La politique de recherche en Europe

Éducation et culture

Svetlana Nazarenko

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25 juillet 2005

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Nazarenko Svetlana

Svetlana Nazarenko

Doctorante à l'Institut Politique de Grenoble, ancienne boursière de la Fondation Robert Schuman, Bélarusse.

La politique de recherche communautaire : un renouveau ?

Dans un premier temps, nous étudierons de nouveaux documents préparés par les organes communautaires en matière de politique scientifique. Cette analyse nous permettra de détecter, le cas échéant, des changements de principe dans l'organisation et l'évolution de la R&D européenne.

Les objectifs principaux de l'UE à 25 sont le renforcement de ses bases scientifiques et techniques, la réalisation d'un espace européen de la recherche, la libre circulation des scientifiques et des technologies et le développement de la compétitivité de l'UE. Pour les atteindre, l'UE mise sur la stimulation des entreprises, y compris des petites et moyenne entreprises (PME), des centres de recherche et des universités en passant par la création des conditions juridiques et fiscales favorables. A ce titre, les actions suivantes doivent être entreprises en termes de l'article 249, à savoir la mise en œuvre des programmes de recherche, de développement et de démonstration, la promotion de la coopération entre les entreprises, les centres de recherche et les universités ainsi qu'avec les pays tiers et les organisations internationales, la diffusion et la valorisation des résultats obtenus et finalement des mesures en faveur de la formation et de la mobilité des chercheurs de l'Union. Dans cette optique, l'Union et les Etats membres coordonnent leurs actions et la Commission, en étroite collaboration avec les Etats membres, peut prendre des initiatives en vue d'établir des grandes orientations ou des systèmes d'indicateurs, entre autres.

La loi européenne établissant le programme-cadre pluriannuel de recherche-développement est l'instrument juridique principal au niveau communautaire. Elle définit les priorités, indique les grandes lignes des actions prévues et fixe le montant et les modalités de financement de la politique scientifique par l'UE. La loi-cadre établit également les règles de la participation aux programmes pour tous les acteurs impliqués. Elle peut prévoir des coopérations réunissant tous ou une partie des Etats membres, y compris sous forme de création d'entreprises communes. Le suivi des programmes de R&D au niveau communautaire est assuré par la Commission qui doit présenter, au début de chaque année un rapport au Parlement européen et au Conseil.

Le Conseil européen : une volonté de relance

Au niveau du Conseil européen, ces grandes orientations se sont concrétisées grâce à une volonté prononcée de réaliser les engagements de Lisbonne. Les conclusions de la présidence du 22-23 mars 2005 [6] sonnent l'alarme en vue d'un « fossé entre le potentiel de croissance d'Europe et celui de ses partenaires économiques ». En appelant à miser sur la connaissance, l'innovation et la valorisation du capital humain, ce document énonce les axes de relance de la stratégie de Lisbonne, en particulier, dans le domaine de recherche-développement. Une série d'actions d'envergure est prévue aux niveaux national et européen ; des partenariats sociaux et régionaux en matière de R&D sont fortement encouragés.

Au niveau européen, c'est dans le cadre d'un espace européen de la connaissance que de nouveaux facteurs compétitifs sont censés apparaître. C'est en développant la recherche, l'éducation et la connaissance sous toutes les formes que la présidence envisage de convertir la connaissance en valeur ajoutée et créer davantage d'emplois. En pratique, ce développement passe par le 7ème PCRDT, la création d'un Conseil européen de recherche, le nouveau programme communautaire pour la compétitivité et l'innovation et la mise en place d'un Institut technologique européen. Un accent spécial est mis sur le développement d'une politique industrielle active privilégiant les partenariats public-privé et les plateformes technologiques. Du point de vue des financements, le redéploiement des mécanismes financiers par la Banque européenne d'investissement et la rationalisation des programmes de cohésion sont à l'ordre du jour.

