Entretien d'EuropeLes perspectives pour la présidence allemande de l'Union européenne
Les perspectives pour la présidence allemande de l'Union européenne

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Sylvie Goulard,  

Quentin Perret

-

22 janvier 2007

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Invité

Goulard Sylvie

Sylvie Goulard

Présidente du Mouvement européen - France.

Perret Quentin

Quentin Perret

Directeur du Pôle Énergie et Europe élargie de l'Atelier Europe.

1 - Pensez-vous que l'Allemagne pourra engager, comme elle l'entend, la relance de la machine européenne, en particulier sur les questions institutionnelles ?

La volonté des dirigeants allemands ne fait aucun doute. Ils ne ménageront pas leurs efforts et entendent consacrer tous leurs moyens à cette entreprise. De plus, l'Allemagne jouit actuellement d'une autorité réelle en Europe, tant en raison du crédit dont bénéficie Mme Angela Merkel que du récent redémarrage de l'économie allemande. Le pays est donc idéalement placé pour guider ses partenaires dans la phase actuelle.

Il n'existe toutefois aucune solution miracle à la crise institutionnelle que traverse l'Union européenne. A ce jour, le traité constitutionnel a été ratifié par dix-huit des vingt-sept Etats membres de l'Union ; deux l'ont rejeté ; les autres sont dans l'expectative. La position de l'Allemagne est suffisamment forte pour lui permettre de convaincre ses partenaires de ne pas renoncer au traité constitutionnel. Cela ne signifie cependant pas que celui-ci entrera un jour en vigueur puisque la ratification unanime des Vingt-sept est indispensable.

2 - Quelles sont les perspectives d'une relance économique européenne ?

Dans une économie ouverte, une politique de relance ne peut plus signifier, comme autrefois, une utilisation massive de l'arme budgétaire pour doper la consommation et la croissance. Une telle politique ne déboucherait dorénavant que sur un accroissement des importations et une aggravation conjointe des déficits commerciaux et budgétaires, sans parler d'un possible retour de l'inflation. En revanche, les réformes de structure mises en œuvre par l'Allemagne au cours des dernières années, réformes qui commencent à porter leurs fruits, peuvent servir d'incitation crédible. L'Allemagne fera certainement des efforts, notamment dans le cadre de l'Eurogroupe, pour convaincre ses partenaires de la nécessité d'agir en ce sens. On peut également souligner qu'en raison du poids déterminant de l'Allemagne au sein de l'Union européenne, le simple fait que l'économie allemande renoue avec la croissance a un effet d'entraînement particulièrement appréciable pour ses voisins, ce qui ne peut que favoriser la relance économique et, peut-être, encourager des réformes plus poussées en Europe.

3 - Parmi les premières annonces faites par le gouvernement allemand figure la volonté de renouveler le partenariat transatlantique. Quels seraient les enjeux d'un tel renouvellement ?

Un des premiers déplacements de Mme Angela Merkel en qualité de présidente de l'Union européenne a consisté à se rendre à Washington.

Soulignons d'abord qu'il incombe à toutes les présidences successives de cultiver les relations transatlantiques, les Etats-Unis constituant pour l'Europe un partenaire majeur.

Mais ce faisant, la Chancelière marque aussi l'intérêt traditionnel de l'Allemagne et, en particulier, de son parti, la CDU, pour ce pays ; en effet, depuis Konrad Adenauer, les chrétiens-démocrates ont toujours attaché une importance décisive aux relations entre l'Allemagne et les Etats-Unis. Il faut en outre se souvenir que, indépendamment des relations entre les gouvernements, les liens entre les sociétés civiles des deux pays sont extrêmement étroits.

Toutefois, les dirigeants allemands doivent tenir compte des évolutions intervenues au cours des dernières années. Les mesures anti-terroristes de l'administration Bush, notamment l'existence du camp de Guantanamo, et la guerre en Irak avaient conduit le gouvernement de Gerhard Schröder, soutenu par l'opinion allemande, à s'opposer fermement aux vues américaines, créant ainsi une rupture fondamentale dans la politique étrangère allemande d'après-guerre. En dépit des inflexions récentes (départ de Donald Rumsfeld, victoire démocrate aux élections de novembre 2006), l'orientation de la politique américaine comporte encore des éléments d'exception peu compatibles avec les valeurs allemandes.

