Démocratie et citoyenneté
Laure Pubert
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Laure Pubert
Essai d'une définition sommaire des droits économiques, sociaux et culturels des enfants en Europe :
On ne peut parler des droits économiques, sociaux et culturels des enfants au niveau européen sans essayer de les définir au préalable. Ils sont le résultat d'une évolution de la pensée éthique et de sa transformation en règles juridiques contraignantes marquant la fin d'une société patriarcale. Rousseau va attirer l'attention sur le fait que même les esprits les plus éclairés s'obstinent à chercher « l'Homme dans l'enfant » [3] et à donner aux enfants des connaissances, qui sont certes essentielles pour les adultes, mais qui peuvent ne pas être assimilées par leurs jeunes élèves. Le respect de la liberté intérieure de l'enfant ou si l'on préfère, de sa dignité humaine gouverne toute la pédagogie rousseauiste. Son traité repose sur l'intuition fondamentale de la perfectibilité humaine puisque à sa naissance, l'homme n'est rien et qu'il devient tout. Il confie à l'enfant la responsabilité de sa propre éducation. On retrouve cette idée dans les œuvres de Kant [4] et de Françoise Dolto qui parle quant à elle d'une nouvelle anthropologie de l'être humain [5]. Elle insiste sur l'importance de la liberté pour l'enfant et sur le rôle particulier des parents dont la responsabilité « est de donner les armes pour se passer d'eux » [6]. Cette libération de l'enfant vise à le penser et à le traiter à l'égal des autres hommes mais elle doit être contrebalancée par la spécificité de l'enfance qui se caractérise par une immaturité physique et intellectuelle et par un besoin de protection spéciale qui peut entraver la véritable émancipation de l'enfant en tant qu'égal de l'homme. L'enfant ne doit pas perdre son droit d'être différent des adultes, d'être lui-même car on risque de le déposséder de son droit à l'enfance en essayant de faire de lui un citoyen à part entière, déjà responsable et bientôt autonome.
On va progressivement voir apparaître un statut juridique et social de l'enfant dans les législations nationales et sur la scène internationale. La véritable révolution de l'enfance s'est cependant faite principalement sur le plan international, les droits nationaux étant restés pendant longtemps fortement imprégnés de l'approche protectrice du XIXe siècle avec sa conception de l'enfant objet. Dans cette nouvelle anthropologie, l'enfance devient un âge individualisé et l'enfant, un être humanisé. Ainsi sur le chemin qui va mener à la Convention des Nations Unies de 1989 [7], on trouve la Déclaration de Genève de 1924, qui insiste davantage sur les devoirs des adultes envers les enfants que sur les droits de l'enfant, et la Déclaration des droits de l'enfant de 1959 qui enrichit le besoin originel de protection spéciale de l'enfant d'une formulation de droits particuliers. Mais ces déclarations sont dépourvues d'une portée normative significative et mettent en lumière dans le contexte réformé de l'enfance la nécessité d'élaborer un instrument contraignant. La Convention internationale relative aux droits de l'enfant est ainsi adoptée en 1989 et revêt encore aujourd'hui un caractère exceptionnel en raison du consensus quasi universel qui entoura sa ratification. La convention adopte une approche holistique, elle ne fait aucune distinction de valeur entre les droits de la première génération et ceux de la seconde. Parmi ces derniers, elle reconnaît notamment le droit à la santé (article 24), le droit à la sécurité sociale (article 26), le droit à un niveau de vie suffisant (article 27), le droit à l'éducation (article 28), le droit d'être protégé contre l'exploitation économique (article 32 par.1) et contre toutes les formes d'exploitation sexuelle (article 34) ou d'exploitation préjudiciable à son bien-être (article 36).
La Convention constitua une force d'impulsion importante pour les instruments du Conseil de l'Europe, en particulier pour la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la Charte sociale européenne, mais n'entraîna aucun changement spectaculaire à l'échelle supranationale de l'Union européenne.
