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Comment l'Europe peut et doit devenir le gardien de l'Accord de Paris sur le changement climatique

Climat et énergie

Arnault Barichella

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6 novembre 2017
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Barichella Arnault

Arnault Barichella

Diplômé de Sciences Po et Oxford (St Peter's College).

Comment l'Europe peut et doit devenir le gardien de l'Accord de Paris sur le cha...

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Après des décennies de négociations laborieuses, la communauté internationale est finalement parvenue à un accord mondial pour lutter contre le changement climatique lors de la 21e Conférence des Parties (COP) qui s'est tenue à Paris en 2015. L'Accord de Paris, signé par 195 pays, constitue le traité climatique le plus complet et le plus ambitieux jamais conclu. Dès lors, la décision du président Trump d'en retirer les États-Unis en juin 2017 a provoqué des ondes de choc à travers la communauté internationale[2]. De quelle manière l'Union européenne devrait-elle réagir face à ce recul? La première partie de cette étude présentera le contexte historique du rôle de l'Europe dans les négociations climatiques jusqu'à l'Accord de Paris. La seconde partie analysera les forces et les faiblesses des politiques climatiques de l'UE et de ses États membres, soulignant de quelle façon l'Europe doit montrer l'exemple dans ce domaine. La troisième partie abordera comment l'UE a le potentiel de se positionner au cœur du régime climatique mondial en construisant un réseau de partenariats avec des pays du monde entier pour compenser le retrait américain.

1. Le contexte historique

De la guerre froide au Protocole de Kyoto

Jusqu'à la fin de la guerre froide, les États-Unis sont restés le leader incontesté du régime environnemental international émergent, l'Europe se trouvant reléguée au second plan. Cela était d'abord dû à une dynamique propre à la guerre froide, selon laquelle Washington n'aurait jamais permis à la Communauté économique européenne (CEE) de revendiquer son leadership au sein du bloc occidental, même dans le domaine de la protection de l'environnement. Par ailleurs, l'Europe a été gênée par l'absence d'une base juridique concernant la politique environnementale dans les traités fondateurs ; cet état de fait, avec l'exigence de l'unanimité au Conseil européen, a souvent paralysé la CEE. Cependant, plusieurs changements importants ont permis d'inverser la situation. Tout d'abord, lorsque les États-Unis ont adopté des politiques économiques néolibérales hostiles à toute forme de réglementation, ils ont progressivement abandonné leur rôle de leadership dans le domaine de l'environnement, laissant ainsi un vide que l'Europe a pu combler. Deuxièmement, l'Acte unique européen de 1986 a fourni une base juridique autonome concernant la politique environnementale, y compris dans la législation interne et dans les relations extérieures. De même, le traité de Maastricht de 1992 créant l'UE, a introduit le vote à la majorité qualifiée sur les questions environnementales et a initié la procédure de codécision entre le Conseil et le Parlement européen, facilitant l'adoption d'une législation plus ambitieuse. Troisièmement, la fin de la guerre froide a permis le lancement de nouvelles initiatives internationales au cours des années 1990. En outre, les États-Unis ne cherchaient plus à éclipser l'UE lors des négociations climatiques, et l'ONU devenait moins enclin à la paralysie, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles actions au niveau mondial dans divers domaines. Par conséquent, du début des années 1990 jusqu'à la présidence de Barack Obama, l'UE est devenue le leader incontesté du régime environnemental international[3].

La réalisation européenne la plus importante reste le rôle essentiel joué par l'UE quant au développement du Protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Ce Protocole établit un cadre juridiquement contraignant pour la CCNUCC, prévoyant des objectifs clairement différenciés ainsi que des calendriers pour la réduction des émissions de GES adaptés au niveau de développement de chaque pays. Néanmoins, le Protocole s'est trouvé en butte à une ferme opposition américaine sous le gouvernement de George W. Bush, qui non seulement a refusé de le ratifier, mais a également cherché à l'affaiblir. L'Europe a alors démontré sa capacité de leadership en incitant la communauté internationale à agir sans tenir compte des États-Unis. Elle a pris un risque important, car il n'y avait aucune garantie que d'autres pays suivraient son exemple. Malgré cela, l'UE a réussi à faire du Protocole de Kyoto un accord qui fonctionne en obtenant que le nombre total de signataires soit responsable d'au moins 55% des émissions mondiales de GES. En outre, afin de mettre en œuvre ses engagements internationaux, l'Europe a commencé à élargir la portée de sa législation environnementale. En 1998, l'UE a lancé un accord interne de partage des charges qui exigeait des réductions d'émissions plus importantes de la part des États membres les plus développés, tout en laissant une marge de manœuvre aux pays moins développés. De plus, en 2005, l'UE a mis au point le système d'échange de quotas d'émission (SEQE), qui est devenu le principal outil permettant de mettre en place ses engagements dans le cadre du Protocole de Kyoto, et constitue le premier système d'échange international de carbone au monde.