Au niveau national tout comme au niveau communautaire, il appartient aux Etats membres de développer une politique d'innovation en fonction de leurs spécificités pour stimuler les PME innovantes, promouvoir la recherche conjointe entre entreprises et universités, développer des pôles d'innovation au niveau régional et local ainsi que des partenariats pour l'innovation. L'UE entend appuyer ses initiatives par un nouveau dispositif de financement des PME innovantes à haut potentiel de croissance. Ces dernières jouent, selon le document, un rôle clé pour la croissance et l'emploi, il est ainsi impératif de créer des conditions favorables à leur développement.

La Commission : des lignes directrices

Les lignes directrices intégrées représentent un projet de relance plus structuré du processus de Lisbonne recentré sur la croissance et l'emploi en Europe. Elles visent à mettre en place un « nouveau cycle de gouvernance » avec l'objectif de « développer la connaissance, l'attractivité et la création d'emplois » [7]. Elles stipulent que de faibles avancées réalisées par l'UE dans ce domaine depuis 2000 sont en très grande partie dues à la faiblesse des investissements des entreprises et à un ralentissement des progrès et des innovations technologiques ainsi qu'à une diffusion assez lente des technologies de l'information et de la communication (TIC). Le document comporte trois grands volets qui précisent les grandes orientations macroéconomiques, microéconomiques et pour l'emploi. Les enjeux de recherche-développement et d'attractivité, en particulier, sont présents dans les deux dernières parties.

Les lignes directrices affirment la nécessité d'accroître et d'améliorer les investissements dans la recherche-développement et le capital humain, de faciliter l'innovation et l'adoption des TIC, de rendre l'environnement des entreprises plus attrayant ainsi que d'adapter les systèmes d'éducation et de formation aux nouveaux besoins en matière de compétences.

En mettant l'accent sur le lien causal entre la recherche-développement et la croissance économique, les lignes directrices énoncent qu'il est indispensable d'encourager la recherche-développement privée, notamment par la création des meilleures conditions et d'un environnement compétitif pour les entreprises, l'augmentation du niveau et de l'efficacité des dépenses publiques, le renforcement des centres d'excellence, l'attrait des étudiants dans les filières scientifiques, techniques et d'ingénierie et l'amélioration des perspectives de carrière. Le 7ème PCRDT et une série de recommandations viennent compléter ces orientations globales.

Le 7ème PCRDT : un programme d'action qualitativement nouveau

La communication de la Commission La science et la technologie, clés de l'avenir de l'Europe [8] a marqué un tournant dans la conception de la politique scientifique communautaire. D'abord, ce document a érigé la recherche scientifique, le développement technologique et l'innovation « en facteur clé de la croissance, de la compétitivité des entreprises et de l'emploi ». En faisant du renforcement de l'effort de recherche un objectif majeur, la Commission a proposé de doubler le budget de recherche de l'Union. Cette proposition est justifiée par l'effet de la « valeur ajoutée européenne » né de la constitution de masses critiques de ressources, du renforcement de l'excellence par la concurrence au niveau européen et la collaboration transnationale ainsi que de l'effet de « catalyse » que produisent les initiatives européennes au niveau national. Ainsi, la Commission a recommandé de renforcer l'impact des actions de l'Union en les organisant autour de six objectifs majeurs, à savoir :

1. création des pôles d'excellence européens par la collaboration entre laboratoires ;

2. lancement des initiatives technologiques européennes ;

3. stimulation de la créativité de la recherche fondamentale par la compétition entre équipes au niveau européen ;

4. amélioration de l'attractivité de l'Europe pour les meilleurs chercheurs ;

5. développement des structures de recherche d'intérêt européen ;

6. renforcement de la coordination des programmes nationaux de la recherche.

A l'issue d'un double débat – politique et au sein des institutions – et d'une large consultation de la communauté scientifique, de l'industrie et autres parties concernées, la Commission a proposé de structurer le 7ème PCRDT autour de quatre programmes qui se voient allouer chacun un budget à part.

Ces quatre programmes sont :

1. Coopération qui a pour objectif de porter l'UE à la première place dans les domaines scientifiques et technologiques essentiels en soutenant la coopération entre universités, industrie, centres de recherche et pouvoirs publics ;

2. Idées qui vise à stimuler la créativité et l'excellence de la recherche européenne en finançant des activités de « recherche exploratoire » menées par des équipes individuelles en concurrence à l'échelon européen ;

3. Personnel qui a pour objectif d'améliorer les perspectives de carrière et la mobilité des chercheurs européens ;

4. Capacités qui vise à rehausser la capacité de recherche et d'innovation dans toute l'Europe par le biais d'infrastructures à grandes échelles, de la coopération régionale et des PME innovantes.