Le Conseil de l'Europe est la seule organisation intergouvernementale européenne à laquelle a été conféré un mandat explicite concernant l'action en matière de droits et de protection de l'enfance. Il a donc la possibilité de jouer un rôle primordial dans le dessin des contours juridiques de l'enfance au niveau européen. Après une vision plutôt fragmentaire des politiques à adopter dans le domaine de l'enfance, il a préféré opter pour une approche plus globale et cohérente en harmonie avec la conception universaliste des droits de l'enfant introduite par la Convention des Nations Unies, laquelle est ratifiée par l'ensemble de ses Etats membres. Deux de ses conventions ont ainsi été élaborées afin de donner plus d'effet à l'article 4 de la Convention des Nations Unies qui oblige les Etats Parties à prendre toutes les dispositions nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus par la Convention universelle: la Convention européenne sur l'exercice des droits de l'enfant adoptée en 1996 et la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants ouverte à la signature depuis le 15 mai 2003. Les recommandations de l'Assemblée parlementaire et du Comité des ministres constituent également un outil de travail précieux pour le Conseil de l'Europe dans des domaines aussi diversifiés et essentiels que le droit de la famille, la santé, la protection sociale, la protection contre l'exploitation sexuelle ou toutes autres formes d'exploitation du travail des enfants, la protection contre les mauvais traitements infligés aux enfants, l'éducation ou les droits de l'enfant en général.
La nécessité d'une politique intégrée et exhaustive de l'enfance d'un point de vue européen est apparue dans plusieurs recommandations de l'Assemblée parlementaire. Dans sa Recommandation 1286 (1996), elle recommande au Comité des Ministres d'accorder une priorité absolue aux travaux concernant la protection des enfants et de leurs droits afin de les rendre effectifs, de leur octroyer des ressources adéquates, d'adopter une approche multidisciplinaire de façon à considérer chaque enfant comme un être humain à part entière, de permettre l'évaluation des incidences sur les enfants de toute nouvelle mesure, d'instituer un médiateur pour les enfants et de constituer une structure permanente intergouvernementale et multidisciplinaire habilitée à traiter de toutes les questions relatives aux enfants [8]. Le degré d'intérêt du Conseil de l'Europe pour la protection de l'enfance est encore mis en évidence par le Programme pour l'enfance lancé à Strasbourg le 26 novembre 1998 et qui prend explicitement pour point de départ la Convention des Nations Unies. Il a pour but de développer une «véritable culture des droits de l'enfant » en insistant surtout sur « la promotion, la participation et la protection des enfants ». Ce programme a également été annexé à la réponse du Comité des Ministres à la Recommandation 1286, qui a par ailleurs été une source d'inspiration pour le secteur intergouvernemental dans le domaine. Un Forum pour l'enfance a été créé afin de mettre en œuvre ce programme et d'élaborer des stratégies d'action commune concernant les objectifs prioritaires. Les avancées que l'on constate au sein du Conseil de l'Europe sont renforcées par le champ d'application territoriale élargi du fait du grand nombre d'Etats membres.
La Charte sociale européenne adoptée en 1961 reste l'instrument le plus important de protection des droits de l'enfant en Europe. Elle fait de la protection de l'enfant un droit individuel qui s'applique à l'égard du travail (article 7 §1 à 10 [9] de la Charte) et sans lien avec le monde du travail (article 7 §10 sur le droit de l'enfant à une protection spéciale contre les dangers physiques et moraux auxquels il est exposé et article 17 sur le droit de la mère et de l'enfant à une protection sociale et économique). La protection de l'enfant ne passe plus seulement par le filtre familial (article 16 sur le droit de la famille à la protection sociale, juridique et économique) mais le concerne directement en tant que sujet de droits. A ce titre, il a droit à la santé (article 11), à bénéficier des services sociaux de base (article 14), à l'orientation et à la formation professionnelles (article 9 et 10) etc. Le texte révisé de la Charte de 1996 [10] améliore la protection juridique de l'enfant en renforçant les dispositions existantes et en étoffant les droits garantis avec l'introduction d'une nouvelle disposition, l'article 17, qui accorde aux enfants un droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée. On se dirige vers une approche juridique réelle des droits économiques, sociaux et culturels des enfants, leur réalité tangible semble pouvoir être transposée en règles juridiques abstraites et contraignantes. L'inclusion du terme « juridique » dans le titre confirme surtout la jurisprudence dynamique du Comité « selon laquelle certains droits, tels que le droit de succession des enfants, sont couverts par l'article 17 de la Charte sociale révisée » [11]. Aujourd'hui, 33 des 45 Etats membres du Conseil de l'Europe sont liés par l'une ou l'autre de ces deux chartes [12].
