Entretien d'EuropeLa conférence intergouvernementale
La conférence intergouvernementale

Démocratie et citoyenneté

Florence Deloche-Gaudez

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29 septembre 2003

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Deloche-Gaudez Florence

Florence Deloche-Gaudez

En février 2002, s'est ouverte à Bruxelles une Convention sur l'avenir de l'Europe, présidée par Valéry Giscard d'Estaing. Dix-huit mois plus tard, elle a produit un projet de Constitution pour l'Europe, visant à renforcer l'efficacité et la légitimité d'une Union élargie à dix nouveaux pays [1]. La création d'une « Convention » - réunissant non seulement des représentants des gouvernements des Etats membres mais aussi des Parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission européenne -, le choix d'y décider par consensus et non à l'unanimité, le terme même de « Constitution » ont pu accréditer l'idée d'un processus constituant européen original, rompant avec les négociations diplomatiques des précédents traités.

Pourtant, à partir du 4 octobre prochain, le projet de Constitution sera examiné par les représentants des gouvernements réunis en « Conférence intergouvernementale » (CIG). Avant de pouvoir être soumis à l'approbation des peuples ou de leurs représentants, le projet constitutionnel devra y recueillir l'accord unanime des 25 Etats, membres et adhérents. Au vu des déclarations de certains participants, l'exercice pourrait être délicat. Lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères, début septembre, le représentant polonais, Wlodzimierz Cimoszewicz, a ainsi déclaré qu'il était « hors de question » d'entériner « tel quel » le projet de Constitution [2]. Or il dispose d'un droit de veto comme chacun de ses collègues. Que l'un d'entre eux s'oppose à un article de la Constitution et il faudra trouver une nouvelle formulation qui fasse l'unanimité. Faute de quoi, ce sont les dispositions des traités actuels, notamment du traité de Nice, qui prévaudront. Tels sont les enjeux de la prochaine Conférence intergouvernementale : l'avenir du projet de Constitution pour l'Europe et le poids des Etats membres dans l'exercice du pouvoir constituant au sein de l'Union européenne.

Jusqu'ici, les gouvernements des Etats membres ont veillé à rester maîtres du « pouvoir constituant » au niveau européen, c'est-à-dire du pouvoir d'élaborer les textes fondateurs de la construction européenne [3]. Les principaux traités (traité de Rome, Acte unique, traités de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice) ont été approuvés au sein d'une « Conférence des représentants des gouvernements des Etats membres » ou « Conférence intergouvernementale ». Leur souveraineté y est préservée : un traité ne sort de cette enceinte que s'il est approuvé par tous les participants.

Les critiques suscitées par le résultat de la dernière Conférence intergouvernementale - le traité de Nice – ont toutefois conduit les gouvernements des Etats membres à reconsidérer cette méthode. Lors du Conseil européen de Nice, en décembre 2000, l'impression a prévalu qu'en limitant la discussion aux représentants des Etats membres, dotés chacun d'un droit de veto, les Conférences intergouvernementales favorisaient la défense des intérêts nationaux et les marchandages. Une telle méthode de négociation a pu fonctionner aux débuts de la construction européenne, lorsque la Communauté comprenait moins d'Etats et qu'elle concernait essentiellement le domaine de l'économie. Ces dernières années, la difficulté des Conférences intergouvernementales à rallier les pays membres autour d'un intérêt commun est apparue plus clairement.

Durant l'année 2000, parallèlement à la dernière Conférence intergouvernementale, une première Convention avait été chargée de rédiger une Charte des droits fondamentaux pour l'Union européenne. L'originalité de la méthode – mêler représentants des gouvernements, des Parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission européenne ; décider par consensus [4] et non à l'unanimité - a attiré l'attention [5]. Ses avantages ont conduit les chefs d'Etat et de gouvernement à décider, en décembre 2001, de convoquer une nouvelle Convention pour préparer la Conférence intergouvernementale suivante [6]. Son mandat était beaucoup plus large que la précédente Convention. La Déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Europe adoptée à cette occasion évoquait quasiment toutes les questions soulevées par l'avenir de l'Union, y compris celle d'une « Constitution pour les citoyens européens ».

