Union économique et monétaire
Alain Lambert
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Alain Lambert
A force d'en parler et de ne pas la mettre en œuvre pour de bon, la maîtrise des déficits publics en France va finir par ressembler à un Post-it jauni par le temps.
Nos finances publiques sont à bout de souffle : les déficits publics restent importants malgré des impôts élevés, la dette représente près des deux tiers de la production nationale, les retraites de demain ne sont que très partiellement financées et donc sécurisées, le dérapage des dépenses de santé n'est pas contrôlé, et l'efficacité de la dépense publique, malgré des avancées significatives, a encore une Longue Marche devant elle à parcourir.
Les commentaires aigre-doux de nos partenaires européens pleuvent comme jamais sur Paris et ses finances publiques. Tels Sœur Anne, ils ont l'impression de ne rien voir venir.
Le Président de la République a lui-même reconnu qu'il n'y avait plus de sous dans les caisses et que les Français le savaient. Alors que la croissance est malingre, notre outil budgétaire semble à première vue hors service.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette situation est pour l'essentiel l'héritage empoisonné de la politique budgétaire menée en France, en faveur des baisses massives d'impôts, en phase haute du cycle en 1999-2001, quand la croissance était déjà très dynamique. Ce choix a rendu impossible un retour à l'équilibre des comptes publics en cette période de vaches grasses, hélas révolue. En France, la possibilité de relance ultérieure était anéantie d'avance avec un déficit de 1,4 point de PIB en 2000 (avant le ralentissement de la croissance) et un engagement européen de ne pas dépasser 3 points de PIB qu'il pleuve, vente ou neige.
La seule issue concevable consiste, depuis plusieurs années, à dépenser moins, beaucoup moins.
Augmenter les impôts ou la dette constituent des chemins qui ne mènent nulle part. Une hausse des prélèvements obligatoires serait insensée dans une économie déjà intoxiquée par l'impôt. Elle reviendrait à faire payer les Français pour éponger le coût des erreurs passées des pouvoirs publics. Ce discours pourtant élémentaire est encore souvent mal compris : aussi extraordinaire que cela paraisse, les Français acceptent assez facilement de payer l'impôt. S'ils le paient en maugréant, c'est parce qu'ils sont français, non parce qu'ils trouvent les impôts trop élevés. L'impôt est respecté en France parce que la dépense publique qu'il finance est presque sacrée. Et pour cause : 20% des actifs français travaillent dans la sphère publique. Quant au creusement de la dette, il dynamiterait ce qui reste de crédibilité budgétaire de la France vis-à-vis de l'Europe, et déshabillerait pour de bon les générations futures – nos enfants - qui paieront la facture.
Le rétablissement des comptes publics est la seule issue durablement favorable à notre économie. Que l'assainissement des comptes des administrations publiques passe très prioritairement par une maîtrise des dépenses ne reflète, à ce titre, aucune obsession idéologique, mais bien un choix pragmatique. Une étude récente de l'OCDE montre qu'une telle stratégie permettrait de relever le taux de croissance moyen de plus de 0,3% par an à moyen terme par rapport à un scénario avec hausses d'impôts à tous les étages. Ce résultat n'est pas surprenant : les impôts découragent l'accumulation de capital, l'offre de travail et la consommation. Il ne s'agit pas de prétendre que les dépenses publiques seraient mauvaises en soi pour l'économie. Il s'agit de prendre conscience qu'une baisse des dépenses publiques dans des secteurs non prioritaires – il n'en manque pas, hélas – permettrait de dégager des gains significatifs en matière de croissance par rapport à un recours massif à l'impôt.
C'est aussi le seul chemin par lequel la France peut recouvrer sa crédibilité au sein de l'Europe.
Beaucoup de nos voisins ont fourni d'importants efforts budgétaires au cours des dernières années, au premier rang desquels figure l'Allemagne. Qu'on en juge : de 2003 à 2006, la dépense publique en volume a baissé de 5% en Allemagne quand elle augmentait de 6% en France. Les dépenses de personnel public en part de PIB sont plus élevées en France qu'en Allemagne de 3,5 points. En termes sectoriels, l'essentiel de l'écart est lié au secteur éducatif et aux services publics généraux. La réduction observée en Allemagne depuis 2003 a été pour moitié le fait des administrations de sécurité sociale et la baisse des dépenses de personnel a joué un rôle majeur dans la réduction des autres dépenses.