Le thème d'attractivité scientifique tant au niveau national qu'européen est transversal aux quatre programmes prévus. En effet, ce n'est qu'à condition de pouvoir attirer et retenir sur le marché du travail communautaire des spécialistes hautement qualifiés que l'Europe pourra réaliser les objectifs fixés. Pour cette raison, l'enjeu d'emploi scientifique a reçu un éclairage particulier au niveau européen. Avant tout, dans le cadre de la Recommandation de la Commission concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pour le recrutement des chercheurs [9]. Dans l'intention de « contribuer au développement d'un marché de travail européen attrayant, ouvert et durable », la Commission propose aux Etats membres d'adhérer à un schéma de recrutement transparent qui permette de construire une politique cohérente de carrière et de mobilité pour les chercheurs européens.

Après ce premier tour d'horizon – qui est loin d'être exhaustif en raison du nombre élevé de nouveaux documents - nous allons procéder à une analyse détaillée des changements de discours constatés. Cela nous permettra de voir s'il est judicieux de parler d'un nouveau référentiel d'attractivité scientifique au niveau communautaire.

Apports et limites d'un « nouveau » processus de Lisbonne

Dans un deuxième temps, nous essaierons de voir si les nouveaux programmes et documents contiennent des apports qualitativement nouveaux, en quoi ils contribuent à renforcer les positions de l'UE vis-à-vis des pays membres et quels sont les défis qui n'ont pas été complètement relevés. Cela nous permettra de conclure sur la capacité de l'agenda européen à s'imposer aux agendas nationaux des pays considérés.

Un nouveau référentiel ?

Il est très risqué d'en conclure avec certitude l'émergence d'un nouveau référentiel de la politique d'attractivité scientifique européenne. En effet, très peu de temps sépare l'adoption des communications et recommandations évoquées et le 7ème PCRDT quoique établi n'est pas encore devenu réalité. Pour cette raison, nous nous limiterons à l'analyse des « déclarations d'intention » dans la mesure où elles sont révélatrices d'un changement de cap prononcé.

En premier lieu, il est évident que les enjeux de R&D et d'attractivité scientifique, au sens large, sont replacés sur l'agenda décisionnel de l'UE. En témoigne une explosion de documents officiels en provenance de la Commission européenne [10] ainsi qu'un nombre important de rapports et prises de positions au sujet des performances scientifiques et technologiques de l'UE. A l'initiative du Conseil européen, le grand faiseur de l'agenda politique européen [14], les conclusions de la présidence de mars 2005 promeuvent ces problématiques au niveau des priorités par excellence pour l'UE. Les raisons d'une telle préoccupation sont bien claires : cinq ans après la mise en place de la stratégie de Lisbonne, les résultats sont peu satisfaisants. Par ailleurs, la question se pose de savoir si ce replacement sur l'agenda décisionnel est fonction du cycle politique (lié au changement de la présidence, à la nécessité de faire un bilan provisoire ou au processus constitutionnel) ou s'il revêt un caractère plus durable.

En deuxième lieu, il est indispensable d'indiquer certains changements de fond dans la conceptualisation de la politique d'attractivité scientifique au niveau de l'UE. Le premier grand changement consiste en l'ouverture du dispositif de PCRDT. Selon J. Potočnik, Commissaire européen pour la Science et la Recherche, cette ouverture constitue une nécessité si l'Europe veut simplifier le fonctionnement du 7ème PCRDT afin de le rendre plus transparent et d'en améliorer la gestion et l'efficacité [12]. Cette démarche est censée permettre l'inclusion des projets originaux sortant des sentiers battus et appartenant au domaine de la recherche fondamentale pure.