Néanmoins plusieurs passages de cette même Déclaration témoignaient de la réticence des Etats membres (ou au moins de certains d'entre eux) à partager leur pouvoir constituant. Dans la partie sur la convocation de la Convention, il n'est question que du « document final » que la Convention devra établir. Il est indiqué qu'il servira de « point de départ » pour les discussions de la Conférence intergouvernementale qui « prendra les décisions définitives ».

Dès la convocation de la Convention, il était donc prévu qu'elle serait suivie d'une Conférence intergouvernementale. D'où le nom exact du texte adopté par la Convention européenne - « un projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe » - et l'expression de « traité constitutionnel » qui a été utilisée au sein de la Convention, dans la mesure où il faut recourir à un traité pour abroger les traités antérieurs et instaurer une Constitution. Certes, on pouvait alors penser qu'il serait difficile pour une Conférence intergouvernementale, aux négociations diplomatiques à huis-clos, d'aller à l'encontre d'un texte proposé par une Convention perçue comme plus légitime, parce que plus transparente, ouverte à la société civile et rassemblant de nombreux élus tant nationaux qu'européens. Mais le seul fait de prévoir la tenue d'une Conférence intergouvernementale a eu pour conséquence de renforcer le pouvoir des représentants des Etats membres au sein même de la Convention. Disposant d'un droit de veto dans la Conférence qui devait siéger à la suite de la Convention, ils ont pu fixer certaines « lignes » à ne pas franchir.

Les Britanniques très actifs à la Convention, ont ainsi exigé le retrait du mot « fédéral » qui figurait au premier article du projet constitutionnel [7]]. Ils ont clairement fait savoir qu'ils ne renonceraient pas à leur droit de veto en matière de politique étrangère, de politique sociale ou fiscale – trois domaines qui restent effectivement régis par l'unanimité. L'efficacité des représentants anglais à la Convention explique d'ailleurs que leur pays se rallie aujourd'hui au projet constitutionnel [8]. Les Français ont, quant à eux, refusé que les accords commerciaux relatifs aux services culturels et audiovisuels puissent être conclus à la majorité. Les Allemands se sont opposés, avec succès, au passage d'un des domaines de la politique sociale à la procédure de la majorité.

Certains observateurs ont même accusé Valéry Giscard d'Estaing de faire la part trop belle aux revendications des Etats membres, notamment des plus « grands » d'entre eux. D'autres ont fait valoir que cette tactique avait l'avantage de favoriser l'option d'une Conférence intergouvernementale courte, adoptant sans grand changement le projet de la Convention – une option d'autant plus crédible qu'elle a le soutien des Italiens, en charge de la présidence de l'Union au deuxième semestre 2003. Silvio Berlusconi semble en effet avoir pour premier objectif de « boucler » la conférence intergouvernementale avant décembre 2003 afin de pouvoir se prévaloir d'un deuxième « traité de Rome ». L'existence d'un texte adopté par consensus à la Convention, d'une part, les propres préoccupations de la présidence italienne, d'autre part, pourraient donc conduire à une Conférence intergouvernementale un peu différente des précédentes.

Rappelons qu'une « Conférence intergouvernementale » est en fait une succession de réunions rassemblant des représentants des gouvernements nationaux à différents niveaux. Les réunions les plus fréquentes se tiennent à un niveau dit « préparatoire ». Elles comprennent les représentants « personnels » des chefs d'Etat et de gouvernement qui sont souvent les représentants permanents des Etats membres à Bruxelles. Lors de la dernière Conférence intergouvernementale, ils formaient le groupe « Vimont », du nom du représentant permanent de la France, alors en charge de la présidence de l'Union [9]. A intervalles réguliers, se tiennent des sessions de niveau ministériel, qui réunissent les ministres des Affaires étrangères. Enfin, les Conférences intergouvernementales se concluent lors de réunions qui rassemblent les chefs d'Etat et de gouvernement. Ces derniers peuvent aussi se rencontrer « à mi-parcours » pour évoquer certaines questions sensibles, comme par exemple à Biarritz, en octobre 2000.

