Entretien d'EuropeLes débats américains sur la relation transatlantique
Les débats américains sur la relation transatlantique

Les relations transatlantiques

François Vergniolle de Chantal

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5 avril 2004

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Vergniolle de Chantal François

François Vergniolle de Chantal

Maître de conférences, Université de Bourgogne, et chercheur associé au Centre Français sur les Etats-Unis (CFE) à l'Ifri.

1. L'Etat de la relation transatlantique : l'éloignement est-il irrémédiable ?

Les valeurs et les intérêts stratégiques entre les deux rives de l'Atlantique restent convergents. Il y a une communauté de valeurs, comme avant, ni plus, ni moins. En première lecture, les valeurs communes sont : la supériorité de l'individu par rapport à l'Etat, l'existence de valeurs universelles codifiées par le droit, la responsabilité de l'Etat vis-à-vis des citoyens, les libertés de pensée et d'expression, l'économie de marché, etc. Tous les sondages attestent aussi de convergences fondamentales, que ce soit sur l'état du monde ou sur l'ONU  [1].

Ce qui est vrai pour les valeurs, l'est également pour les intérêts stratégiques : ils ne sont ni plus ni moins divergents qu'avant la fin de la Guerre Froide. Terrorisme, criminalité, zones de non-droit dans le Tiers-Monde: tout ceci provoque les mêmes inquiétudes de part et d'autre de l'Atlantique.

Pourtant, dans la vision du monde américaine, l'Europe n'est plus prioritaire. Elle ne constitue plus l'axe essentiel pour la sécurité des Etats-Unis. Pour l'Europe, le changement est brusque. Lors de la Guerre Froide, l'accord des Européens était obligatoire pour toute mesure d'envergure, ce qui garantissait leur influence – on se souvient par exemple de la controverse autour du déploiement des missiles nucléaires américains au début des années quatre-vingt. Il y avait donc une apparence d'égalité assurée par la nécessité de faire pièce à la stratégie communiste. Dorénavant, la situation est radicalement différente. L'alliance est maintenant une alliance de choix : elle est devenue optionnelle et non plus nécessaire. En d'autres termes, les Etats-Unis peuvent choisir leurs soutiens sans passer forcément par l'assentiment des Européens.

Pour les Etats-Unis, il y a dorénavant un nombre grandissant d'options disponibles. Les Américains sont donc en permanence à la recherche de partenaires, passant de l'un à l'autre si nécessaire. Ils élaborent des coalitions ad hoc, dictées par la mission : ainsi en Afghanistan, les alliés les plus importants pour effectuer les opérations militaires ont été le Pakistan et la Russie.

Cette évolution fondamentale change les comportements diplomatiques. La nécessité de stabiliser la Russie et les Balkans a masqué cet état de fait pendant 10 ans. Mais il y a maintenant une recherche d'autonomie de part et d'autre.

En 1998, cela fut surtout visible du côté des Européens – la réunion de Saint-Malo a ainsi posé les bases d'une véritable coopération militaire afin de définir une capacité de défense commune. Avec l'arrivée au pouvoir de Bush en 2000 et les attentats du 11 septembre 2001, ce sont maintenant les Etats-Unis qui se sentent affranchis des contraintes de collaboration avec une Europe encore trop divisée. Il n'y a donc pas une maladie « unilatérale » qui frapperait les Etats-Unis. La lutte contre le terrorisme, préoccupation sécuritaire, n'a pas l'ampleur idéologique et stratégique du conflit avec l'URSS : de ce fait, l'engagement de nécessité entre l'Europe et les Etats-Unis qui caractérisait les relations internationales avant 1991 a considérablement perdu de sa force.