En troisième lieu, même si la politique scientifique communautaire s'insère toujours dans le projet de la construction d'un espace européen de la recherche ou de la connaissance, un accent très fort est mis sur la compétitivité non seulement scientifique, mais surtout technologique et industrielle qui devient le but ultime des projets de réforme. De ce fait, une attention particulière est portée à l'interaction des acteurs de recherche et développement au sein du triangle « université-industrie-pouvoir public ». Dans cette acception, le volet université inclut non seulement les établissements d'enseignement supérieur, mais également les centres de recherche publics. Toutefois, le choix du terme « université » à titre de concept générique n'est pas anodin, il signale que, du point de vue politique, une importance accrue est désormais attachée à la recherche universitaire. Le European Competitiveness Report 2004 a démontré à l'aide de l'analyse économétrique que l'intensification des financements publics à destination des universités permettait de produire, par rapport aux investissements dans la recherche effectuée dans les laboratoires publics, un impact plus fort sur la productivité, la compétitivité et la croissance [13]. Cela s'explique par le fait que la recherche conduite dans les laboratoires publics a souvent pour but de remplir des missions publiques (dans le domaine de la santé ou de l'environnement), alors que l'université peut produire un impact direct sur la productivité en communiquant des connaissances de base pouvant être utilisées plus tard pour réaliser des innovations technologiques. Ces résultats se voient intégrés dans la Communication de la Commission Mobiliser les cerveaux européens : permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne [14]. Ce document affirme le rôle essentiel des universités dans le renforcement des trois pôles du triangle de la connaissance, à savoir l'éducation, la recherche et l'innovation. Les constats de la même nature ont été faits à l'issue de la grande conférence L'Europe de la connaissance en 2020 organisée à Liège, en Belgique, en avril 2004 [15] dans le cadre de a consultation initiée par la Commission européenne sur « Le rôle des universités dans l'Europe de la connaissance » [16].

Finalement et toujours dans la logique de compétitivité, les nouveaux dispositifs de l'UE dans le domaine de la politique scientifique réservent une place de choix au soutien des PME innovants à haut potentiel de croissance ainsi qu'à celui de la R&D privée. Cela est dû au décalage croissant entre les niveaux de dépenses sur la R&D privée en pourcentage du PIB enregistrés en Europe (EU-15 : 1,3 % en 2002), d'une part, et ceux enregistrés aux Etats-Unis (1,86 % en 2002) ou au Japon (2,26 % en 2002), d'autre part [17]. Ainsi, l'UE entend mettre en place un cercle vicieux en suivant la formule suivante : stimulation et financement public accru des universités=>incitation vis-à-vis des entreprises à investir dans la R&D.

En définitive, même si le projet de relance de Lisbonne repose pour l'essentiel sur des bases construites en 2000, un effort a été fait pour redéfinir le dispositif de PCRDT en le rendant plus efficace. Une attention spéciale a été portée, de façon prioritaire, au renforcement des universités visant à les transformer en pôles d'excellence au niveau international. Le tout devrait produire un effet de « catalyse » sur le niveau national, en particulier, sur les PME qui doivent être incitées à investir dans la R&D à long terme pour faire de l'UE « une économie compétitive basée sur la connaissance ».

Vers un renforcement des instrumentscommunautaires ?

Même si les modifications apportées à la politique scientifique européenne paraissent prometteuses, elles n'en inspirent pas moins quelques craintes vu la situation actuelle dans les Etats membres. Nous voudrions attirer l'attention au moins sur trois points épineux auxquels le projet de relance de Lisbonne risque de se confronter, en particulier, lors de la réalisation de son volet recherche-développement.

La première réserve concerne les compétences de l'UE en matière de politique scientifique. Jusqu'à présent, la Direction générale « Recherche » et la Direction Générale « Politique Générale et Programme-cadre » ne constituent que des centres d'expertise et de négociation. Ni la Commission, ni le Parlement, ni le Conseil de l'UE n'ont d'autorité directe pour influencer les politiques scientifiques nationales. L'évaluation des activités de recherche demande, surtout en ce qui concerne les projets à caractère exploratoire, une approche différencié alors que la Commission ne pourra procéder que par des expertises nationales globales. En effet, très souvent il y a besoin d'examiner des équipes ou des laboratoires particuliers qui essaient de défricher des domaines inconnus ; la Commission risque de n'avoir ni le temps ni les moyens pour analyser ce type de recherche hautement spécialisée. Au-delà, l'UE ne disposera d'aucun mécanisme contraignant à l'égard des Etats membres qui restent libres de décider dans quelle mesure leur politique scientifique doit se conformer à la vision communautaire.

