Entretien d'EuropeEntretien avec Besnik Mustafaj, ministre des Affaires étrangères d'Albanie
Entretien avec Besnik Mustafaj, ministre des Affaires étrangères d'Albanie

Les Balkans

Besnik Mustafaj,  

Quentin Perret

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12 février 2007

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Invité

Mustafaj Besnik

Besnik Mustafaj

Ministre des Affaires étrangères d'Albanie.

Perret Quentin

Quentin Perret

Directeur du Pôle Énergie et Europe élargie de l'Atelier Europe.

Le Gouvernement dont vous êtes membre est en fonction depuis un peu plus d'un an. Quel premier bilan peut-on tirer de son action ?

Brièvement, je dirais que nous avons gagné les élections législatives en promettant aux Albanais deux choses : l'installation de l'Etat de droit et la mise en route du processus de l'intégration, aussi bien européenne que vis-à-vis de l'OTAN.

La mise en place de l'Etat de droit comprenait deux chantiers importants : la coupure des liens entre la classe politique et le crime organisé comme condition indispensable pour mener avec efficacité la lutte contre le crime organisé, ainsi que la lutte contre la corruption avec pour mot d'ordre le slogan «tolérance zéro».

Jugeant les faits, nous pouvons dire avec sérénité que le bilan est plutôt positif et encourageant. Plus de cinquante organisations criminelles parmi les plus violentes, non seulement en Albanie mais également dans la région, ont été arrêtées grâce à une coopération étroite de la police albanaise avec la police des pays voisins et la police de plusieurs pays membres de l'Union européenne, soutenue fortement par EUROPOL et INTERPOL, ce qui montre que les liens de la classe politique avec le crime organisé sont attaqués aux racines. Ce n'est pas encore une lutte complètement gagnée, mais quand même, dans les mois qui viennent, ces tâches seront plus faciles pour la police et la justice.

La lutte contre la corruption est plus difficile, mais nous sommes décidés à aller jusqu'au bout. Plusieurs réformes législatives et structurelles ont été entreprises et, sur la base du dernier rapport de « Transparency International », l'Albanie a gagné en crédibilité car, en moins d'un an, elle a progressé de dix-sept places dans la classification du niveau de corruption dans le monde. Pourtant, nous sommes conscients qu'il nous reste encore beaucoup à faire.

Concernant l'intégration, nous avons pu conclure, entre septembre 2005 et janvier 2006, les négociations pour l'Accord de Stabilisation et d'Association (ASA) avec l'Union européenne et nous avons signé l'Accord le 12 juin 2006. L'Accord Intérimaire est en vigueur depuis le 1er décembre dernier, ce qui nous permet de commencer à travailler pour la mise en œuvre des engagements pris dans ce document, tout en suivant la ratification de l'ASA par les Parlements nationaux des pays membres de l'Union européenne.

Du côté de l'OTAN, nous avons eu également un signal très positif en provenance du Sommet de Riga en novembre 2006.

Comment analysez-vous la manière dont se sont déroulées jusqu'à présent les discussions sur le statut du Kosovo et, compte tenu des positions albanaises, êtes-vous optimiste quant à la réussite de ces négociations ?

Les négociations se sont déroulées dans un climat très compliqué. Le gouvernement albanais a, depuis le début, soutenu l'engagement et l'intégrité de l'ancien Président finlandais, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour diriger le processus sur le statut futur du Kosovo, Martti Ahtisaari. Les négociateurs albanais du Kosovo lui ont fait plutôt confiance, ce qui était une bonne chose pour rendre acceptable les propositions de compromis. D'après ce qu'a dit récemment Martti Ahtisaari, la partie albanaise du Kosovo a fait des concessions substantielles dans le but de rassurer la minorité serbe vivant au Kosovo.

