Elections présidentielle et législatives en Bosnie-Herzegovine, le point à une semaine des scrutins

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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25 septembre 2006
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

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Le 1er octobre prochain, 2,7 millions d'électeurs bosniaques éliront les trois membres de la Présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine (un Croate, un Serbe et un Musulman) et les 42 députés de la Chambre des Représentants, Chambre basse du Parlement central. Les habitants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine[1] renouvelleront également les 98 membres de leur Chambre des Représentants et ceux de leurs 10 assemblées cantonales ; les habitants de la République serbe éliront les 83 membres de leur Assemblée nationale, ainsi que leur Président de la République et leurs vice-Présidents.

2 736 886 électeurs devront choisir entre 36 formations politiques, 8 coalitions et 12 candidats indépendants. Le nombre d'électeurs est en forte hausse : plus 15% par rapport aux élections locales du 2 octobre 2004. Ce phénomène s'explique par une modification intervenue dans la loi électorale : l'inscription sur les listes électorales est désormais automatique, la simple présentation d'un document d'identité suffira donc pour voter le 1er octobre prochain.

A une semaine des scrutins, l'ambiance de la campagne électorale est particulièrement délétère. Propos ultra-nationalistes, accusations en tout genre, surenchère verbale, propositions irrecevables, promesses inconsidérées ne contribuent pas à mobiliser des électeurs déjà peu disposés à aller accomplir leur devoir de citoyen. Selon les enquêtes d'opinion 48,5% des Bosniaques s'apprêtent à bouder les urnes et la grande majorité d'entre eux considère que les trois quarts (75%) des promesses faites lors des précédents scrutins présidentiels et parlementaires de 2002 n'ont pas été tenues.

Le leader du Parti des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) et Premier ministre de la République serbe, Milorad Dodik, a demandé l'organisation d'un référendum sur l'indépendance de la République serbe. Il souhaite la transformation de la Bosnie-Herzégovine en une fédération pour que la République serbe possède enfin un statut identique à celui de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. « Nous voulons être sur un pied d'égalité en Bosnie-Herzégovine et si cela ne peut pas se faire, si la République serbe ne jouit pas d'égalité, elle sera indépendante» a-t-il déclaré le 5 septembre dernier. Il justifie son attitude par l'attitude des leaders musulmans qui appellent à l'abolition de l'entité serbe. « Voici notre message : ou bien les propos sur l'abolition de la République serbe cessent ou bien nous organisons un référendum » répète Milorad Dodik.

Le leader du Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SB-H), ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Haris Silajdzic, a demandé l'abolition de la République serbe et son absorption dans un Etat bosniaque. De son côté, l'actuel Président en exercice de la République de Bosnie-Herzégovine, Sulejman Tihic (Parti d'action démocratique, SDA), a affirmé que sa formation souhaitait poser les fondations d'une nouvelle Bosnie-Herzégovine, les accords de Dayton (21 novembre 1995) étant dépassés. « La Bosnie-Herzégovine est serbe autant qu'elle est musulmane ou croate. Il n'y a pas de Bosnie-Herzégovine sans les Serbes » a affirmé le Président de la République qui a appelé à la suppression des symboles de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, arguant du fait qu'aucun d'entre eux ne représentait le peuple serbe. « Une telle chose (l'organisation d'un référendum sur l'indépendance de la République serbe) est impossible. Je demande à Milorad Dodik d'arrêter de leurrer le peuple serbe. La Bosnie-Herzégovine n'est pas la République fédérale de Yougoslavie et ses deux entités ne sont pas des entités fédérales » a répondu Sulejman Tihic à Milorad Dodik. De son côté, Christian Schwarz-Schilling, Haut Représentant de la communauté internationale et émissaire de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, a menacé d'utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés pour limoger le Premier ministre de la République serbe si celui-ci continuait à agiter le spectre du référendum. « Qu'il me limoge. J'assume tout ce que j'ai dit à propos du référendum » a déclaré Milorad Dodik, ajoutant: « Nous n'abandonnerons pas nos positions et si le dialogue est rompu avec l'Union européenne et bien je pose la question : qui a besoin de l'Union européenne ? ». Enfin, le 16 septembre dernier, le Premier ministre a jeté un pavé dans la mare en déclarant que les Serbes de République serbe devraient être autorisés à voter aux élections de la Serbie voisine.