Cela nous amène à la deuxième réserve qui porte sur le statut des universités dans les pays comparés. Alors que la Commission appelle à miser essentiellement sur la recherche universitaire afin de réaliser Lisbonne, les établissements d'enseignement supérieur effectuant de la recherche « haut de gamme » se doivent, dans la plupart des cas, de se conformer à la vision nationale de la politique scientifique. La réforme universitaire s'impose dans tous les Etats étudiés, mais elle n'a encore eu lieu dans aucun d'eux. Les projets de réforme mettent l'accent sur divers aspects : les Français débattent de l'autonomie des universités et du droit de sélection à l'entrée [18] ; les Allemands ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la nécessité des « universités d'élite » [19] ; les Britanniques essaient de trouver des moyens pour améliorer le financement des universités en instituant un système différencié de droits d'inscription et en réformant le « système du double soutien » (Double Support Reform) [20]. Il en ressort que les défauts dont pâtissent les trois systèmes sont comparables : des financements insuffisants ou mal répartis, un manque d'autonomie et de flexibilité pour pouvoir se saisir des thématiques innovantes et attirer les meilleurs pour les explorer. Dans cette optique, la volonté de l'UE d'appuyer sa politique scientifique sur les universités ne constitue qu'une impulsion à l'égard des décideurs nationaux.

Il en va de même pour la recherche industrielle qui est très inégalement développée en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. Le cas français est probablement le plus problématique à cet égard. Depuis les années 1950, la recherche industrielle y a fonctionné conformément à la logique des grands programmes (réunissant le spatial, l'aéronautique, le nucléaire, les télécoms et les autres activités de la R&D militaire) dans le cadre desquels les volets de recherche industrielle susmentionnés avaient été sous-traités dans les laboratoires publics. Même si cette forme d'organisation est actuellement contestée, la part des grands programmes par rapport au montant total de la Dépense Nationale pour la Recherche et le Développement (DNRD) représente encore 34 % en 2002 [21]. Ceci dit, en France la recherche industrielle a été longtemps effectuée dans les laboratoires publics ce qui a entravé l'émergence des laboratoires de R&D industriels. De ce fait, le renforcement de la recherche industrielle, du moins en France, est une tâche très lourde vu l'absence de la culture d'investissement dans la R&D de la part les entreprises et les cadres juridiques et fiscaux peu propices.

Troisièmement, c'est la politique de communication scientifique de l'UE qui pose problème notamment en raison du faible soutien manifesté à l'égard du projet européen non seulement par les acteurs de la recherche, mais aussi par la société civile. Cela s'illustre par une très faible couverture médiatique des recherches conduites dans les pays membres de l'UE. Cela avait été mis en relief par les études effectuées à l'initiative de la European Science Foundation [22]. L'analyse de l'éclairage dans les médias des recherches spatiales et en matière d'astronomie a permis de constater que plusieurs journaux nationaux en Europe se référaient en priorité à la recherche américaine aux dépens de la recherche nationale ou européenne [23]. Cela a pour résultat, selon les auteurs de l'étude précitée, un manque d'appréciation de la dimension communautaire concernant la recherche réalisée sur le continent européen. Les auteurs de l'étude indiquent par la suite que le fait que la recherche américaine soit fortement représentée dans les médias a des répercussions importantes sur la culture scientifique de la population. En effet, 90 % des Américains interrogés déclarent s'intéresser beaucoup ou moyennement aux recherches et découvertes scientifiques ; alors que c'est le cas de seulement 52 % des Européens.

Ces résultats sont significatifs dans la mesure où les citoyens sont amenés à se croire intéressés par la science. Afin de pouvoir produire un effort médiatique comparable en Europe, la European Science Foundation propose de mettre en place une Agence européenne de presse scientifique (European Scientific Press Agency). Cette initiative et partiellement prise en compte par le 7ème PCRDT, mais le niveau de financement des actions de communication scientifique reste inadéquat. Or, cela est crucial pour créer un soutien auprès des acteurs de recherche et de la société civile européenne.