Autrement dit, les structures héritées de la Guerre Froide semblent en décalage par rapport à l'état actuel de la scène internationale. Ainsi des questions comme la prolifération nucléaire sont maintenant réglées à géométrie variable, ce qui traduit le manque de phase avec le réel des alliances existantes. Aujourd'hui, ce sont les Etats-Unis qui tentent de traiter la menace nucléaire en Corée du Nord et en Libye ; de même, l'Iran fait l'objet d'une récente initiative anglo-germano-française qui a le soutien des Etats-Unis. Certes, il existe encore des réseaux de relation commun entre les deux rives de l'Atlantique, mais ceci ne doit pas masquer le manque de substance des alliances traditionnelles. En fin de compte, si la communauté de valeur est toujours forte, elle est sans traduction institutionnelle pérenne. Pour la première fois depuis la fin de la Guerre Froide, et à l'occasion de la crise irakienne, il est apparu que l'alliance politique entre les deux rives de l'Atlantique était intermittente. L'apprentissage de cette nouvelle situation constitue tout l'enjeu du futur du lien transatlantique.

2. L'administration Bush et l'Europe : du rejet à l'apaisement

La crise de mars 2003 constitue-t-elle un point de rupture dans les relations transatlantiques ? C'est en substance ce que la récente délégation de membres du Congrès s'est demandé lors de son passage à Paris en février 2004  [2].

Cet épisode récent constitue, pour l'instant, le moment le plus intense de la dégradation considérable des liens entre l'Europe et les Etats-Unis depuis l'arrivée au pouvoir d'une équipe néoconservatrice en 2000, qui a profondément radicalisé la politique étrangère américaine.

L'unilatéralisme de la diplomatie américaine correspond à une politique idéaliste et extrêmement volontaire, visant à promouvoir – au besoin par la force – la démocratie et le marché. Ce « wilsonisme botté », selon les termes de Pierre Hassner, est la caractéristique principale de la diplomatie de l'administration Bush.

Celle-ci se présente comme relativement soudée et totalement organisée autour de l'accès au Président  [3]. C'est dans un cercle fermé de proches conseillers du Président que se prennent l'essentiel des décisions. Outre les titulaires de portefeuilles ministériels – Colin Powell, Secrétaire d'Etat, Donald Rumsfeld, Secrétaire à la Défense et Dick Cheney, le Vice-Président, ce sont essentiellement des hauts fonctionnaires qui contribuent à filtrer l'information arrivant à la Maison Blanche. On pense essentiellement à Georges Tenet, le directeur de la CIA (Central Intelligence Agency), et à Condoleezza Rice, directrice du NSC (National Security Council), organisme exclusivement présidentiel qui « double » la structure du Secrétariat d'Etat. Elle constitue l'intermédiaire privilégié entre le Président et l'appareil diplomatique des Etats-Unis. Elle a donc une position déterminante dans la conduite de la politique étrangère, dans la mesure où les clés du pouvoir décisionnel appartiennent à ceux qui sont, de par leur proximité avec le Président, appelés à faire la synthèse entre l'intérieur et l'extérieur.

La caractéristique de cette équipe réside dans l'unité des vues entre les différents membres. L'administration a fait preuve d'une cohérence réelle sur les grandes options. Certes, les médias se sont faits l'écho de certaines divergences – notamment entre les « Colombes » du Secrétariat d'Etat et les « Faucons » du Pentagone – ou de certains manques – C. Rice, par exemple, ayant été accusée de faiblesse dans sa gestion du NSC. Toutefois, malgré les controverses, le principal projet diplomatique de l'administration a été mené jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'occupation de l'Irak. C. Rice, dans un article maintenant célèbre de Foreign Affairs avait déjà clairement défini les axes de la politique étrangère américaine : il était temps pour les Etats-Unis d'assumer pleinement leur statut de seule superpuissance dans un monde en pleine recomposition  [4].

Ces thèmes ont été repris, avec une ampleur toute nouvelle, dans la publication officielle du NSC en septembre 2002, « National Security Strategy of the United States », qui formalise la doctrine de l'action préventive après le discours de Bush à West Point en juin 2002.

Dorénavant, les Etats-Unis se réservent le droit d'agir d'eux-mêmes, pour faire face à des dangers qu'ils considèrent comme imminents et potentiellement nuisibles à leur intérêt national. Dans ce cadre, et comme l'a dit le Président Bush lors de son Discours au Congrès de janvier 2002, ne pas être avec les Etats-Unis signifie être contre eux.