On comprend alors mieux les limites de cette méthode. Elle fait reposer le « quotidien » des négociations sur des diplomates, qui peuvent être enclins à privilégier la souveraineté de leur pays sur l'intérêt européen. Si les réunions « préparatoires » sont censées préparer l'accord final, lors de la dernière Conférence intergouvernementale, elles ont surtout consisté en des tours de table sans fin. C'est seulement durant les quelques jours de la phase finale, que les chefs d'Etat et de gouvernement ont accepté d'« abattre » véritablement leurs « cartes » et de révéler les concessions qu'ils étaient prêts, ou non, à faire.

Au début de leur présidence, les Italiens ont proposé au contraire que les négociations se déroulent directement « au niveau politique ». Les « questions les plus conflictuelles » (référence aux valeurs chrétiennes, définition et champ d'application de la majorité qualifiée, nombre de sièges au Parlement européen) seraient traitées par les chefs d'Etat et de gouvernements, au cours de trois réunions rapprochées (4 octobre, 16 et 17 octobre, 12 et 13 décembre). Les questions « à clarifier » (présidences tournantes des formations du Conseil, statut et rôle du futur ministre des Affaires étrangères de l'Union, modalités de la coopération structurée dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense) seraient examinées par les ministres des Affaires étrangères en marge de six Conseils Affaires générales (4 octobre, 13 octobre, 26 et 27 octobre, 17 novembre, 28/29 novembre, 8 décembre) [10].

Les autres pays fondateurs (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas), partisans de ne pas rouvrir une négociation qu'il a été possible de conclure à la Convention, ont soutenu les propositions italiennes. Mais la majorité des ministres des Affaires étrangères présents au Conseil informel de Riva del Garda, les 6 et 7 septembre derniers, aurait critiqué la méthode proposée, précisément parce qu'elle limite leur marge de manœuvre. Il en résulte une certaine incertitude quant aux caractéristiques de la future Conférence intergouvernementale.

Plusieurs ministres ont demandé que se tiennent à nouveau des réunions d'experts pour préparer les réunions ministérielles. Il semblerait néanmoins que l'on continue à s'en tenir au schéma de la présidence italienne – à savoir des négociations conduites à un niveau politique. Seule la mise en place d'un groupe d'experts juridiques, chargés de « toiletter » le texte, serait pour l'instant évoquée.

Si elle était confirmée, cette option aurait des répercussions sur le rôle du Parlement européen. A Riva del Garda, il a été admis que des « observateurs » du Parlement européen pourraient assister aux négociations. Restent à savoir lesquelles. Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, les observateurs du Parlement européen assistaient aux seules réunions du « groupe préparatoire » [11]. En l'absence d'un tel groupe, les « observateurs » du PE seraient admis au sein des sessions de niveau ministériel. Leur présence aux réunions des chefs d'Etat et de gouvernement, à laquelle la présidence italienne semble favorable, resterait pour le moment incertaine. La Commission est représentée pour sa part dans toutes les sessions de la CIG. Bien entendu, elle ne saurait détenir de pouvoir de décision dans cette négociation « inter-gouvernementale ».

Enfin, la future Conférence intergouvernementale comprendra des représentants des dix Etats candidats qui ne seront officiellement membres de l'Union européenne que le 1er mai 2004. Rappelons que ces pays étaient déjà représentés à la Convention [12]. En décembre 2002, lors du Conseil européen de Copenhague qui a marqué la conclusion des négociations d'adhésion, il a été décidé que les « nouveaux Etats membres participeront à part entière à la prochaine Conférence intergouvernementale » [13]. L'expression « à part entière » indiquait qu'ils en seraient des membres comme les autres. Depuis, ce point n'a pas été rediscuté [14].

Les ministres des Affaires étrangères ont en revanche clairement rejeté l'idée avancée par la présidence italienne de faire participer le Président de la Convention aux réunions de la CIG [15].

Le calendrier suggéré par les Italiens a été également controversé. Plusieurs ministres présents à Riva del Garda l'ont considéré comme « serré » au vu des questions à traiter. Le ministre finlandais Erkki Tuoioja a même déclaré que la Conférence intergouvernementale ne pouvait être « une simple formalité » et que « la majorité des pays » voulait une « vraie conférence constitutionnelle » (« constitutional conference ») [16].