Mais la chose la plus grave, c'est que cette minorité serbe a tout le temps été prise en otage par Belgrade. Du coup, elle n'était pas assise là où sa place devrait être, c'est-à-dire dans les rangs de la délégation du Kosovo, puisque le but de ces négociations était de décider de l'avenir de leur pays qui est le Kosovo et non pas la Serbie. C'était presque du cynisme de la part de Belgrade de se servir de cette minorité serbe du Kosovo comme gage de la politique intérieure de la Serbie.

Belgrade a toujours été et reste malheureusement très réfractaire à mon avis, ce qui ne me permet pas d'être optimiste sur la conclusion rapide d'un accord consensuel. Je pense donc que la communauté internationale sera bientôt obligée d'imposer, d'une façon ou d'une autre, sa décision. On ne peut pas suivre sans fin le jeu de prétextes que joue Belgrade.

Comment décririez-vous les rapports de votre pays avec la Serbie ?

De mon point de vue, il n'y a aucun problème entre l'Albanie et la Serbie. Le Kosovo, qui a souvent troublé le ciel dans le passé, est depuis 1999 en dehors de toute polémique entre Tirana et Belgrade, puisque c'est l'ONU, avec la mission de l'ONU au Kosovo (MINUK), et l'OTAN, avec la KFOR, qui s'en occupent. Par conséquent, je dirais que toutes les conditions existent pour avoir d'excellents rapports entre nos deux pays et j'ai la pleine volonté de travailler dans cette philosophie.

Mais, la réalité est bien plus pauvre en résultats, parce que je n'ai pas trouvé à Belgrade la même disponibilité. Pourtant, des projets d'accords sont prêts et leurs conclusions nécessaires et utiles pour les deux pays, mais aussi pour toute la région, pourraient être atteintes si la machine est débloquée à Belgrade.

Quels bénéfices concrets - économiques et politiques - l'Albanie peut-elle attendre de la récente signature des Accords européens de libre échange (CEFTA) avec l'Europe Centrale et Orientale ?

Après la signature de l'accord CEFTA, les bénéfices économiques concrets, même s'ils ne sont pas immédiats, sont sûrs parce qu'ainsi l'économie albanaise est introduite dans un marché assez grand et pourra mieux se préparer pour faire face à la complexité de son intégration future dans le marché unique de l'Union européenne.

Les bénéfices politiques concrets sont plus immédiats, du fait que plusieurs pays d'Europe Centrale et Orientale faisant partie de la zone CEFTA sont à la fois membres de l'Union européenne et de l'OTAN. Pour ne pas se perdre dans des explications détaillées et compliquées, je dirais que d'une certaine façon, cet Accord met l'Albanie, ainsi que les autres pays de la région des Balkans occidentaux, dans l'antichambre de l'Union européenne.

Quelles leçons les Européens doivent-ils tirer des difficultés qui ont émaillé la préparation des élections locales en Albanie qui se tiendront finalement le 18 février?

Je n'ai pas l'habitude de donner des leçons, mais quelques conclusions utiles peuvent être tirées, dont l'une me semble tout particulièrement importante.

Nous avons un Code électoral qui permet à l'un des deux grands partis politiques albanais de bloquer le développement des élections, s'il le veut, en empêchant la mise en place des Commissions électorales.

Les Européens qui suivent de très près les réformes en Albanie, par l'intermédiaire de la Commission européenne et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), doivent rapidement demander la dépolitisation de l'infrastructure et des procédures électorales en imposant le modèle qu'ils ont chez eux. Et j'insiste sur le mot « imposer», parce que cela ne sera pas un travail facile à accepter.

Les deux grands partis ne voudront pas lâcher facilement ce pouvoir de contrôler politiquement tout le processus et de le bloquer si l'un ou l'autre se voit dans la perspective de perdre le scrutin ou, comme cela a été le cas récemment, quand à la tête de l'un de ces partis, se tient un personnage qui met ses propres intérêts électoraux au-dessus et avant les intérêts de son pays.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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