Conclusion

En définitive, l'analyse des nouveaux documents préparés par les instances communautaires au sujet de la recherche-développement permet de cerner les changements de fond concernant le référentiel de politique scientifique communautaire établi dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Ces changements visent à augmenter l'attractivité de l'espace européen pour les meilleurs cerveaux de la planète. Toutefois, ils suscitent des scepticismes dans la mesure où les contextes nationaux ne sont pas prêts à suivre la relance européenne. Dans cette optique, l'agenda européen aura des difficultés pour structurer les enjeux sur les agendas décisionnels nationaux en matière de politique scientifique.


[1] Lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008), COM (2005) 141 final, Bruxelles, 12/04/2005, 35 p. ; KOK, W. Facing the Challenge: the Lisbon Strategy for Growth and Employment, 11/2004, 54 p.; GAGO, J.M. (dir.) Increasing Human Resources for Science and Technology in Europe, Report for the Conference "Europe Needs More Scientists", Brussels, 2/04/2004, 182 p.; Towards a Europe of Knowledge and Innovation, EIROforum, 04/2005, www.eiroforum.org, 99 p, visité le 16/05/2005.
[2] En même temps, les Etats-Unis dépensent pour la R&D 2,8 % du PIB et le Japon plus de 3 %. Cf. Communication de la Commission européenne. La science et la technologie, clés de l'avenir en Europe – Orientations pour la politique de soutien à la recherche de l'Union, COM (2004), Bruxelles, 16/06/2004, 13 p.
[3] GAGO, J.M. (dir.) Increasing Human Resources for Science and Technology in Europe, Report for the Conference "Europe Needs More Scientists", Brussels, 2/04/2004, p 4. Les statistiques sont reprises de la source suivante Towards a European Research Area – Science, Technology and Innovation – Key Figures 2003-2004, op. cit., et se rapportent à l'année 2001, cependant le fait qu'elles sont citées dans les documents de 2004-2005 indique que le recueil et le traitement de ces données se produisent avec un peu de retard. Toutefois, l'augmentation du nombre de chercheurs par 1000 actifs étant toujours à l'ordre du jour en Europe, il est judicieux de considérer ces données comme pertinentes pour comprendre une tendance d'évolution à long terme.
[4] GAGO, J.M. (dir.) Increasing Human Resources for Science and Technology in Europe, Report for the Conference "Europe Needs More Scientists", Brussels, 2/04/2004, pp. 32-45. Toutes les disciplines ne traversent pas de crises pareilles, ces remarques sont à prendre avec précaution. Ainsi, durant la même période, les sciences de l'ingénieur voient le nombre de diplômés s'accroître dans tous les pays sauf l'Allemagne, alors qu'aux Royaume-Uni les sciences physiques attirent une quantité spectaculaire d'étudiants des cycles supérieurs.
[5] Operational Programme of the Council for 2004 submitted by the incoming Iris hand Dutch presidencies (final version). The Union in 2004: Seizing the Opportunities of the Enlarged Union, 1615/03, Brussels, 19/12/2003, 51 p.; Rapport de la Commission des Communautés Européennes au Conseil européen de printemps. Réalisons Lisbonne : réformes pour une union élargie, COM (2004) 29 final/2, Bruxelles, 20/02/2004, 71 p. Recommandation de la Commission concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pou le recrutement des chercheurs, C (2005) 576 final, Bruxelles, 11/03/2005, 17 p. ; Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Bruxelles, 22-23/03/2005, Bruxelles, http://www.europarl.eu.int, 39 p, visité le 17/04/2005. ; Commission Staff Working Paper. Working together for growth and jobs. Next steps in implementing the revised Lisbon strategy, SEC (2005) 622/2, Brussels, 24/04/2005, 8 p.; Lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008), COM (2005) 141 final, Bruxelles, 12/04/2005, 35 p.
[6] Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Bruxelles, 22-23/03/2005, Bruxelles, http://www.europarl.eu.int, 39 p, visité le 17/04/2005.