L'une des conséquences emblématiques de l'après 1989 est le développement par le Comité européen des droits sociaux chargé du suivi de la Charte d'une jurisprudence plus étoffée et dynamique à l'instar de la Cour européenne des droits de l'Homme [13]. Le Comité va adapter sa lecture des dispositions de la Charte aux conditions de vie actuelles. A partir du XIIIe cycle de contrôle, le Comité adopte une nouvelle méthode de travail axée sur l'interdépendance des droits ayant pour seul but d'assurer le développement harmonieux de l'enfant. Sous l'angle de l'article 17 (droit de la mère et de l'enfant à une protection sociale et économique), il étend son contrôle aux questions relatives au statut de l'enfant - c'est-à-dire à l'établissement de la filiation, aux droits des enfants non issus du mariage ou à la protection des orphelins et des enfants sans foyer [14] - et à la protection des jeunes en général. Le Comité argue de la nécessité d'assurer aux enfants une protection sociale adéquate pour expliquer son intention de réexaminer, à la lumière de l'évolution des législations nationales et des conventions internationales, la mise en œuvre de l'article 17 par les Etats au titre de la protection des enfants contre les mauvais traitements, l'accès des enfants à la justice civile et pénale et la protection des jeunes délinquants. A cette fin, il demande aux Etats de faire le point dans leurs rapports sur la situation juridique et la pratique existante dans ces domaines qu'il estime particulièrement importants [15]. Contrairement aux critiques qui ont fréquemment remis en question l'applicabilité des droits économiques, sociaux et culturels en raison de la trop grande généralité des dispositions les garantissant, le Comité profite de cette souplesse de rédaction pour consolider son contrôle et suivre l'évolution sociale et économique de la situation des enfants en Europe [16]. L'une des originalités de la Charte sociale réside dans le fait que son large éventail de dispositions en matière économique et sociale ne s'applique pas uniquement aux travailleurs mais également à d'autres catégories de personnes particulièrement vulnérables comme les personnes handicapées ou âgées, les mères et les enfants. Concernant ces derniers, on peut regretter l'absence de spécialisation de la Charte et l'absence d'étude systématique des rapports nationaux sur la question du respect des droits de l'enfant et donc une dilution de l'intérêt qui leur est porté au niveau européen.
Sous l'angle de la Convention européenne, la Cour renforce sa jurisprudence sur les droits de l'enfant en insistant sur son droit à l'éducation (article 2 du premier Protocole additionnel) et en stigmatisant les mauvais traitements infligés aux enfants [17] (article 3 de la Convention). Le lien indissoluble entre les droits de l'Homme et les droits de l'enfant apparaît ici clairement. Ce rapport aux droits de l'Homme qui alimente le mythe d'une humanité idéalisé forme le théâtre qui a vu naître les droits de l'enfant. L'enfant est ainsi protégé en tant que porteur d'avenir, de potentialités devant perpétuer le monde des droits de l'Homme. Cette idée inscrite dans la Convention des Nations Unies [18] et que l'on peut induire de la philosophie de certains textes européens risque de porter atteinte au droit de l'enfant d'être différent en lui imposant des libertés peu ou pas pertinentes pour le monde de l'enfance. La Charte des droits fondamentaux par exemple ne fait aucune distinction entre les droits de l'enfant en particulier et les droits de l'Homme en général. Ceux-ci figurent dans les parties « Egalité » et « Solidarité » de la Charte. L'enfant serait-il redevenu « un individu ordinaire à qui il suffit d'appliquer le principe d'égalité des droits » [19] ? Le garant d'une société à venir embarquée sur le chemin d'une humanité pansée et prête à accueillir les générations futures ? Le droit semble établir une scission entre la réalité propre de l'enfant et la réalité à venir dont il est porteur, faisant passer son droit au développement avant son droit en tant qu' « être présent » [20] et « en puissance ». Une approche trop globale ou universelle pourrait de cette façon enfermer l'enfant dans une sphère intemporelle, antichambre du monde adulte des droits de l'Homme. Janusz Korczak met en garde contre cette « attente anxieuse de ce qui sera » qui augmente selon lui « notre irrespect à l'égard de ce qui est » [21]. Cette crainte est confirmée par l'impossibilité actuelle de mesurer avec précision la valeur juridique des droits économiques, sociaux et culturels des enfants en raison de leur nature même.