C'est là une des raisons qui rend compte de la profonde méfiance actuelle aux Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe. Lors de la récente crise irakienne, les tentatives de modération menées par la France et l'Allemagne ont été assimilées à de véritables trahisons. Ainsi, dans les textes de Robert Kagan, un des principaux théoriciens de la diplomatie actuelle et chercheur à la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale, l'Europe est assimilée à un ensemble hétéroclite et impuissant refusant de faire face aux réalités, et se réfugiant dans un idéalisme hypocrite  [5].

Plus généralement, ainsi que l'a expliqué le Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, ce sont dorénavant les missions qui définissent la coalition. Autrement dit, le Pacte Atlantique se trouve réduit à n'être qu'un moyen, parmi d'autres, à la disposition des Etats-Unis. En Europe, l'Amérique donne l'impression de ne vouloir compter que sur la seule « relation spéciale » avec la Royaume-Uni. La permanence seule de cette alliance toute particulière, notamment dans l'affaire irakienne, témoigne, par contraste, de l'éloignement du reste de l'Europe continentale – notamment la France et l'Allemagne – par rapport aux Etats-Unis. Cette diplomatie unilatéraliste, se double aussi d'un certain messianisme, particulièrement sensible lorsque le Président, dans son Message sur l'Etat de l'Union de janvier 2002, a défini « l'axe du mal » en utilisant des catégories morales.

Que ce soit au sein des universités ou des centres de recherche (think tanks), les discussions autour de l'orientation de la diplomatie américaine sont légions. Elles sont d'autant plus suivies que le 11 septembre a brutalement imposé une recomposition draconienne en matière de politique étrangère. Si plus personne ne défend sérieusement une option de repli sur soi, les débats actuels portent sur différentes variantes d'interventionnisme  [6].

Dans leur dernier livre, America Unbound : The Bush Revolution in Foreign Policy, Ivo Daalder et James Lindsay, montrent que la diplomatie américaine actuelle est fortement empreinte d'idéalisme wilsonien – promouvoir la démocratie – mais en y ajoutant une dimension militariste et unilatérale qu'un autre observateur, Walter Russell Mead, a qualifié de « jacksonienne »  [7].

Cette perspective repose sur la supériorité morale affirmée des Etats-Unis, et sur leur capacité d'agir pour promouvoir les idéaux de la démocratie et du marché. Il s'agit donc bien d'une nouvelle forme d'idéalisme wilsonien, mais cette fois, au lieu de vouloir imposer des principes libéraux par la voie de la négociation, les tenants de la nouvelle école entendent imposer leurs vues, le cas échéant par la force armée. La décision d'envahir l'Irak répond pleinement à ces conceptions.

Pour les responsables actuels de la politique étrangère américaine, la présence de troupes en Irak permettrait en effet d'importer dans la région un modèle démocratique, libéral, voire fédéral, qui, en fin de compte, devrait conduire à remodeler l'ensemble de la région. La politique étrangère des Etats-Unis n'a donc absolument rien d'isolationniste. Elle est au contraire fondamentalement interventionniste et qui plus est, sur un mode unilatéral.

La nouvelle orientation de politique étrangère repose sur un consensus dit « néoconservateur » dont les principales idées sont fournies par des think tanks (centres de recherche) tels que l'American Enterprise Institute (AEI)  [8].

C'est là une autre caractéristique de l'administration Bush, ses liens avec des organismes de recherche extrêmement engagés idéologiquement, et d'orientation « néoconservatrice », pour qui les Etats-Unis se doivent de pratiquer un « impérialisme libéral » visant à promouvoir la démocratie, le cas échéant par la force armée, car cela répond aux intérêts stratégiques de long terme des Etats-Unis [9].