La volonté de dialogue et de compromis de Mme Merkel doit donc tenir compte de cet arrière-plan. De manière assez habile, le gouvernement allemand a choisi de se concentrer sur certains objectifs concrets, non polémiques, susceptibles de recréer un accord entre les deux rives de l'Atlantique. Mme Merkel a souhaité que des accords soient conclus en matière de brevets, de propriété intellectuelle, de régulation des marchés financiers ou encore en vue de supprimer des obstacles non tarifaires aux échanges, notamment l'harmonisation des normes et des règles commerciales. Ces questions d'une importance vitale pour les entreprises européennes sont pendantes depuis des mois. En dépit des désaccords diplomatiques, le but est en quelque sorte de recréer une solidarité de fait. Toutes proportions gardées, c'est un peu la méthode de la déclaration Schuman de 1950 appliquée aux relations transatlantiques !

4 - Les relations avec la Russie et la sécurité énergétique constituent également, pour l'Allemagne et pour l'Union européenne, une préoccupation essentielle. Peut-on s'attendre à ce que l'implication allemande aboutisse à de vraies avancées sur ces deux sujets ?

L'Allemagne entretient des liens étroits et anciens avec la Russie. Ces relations ont atteint une sorte d'apogée sous le gouvernement Schröder. Pour un ensemble de raisons politiques et géostratégiques, ce dernier a, en effet, accordé une priorité à ses relations avec la Russie, en particulier sur les questions énergétiques, non sans détériorer les relations entre l'Allemagne et ses voisins baltes et polonais. Cette orientation pro-russe a également abouti à un assentiment de fait face aux atteintes aux libertés en Russie.

Sur ces deux derniers points, Mme Merkel a paru déterminée, dès sa prise de fonction, à adopter une attitude plus équilibrée. L'opinion des nouveaux Etats membres, anciens satellites de l'Union soviétique, est désormais mieux prise en compte. Parallèlement, le gouvernement allemand prend désormais la défense des ONG et des organes de presse victimes des pressions du gouvernement russe.

Toutefois, on peut s'attendre à ce qu'un certain pragmatisme continue à l'emporter dans les relations entre Berlin et Moscou. Le marché russe est important pour les entreprises allemandes. De même, la sécurisation des approvisionnements énergétiques suppose l'adoption de mesures concrètes. Les propositions allemandes sur ce point sont très attendues, notamment parce que le renoncement de l'Allemagne à l'énergie nucléaire réduit considérablement ses marges de manœuvre et accroît sa dépendance envers les importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie. Sur le nucléaire, Mme Merkel est tenue par l'accord de coalition, mais ses vues étant différentes de celles du SPD, elle poussera peut-être à une évolution par l'extérieur. Dans un tel contexte, la récente prise de position de la Commission européenne en faveur d'une politique commune d'importations européennes d'hydrocarbures peut avoir des répercussions considérables.

5 - Le couple franco-allemand constitue-t-il toujours le moteur de l'intégration européenne ?

La réalité est très complexe. Au cours des deux dernières années, les divergences franco-allemandes en matière européenne ont semblé s'accroître. Le rejet par la France du traité constitutionnel constitue à l'évidence un facteur de séparation particulièrement grave. Mais les parlementaires français auraient voté le texte tandis que les électeurs allemands auraient pu le rejeter. Cette remarque n'atténue en rien la responsabilité française mais doit inviter à une certaine prudence : un certain malaise traverse hélas l'ensemble des Etats membres.

Les pays ayant ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe tiendront le 26 janvier prochain entre eux, un sommet pour décider, entre eux, de la marche à suivre. C'est à ma connaissance la première fois qu'une réunion essentielle pour l'avenir de la construction européenne se tiendra sans la France et cette réunion se déroulera durant une présidence allemande. C'est consternant, mais les réactions des responsables allemands sont plutôt réservées : la présidence se serait bien passée de cet étalage des divisions. L'Allemagne n'a en effet aucun désir de couper les ponts avec la France. Elle cherche une solution qui passe par le rassemblement plus que par l'isolement des récalcitrants.

