Entretien d'EuropeLa conférence intergouvernementale : La constitution européenne en jeu
La conférence intergouvernementale : La constitution européenne en jeu

Démocratie et citoyenneté

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8 décembre 2003

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1) Les principales propositions de la Présidence italienne

Les valeurs de l'Union

Il est proposé d'inclure dans les « valeurs de l'Union » les « droits des personnes appartenant à des minorités » et l' « égalité entre les hommes et les femmes ».

La première des deux modifications a été demandée par la Hongrie, qui souhaite que soient reconnus « les droits des minorités ethniques et nationales » ; mais à la demande de plusieurs délégations, notamment slovaque et espagnole, la formulation retenue, et proposée par la Roumanie, insiste sur les droits dans leur dimension individuelle et non collective. La seconde, concernant l'égalité entre les hommes et les femmes, a été demandée par la Suède.

Les ministres ont accepté ces modifications.

Il convient de remarquer que la Charte des droits fondamentaux ne fait l'objet d'aucune modification.

La primauté du droit de l'Union

Le principe de « primauté du droit de l'Union » (art. I-10) serait relégué dans une déclaration à inscrire dans l'Acte final , « la Conférence constat(ant) que les dispositions de l'article I-10, paragraphe 1 reflètent la jurisprudence de la Cour de justice ».

Sur ce point, les ministres ont confirmé le principe de la primauté du droit européen sur le droit national, conformément à la jurisprudence communautaire depuis le milieu des années soixante.

La procédure de révision de la Constitution

La Convention prévoit une procédure de révision de la Constitution qui repose sur l'accord unanime des Etats membres.

La Présidence italienne propose d'assouplir la procédure de révision, surtout en ce qui concerne les politiques internes de l'Union (qui n'entrent pas dans la catégorie des dispositions à caractère constitutionnel).

Concrètement, le Conseil pourra décider une révision par un vote à la majorité qualifiée, même si toute modification du traité requiert un accord de tous les Etats membres.

Il n'y a pas pour l'instant d'accord de l'ensemble des Etats sur cette proposition.

La politique de sécurité et de défense commune

En ce qui concerne la « Politique de sécurité et de défense commune », le conclave de Naples s'est achevé sur une avancée importante : un accord sur l'approfondissement de l'Europe de la défense. Les principales propositions dans ce domaine sont les suivantes :

- les ministres des affaires étrangères des 25 ont accepté d'inscrire dans la Constitution la possibilité de « coopérations structurées » en matière de défense. Celles-ci doivent permettre aux Etats qui le souhaitent – et qui disposent des capacités militaires suffisantes – d'aller de l'avant, afin de mettre sur pied, par exemple, des opérations de maintien de la paix avec ou sans l'appui de l'OTAN. Les « coopérations structurées » seraient décidées par le Conseil des ministres de l'UE à la majorité qualifiée, ce qui doit empêcher les risques de blocage liés à la règle de l'unanimité selon laquelle chaque Etat peut opposer son veto ;

Le principe d'une « clause de défense mutuelle » a été également accepté, au cas où l'un des pays membres de l'UE ferait l'objet d'une attaque. Cette clause serait subordonnée à celle qui lie les Etats membres de l'UE à l'OTAN. Il convient de remarquer que, pour répondre aux inquiétudes des pays neutres (Autriche, Finlande, Irlande, Suède), cette clause pourrait perdre son caractère obligatoire.

La politique étrangère et de sécurité commune

La Présidence innove par rapport au texte de la Convention en proposant que le vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres soit étendu à la politique étrangère et de sécurité commune. Plus précisément, la Présidence a proposé que les Etats membres votent à la majorité qualifiée sur des décisions proposées par le futur Ministre des affaires étrangères de l'Union.

Il s'agit d'une véritable innovation et d'une avancée importante, puisque la Présidence italienne est allée plus loin que ce que prévoit le texte de la Convention. L'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg approuvent cette proposition.