[7] Lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008), COM (2005) 141 final, Bruxelles, 12/04/2005, p. 6.
[8] Communication de la Commission européenne. La science et la technologie, clés de l'avenir en Europe – Orientations pour la politique de soutien à la recherche de l'Union, COM (2004), Bruxelles, 16/06/2004, 13 p.
[9] Recommandation de la Commission concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pou le recrutement des chercheurs, C (2005) 576 final, Bruxelles, 11/03/2005, 17 p.
[10] Pour ne citer que quelques-uns de ces documents : Communication de la Commission. Bâtir l'EER de la connaissance au service de la croissance, COM (2005) 118 final, Bruxelles, 6/04/2005, 21 p. ; Communication de la Commission européenne. L'Europe et la recherche fondamentale, COM(2004) 9 final, Bruxelles, 14/1/2004, 14 p. ; Lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008), COM (2005) 141 final, Bruxelles, 12/04/2005, 35 p. ; Communication de la Commission européenne. La science et la technologie, clés de l'avenir en Europe – Orientations pour la politique de soutien à la recherche de l'Union, COM (2004), Bruxelles, 16/06/2004, 13 p. ; Communication de la Commission. Mobiliser les cerveaux européens : permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne, COM (2005) 152 final, Bruxelles, 20/04/2005, 14 p.; Recommandation de la Commission concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pou le recrutement des chercheurs, C (2005) 576 final, Bruxelles, 11/03/2005, 17 p.
[11] TALLBERG, J. « The Agenda Shaping Powers of the EU Council Presidency », Journal of European Public Policy, 2003, V. 10, N°1, pp. 245-276.
[12] POTOCNIK, J. Towards a Europe of Knowledge and Innovation, EIROforum Science Policy Paper Presentation, Speech/05/245, Brussels, 20/04/2005, http://info.web.cern.ch/Press/PressReleases/Releases2005/PR05.05E.pdf, 5 p, visité le 15/05/2005.
[13] Commission Staff Working Document. European Competitiveness Report, SEC (2004)1397, http://europa.eu.int/comm/enterprise/enterprise_policy/competitiveness/doc/comprep_2004_en.pdf, 51, visité le 1/05/2005.
[14] Communication de la Commission. Mobiliser les cerveaux européens : permettre aux universités de contribuer pleinement à la stratégie de Lisbonne, COM (2005) 152 final, Bruxelles, 20/04/2005, 14 p.
[15] Conference proceedings. The Europe of Knowledge 2020, 25-28/04/2004, Liège, Belgium, http://europa.eu.int/comm/research/univ.html, 90 p, visité le 11/05/2005.
[16] Communication from the Commission, The role of the universities in the Europe of knowledge, COM (2003) 58 final, Brussels, 5/2/2003, 23 p.
[17] Commission Staff Working Document. European Competitiveness Report, SEC(2004)1397, http://europa.eu.int/comm/enterprise/enterprise_policy/competitiveness/doc/comprep_2004_en.pdf, p. 45, visité le 1/05/2005.
[18] Un très grand dossier à ce sujet est disponible sur le site de la Conférence des Présidents d'Université à l'adresse http://www.cpu.fr.
[19] Le site du Ministère allemand de l'Education et de la Recherche présente un projet détaillé de la réforme à l'adresse http://www.bmbf.de.
[20] Des documents à ce sujet sont disponibles sur le site de l'Office britannique pour la Science et la Technologie à l'adresse http://www.ost.gov.uk.
[21] LAREDO, PH.; MUSTAR, PH. «French research and Innovation Policy: Two Decades of Transformation» dans LAREDO, PH.; MUSTAR, PH. (dir.) Research and Innovation Policies in the New Global Economy. An International Comparative Analysis, Bodmin, MPG Books, 2001, p. 456.
[22] European Science Foundation Policy Briefing. Science Communication in Europe, 03/2003, http://www.esf.org/publication/153/ESPB20.pdf, 6 p, visité le 13/03/2005.
[23] En Allemagne, en l'occurrence, 67 % des articles analysés se référaient à la recherche américaine ce qui était le cas de seulement 14 % des articles allemands. Cf. ibidem, p.2.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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