De Copenhague à l'Accord de Paris

Au milieu des années 2000, l'Europe a commencé à faire pression en faveur d'un accord climatique global, car il est apparu que les objectifs de Kyoto deviendraient insuffisants même s'ils étaient mis en œuvre par toutes les parties. De nombreux pays en développement, en particulier les nations membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), sont devenus des émetteurs majeurs de GES sans souscrire à des objectifs contraignants sous le Protocole de Kyoto, avec la Chine dépassant les États-Unis en 2007 pour devenir le premier émetteur mondial. En outre, l'UE a présenté en 2008 un "paquet climat-énergie" fixant des objectifs ambitieux et contraignants tels que de réduire de 20% les émissions (par rapport au niveau de 1990) et d'atteindre d'ici 2020 une part de 20% pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Par conséquent, la marginalisation de l'Union lors du sommet de Copenhague en 2009 a été une surprise. En dépit des engagements exemplaires pris par les États européens, le document final n'a été qu'un accord symbolique et inefficace entre les États-Unis et la Chine, soutenu par les autres nations membres du BRICS. Bien que l'Accord de Copenhague contienne des dispositions positives telles que la reconnaissance officielle du seuil de 2°C, il n'a pas réussi à fixer des promesses, des objectifs ou des calendriers contraignants pour lutter efficacement contre le changement climatique. Il y a plusieurs facteurs expliquant l'échec de l'UE à Copenhague, notamment la réaffirmation du leadership américain sous le président Obama, ainsi que la montée en puissance des pays membres du BRICS. Malgré ce recul, l'Europe a choisi de redoubler ses efforts aussi bien en termes de législation environnementale que de diplomatie climatique, retrouvant une position de leader lors des COP suivantes. Cela inclut le sommet de Durban en 2011, où l'UE a joué un rôle crucial dans la négociation d'un accord connu sous le nom de "Plateforme de Durban". Ce dernier établissait les lignes directrices qui aboutiraient à l'Accord de Paris, nouvel accord global sur le climat impliquant les États-Unis, les nations membres du BRICS et les pays en voie de développement.

La France, en tant qu'hôte de la COP21 en 2015, ainsi que ses partenaires européens, étaient déterminés à ne pas répéter les erreurs de Copenhague. De fait, les résultats ont été plus concluants que prévu, et la Conférence de Paris a pu établir une structure de gouvernance climatique mondiale signée par 195 pays. De toutes les parties concernées, les États européens sont ceux qui ont le plus insisté sur la nécessité d'engagements nationaux rapides et vérifiables, favorisant une confiance mutuelle afin de parvenir à un accord ambitieux. L'Europe a joué un rôle de médiateur et a contribué à construire des ponts entre les besoins de développement des pays du Sud et les exigences climatiques plus rigoureuses de certains pays du Nord. Par exemple, l'UE a commencé la conférence en annonçant une stratégie commune avec 79 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), et les délégués européens ont joué un rôle de premier plan dans la construction d'une "coalition de haute ambition" impliquant les États-Unis. Cette coalition a réussi à obtenir l'adoption d'un engagement pour limiter l'augmentation des températures moyennes mondiales à 1,5°C au cours de ce siècle, ainsi que l'établissement d'un nouveau "cadre de transparence". L'objectif de ce dernier consiste à examiner les contributions nationales de toutes les parties, avec des variations subtiles concernant les efforts attendus entre les pays développés et les pays en développement. 2023 a été choisie comme année de départ pour la première "plateforme mondiale" quinquennale, destinée à examiner l'adéquation des efforts nationaux, qui seront régulièrement mis à jour et améliorés au cours du processus. Bien que loin d'être parfait[4], l'Accord de Paris constitue néanmoins la meilleure opportunité pour lutter contre le changement climatique, et l'Europe peut se féliciter de son rôle déterminant dans la réussite de la COP21.

2. Les politiques environnementales internes : comment l'UE doit montrer l'exemple

Politiques climatiques et énergétiques de l'UE

Le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris doit être vu comme une opportunité pour l'Europe de renforcer et d'accélérer la mise en place de ses engagements climatiques, et même peut-être de les dépasser. Cela est essentiel pour envoyer un signal fort aux autres pays en montrant que l'Europe est déterminée à assumer un rôle de leadership pour la sauvegarde de l'Accord. En effet, la ferme condamnation de la communauté internationale suivant la décision de Trump pourrait encourager une action climatique renforcée, à la fois en Europe et dans le reste du monde. Si l'UE parvient à montrer l'exemple, cela pourrait encourager d'autres grands pays émetteurs de GES, tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil, à tenir leurs engagements climatiques. Jusqu'à présent, la réponse globale a été encourageante. En effet, toutes les autres parties signataires de l'Accord de Paris ont indiqué qu'elles restaient déterminées à mettre en œuvre leurs promesses en la matière, comme cela a été précisé lors du sommet du G20 à Hambourg en juillet 2017. Toutefois, le régime climatique mondial reste fragile ; la réaction positive à l'annonce du retrait des États-Unis devra être maintenue dans les années à venir.