Certains de leurs membres ont été des relais au sein de l'administration elle-même : ainsi de Richard Perle, Directeur du « Bureau de la politique de défense » (Defence Policy Board) de 2001 à 2003, officiellement un simple groupe de conseil, mais, dans la pratique, un puissant canal de promotion des visées « néconservatrices »  [10].

Ou encore de Paul Wolfowitz, Secrétaire Adjoint à la Défense, qui est le principal stratège civil de l'administration. Mais ces deux représentants, largement médiatisés, ne constituent qu'une partie de la nébuleuse néoconservatrice pénétrant et entourant l'administration.

Il faut citer également James Wollsey, ancien Directeur de la CIA sous Clinton, et travaillant maintenant pour un cabinet de consultants, Booz Allen Hamilton ; Kenneth Adelman, un ancien responsable des administrations Ford et Reagan ; Douglas Feith, sous-Secrétaire du Département de la défense ; I. Lewis Libby, le Directeur de Cabinet (Chief of Staff) du Vice-Président Cheney ; John Bolton, sous-Secrétaire d'Etat, et enfin Stephen Hadley, directeur-adjoint du NSC. Il existe donc, au sein de l'administration Bush, un réseau dense reposant sur des affinités idéologiques, des similitudes de carrière, ou de simples liens personnels.

3. Les présidentielles américaines et les rapports avec l'Europe

En novembre 2004, l'administration Bush peut perdre le soutien populaire, et être remplacée par une administration démocrate.

Mais quelle que soit l'issue de ces élections, la principale évolution diplomatique de ces dernières années - l'Alliance Atlantique est devenue une alliance optionnelle et non plus une alliance de nécessité - reste incontournable. De ce fait, l'issue de l'élection présidentielle n'affectera que marginalement le lien que les Etats-Unis entretiennent avec l'Europe.

Si les Républicains l'emportent, une seconde administration Bush va très certainement poursuivre sur la voie adoptée. Ainsi, la francophobie (« French bashing »), ne semble plus être à l'ordre du jour à Washington. Un des news reports les plus influents de la capitale, le National Journal, s'est fait l'écho de ce sentiment général dans un article de Paul Starobin paru à l'automne 2003, et intitulé « The French Were Right ».

Admettre dans un journal aussi influent que les Français aient pu avoir raison dans la crise irakienne témoigne d'un changement radical. A un niveau politique, la gestion conjointe de la crise en Haïti illustre aussi cette volonté commune de rapprochement. Bien qu'en période électorale – période propice aux surenchères de tous ordres – les principaux responsables américains ne pratiquent pas la carte du sentiment anti-Français ou anti-Européens qui, pourtant, atteignait des sommets dans les quelques mois précédant la guerre en Irak  [11]. De même, les néoconservateurs les plus en vu – comme Richard Perle – ont démissionné de leurs fonctions officielles.

Cet apaisement affiché semble être un moyen de poursuivre une stratégie uniquement américaine, sans réel souci pour les alliés Européens en général, et la France en particulier. Avec leur occupation de l'Irak et la capture de Saddam Hussein, les Etats-Unis ont franchi l'étape militaire. Ayant gagné la guerre, ils cherchent maintenant à gagner la paix. Leur volonté de reconstruire l'Irak – voire l'ensemble du Moyen-Orient – est réelle. Or, elle ne peut se faire sans les alliés européens. Le « nation-building » est une entreprise qui requiert la collaboration de tous et qui, en l'absence de soutien international, n'est qu'une nouvelle forme de colonialisme.

La seule expérience américaine en la matière, celle de la reconstruction de l'Allemagne et du Japon après 1945, n'est pas comparable avec la situation présente. Dans le contexte actuel, c'est l'occupation qui est visible, et non pas la reconstruction. Conscients de cette situation, les Américains cherchent maintenant à faciliter le rapport avec leurs alliés européens. Cette tentative prend plusieurs formes – diplomatiques, politiques – mais sans véritablement déboucher sur une initiative américaine réelle. Les différentes hypothèses de relance qui circulent se concentrent sur quatre domaines : la relance du commerce international et la reprise du cycle des négociations à Doha (« Doha Round ») au sein de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ; la promotion générale de la démocratie au sein des régions qui bordent la zone atlantique ; en politique étrangère, une pression commune dans la relance du processus de paix au Proche-Orient ; une politique de sécurité commune, en particulier dans le domaine de la lutte contre le terrorisme  [12].