La durée de la Conférence intergouvernementale est un paramètre doublement important. Il influe, d'une part, sur la marge de manœuvre de la Conférence (une CIG courte limite les changements possibles) et, d'autre part, sur le processus de ratification. Selon un calendrier souvent évoqué, le traité constitutionnel pourrait être signé le 9 mai 2004. Cette date a été suggérée pour plusieurs raisons : il s'agit de la journée de l'Europe, en vertu du texte constitutionnel même ; elle se situe après l'adhésion des pays adhérents (le 1er mai) mais avant les élections au Parlement européen (13 juin 2004). Il serait alors possible de ratifier le projet de Constitution en même temps que les élections européennes, par référendum lorsque cela est juridiquement possible, comme de nombreux Conventionnels l'ont souhaité [17]. Il est vrai que cette option assurerait la simultanéité des référendums. Elle donnerait une dimension plus européenne à un exercice de ratification qui s'exerce dans un cadre national. Pour certains, elle permettrait aussi que, dès ces élections, le choix du président de la Commission soit lié aux résultats du scrutin, ainsi que le suggère le projet de Constitution.

Evidemment, une Conférence intergouvernementale se prolongeant au-delà de la présidence italienne remettrait en cause ce scénario. On peut toutefois imaginer que le traité constitutionnel soit approuvé par référendum ultérieurement, par exemple à l'automne 2004. Plusieurs pays ont d'ailleurs envisagé de faire ratifier le traité constitutionnel par référendum, sans toutefois s'engager sur une date précise. Dans son avis sur la CIG, le Parlement européen a insisté sur l'idée que les référendums devraient se tenir le « même jour », sans faire référence à l'échéance des élections européennes [18].

La position des Etats membres sur la question du calendrier montre qu'un nombre non négligeable d'entre eux souhaite profiter de la Conférence intergouvernementale pour réviser certains aspects du projet de traité constitutionnel.

Parmi les points susceptibles d'être rediscutés, on peut tout d'abord citer la composition de la Commission. La Commission est une institution cruciale puisqu'elle détient le pouvoir d'initier les lois et qu'elle est chargée de promouvoir l'intérêt commun. Le projet de Constitution prévoit qu'à partir de 2009, seulement quinze commissaires auront un droit de vote. A ceux-ci s'ajouteront des commissaires sans droit de vote, «venus de tous les autres Etats membres». Les uns et les autres «tourneraient» selon un système de rotation qui se veut égal pour tous [19]. Il s'agit d'un compromis entre deux points de vue : d'une part, celui qui voudrait que seule une Commission restreinte, au sein de laquelle pourrait régner une véritable collégialité, soit en mesure de remplir efficacement son rôle ; d'autre part, celui qui privilégie la présence d'un ressortissant de chaque Etat membre, au motif que la légitimité des décisions de la Commission exige aussi que chaque voix puisse se faire entendre. Mais même ce compromis est controversé : si la rotation est véritablement égalitaire, en excluant régulièrement du collège des ressortissants de «grands» Etats membres, ne risque-t-on pas d'affaiblir l'autorité de la Commission ?

Il est fort probable que certains petits Etats membres et certains pays candidats demandent à revenir aux dispositions du traité de Nice (un commissaire par Etat membre [20]). Elles ont l'avantage selon eux d'assurer leur représentation au sein de la Commission et une égalité de traitement avec les « grands » Etats membres. Le 1er septembre dernier, quinze Etats (Autriche, Danemark, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède) se sont réunis à Prague pour marquer leur volonté de revenir sur certains articles du projet de traité constitutionnel. Parmi leurs revendications, le souhait de revoir la composition de la Commission figurait en bonne place [21]. Depuis, ils ont reçu le soutien de la Commission elle-même. Dans son « avis » sur la future CIG, elle préconise la formule d'un national par Etat membre, doté chacun des « mêmes droits », quitte à structurer le Collège en « Groupes » [22].