Leur réalisation passe par le canal de l'Etat et mêle le politique au juridique : les instruments de protection définissent des seuils, des cadres d'action et d'abstention. Mais ces droits ne sont pas des droits subjectifs pouvant être directement invoqués devant les juridictions nationales. L'accent est donc mis sur la nécessité d'une garantie effective de ces droits que l'on peut qualifier de particulièrement tangibles. Une condition d'effectivité qui ramène les droits de l'enfant au concret, au présent, mais que l'on peut cependant nuancer au regard des mécanismes de suivi et de la faible visibilité de leurs effets concrets. Au niveau européen, seule la jurisprudence relative à la Convention européenne des droits de l'Homme a permis de donner toute son ampleur au statut juridique de l'enfant en l'autorisant à déposer des requêtes au titre de l'article 34 [22], ce qui est non négligeable en raison de l'effet contraignant de ses décisions.
L'Union européenne ne dispose pas d'une politique centrale relative à l'enfance ou d'une structure de coordination comme un comité d'experts par exemple. Elle reste freinée par le principe de subsidiarité qui fait des politiques de l'enfance la responsabilité première des Etats. Un changement est cependant perceptible puisque l'Union met aujourd'hui l'accent sur l'importance d'instituer une citoyenneté européenne et de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice. D'autre part, des questions telles que le droit de la famille ou la lutte contre l'abus et l'exploitation sexuelle des enfants appartiennent à l'acquis conventionnel et non conventionnel du Conseil de l'Europe dont l'Union se sert comme référence pour l' « évaluation collective de l'adoption, de l'application et de la mise en œuvre effective par les pays candidats de l'acquis de l'Union européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures » [23]. De plus, le Traité d'Amsterdam contient des articles qui se rapportent directement ou indirectement aux enfants comme l'article K.1 qui vise à protéger les enfants contre les atteintes ou l'article 137 sur l'exclusion sociale qui peut également être utilisé pour les enfants. Les droits de l'enfant ont été introduits dans un texte qui est inclus dans l'édifice constitutionnel de l'Union : la Charte des droits fondamentaux de l'Union, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice. Mais il faut nuancer ce progrès car le préambule de la Charte situe la protection des droits fondamentaux dans le cadre plus général de la mission de l'Union qui est d'assurer « la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement ». Dans ce cadre là, l'enfant n'est pas encore reconnu comme un citoyen à part entière mais il est plutôt perçu comme le prolongement de ses parents eux-mêmes considérés comme travailleurs. Il n'existe pas de véritable politique intégrée dans ce domaine. Or, les engagements souscrits par les Etats membres de l'Union au titre de la Convention des Nations Unies impliqueraient de remplacer ces interventions fragmentaires notamment dans le domaine du travail [24] ou de l'exploitation sexuelle des enfants par une approche intersectorielle cohérente.