En cas de victoire démocrate en novembre prochain, la nouvelle administration se montrerait sans doute plus disponible, plus ouverte vis-à-vis des Européens. Le challenger, John Kerry, Sénateur du Massachusetts et vétéran de la guerre du Vietnam, a certes soutenu la guerre lors du vote au Congrès de l'automne 2002, mais il a aussi critiqué Bush pour son refus de construire une alliance politique internationale et son mépris des alliés. Dernièrement, John Kerry a ainsi refusé de voter les fonds nécessaires à la reconstruction de l'Irak, afin de manifester son opposition à la politique étrangère de l'administration.

Si les démocrates parviennent au pouvoir, une équipe Kerry créera autour d'elle un nouveau climat, et se lancera vraisemblablement dans quelques gestes d'ouverture. Mais il est vain de croire qu'il devrait y avoir une modification de fond. En effet, l'unilatéralisme des Etats-Unis correspond d'abord et avant tout au poids des Etats-Unis par rapport aux autres ensembles du monde. Qu'une administration démocrate mette davantage l'accent sur le multilatéralisme et le respect des alliés, cela paraît indéniable, surtout en référence à la diplomatie de l'administration Clinton. Il s'agirait donc certainement d'une période plus ouverte, mais un renouveau global du partenariat atlantique renvoie principalement aux Européens et à ce qu'ils pourraient proposer. Les Etats-Unis, eux, ne semblent pas en position d'évoluer fondamentalement, quelque soit l'administration issue des urnes en novembre 2004.

En effet, la situation actuelle des relations transatlantiques résulte essentiellement de différences politiques fondamentales, non-résolues – sur le Proche-Orient, par exemple – mais aussi d'une différence de capacités. Pour reprendre les termes de M. Hubert Védrine, c'est « l'hyperpuissance » américaine jointe au manque de crédibilité politique de l'Union Européenne qui rend compte de l'éloignement. Tant que cette logique de fond ne se résout pas, le problème de l'unilatéralisme américain va perdurer, avec les risques d'opposition concomitants vis-à-vis de l'Europe. Dans cette perspective, le changement éventuel d'administration ne doit pas être surestimé.

Une nouvelle administration Bush cherchera peut-être à faire un certain nombre d'opérations de relations publiques au niveau international. Mais ces changements superficiels ne vont pas modifier la donne.

Quant à une administration démocrate – tendanciellement plus favorable au multilatéralisme – elle serait certainement plus bienveillante vis-à-vis d'une initiative européenne, mais là aussi, le différentiel de puissance et de responsabilité étant tel, une évolution réelle de l'attitude américaine semble peu probable.

En définitive, ce ne sont pas les Etats-Unis qui peuvent fondamentalement faire évoluer la définition de leur lien avec l'Europe. En fait, si les Européens veulent modifier l'attitude des Etats-Unis, la seule option qui leur reste est d'acquérir une visibilité politique auprès des Américains.

Faire en sorte que l'Europe soit un partenaire fiable, voilà l'élément déterminant qui peut contribuer à modifier la position américaine. Mais sans initiative européenne réelle, le scénario qui s'impose est mou : une seconde administration Bush essaierait d'arrondir les angles avec ses principaux alliés, à la satisfaction des Européens. Ou alors, une nouvelle administration démocrate se présenterait comme relativement disponible, et se heurterait à la passivité des Européens.

Il se peut que les Européens manquent une occasion d'agir collectivement à l'horizon 2004-2005. Dans ces circonstances, les institutions héritées de la Guerre Froide – comme l'OTAN ou l'Alliance Atlantique – doivent être profondément réformées. A l'heure actuelle, cette réforme potentielle dépend des Européens eux-mêmes.