A l'instar de l'Espagne, la Pologne souhaite également le maintien des dispositions du traité de Nice relatives à la définition de la majorité qualifiée. A présent, lorsqu'une décision est adoptée à la majorité qualifiée au sein du Conseil, chaque Etat dispose d'un certain nombre de voix dépendant de sa population, sans qu'il soit exactement proportionnel au nombre de ses ressortissants. Les petits et moyens Etats sont ainsi sur-représentés. Par exemple, le traité de Nice attribue à l'Espagne et la Pologne (qui comptent environ 40 millions d'habitants) 27 voix contre 29 voix à l'Allemagne (presque deux fois plus peuplée). Le projet de Constitution européenne suggère de prévoir plus simplement qu'une décision est adoptée à la majorité qualifiée si elle réunit « la majorité des Etats membres, représentant au moins les trois cinquièmes de la population de l'Union » [23]. Cette définition donne évidemment davantage de poids aux Etats les plus peuplés. Conformément à leurs positions au sein de la Convention, les représentants polonais et espagnol s'opposent fermement à cette nouvelle définition de la majorité qualifiée.

Les « petits » pays redoutent, quant à eux, que l'élection d'un président du Conseil européen pour deux ans et demi, en lieu et place d'une présidence tournante tous les six mois, ne renforce le poids des « grands » Etats au sein de l'Union européenne [24]. Sur ce point, ils n'ont pas le soutien de l'Espagne. Au sein de la Convention, le gouvernement polonais n'y a pas non plus paru franchement hostile. La question semble donc un peu moins problématique que les deux précédentes. Mais elle pourrait resurgir au sein de la CIG.

De même, plusieurs pays (Espagne, Irlande, Italie, Pologne) souhaitent qu'il soit fait référence aux « racines chrétiennes » de l'Europe, et pas seulement à son « héritage religieux », dans le préambule de la Constitution [25]. Il est néanmoins possible que l'Italie donne en fait la priorité à la clôture de la CIG avant décembre 2003 plutôt qu'à l'introduction de cette référence.

Ainsi, comme sur la question de l'organisation de la CIG, on retrouve une ligne de partage entre les six Etats fondateurs, qui souhaitent « s'écarter le moins possible du texte de la Convention » [26], et les autres Etats, qui refusent cette ligne. Sans nier que certains points pourraient être précisés, concernant par exemple la présidence du Conseil, les Français semblent vouloir d'abord éviter que la CIG ne « détricote » le travail de la Convention. Il est vrai qu'ils y ont obtenu gain de cause sur deux revendications essentielles à leurs yeux : un président stable du Conseil européen, le maintien de l'unanimité pour la conclusion des accords commerciaux dans le domaine de la culture et de l'audiovisuel [27]. A ce sujet, on peut se demander si l'attitude revendicatrice des Etats petits et/ou candidats ne vient pas du sentiment qu'ils ont pu avoir de n'avoir pas été suffisamment écoutés à la Convention.

Quoi qu'il en soit, que penser de ces multiples demandes de révision du projet constitutionnel ? A l'évidence, certaines dispositions du traité constitutionnel pourraient être améliorées. Comme le souligne la Commission dans son avis [28], afin d'assurer la prise de décisions dans une Europe de 25 Etats, il conviendrait de réduire encore le champ de l'unanimité. Réexaminer la question de la composition de la Commission pourrait aussi être l'occasion de reconsidérer deux options à nos yeux trop rapidement écartées : celle de ne pas fixer un nombre précis de commissaires ; ou de prévoir que le Président de la Commission nomme « au moins » un national de chaque Etat membre, pour à la fois assurer la représentation de tous et limiter le risque de « nationaliser » l'institution [29].

Mais rouvrir les discussions au sein d'une enceinte où chacun dispose d'un droit de veto, où il est beaucoup plus aisé de déconstruire que de construire pourrait aboutir à une impasse. L'avis du Parlement européen sur la Conférence intergouvernementale recommande d'ailleurs que la CIG adopte le projet de traité constitutionnel « sans modifier son équilibre fondamental » [30]. A Riva del Garda, le ministre allemand des affaires étrangères, Joschka Fischer s'est fait plus explicite : il a indiqué qu'un échec de la Conférence intergouvernementale aurait des conséquences sur les négociations financières à venir.

