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Entretien d'Europe"L'Allemagne doit s'investir davantage dans la résolution de crises et de conflits"
"L'Allemagne doit s'investir davantage dans la résolution de crises et de conflits"

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Andreas Schockenhoff

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17 février 2014
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Invité

Schockenhoff Andreas

Andreas Schockenhoff

vice-président du groupe CDU/CSU au Bundestag et Président du groupe d'amitié France-Allemagne

"L'Allemagne doit s'investir davantage dans la résolution de crises et de confli...

PDF | 542 koEn français

1. Le 27 novembre 2013, le contrat de coalition était signé par les représentants de la nouvelle coalition gouvernementale CDU-CSU et SPD. A l'extérieur de l'Allemagne, l'accent a surtout été mis sur l'introduction d'un salaire minimum (à 8,50 €/heure) au niveau fédéral et sur la baisse de l'âge du départ à la retraite pour certaines personnes. Cela annonce-t-il un changement de la politique économique et sociale du gouvernement allemand ?

La situation actuelle de l'Allemagne n'a jamais été aussi bonne. Nous sommes sortis plus vite et plus forts de la crise économique et financière mondiale que quiconque. Cette réussite, nous la devons aux partenaires sociaux - patronat et syndicats - mais aussi à une politique avisée, initiée par la politique Agenda 2010 du second gouvernement Schröder (2002–2005) qui a été poursuivie pendant la première Grande coalition d'Angela Merkel (2005–2009) et pendant la coalition CDU/CSU-FDP de la dernière législature. Nous allons poursuivre cette politique et prendre en compte les ajustements nécessaires à sa réussite, y compris des ajustements indispensables, par exemple lorsque l'assouplissement du droit du travail a induit de nouvelles possibilités d'abus. Ces ajustements avaient déjà été décidés pendant la dernière législature et d'autres sont convenus par la Grande coalition. De surcroît, des adaptations comme le salaire minimum seront effectuées. Néanmoins, cela ne peut se faire qu'à la condition qu'une rémunération digne puisse être attribuée à tous et dans le même temps que ceux qui ont déjà un emploi ne soient pas, à terme, licenciés. En ce qui concerne la baisse de l'âge de départ à la retraite pour certaines catégories de salariés, la caisse de retraites peut la garantir grâce à la situation actuelle du marché du travail que nous avons mise en place. Toutefois, il ne faudrait pas oublier qu'avec la retraite à 67 ans, nous avons d'ores et déjà pris en compte l'allongement de la durée de la vie active et que cela concerne la majorité de la population.

 

2. Quels sont les axes principaux de la politique européenne du nouveau gouvernement fédéral ?

 

Notre modèle est celui d'une Europe vivante et proche de ses citoyens. La chancelière Angela Merkel a bien mis en avant dans sa déclaration de politique générale devant le Bundestag le 29 janvier 2014 que la politique européenne doit avoir l'homme au centre de son action. Elle doit simplifier le quotidien des Européens et améliorer les conditions de l'engagement citoyen, de l'initiative personnelle et de l'entrepreneuriat. Toutes les tâches qui sont à faire en Europe ne relèvent pas de l'Europe. Elle doit se concentrer sur les tâches qui ne peuvent être accomplies par l'ensemble des Etats européens. L'Europe doit rassembler ses forces et se concentrer sur les grands défis actuels. Toutes les politiques européennes, l'énergie et le climat, l'organisation du marché intérieur, les relations commerciales extérieures mais aussi la politique étrangère et de sécurité commune et la politique européenne de défense doivent renforcer le rôle de l'Europe sur la scène internationale mondialisée. Elles doivent contribuer au renforcement de la force économique européenne et ainsi au bien-être en Europe. Nous voulons une Union européenne forte et sûre d'elle, qui exerce une influence décisive sur la mondialisation et qui s'engage en ce sens de façon déterminée pour la sauvegarde de la paix, de la liberté et du bien-être dans le monde. L'Europe doit contribuer à façonner la politique internationale et assumer un rôle fort et indépendant.

3. Le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Steinmeier, disait lors de son déplacement à Paris en janvier qu'il voulait relancer la coopération franco-allemande. D'après vous, le couple franco-allemand traverse-t-il une phase difficile et comment renforcer encore les liens entre nos deux pays?