[1] Sur ce point, on peut se reporter au sondage portant sur les relations transatlantiques effectué par le German Marshall Fund (GMF) en octobre 2003. Les résultats sont disponibles sur le site www.gmfus.org. [2] Délégation présidée par Doug Bereuter – 18 février 2004 – rencontre organisée par Atlantic Partnership (Londres) et le Centre Français sur les Etats-Unis à l'Ifri (Paris). [3] On lira avec profit la contribution de Vincent Michelot, « Les mécanismes décisionnels de la politique étrangère américaine », p.57-65, in Questions Internationales, n°3, septembre-octobre 2003. Les pages qui suivent sont tirées d'un article plus large de F. de Chantal à paraître dans l'édition 2004 de l'Annuaire Français des Relations Internationales, intitulé « Enjeux politiques et diplomatie aux Etats-Unis ». [4] Condoleezza Rice, « Campaign 2000 : Promoting the National Interest », Foreign Affairs, janvier-février 2000, vol.79, n°1, p.45-62. Pour un point de vue nettement plus critique, on lira Denis Lacorne, « Où est l'intérêt national des Etats-Unis ? Approche réaliste et conflits périphériques », Critique Internationale, n°8, juillet 2000, p.97-116. [5] Patrick Chamorel présente rapidement ce sentiment « anti-européen » dans « Ces Américains qui détestent l'Europe », p.70-75, in Societal, n°41, 3ème trimestre 2003. Voir aussi la traduction française du livre de Robert Kagan, La puissance et la faiblesse, Paris, Plon, 2003. [6] Sur ce point, je renvoie à trois publications récentes : d'abord Pierre Hassner, Justin Vaisse, Washington et le monde. Dilemmes d'une superpuissance, Paris, Autrement, coll. « CERI », 2002, qui présente une série de textes de responsables ou de théoriciens sur la politique étrangère. Ensuite, on pourra lire, Pierre Mélandri, Justin Vaisse, L'Empire du Milieu. Les Etats-Unis et le monde depuis la fin de la guerre froide, Paris, Odile Jacob, 2001. Enfin, un manuel récent offre un panorama relativement complet du processus décisionnel : Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs, formulations, Paris, Presses de Sciences-Po, 2003. [7] Ivo Daalder, James Lindsay, America Unbound : The Bush Revolution in Foreign Policy, New York, Alfred A Knopf, 2002 et Walter Russell Mead, Divine Providence : American Foreign Policy and How it Changed the World, New York, Free Press, 2001. [8] Le 26 février 2003, le Président Bush a d'ailleurs choisi l'AEI comme tribune pour expliquer sa nouvelle vision du Moyen-Orient. Irving Kristol, « Pape » du néconservatisme à 82 ans, est encore un des animateurs de l'Institut. On y retrouve aussi d'autres intellectuels néoconservateurs, mais plus orientés vers les questions internes, comme Lynn Cheney, l'épouse du Vice-Président. [9] Sur les groupes néoconservateurs, il existe une littérature bien constituée. On se reportera notamment à Peter Steinfels, The Neoconservatives. The Men Who Are Changing America's Politics, 1979 ; ou encore à Mark Gerson, The Neoconservative Vision. From the Cold War to the Culture Wars, 1996. Parmi les membres influents de la galaxie néoconservatrice, citons encore William Kristol, fils d'Irving, et rédacteur en chef de la revue The Weekly Standard, Gary Bauer, président d'American Values, ou encore David Brooks, un journaliste membre de l'équipe du Weekly Standard. [10] Depuis sa démission pour cause de conflit d'intérêt avec sa société de consultants, de mars 2003, R. Perle est simplement membre. [11] Sur ce mouvement d'humeur, voir Simon Serfaty, La francophobie à Washington, Paris, CFE, 2002. Quant au texte de P. Starobin, il est paru le 7 novembre 2003. [12] Voir Doug Bereuter, John Lis, « Broadening the Transatlantic Relationship », The Washington Quaterly, vol.27, n°1, hiver 2003-2004, p.147-162.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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