L'Union européenne s'est déclarée, le 15 septembre dernier, inquiète de la tournure prise par la campagne électorale en Bosnie-Herzégovine. Elle regrette qu'aucune réforme n'ait été approuvée en 2006 et réitère sa volonté de voir notamment la réforme de la police aboutir au plus vite. Elle a rappelé son attachement à l'intégrité du pays et réaffirmé l'importance des élections du 1er octobre prochain par lesquelles les Bosniaques choisiront les autorités qui les mèneront sur la voie de l'Europe. « Pas un projet de l'agenda fixé il y a trois mois n'a été adopté » a souligné Christian Schwarz-Schilling qui a enjoint les candidats à penser aux Bosniaques et à prendre leurs responsabilités pour l'avenir du pays et son intégration européenne. L'adoption des réformes et le renforcement des institutions centrales sont des conditions du rapprochement de la Bosnie-Herzégovine avec l'Union européenne. Christian Schwarz-Schilling accuse les partis de faire campagne sur les enjeux ethniques plutôt que sur les intérêts du pays à long terme. « Plus les propos de la campagne sont violents, plus il sera par la suite difficile de trouver des partenaires pour faire fonctionner les institutions » a-t-il déclaré s'avèrant cependant beaucoup moins interventionniste que son prédécesseur Paddy Ashdown. Il affirme vouloir de la sorte forcer les Bosniaques à prendre leurs responsabilités. « Ils doivent faire leurs propres erreurs. Nous ne sommes pas au jardin d'enfants où si quelqu'un ne fait pas quelque chose, je dois le faire pour lui » a-t-il souligné.

Le Conseil de mise en œuvre des accords de Dayton a décidé les 22 et 23 juin à Sarajevo de mettre un terme à la fonction de Haut Représentant de la communauté internationale le 3 juin 2007. Cette décision doit encore être confirmée en février prochain et entérinée par le conseil de sécurité des Nations Unies. Le Conseil a suivi les propositions de Christian Schwarz-Schilling qui souhaitait transformer le rôle du haut Représentant qui possède notamment le pouvoir de sanctionner les dirigeants bosniaques et de se substituer à eux. La communauté internationale maintiendra cependant une présence en Bosnie-Herzégovine, notamment par l'intermédiaire de l'OTAN et de l'Union européenne. La décision a été bien accueillie en République serbe, qui voit d'un bon œil l'allègement de la présence de la communauté internationale, mais elle a été reçue avec inquiétude dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Christian Schwarz-Schilling a promis qu'il ne laisserait pas le pays dans une situation anarchique.

Douglas McElhaney, ambassadeur des Etats-Unis en Bosnie-Herzégovine, s'est également alarmé des propos tenus durant la campagne électorale. « Il n'y aura pas de référendum » a-t-il déclaré, ajoutant « telle est la politique officielle du gouvernement américain ». Enfin, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a récemment envoyé une mission, dirigée par Lubomir Kopaj chargée de surveiller le déroulement des élections présidentielles et législatives en Bosnie-Herzégovine.

Un conflit a opposé le raïs Mustafa Ceric, leader de la communauté islamique du pays, à l'actuel Président en exercice de la République de Bosnie-Herzégovine, Sulejman Tihic. Le président du Parti d'action démocratique, Irfan Ajanovic, a adressé à Mustafa Ceric deux lettres qui révèlent les tensions entre le dignitaire religieux et la formation actuellement au pouvoir. Lorsque Sulejman Tihic a succédé en 2003 à Alija Izetbegovic, père de l'indépendance du pays, à la tête du Parti d'action démocratique, Mustafa Ceric a cru pouvoir disposer de plus grands pouvoirs au sein de la formation, mais c'est l'inverse qui s'est produit. Sulejman Tihic a très vite parlé de séparation entre la religion et l'Etat et fait comprendre au dignitaire religieux que son pouvoir outrepassait sa mission de leader de la communauté musulmane. Mustafa Ceric n'a alors pas hésité à critiquer les leaders du Parti d'action démocratique, déclarant que celui-ci s'était éloigné des idéaux de son ancien leader. « Je suis sur le chemin montré par Alija et plus aucun parti ne suit ce chemin » avait-il ainsi déclaré. « Que faites-vous sur le chemin d'Alija ? Qui vous a dit de le suivre ? » lui écrit Irfan Ajanovic, ajoutant « Restez sur le chemin de Dieu. C'est de cette façon que vous suivrez le chemin d'Alija ».