Au terme de cette note, il apparaît finalement qu'une « bonne » Conférence intergouvernementale serait une CIG différente des précédentes, plus « modeste ». D'où la question : dans une Europe de 25 Etats membres, de plus en plus intégrée, faut-il encore confier le pouvoir constituant aux seuls représentants des gouvernements des Etats membres dans le cadre d'un processus « intergouvernemental » qui confère à chacun d'entre eux un droit de veto ? La succès de la méthode conventionnelle ne tient-elle pas précisément au fait qu'elle introduit de nouveaux acteurs sur la scène constituante tout en écartant la règle de l'unanimité ? Dès lors pourquoi continuer à prévoir une double unanimité (entre gouvernements des Etats membres et au niveau des ratifications) pour réviser la future Constitution ? En cas de blocage au sein de la CIG ou de non ratification par un des Etats membres, ces questions se reposeront.

[1] Des traités d'adhésion ont été signés en avril 2003 avec Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie. Une fois ratifiées par toutes les parties, ils entreront en vigueur le 1er mai 2004. [2] « La Constitution mort-née de l'Union ». Libération, 8 septembre 2003.. [3] Jean-Louis QUERMONNE. Le système politique de l'Union européenne, Montchrestien, 2002, p. 107. [4] Le « consensus » n'a jamais été précisément défini ; il impliquait de rassembler autour du projet la plus grande majorité possible, mais sans qu'il soit nécessaire qu'il recueille un accord unanime. [5] Florence DELOCHE-GAUDEZ. La Convention pour l'élaboration de la charte des droits fondamentaux : une méthode d'avenir ?. Etudes et Recherches n° 15, Novembre 2001, disponible sur le site http://www.notre-europe.asso.fr/fichiers/Etud15-fr.pdf. Une partie de l'étude est reproduite dans l'ouvrage dirigé par Renaud DEHOUSSE, Une Constitution pour l'Europe ? Presses de Sciences Po, 2002 (chapitre 7). [6] Conclusions du Conseil européen de Laeken, 14-15 décembre 2001, disponibles sur le site du Conseil de l'Union européenne : http://ue.eu.int/fr/Info/eurocouncil/index.htm, rubrique Conclusions de la Présidence. [7] Dans la version initiale de l'article 1, il était indiqué que la Constitution établissait une Union « au sein de laquelle les politiques des Etats membres sont coordonnées et qui gère, sur le mode fédéral, certaines compétences communes ». In CONV 528/03, 6 février 2003. Le projet de Constitution stipule finalement que « l'Union coordonne les politiques des Etats membres visant à atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu'ils lui transfèrent ». Le projet adopté par la Convention est disponible sur le site http://european-convention.eu.int/DraftTreaty.asp?lang=FR. [8] Le Figaro, 22-09-2003 [9] Pour la préparation du traité d'Amsterdam, un « groupe de réflexion » a précédé l'ouverture de la CIG ; la composition du groupe des représentants des Etats membres au niveau « préparatoire » était largement similaire à celle du groupe de réflexion et comprenait quelques ministres. La France y était par exemple représentée par Michel Barnier, alors ministre délégué, chargé des affaires européennes. Voir Florence DELOCHE-GAUDEZ. France : a Member State losing influence ? In: F. LAURSEN (ed.) The Amsterdam Treaty. National Preference Formation, Interstate Bargaining and Outcome. Odense Universty Press, 2002. [10] Bulletin quotidien Europe, 09-09-2003. [11] Voir conclusions du Conseil européen d'Helsinki, 10-11 décembre 1999, disponibles sur le site du Conseil de l'Union européenne : http://ue.eu.int/fr/Info/eurocouncil/index.htm, rubrique Conclusions de la Présidence. Les sessions de la CIG au niveau ministériel étaient quant à elles précédées d'un « échange de vues avec le président du Parlement européen, assisté de deux représentants de cette institution ». Les réunions au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement étaient précédées d'un « échange de vues » avec le seul président du Parlement européen. [12] En vertu de la Déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Europe, les pays candidats étaient représentés « dans les mêmes conditions que les