L'Allemagne et la France n'ont de relation aussi étroite avec aucun autre pays. Cette situation n'a rien d'évident, cent ans après le début de la Première Guerre mondiale et soixante-quinze ans après le début de la Deuxième Guerre mondiale. En Europe, nous avons surmonté des logiques hégémoniques et la haine pour les remplacer par une logique d'intégration. Cette situation est un exemple pour beaucoup de crises actuelles, qui non seulement renforce l'Europe, mais qui est aussi exemplaire pour le monde du XXIe siècle.

 

4. Le 14 janvier 2014, le président français François Hollande a déclaré que la France et l'Allemagne devaient travailler plus étroitement ensemble pour l'Europe, en citant trois domaines : la fiscalité / économie, la transition énergétique et la défense européenne. Comment a été reçue cette proposition dans votre pays ?

Nos deux pays n'ont pas toujours eu la même vision des choses dans les politiques économiques, budgétaires et financières qui ont accompagné le marché intérieur et l'union monétaire. Même dans les domaines de l'énergie et de la défense, nous partons de situations différentes mais nous sentons que nous devons trouver une réponse commune. En ce sens, il est profitable de regarder ce que fait le pays voisin dans ces domaines afin d'établir des propositions communes pour l'Union européenne. L'Allemagne et la France sont toujours les économies nationales les plus importantes de l'Europe, ce qui constitue dans une Europe plus grande une masse critique permettant de déclencher des progrès importants en matière d'intégration.

 

5. Lors de son discours devant le Bundestag, la chancelière allemande Angela Merkel a plaidé pour un engagement renforcé de l'armée allemande au Mali. Le président allemand et les ministres allemands de la Défense et des Affaires étrangères ont également plaidé pour un engagement renforcé de l'armée allemande à l'étranger. La majorité des Allemands semble réticente à un plus grand engagement de la Bundeswehr à l'étranger. A quelle évolution peut-on s'attendre ?

Tout d'abord, très clairement : le discours du Président allemand à l'occasion de la conférence de Munich sur la sécurité était courageux, encourageant et ouvrant des perspectives pour une responsabilité plus importante de l'Allemagne en matière de politique étrangère. Il faut désormais l'appliquer progressivement dans la vie politique. En ce sens, le slogan doit être : " Culture de la responsabilité et de l'aide " plutôt que " Culture de la retenue ". En d'autres termes, l'Allemagne doit s'engager plus tôt, plus résolument et de manière plus substantielle. Comme nous n'avons pas beaucoup progressé au cours des quatre dernières années, nous devons recommencer le débat depuis le début et gagner la confiance de nos alliés. Le principe pour une politique de plus grande responsabilité est le suivant : l'engagement militaire est le dernier recours, mais il ne doit pas être exclu quand des intérêts européens et allemands sont en jeu. Nous avons repris ce principe dans notre contrat de coalition : " L'Union européenne a plus que jamais besoin d'un dialogue stratégique, objectif qu'elle peut et veut atteindre avant tout par des moyens civils mais le cas échéant aussi par des moyens militaires.". En ce sens, l'Allemagne doit s'investir davantage dans la résolution de crises et de conflits - pas seulement quand il s'agit de problématiques diplomatiques, humanitaires, économiques et de politique de développement, mais aussi quand il s'agit du renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. Mais avoir de plus grandes responsabilités nécessite également des représentations plus claires sur les plans conceptuel et stratégique. Pour cette raison, mon groupe parlementaire se penchera plus particulièrement sur les moyens politiques, humanitaires, économiques et de développement pour surmonter les défis du continent voisin africain. Mais il est aussi nécessaire que nous parvenions au niveau européen à mettre enfin en place un dialogue stratégique pour atteindre un accord politique afin d'identifier ensemble les dangers qui se présentent à nous et de travailler ensemble pour y répondre et garantir la sûreté de l'espace européen. A mon avis, nous avons justement besoin d'une politique européenne de sécurité et de défense claire concernant l'Afrique. Nous avons moins besoin d'une telle politique pour l'Asie ou d'autres régions du monde. Le fait que les missions européennes Atalante, EUTM[1] Somalie, EUTM Mali et EUFOR RCA[2] mais aussi que la plupart des Etats en déliquescence se trouvent sur le continent africain montre que les plus grands défis auxquels l'Europe doit faire face viennent d'Afrique. Mais je n'ai pas l'impression qu'il y ait un consensus au niveau européen là-dessus.

