaincre les électeurs. Quand on parle de migrants, le Parti démocrate joue sur du velours, la majorité des Slovènes étant plutôt hostiles aux migrants et sceptiques quant à leur intégration" a déclaré Alem Maksuti, analyste politique à l'Institut du management politique. Les partis établis, et notamment le Parti démocrate, pourraient également tourner à leur avantage le conflit qui oppose Marjan Sarec et Miro Cerar. Ce dernier a d'ores et déjà indiqué que son parti ne participerait pas à une coalition avec le Parti démocrate.

Le système politique slovène

La Slovénie possède un Parlement bicaméral. Sa chambre basse, le Drzavni Zbor (Assemblée nationale), compte 90 membres, élus tous les 4 ans au scrutin proportionnel. La Constitution garantit un siège aux deux minorités (italienne et hongroise) reconnues dans le pays. Le Drzavni Svet (Conseil national), chambre haute, est désigné tous les 5 ans au suffrage indirect et comprend 40 membres : 18 représentants des secteurs professionnels et socio-économiques (4 pour les employeurs, 4 pour les salariés, 4 pour les agriculteurs, les petits entrepreneurs et les travailleurs indépendants et 6 pour les organisations à but non-lucratif) et 22 personnes représentant les intérêts locaux. Le rôle du Conseil national est uniquement consultatif.

Pour les élections législatives, la Slovénie est divisée en 88 circonscriptions. Les listes de candidats soumises par des partis doivent obtenir le soutien de 3 députés, de membres du parti qui présente la liste et de 50 électeurs ou encore l'appui de 100 électeurs de la circonscription dans lesquelles elles sont candidates pour être autorisées à se présenter aux suffrages des Slovènes. Enfin, les partis politiques doivent impérativement présenter au moins 35% de candidates. Les listes de seulement trois personnes doivent compter au moins un homme et une femme.

Les élections législatives ont lieu, en Slovénie, au système proportionnel et le vote est préférentiel (l'électeur peut indiquer ses préférences en classant les candidats de la liste). Une première répartition des sièges se fait au niveau des circonscriptions en utilisant le quota de Droop (le nombre de suffrages exprimés dans une circonscription, toutes listes confondues, est divisé par le nombre de députés élus dans cette circonscription + 1). Les sièges restants sont répartis à l'échelon national selon la méthode d'Hondt, les députés sont alors choisis sur les listes bénéficiant des plus forts restes.

Les partis politiques doivent recueillir au moins 4% des suffrages pour être représentés au Drzavni Zbor. Il arrive qu'une circonscription élise plus d'un député mais également que certaines circonscriptions n'en élisent aucun, ce qui, lors des précédentes élections législatives du 13 juillet 2014, a été le cas dans 21 des 88 circonscriptions du pays.

Les députés représentant les minorités sont élus selon le système du First past the post. Les candidats à cette fonction doivent être soutenus par au moins 30 électeurs.

Chaque parti est autorisée à dépenser 0,40 € par électeur, un peu plus pour celle qui présentent des candidats dans chacune des 88 circonscriptions.

7 partis politiques sont représentés dans l'actuelle Assemblée nationale :

– le Parti moderne du centre (SMC), du Premier ministre sortant Miro Cerar créé en 2014, compte 36 députés ;

– le Parti démocrate (SDS), parti libéral créé en 1989 et dirigé par l'ancien chef du gouvernement (2004-2008 et 2012-2013), Janez Jansa, possède 21 sièges ;

– le Parti démocratique des retraités (DeSUS), fondé en 1991 à partir d'une association de la ville de Maribor et présidé depuis 2005 par le ministre sortant des Affaires étrangères, Karl Erjavec. Membre de la coalition gouvernementale sortante, il possède 10 sièges ;

– les Sociaux-démocrates (SD), fondé en 1993 et issu de l'ancien Parti communiste (PCS). Membre de la coalition gouvernementale sortante et emmené par le ministre de l'Agriculture et de l'environnement et vice-président du gouvernement sortant Dejan Zidan, le parti compte 6 députés ;

– Gauche unie (ZL), parti créé en 2014 et dissous en 2017, année où il a été remplacé par la Gauche (Levica), dirigé par un collectif, possède 6 sièges ;

– Nouvelle Slovénie (NSi), parti fondé en 2000 et conduit depuis janvier 2018 par Matej Tonin, compte 5 députés

– l'Alliance Alenka Bratusek (ZaAB), parti centriste créé en 2014 à partir d'une scission de Slovénie positive (PS) et dirigé par l'ancien Premier ministre (2013-2014) Alenka Bratusek, possède 4 sièges.

En Slovénie, le président de la République est désigné au suffrage universel direct. Son mandat est de 5 ans. Le 12 novembre 2017, le chef de l'Etat sortant Borut Pahor (SD) a été réélu à son poste avec 52,98% des suffrages. Il a battu Marjan Sarec, qui a obtenu 47,02% des voix. La participation a été la plus faible jamais enregistrée depuis l'indépendance du pays en 1991 : 41,84%.

[1] L'ancien Premier ministre (2004-2008 et 2012-2013) avait été reconnu coupable d'avoir reçu de l'homme d'affaires autrichien Walter Wolf, environ 900 000 euros de pots-de-vin en faveur de son parti en 2006 (il était à l'époque chef du gouvernement) lors de l'achat de 135 véhicules blindés par le ministère de la Défense pour un montant de 278 millions d'euros au fabricant Patria, société détenue à 73% par l'Etat finlandais. Cette transaction, rendue obligatoire par l'entrée de la Slovénie dans l'OTAN en 2004, représentait le plus gros contrat militaire jamais signé par Ljubljana.

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