La crise actuelle n'est pas la première crise européenne provoquée par la France. En 1954 et en 1965, l'Allemagne avait déjà été confrontée aux mouvements d'humeur de son partenaire français, sans que le partenariat franco-allemand ne soit fondamentalement remis en cause. Il est vrai toutefois que, dans une Europe à six, le couple franco-allemand était incontournable, tant pour la France et l'Allemagne que pour leurs partenaires. Dans une Europe à vingt-sept, l'Allemagne aurait théoriquement la possibilité de chercher de nouveaux partenaires, d'autant que le poids du couple franco-allemand est par définition moindre qu'auparavant. Je crois toutefois qu'elle résistera à cette tentation car l'Union européenne ne peut pas vivre de jeux d'alliance ; le dialogue franco-allemand a toujours bien fonctionné quand il se concevait comme une coopération au service de l'intérêt général et non une alliance au service d'intérêts particuliers. C'est vrai pour toute configuration.

Enfin, certaines turbulences sont liées à la campagne électorale en France, propice aux formules à l'emporte-pièce et aux propositions quelque peu démagogiques – la récente polémique autour de la Banque Centrale Européenne en est un parfait exemple. Je ne crois pas à une rupture durable du partenariat franco-allemand, qui, s'il ne suffit plus à faire progresser à lui seul la construction européenne, n'en demeure pas moins un élément irremplaçable.

6 - Quelles peuvent être précisément les incidences de long terme des élections françaises sur la capacité de la France et de l'Allemagne à surmonter leurs divergences actuelles ?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la réussite du partenariat franco-allemand ne repose pas sur une convergence de vues naturelle entre les deux pays, mais sur la capacité répétée de ces deux pays, extrêmement différents à tout point de vue, à surmonter leurs divergences. J'ai déjà mentionné le fait que la crise actuelle n'était pas la première du genre et que les crises précédentes avaient toutes été résolues à la satisfaction générale. Je pense qu'il en ira de même à l'avenir, quel que soit le vainqueur des élections françaises, à condition qu'il s'attache à perpétuer cette tradition.

Le (ou la) futur(e) président(e) apportera bien sûr ses propres priorités et sa propre sensibilité, mais la coopération franco-allemande est désormais si profondément enracinée dans les mœurs, mais également dans les institutions gouvernementales des deux pays, qu'une crise définitive est très improbable : le partenariat survivra, en dépit d'inflexions inévitables et probablement nécessaires. La question est de savoir si les divergences actuelles pourront, comme par le passé, être surmontées par un vrai compromis fondé sur des concessions mutuelles. La réponse à cette question dépend davantage de la créativité et de l'imagination du futur président que de son orientation partisane.

7 - Le processus de relance de la construction européenne est censé démarrer avec l'actuelle présidence allemande et s'achever, dans un an et demi, avec la présidence française. Ce scénario vous paraît-il réaliste ?

Aucune présidence ne peut, à elle seule, résoudre l'ensemble des défis que doit affronter l'Union européenne qui compte désormais vingt-sept membres. Il est donc nécessaire de coordonner le travail de plusieurs présidences successives pour parvenir à une relance. En dépit de leur importance, cette coordination ne peut toutefois se résumer à la France et à l'Allemagne. Elle doit impérativement s'ouvrir aux autres, à commencer par la Slovénie et le Portugal, qui assumeront les deux prochaines présidences, avant la présidence française. Seule une large entente, regroupant le plus grand nombre possible de membres de l'Union et visant finalement à un accord unanime des Vingt-sept, pourra relancer effectivement la machine européenne. A condition qu'elles procèdent, chacune de leur côté, à ce processus d'écoute et de consultation de tous, la France et l'Allemagne pourront peut-être fournir la base d'un nouveau consensus et, à partir de ce compromis, mener à bien le travail de persuasion nécessaire.

Si cette démarche échouait, il faudrait songer à une formule alternative, en petit groupe. Mais à ce stade, s'il ne faut pas l'exclure (et réfléchir au moyen pour la France d'en faire partie), il est sage de travailler à Vingt-sept. Tous les Etats membres, tous les peuples partagent un intérêt commun : celui que l'Union européenne soit en mesure de fonctionner et de tenir son rôle dans le monde.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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