Vous avez raison d'évoquer l'opinion publique allemande. Cela montre que la politique étrangère et de sécurité allemande et particulièrement sa nouvelle orientation doit être plus intelligible et acceptable pour un plus large public. Nous avons besoin d'un débat pour qu'à l'avenir, les attentes de la population ne soient plus marquées par la " culture de la retenue " mais par la " culture de la responsabilité et de l'aide ". Cela nécessite aussi que nous organisions régulièrement au Bundestag des débats de principe sur la politique étrangère et de sécurité et pas seulement des débats sur la création ou le renouvellement de mandats d'intervention pour l'armée allemande. Le Président allemand a très justement dit que le débat sur la politique étrangère et de sécurité doit s'ancrer au cœur de la société civile. Je suis persuadé que mener ce débat sera une tâche à mener sur le long terme. Mais nous avons déjà une bonne base à travers les contributions et les discussions récentes sur lesquelles nous devons construire ce débat.

 

6. L'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine ne sera pas signé dans un futur proche et la situation en Ukraine est très inquiétante. Que peut faire l'Union européenne pour aider l'Ukraine à surmonter cette crise ? Comment jugez-vous le rôle de la Russie ? Quel est l'état actuel des relations entre l'Union européenne et la Russie ?

Je crois que les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont donné des réponses importantes à ce sujet dans leur décision du 10 février 2014. Cela vaut particulièrement pour l'effort de médiation que fait la Haute représentante aux affaires étrangères et à la politique de sécurité de l'Union européenne, Catherine Ashton. La proposition de l'Union européenne et des Etats-Unis d'aider l'Ukraine financièrement sur le court terme pour prévenir sa faillite est tout aussi importante, à condition, d'après moi, qu'un nouveau gouvernement ukrainien mette en œuvre des réformes qui protégeraient les droits de l'Homme, amélioreraient l'état de droit et à condition qu'il relance par des réformes structurelles l'économie du pays. La déclaration réaffirmant notre volonté de signer l'accord d'association avec l'Ukraine est importante. En revanche, nous devrions dire plus clairement que ce serait le premier pas vers un rapprochement plus étroit entre l'Ukraine et l'Union européenne. Et nous devrions dire de façon tout aussi claire que, d'après l'article 49 du Traité de Lisbonne, l'Ukraine a des perspectives avec l'Union européenne. Nous devons également faire comprendre aux Ukrainiens que cette notion de perspective européenne est très concrète. En d'autres termes : nous devrions établir le plus rapidement possible un accord sur une libéralisation plus ample de la politique de visas, voire même établir un calendrier clair introduisant la suppression des visas entre l'Ukraine et l'Union européenne. Enfin, nous devrions davantage nous reposer sur des fondations et autres associations pour décrire et expliquer aux Ukrainiens ce qu'est l'Union européenne.

En ce qui concerne les relations entre l'Union européenne et la Russie, cela fait trop longtemps que le dialogue est dans l'impasse. Cette situation est avant tout le fait de messages très clairs de la Russie : ils n'ont pas besoin d'un dialogue ou d'accords avec l'Union européenne. Or une telle suspension des relations n'est bénéfique pour personne, et surtout pas pour la Russie. Nous voulons donner un nouvel élan aux relations Union européenne - Russie. C'est pourquoi nous voulons approfondir le dialogue et la coopération avec Moscou dans tous les domaines où un tel approfondissement serait possible. Les discussions en cours avec le président Poutine visant à introduire un " espace commun de libre circulation des personnes et des biens en Europe " entre dans ce renforcement du dialogue avec Moscou, et plus particulièrement les discussions portant sur les moyens concrets de réaliser un tel espace. Mais dans cet approfondissement de nos relations avec la Russie, il est impératif que nous prenions également en compte les intérêts communs de nos voisins respectifs. En clair : chacun de ces voisins doit pouvoir choisir librement, sans être soumis à des pressions politiques et économiques, s'il a envie de renforcer sa relation avec l'Union européenne ou pas. Dans un tel espace de libre circulation, il ne peut y avoir d'hégémonie. Cela vaut bien sûr pour l'Ukraine. L'Union européenne aurait certainement dû discuter des conséquences de l'accord d'association avec l'Ukraine sur l'économie russe avec la Russie - c'est ce que nous devons désormais rattraper. Mais il ne peut y avoir de négociations avec la Russie sur la question du rapprochement progressif de l'Ukraine à l'Union européenne. Il appartient uniquement au peuple ukrainien de se prononcer sur la question.