Une enquête d'opinion, réalisée par l'agence Promediateam, révèle que, comme toujours en Bosnie-Herzégovine, la question de l'identité nationale constitue pour la population l'enjeu primordial des prochaines élections. Haris Silajdzic est considéré comme le mieux placé pour défendre l'intérêt national. Les questions économiques arrivent en deuxième position dans la liste des enjeux des prochains scrutins. Le président du Parti du progrès démocratique (PDP), Mladen Ivankovic-Lijanovic, fait figure de candidat le plus à même d'apporter des solutions dans ce domaine. Fait remarquable : pour les électeurs, les politiciens jugés les plus aptes à défendre les intérêts ethniques ne sont pas les mieux placés pour résoudre les problèmes économiques.

Selon une enquête d'opinion réalisée en septembre par l'Institut des études balkaniques basé en Slovénie, les nationalistes perdent du terrain face aux sociaux-démocrates.

Au sein de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, trois formations se tiennent dans un mouchoir de poche : le Parti social-démocrate, crédité de 19,9% des suffrages, le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (19,8%) et le Parti d'action démocratique (19,3%).

Concernant l'élection de la Présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine, avec 44,4% des intentions de vote, Haris Silajdzic devance Sulejman Tihic (35,1%) du côté de la communauté musulmane. Ce dernier a d'ailleurs reconnu que cette campagne électorale était pour lui plus difficile que les précédentes.

Le Parti pour la Bosnie-Herzégovine a centré sa campagne électorale sur la dissolution des deux entités qui constituent la République, tandis que le Parti d'action démocratique et le Parti social-démocrate (SDP) dirigé par Zlatko Lagumdzija promettent d'emmener le pays vers l'Union européenne. Les sympathisants du Parti social-démocrate se montrent déçus par le fait que la formation ne présente pas de candidat à la Présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine. La majorité d'entre eux accordent leur soutien à Haris Silajdzic ou à Mohamed Cengic.

Pour la première fois depuis la fin de la guerre qui a opposé Serbes, Croates et Bosniaques entre 1992 et 1995, la communauté croate se présente divisée face aux électeurs. Dragan Covic, vainqueur de la dernière élection présidentielle du collège croate (limogé l'an passé par Paddy Ashdown), qui représente la Communauté démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ-BH) dont il est le leader, est opposé à Ivo Miro Jovic, qui se présente sous l'étiquette HDZ 1990 dirigée par Bozo Ljubic. Cette formation a signé un accord en vue des prochaines élections avec le Parti croate des paysans de Bosnie-Herzégovine, HSS, de Marko Tadic, l'Union chrétienne-démocrate croate, HKDU, de Marin Topic et l'Union démocratique croate, HDU.

C'est à la suite d'un désaccord avec Dragan Covic que Bozo Ljubic a quitté la Communauté démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ-BH). Le leader du parti s'était en effet prononcé en faveur des amendements constitutionnels lors du vote au Parlement fin avril. Selon Bozo Ljubic, ces amendements étaient préjudiciables à la population croate. Le docteur Jurisic, candidat du Parti croate du droit, formation d'extrême droite, pourrait bien profiter de cette division. Selon les sondages, seuls 30% des Croates s'apprêteraient à se rendre aux urnes le 1er octobre prochain.

Enfin, Nebojsa Radmanovic (SNSD) est le grand favori de l'élection présidentielle dans la communauté serbe.

Au sein de la République serbe, où l'influence des formations musulmanes et croates diminuent d'année en année, l'actuel Président de la République, Dragan Cavic (Parti démocratique serbe, SDS), est crédité de 19,7% des suffrages, devancé par son adversaire Milan Jelic du Parti des sociaux-démocrates indépendants (36,1%). Pour les élections législatives, la formation dirigée par le Premier ministre Milorad Dodik est en tête avec 35,1% des intentions de vote, contre 15,3% au Parti démocratique serbe de Dragan Cavic. Celui-ci a lancé un appel aux électeurs : « J'appelle la population de la République serbe à voter le 1er octobre prochain parce que ces élections sont très importantes pour l'avenir de nos relations au sein de la République de Bosnie-Herzégovine. Le fait de se rendre aux urnes le 1er octobre constituera un vote en faveur de la République serbe et de ses institutions » a-t-il déclaré.

[1] la république de bosnie-herzégovine est une confédération composée de deux entités (la fédération de bosnie-herzégovine et la république serbe) possédant chacune leur système politique.

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