Les jeunes Allemands sont-ils pour autant plus sots que nos enfants ? Au vu des résultats de la France dans les récentes enquêtes de l'OCDE en matière de niveau scolaire, nous n'avons pas de quoi nous glorifier. La croissance économique allemande a-t-elle quelque chose à nous envier ? Le simple fait de poser la question de ce côté-ci du Rhin fait honteusement rougir.
L'histoire bégaye : dans les années 1990, la référence pour l'inflation, c'était l'Allemagne. Désormais, notre référence pour les déficits, c'est encore et toujours l'Allemagne, qui vient de rétablir l'équilibre de ses comptes publics en 2007. Il est bien triste de constater les sourires entendus qui fleurissent sur les lèvres de nos compatriotes dès lors qu'on évoque un peu sérieusement l'objectif de suppression du déficit public. Quelle triste exception française !
Voilà donc le chemin de la rédemption pour la France si elle veut être audible en Europe : tailler dans les dépenses de personnel et maîtriser les dépenses sociales, à commencer par les dépenses de santé et les dépenses de retraite.
Le Gouvernement actuel a pris le taureau par les cornes et s'est engagé en faveur d'une maîtrise stricte et durable des dépenses publiques. Le rythme de progression en volume des dépenses de toutes les administrations doit être divisé par 2. Les deux objectifs annoncés par le Président français à l'Eurogroupe du 9 juillet sont clairs : il s'agit de s'engager en faveur du retour à l'équilibre des finances publiques d'ici 2012 au plus tard, et le retour de la dette publique à 60% du PIB sur la même période.
Il y a urgence. Tarder à remettre des finances publiques sur pied au seuil d'une période de vieillissement démographique, c'est véritablement jouer à l'apprenti sorcier. Croire que la mise en œuvre de mesures courageuses puisse être reportée de quelques années, c'est faire preuve d'une grave inconséquence et endosser une lourde responsabilité vis-à-vis des générations futures qui devront régler l'addition de nos lâchetés.
Une stratégie d'assainissement des finances publiques est inséparable des réformes structurelles dont notre pays a besoin pour relever son taux de croissance. La France partage désormais – enfin- le diagnostic de ses partenaires de la zone euro selon lequel l'équilibre des finances publiques, les réformes économiques structurelles et le taux de croissance des économies sont étroitement imbriqués.
A cette fin, il convient de stimuler l'offre productive, la concurrence sur le marché des biens, et l'innovation sans laquelle il n'y a pas de gains de productivité. Cette démarche correspond aux recommandations des organisations internationales et de la plupart des économistes. Remédier à la faiblesse du taux d'emploi, notamment chez les jeunes et les seniors, ainsi qu'à une durée moyenne de travail parmi les plus faibles des pays industrialisés, pourrait générer, à terme, un accroissement considérable de la richesse moyenne par habitant. Faire gagner à la France un point de croissance supplémentaire chaque année n'est pas hors de portée si les bonnes politiques sont mises en œuvre intégralement et au plus vite. Le FMI estime, en effet, que si la France se rapprochait des meilleurs standards internationaux, à la fois, sur le marché des biens et services et sur le marché du travail, l'effet favorable sur le niveau du PIB atteindrait à terme près de 16 points de PIB.
En redressant la croissance de façon durable, ces ajustements structurels favoriseront l'assainissement des finances publiques.
Que nous manque-t-il ? Assurément, du courage et des convictions. Le Gouvernement français a toutes les peines du monde à faire admettre le bon sens : comme une famille, l'Etat ne peut pas vivre durablement au-dessus de ses moyens sans devoir rogner, et de plus en plus, sur ses autres dépenses, jusqu'aux dépenses les plus nécessaires. Aujourd'hui, l'équivalent de l'impôt sur le revenu est utilisé chaque année pour payer les intérêts aux investisseurs internationaux qui nous permettent depuis près de 30 ans de vivre à crédit. Chaque année, ce nœud de pendu se resserre autour du cou de l'économie française.
Au total, nous avons à faire à un triangle magique : rétablir les comptes publics, libérer la croissance, redevenir crédibles en Europe. Des succès sur les deux premiers fronts sont les conditions incontournables d'une réussite sur le troisième.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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