La majorité des propositions de modification de la Présidence italienne ont été acceptées par les différentes délégations.

Néanmoins, la proposition de la Présidence italienne sur l'extension de la majorité qualifiée à ce domaine a été rejetée par les Britanniques qui revendiquent un droit de veto sur les questions relatives à la politique étrangère.

Le Royaume-Uni obtient également des garanties en matière de coopération judiciaire ; les Britanniques pourront conserver la spécificité de leur droit pénal et obtiennent aussi une limitation des pouvoirs du Parquet européen.

2) Les principaux points en discussion

La procédure de vote au Conseil des ministres

La Convention a proposé un système de « double majorité » comme règle de vote au Conseil des ministres. La règle est simple et efficace : elle prévoit qu'une loi européenne est adoptée si elle est acceptée par la majorité des Etats membres (13 sur 25) représentant au moins 60% de la population.

Ce système se substituerait donc à celui prévu par le Traité de Nice en le rééquilibrant puisque selon ce dernier système, les pays les plus peuplés représentant les trois-quarts de la population de l'Union disposent d'environ la moitié des droits de vote au Conseil.

La nouvelle formule est fortement critiquée par l'Espagne et la Pologne qui veulent conserver les avantages obtenus avec le Traité de Nice en décembre 2000 (les deux pays avaient obtenu 27 voix au Conseil qu'il faut comparer aux 29 de l'Allemagne qui compte pourtant deux fois plus d'habitants).

Pour tenter de « débloquer » la situation, Jack Straw, le chef de la diplomatie britannique, a proposé de reporter la décision sur la règle de vote à 2009 ; cette « clause de rendez-vous » a été rejetée comme étant « inacceptable » par Joschka Fischer.

La composition de la Commission

Le projet de Constitution prévoit une Commission resserrée à 15 membres, disposant d'un droit de vote, à partir de 2009 auxquels s'ajouteraient 10 autres commissaires. La nouvelle règle de composition de la Commission est la condition du maintien de sa collégialité et de son indépendance à l'égard des gouvernements nationaux.

Cette formule est, elle aussi, fortement critiquée par les dix futurs Etats membres de l'Union mais aussi par l'Autriche, le Danemark, la Finlande, la Grèce et la Suède. De manière générale, une majorité des Etats sont favorables à une égalité de représentation au sein de la Commission (qui dispose du monopole de l'initiative législative) qui les soutient sur cette revendication.

La Présidence italienne a affirmé qu'il y a une « forte convergence » des délégations pour accorder à chaque Etat un commissaire avec droit de vote. Le Luxembourg a proposé un compromis, avec une Commission composée de 18 membres. La France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et le Luxembourg sont les seuls à plaider pour une Commission resserrée.

J. Fischer a souligné que, si la formule de la Convention devait être rejetée, il conviendrait alors que les « grands » pays aient deux commissaires (ce qui conduirait à une Commission à 31 membres).

Il n'y a donc pas de consensus pour l'instant.

Compte tenu du rapport de force, un compromis en faveur de la revendication des petits pays semble inévitable ; une commission à 25 (voire à 31 membres, si la France et l'Allemagne réclamait alors deux commissaires pour les « grands » pays – Pologne et Espagne compris -) peut fonctionner [1], même si cela dénature cette institution censée être indépendante des Etats [2].

La référence aux racines chrétiennes de l'Europe

L'Espagne, l'Italie, la Pologne et l'Irlande militent en faveur de l'introduction d'une référence aux racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de la Constitution. La France, comme la Belgique, s'opposent à une telle référence comme elles l'avaient déjà fait lors des travaux de la Convention qui avait été chargée de rédiger la charte des droits fondamentaux.

La Présidence italienne propose d'inclure cette référence à l'héritage chrétien tout en affirmant le principe de laïcité. Plusieurs pays, dont la France, veulent s'en tenir à ce qui a été proposé par la Convention qui invoque « les héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe ».