La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des enfants est une notion progressive qui exige un effort continu de la part de l'Etat afin d'améliorer le niveau de vie de ces enfants et promouvoir leur bien-être. Cet effort ne constitue pas l'abstraction d'un futur plus ou moins proche mais la réalité de mesures effectives visant à mettre la législation nationale et la pratique en conformité avec les instruments internationaux de protection des droits de l'enfant. La Charte sociale européenne comme la Convention des Nations Unies est un engagement juridique de nature internationale, elle oblige donc les Etats signataires à prendre des dispositions afin de rendre effectives les règles qu'elle fixe. En général, les Etats doivent adapter leur législation pour intégrer les normes fixées dans leur droit positif. La mise en conformité est cependant plus visible dans le cadre de l'élargissement et du respect de l'acquis conventionnel et non conventionnel du Conseil de l'Europe par les pays candidats et les nouveaux Etats membres de l'Europe centrale et orientale que pour les anciens Etats membres de l'Europe occidentale. Le respect effectif des droits de l'enfant implique l'instauration d'un contrôle externe et indépendant. Se pose alors la question de l'éventuelle justiciabilité de ces droits en Europe qui leur permettrait d'acquérir une véritable consistance juridique.
La garantie des droits économiques, sociaux et culturels des enfants en Europe : un constat mitigé
La Charte sociale comme la Convention des Nations Unies ne contient pas de dispositions reconnaissant des droits subjectifs aux enfants pouvant être invoquées devant des instances juridictionnelles nationales ou internationales. C'est pourquoi, l'Assemblée a demandé à plusieurs reprises au Comité des Ministres d'élaborer « un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme sur les droits de l'enfant afin de les rendre justiciables » [25] afin d'évoluer vers une contrainte instituée.
Le comité européen des droits sociaux, comme le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies est constitué d'experts indépendants ; il examine les rapports que les Etats lui soumettent à intervalles réguliers. Ce système se fonde sur l'idée d'un dialogue constructif avec l'Etat pouvant aboutir à des recommandations solennelles du Comité des ministres dépourvues d'effet coercitif et demandant à l'Etat de prendre les mesures appropriées afin de remédier à la situation. Le Comité laisse un délai raisonnable de mise en conformité de la situation nationale après l'entrée en vigueur de la Charte. Il peut, par exemple, ajourner ses conclusions. La responsabilité de l'Etat implique que les mesures politiques ou législatives qu'il prend sont en accord avec l'objet et le but de la Charte qui consistent à protéger des droits non pas théoriques mais effectifs. Le Comité effectue un contrôle pragmatique des mesures prises par l'Etat en vue d'assurer « l'exercice effectif » [26] des droits garantis. Dans sa décision sur le bien-fondé de la Réclamation n° 1/1998 par la Commission internationale de Juristes contre le Portugal, « il considère que l'application satisfaisante de l'article 7 ne peut être atteinte par le seul effet de la législation si l'application de celle-ci n'est pas effective et rigoureusement contrôlée (voir, par exemple, Conclusions XIII-3, p 292 et 295) ». Cela permet de contrôler la pratique d'Etats ayant une législation sociale très avancée et ainsi d'éviter que ces droits ne soient enfermés dans la sphère de la spéculation juridique ou cachés derrière la fiction de « l'engagement écran ».
Depuis l'entrée en vigueur du Protocole de 1995, le Comité peut examiner des réclamations collectives alléguant de violations de la Charte et portées devant lui par des partenaires sociaux et des organisations non gouvernementales afin d'améliorer la mise en œuvre effective des droits sociaux garantis. Mais il ne s'agit toujours pas d'un droit de requête individuel auquel pourraient recourir les enfants. En l'absence d'un effet juridique direct, il est difficile d'évaluer l'impact que la Charte a sur la pratique des parties contractantes. En effet, dans un premier temps, celles-ci sont souvent réticentes à admettre que des instruments internationaux tels que la Charte sont à l'origine de modifications dans leur droit ou leur pratique. Les faits pourtant indiquent que certains Etats ont modifié leur droit pour pouvoir ratifier la Charte, augmenter le nombre de paragraphes acceptés ou encore mettre leur situation nationale en conformité [27]. Après avoir ratifié la Charte, les Etats doivent répondre publiquement et au niveau international de leurs actions dans le cadre du processus d'établissement de rapports sur la mise en œuvre des dispositions acceptées. Nonobstant leur caractère non contraignant, les recommandations du Comité des Ministres, faisant suite aux conclusions du Comité européen des droits sociaux, ont permis des améliorations notables dans la protection sociale de la famille et, partant, des enfants. Le prestige de la Charte est une arme non négligeable dans le domaine de la protection économique, sociale et juridique de l'enfant. Ainsi « le Comité des Ministres estime, tout comme l'Assemblée parlementaire qui a lancé en 1997 une campagne de ratifications de la Charte sociale, que la Charte ainsi que ses protocoles additionnels constituent les textes de référence pour les droits sociaux et jouent sur le plan européen, un rôle important dans le domaine de la protection des enfants […] ». Les Etats eux-mêmes ont appelé « à l'adhésion la plus large à la Charte sociale et exprimé le souhait que le nombre de ratifications de ce traité augmente de façon significative » [28].