Etats membres actuels (un représentant du gouvernement et deux membres du Parlement national) ». Il était précisé qu'ils participeraient aux délibérations « sans toutefois pouvoir empêcher le consensus qui se dégagerait entre les Etats membres » - une disposition difficile à appliquer en pratique. . [13] Conclusions du Conseil de Copenhague, 12-13 décembre 2002, disponibles sur le site du Conseil de l'Union européenne : http://ue.eu.int/fr/Info/eurocouncil/index.htm, rubrique Conclusions de la Présidence. [14] La Bulgarie, la Roumanie et la Turquie, trois pays candidats qui n'ont pas signé de traité d'adhésion, disposeront, eux, d'observateurs. [15] Bulletin quotidien Europe, 09-09-2003 et 11-09-2003. [16] Bulletin quotidien Europe, 09-09-2003 ; « Most enlarged countries EU members oppose draft constitution », sur le site http://www.euractiv.com. [17] Un appel en ce sens, rédigé à l'initiative du Conventionnel et Député européen Alain Lamassoure, a été signé par 97 membres de la Convention. Voir le texte de cette résolution et la liste des signataires sur le site http://european-referendum.org; Bulletin quotidien Europe, 12-07-2003. [18] Résolution du Parlement européen sur le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe et portant avis du Parlement européen sur la convocation de la Conférence intergouvernementale, 24 septembre 2003, disponible sur le site du Parlement européen (Rubrique : sessions plénières, textes adoptés le 24 septembre 2003 ; http://www3.europarl.eu.int/omk/omnsapir.so/calendar?APP=PV2&LANGUE=FR) [19] Article 25 du « Projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe ». [20] Le traité de Nice prévoyait de modifier cette formule après l'adhésion du 27è Etat membre. [21] Réunion de défiance à Prague contre le projet de Constitution. Le Monde, 03-09-2003 ; Bulletin quotidien Europe, 03-09-2003. [22] Communication de la Commission : une Constitution pour l'Union, 17 septembre 2003, COM (2003) 548 final, disponible à l'adresse : http://europa.eu.int/futurum/index_fr.htm. [23] Article 24 du « Projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe ». [24] Article 21 du « Projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe ». [25] Bulletin quotidien Europe 18-07-2003 ; 29-08-2003. Le président lituanien y serait également favorable. Lors de l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux, les dirigeants français s'était opposés à l'expression « héritage religieux », qui avait été remplacée par « patrimoine spirituel ». [26] L'expression a été utilisée par Dominique de Villepin lors du point presse qui a suivi la réunion de Riva del Garda (les propos du ministre sont disponible sur le site du ministère des Affaires étrangèreshttp://www.diplomatie.fr). Les pays du Benelux, qui ont participé à des réunions de « petits » pays dans le cadre de la Convention et qui ont été invités à participer à la réunion de Prague, début septembre, ont préféré ne pas s'y rendre. In Bulletin quotidien Europe, 30-08-2003, 03-09-2003. Le Monde, 03-09-2003. [27] Florence DELOCHE-GAUDEZ, Christian LEQUESNE. Frankreich. In W. Weidenfeld und W. Wessels (eds.). Jahrbuch der Europäischen Integration 2002/03. Bonn, Europa Union Verlag, 2003 (voir partie sur la Convention). S'agissant des accords commerciaux dans le domaine des services culturels et audiovisuels, les Français ont dû tout de même accepter l'ajout d'une condition : ils sont conclus à l'unanimité lorsqu'ils « risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union » (article III-217). [28] Communication de la Commission : une Constitution pour l'Union, 17 septembre 2003, op.cit. [29] Florence DELOCHE-GAUDEZ. « UE : Une Constitution européenne à petits pas ». Libération, 03-07-2003 (disponible sur le sitehttp://conventioneuropeenne.sciences-po.fr) [30] Résolution du Parlement européen sur le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe et portant avis du Parlement européen sur la convocation de la Conférence intergouvernementale, 24 septembre 2003, op. cit.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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