Le budget et les perspectives financières

Tout d'abord, la Constitution prévoit d'accroître les pouvoirs du Parlement européen en matière budgétaire, puisqu'il lui donnerait le dernier mot sur le vote final.

Contre cette disposition, un certain nombre d'Etats, comme le Royaume-Uni, l'Irlande, la République tchèque, défendent le pouvoir du Conseil dans cette matière.

Ensuite, d'autres pays s'opposent à ce que la règle de la majorité s'étende aux perspectives financières après 2013, comme le prévoit le projet de Constitution.

Le Ministre des affaires étrangères de l'Union

Le projet de Constitution propose la création d'un Ministre des affaires étrangères de l'Union, qui soit l'émanation du Conseil mais en même temps vice-Président de la Commission. La question de la « double casquette » de cette nouvelle institution est posée et suscite des divergences entre les différentes délégations.

Pour l'instant, c'est la nature intergouvernementale de cette nouvelle institution qui dominerait.

3) Perspectives et enjeux du Conseil européen des 12 et 13 décembre prochains à Bruxelles

Globalement, le texte de compromis proposé par la Présidence italienne respecte l'équilibre du projet élaboré par la Convention, même s'il introduit certains amendements qui ont des effets sur des points importants et qui infléchissent le projet de Constitution :

- dans le sens intergouvernemental : en ce qui concerne le statut du ministre des affaires étrangères de l'Union qui est davantage placé sous l'autorité du Conseil et la coopération pénale, par exemple ;

- dans le sens plus communautaire : en ce qui concerne l'extension de la règle de la majorité qualifiée pour décider au Conseil sur des propositions du Ministre des affaires étrangères de l'Union et pour réviser la Constitution (même si la ratification ultérieure exigerait l'accord unanime des Etats). Mais, le premier point serait rejeté et le second est encore en discussion.

Pourtant des questions essentielles restent en suspens et mettent en jeu le projet de Constitution européenne lui-même, comme en témoignent les déclarations récentes de mise en garde contre des « compromis au rabais ».

La Présidence en exercice de l'Union européenne a marqué sa volonté de conclure les travaux de la CIG par un accord sur la Constitution européenne, lors du Conseil européen des 12 et 13 prochains, et a insisté sur le fait que cet accord ne devait pas être un « compromis au rabais qui empêcherait l'Union de fonctionner ».

De la même manière les délégués du Parlement européen et des Parlements nationaux à la Convention se sont réunis à Bruxelles les 4 et 5 décembre derniers, et à cette occasion, Valéry Giscard d'Estaing, le Président de la Convention, a mis en garde les responsables européens en soulignant que « mieux vaudrait une absence de Constitution qu'une mauvaise Constitution, c'est-à-dire une Constitution mutilée ».

En effet, les grandes questions ne sont pas abordées (nombre de voix des Etats au Conseil et « taille » de la Commission ) et restent à trancher par les chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles les 12 et 13 décembre prochains.

Les écueils de la « taille de la Commission » et de la règle de vote au Conseil reviennent d'une CIG à l'autre

Il est frappant de constater que ces deux questions étaient déjà celles sur lesquelles a buté la précédente CIG. Il faut se rappeler, en effet, que le Conseil européen de Helsinki avait donné pour mandat à celle-ci d'examiner « la taille et la composition de la Commission européenne, la pondération des voix au Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil ». Ces questions avaient été celles esquivées en 1997 à Amsterdam ; c'est ce que l'on a désigné par la suite sous l'expression de « reliquats d'Amsterdam », que Nice, à son tour, n'a donc pas réussi à trancher.

En ce qui concerne les modalités de vote au Conseil des ministres, il est notable que cette question recouvre, à son tour, deux autres « reliquats » issus d'Amsterdam : l'extension du champ d'application du vote à la majorité qualifiée et la repondération du poids décisionnel des Etats membres dans la règle de vote.