L'incorporation de la Charte des droits fondamentaux dans le futur traité constitutionnel pourrait créer une concurrence directe avec la Charte sociale européenne. A l'instar de l'approche holistique de la Convention des Nations Unies, une solution envisageable serait de créer une synergie entre les instruments juridiques européens afin d'assurer la cohérence des politiques de l'enfance sur l'ensemble du continent. Cela a été suggéré dans le cadre des relations futures entre la Convention européenne des droits de l'Homme et de la Charte des droits fondamentaux et l'idée d'une adhésion de la Communauté européenne (ou de l'Union européenne) à la Convention est actuellement à l'étude. Une telle harmonisation/adhésion permettrait de crédibiliser la politique européenne dans le domaine de l'enfance en soumettant les institutions de l'Union au même contrôle externe que les Institutions de ses Etats membres et entraînerait l'émergence d'un véritable modèle européen des droits de l'enfant. Les dispositions de la Charte sociale européenne comme celles de la Convention européenne constituent déjà un seuil minimal pour la Charte des droits fondamentaux [29] et le Comité européen des droits sociaux n'a pas d'équivalent au niveau régional pour la défense des droits économiques, sociaux et culturels des enfants. C'est donc un axe de réflexion qu'il ne faut pas négliger. Des propositions ont été faites par le Parlement européen afin d'élaborer une Charte européenne sur les droits de l'enfant [30]. Le contexte reste néanmoins limité puisqu'il s'agit en l'espèce essentiellement d'adapter la Convention des Nations Unies à la situation particulière de l'Union européenne et non de poser les fondations d'un futur modèle européen de protection des droits de l'enfant.
La réflexion ne doit pas tarir car aujourd'hui l'enfant reste trop souvent un objet de consommation affective, idéologique et économique, un produit vivant des moulins familiaux et sociaux, plutôt que le sujet de son développement. Il n'est pas respecté comme personne sous prétexte d'immaturité et d'éducation. Comme l'a si bien souligné Françoise Dolto, l'enfance est restée sous bien des angles un « sous-continent noir » colonisé par les adultes. Dans l'une de ses Recommandations, l'Assemblée parlementaire a relevé l'inefficacité des droits de l'enfant : « L'Assemblée constate que les droits de l'enfant sont encore loin d'être une réalité dans notre Europe riche et développée et que les enfants sont souvent les premières victimes des conflits armés, de la récession économique, de la pauvreté, et en particulier des restrictions budgétaires » [31]. Dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe, et notamment dans les Pays d'Europe centrale et orientale, la transition économique et le démantèlement du tissu social se sont accompagnés, avec la paupérisation de la famille, d'un accroissement du nombre d'enfants se trouvant en situation de risque. De plus, la mondialisation, à laquelle participent tous les pays membres, entrave le développement harmonieux des enfants et leur reconnaissance en tant qu'êtres humains dotés des droits sociaux fondamentaux et l'utilisation détournée des nouvelles technologies les rabaisse au rang de marchandise. Il est donc nécessaire de placer les enfants au centre du processus de décision, en particulier en ce qui concerne les politiques d'éducation, de santé, d'assistance sociale et de justice, « considérant que les mutations démographiques, sociologiques, technologiques et scientifiques créent des problèmes qui affectent le développement social et humain », telles que la pauvreté, l'exclusion sociale et la fragilisation du milieu familial, dont les enfants sont toujours les premières victimes [32].
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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