7. En mai 2014, les citoyens européens sont appelés à élire le nouveau Parlement européen. Le succès potentiel des partis populistes et anti-européens inquiète. Comment lutter contre la montée des populismes et des extrémismes ?

Beaucoup de débats sur l'Europe se concentrent sur les moyens d'adapter les structures au sein de l'Union européenne. Mais le défi majeur du XXIe siècle est l'affirmation de l'Europe vis-à-vis d'autres centres décisionnels du monde. L'Europe, c'est 7% de la population mondiale, 25% de l'économie mondiale et plus de 50% des prestations sociales qui sont dépensées dans le monde. Il en va de notre modèle de société et de sa défense, de la défense de l'économie sociale de marché. Pour ce faire, il faut pouvoir intervenir vers l'extérieur. Aucun pays de l'Union européenne ne peut y arriver seul en se servant de ses propres instruments politiques. C'est le message qu'il faut faire passer aux citoyens de l'Union européenne : il en va de notre bien-être, de notre sécurité sociale, de notre manière de vivre et nous devons l'illustrer par des exemples très concrets. Ce n'est qu'en faisant cela que nous pourrons faire comprendre aux Européens que nous avons besoin, non pas de moins d'Europe, mais de plus d'Europe.

8. Concernant le choix du futur président de la Commission européenne, les propos de la Chancelière rappelant les termes du Traité de Lisbonne et le rôle prédominant du Conseil européen ont été particulièrement remarqués. La CDU est-elle disposée à accepter un nom qui lui serait imposé par le Parlement?

Je pense que les traités sont clairs et indiquent le rôle décisif du Conseil européen. Le Traité de Lisbonne indique également que le résultat des élections européennes doit être pris en compte. Sur le long terme, nous nous orienterons vers l'élection directe du Président de la Commission européenne.

9. La crise a mis en évidence les limites de la gouvernance économique et politique de l'euro. Comment y remédier et quelles sont les avancées qu'on peut attendre en la matière? Vous semble-t-il possible de continuer à réformer l'UEM sur la base des traités actuels ou doivent-ils être révisés et à quelle échéance?

Le fait que la crise européenne des dettes souveraines ne soit plus au cœur de l'actualité et que nous ayons fait quelques progrès pour la régler est positif. Mais nous devons être lucides et voir que la crise n'est pas encore terminée. Si nous voulons éviter ce genre de crise à l'avenir, nous devons absolument améliorer la coordination politique et économique. Bien sûr, des avancées décisives ont été faites en ce sens. Mais, très honnêtement, nous devons désormais rattraper ce que nous avons laissé passer lors de la création de l'union monétaire, soit constituer une véritable union économique en parallèle de l'UEM. Pour atteindre cet objectif, nous devons renforcer les institutions européennes. Mais avant tout, nous avons besoin de plus d'obligations pour la mise en place d'une véritable union économique. Nous œuvrons pour que les Etats membres de l'union monétaire se mettent d'accord au niveau européen sur un programme de réformes contraignantes et applicables, légitimes démocratiquement et contractuelles. Ces accords doivent permettre d'atteindre des objectifs de compétitivité, de finances solides et durables mais aussi des objectifs de croissance et de création d'emplois liées à la solidarité. C'est en ce sens que les traités européens doivent donc être développés.

 

 

 

Traduit de l'allemand par Raphaël Frison

[1] EUTM : European Union Training Mission / mission de formation de l'Union européenne

[2] EUFOR : European Union Force / Force de l'Union européenne pour la République centrafricaine (RCA)

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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