Après l'échec des deux dernières conférences intergouvernementales sur ces deux grands sujets, comment sortir de l'impasse ?

Le recours aux « coopérations renforcées »

Les coopérations renforcées constituent, de ce point de vue, un enjeu essentiel et un élément de réponse important.

En effet, l'enjeu est simple : dans quelle mesure sera-t-il possible de mettre en œuvre ces « coopérations renforcées » qui ne réunissent pas tous les pays sans recourir à des décisions à l'unanimité et sans devoir satisfaire à de trop nombreuses conditions ?

La formule des coopérations renforcées permettrait d'éviter l'écueil d'un refus, toujours possible comme le montre la position britannique sur ce sujet, de l'extension du vote à la majorité qualifiée à des domaines jugés traditionnellement régaliens (fiscalité et politique étrangère entre particulier), parce que :

- il ne s'agirait pas de contraindre les Etats membres de l'UE à appliquer des décisions qu'ils n'auraient pas souhaitées ; il s'agirait bien plutôt de permettre à ceux qui le veulent d'avancer ensemble dans tel ou tel domaine ;

il s'agirait ensuite de n'exclure a priori aucun Etat membre.

Les grandes étapes de la construction européenne ont puisé leur succès à la source de la logique selon laquelle un nombre restreint de pays européens peuvent, s'ils le souhaitent, aller de l'avant ensemble autour de projets aussi importants que : l'Europe de la coopération policière et judiciaire (Schengen), l'Europe monétaire avec la création de l'euro, mais aussi l'Europe industrielle et spatiale.

Ce bilan montre que la méthode des « coopérations renforcées » constitue sans doute un moyen efficace et légitime pour faire progresser l'intégration européenne, notamment en matière d'approfondissement de la coopération policière et judiciaire mais aussi, à l'extérieur, une Europe de la défense. Cette méthode présente également l'intérêt de ne pas se focaliser sur les questions institutionnelles, dont on voit qu'elles conduisent, en tout cas dans le cadre de l'actuelle CIG, à des risques de blocage importants.

Ainsi, la question, peut-être la plus importante, qui se pose à quelques jours du Conseil européen de Bruxelles en vue d'un accord politique sur la Constitution européenne, est celle des possibilités qui seront prévues pour que les Etats qui le souhaitent puissent aller de l'avant ensemble dans le sens d'un approfondissement de l'Europe politique. La question, pour le dire autrement, est celle de savoir si l'ensemble des Etats accepteront l'assouplissement des conditions et des procédures créant des « coopérations renforcées ».

Il faut donc, là encore, préserver l'acquis de la Convention qui prévoit les conditions de possibilité de « coopérations renforcées » et de « coopérations structurées » en matière de défense, propositions qui ont été relayées et qui ont reçu un accueil favorable des délégations, à Naples il y a quelques jours.

Il est remarquable que les propositions novatrices qui ont été avancées la semaine dernière en matière de défense (et qui figuraient parmi les points litigieux des négociations entre les 25 pays – divisés entre la position des pays « atlantistes » et celle des pays favorables à l'organisation d'une défense européenne autonome de l'Alliance atlantique, positions auxquelles on peut ajouter celle des pays neutres réticents à la perspective d'une intégration de la politique de défense) sont le résultat de l'accord conclu à Berlin (en marge de la CIG et quelques jours avant la réunion ministérielle de Naples) entre les 3 « grands » Européens : Allemagne, France et Royaume-Uni.

La leçon des Pères fondateurs est toujours d'actualité et doit être méditée à quelques jours du rendez-vous de Bruxelles : l'Europe avance en s'appuyant sur des « réalisations concrètes créant d'abord des solidarités de fait » entre les Etats qui souhaitent aller de l'avant.

[1] Il convient de rappeler que les décisions se prennent à la majorité simple à la Commission [2] Le risque étant alors de donner un caractère intergouvernemental à la Commission

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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