La principale contribution de l'UE pour l'Accord de Paris est le "cadre pour le climat et l'énergie à l'horizon 2030", annoncé par le Conseil européen en octobre 2014. Basé sur le paquet climat-énergie 2020[5], le cadre contient des objectifs ambitieux à atteindre d'ici 2030, y compris la réduction d'au moins 40% des émissions de GES (par rapport au niveau de 1990), et de porter la part des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique à au moins 27 % de la consommation d'énergie. Pour atteindre ces objectifs, le principal outil de l'UE repose sur la réforme du SEQE, avec l'adoption de nouveaux indicateurs de compétitivité. Cela comprend des différences de prix avec les principaux partenaires commerciaux, ainsi qu'une meilleure concertation entre les États membres au sujet de la tarification du carbone. Les secteurs couverts, principalement la production d'électricité, l'industrie et certaines parties du secteur de l'aviation, devront réduire leurs émissions de 43% (par rapport au niveau de 2005). Les secteurs non-couverts par le SEQE, comme l'agriculture, le logement, les transports et les déchets, devront réduire leurs émissions de 30% à travers des objectifs spécifiques définis par les États membres. En outre, l'UE a aussi élaboré une "feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone", qui définit une série d'objectifs généraux à atteindre d'ici 2050. Ces objectifs comprennent une réduction minimale des GES de 80% (par rapport au niveau de 1990), avec un objectif intermédiaire de 60% devant être atteint d'ici 2040. La feuille de route souligne que tous les secteurs de l'économie devront y contribuer, mais que des variations dans les réductions d'émissions peuvent se produire entre différents secteurs en fonction de leur situation technologique et économique. Ce sont des objectifs très ambitieux qui, pris dans leur ensemble, représentent parmi les engagements les plus importants annoncés lors de la COP21.

Malgré cela, la législation européenne contient certaines faiblesses, et l'Europe est sans doute capable d'aller plus loin dans l'action climatique. Par exemple, la feuille de route vers une économie à faible intensité de carbone à l'horizon 2050 ne contient aucun engagement visant à atteindre la neutralité carbone[6]. Or, ce fait pose problème, car de nombreux scientifiques estiment que pour que le réchauffement climatique reste inférieur au seuil de 2°C, tous les pays développés devront atteindre la neutralité carbone d'ici le milieu du siècle (pour les pays en développement, cela devra être fait avant la fin du siècle). De même, la feuille de route ne contient pas suffisamment d'indications précises sur la manière dont les objectifs définis doivent être atteints sur le long terme ; en outre, des objectifs spécifiques pour augmenter la part des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique font également défaut. Ainsi, l'UE devrait intégrer l'objectif d'atteindre la neutralité carbone d'ici le milieu du siècle, étoffer la feuille de route avec des politiques plus détaillées dans les différents secteurs, et fournir des objectifs clairs pour le secteur de l'énergie. Par ailleurs, le SEQE a été confronté à des problèmes internes depuis son lancement en 2005. En partie à cause des excédents et des bas prix du carburant, il n'a pas fonctionné comme prévu car les tarifs du carbone ne sont pas assez élevés. Les tentatives précédentes de réforme des quotas ont été infructueuses[7]; ainsi, les dispositions introduites par le cadre à l'horizon 2030 pourraient se révéler insuffisantes. L'UE devrait adopter des mesures supplémentaires pour faire en sorte que le prix du carbone augmente, stimulant ainsi l'atteinte des objectifs d'émissions. Par exemple, le SEQE doit accélérer l'intégration de toutes les émissions provenant de l'aviation internationale et l'étendre à des secteurs tels que les transports, qui relèvent actuellement de la compétence des États membres. De même, il est important de maintenir un prix du carbone unifié dans l'Union ; cela pourrait se faire par la création d'une autorité commune dotée de pouvoirs suffisants pour maintenir le prix du carbone dans certaines limites. Pour les secteurs non-couverts par le SEQE, l'introduction d'une taxe européenne commune sur le carbone pourrait contribuer à préserver un prix du carbone unifié[8]. En outre, l'objectif de 27% pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique n'est pas contraignant, les États membres ayant refusé d'abandonner le contrôle de leur politique énergétique nationale. Par conséquent, les pays sont simplement encouragés à atteindre ces objectifs, et le résultat probable sera que les États membres les plus engagés en matière d'écologie les atteindront, tandis que ceux moins avancés en la matière risquent de rester en deçà.

Politiques climatiques et énergétiques des États membres

Cette réalité d'une Europe à plusieurs vitesses, où un groupe d'États soucieux de l'environnement marche en tête alors que d'autres restent à la traîne, constitue un problème récurrent pour l'UE. Cet état de fait remonte à l'Acte unique, lorsque les politiques climatiques et énergétiques ont été établies comme "compétences partagées". Cela signifie que même si les institutions de l'Union peuvent agir dans ces domaines, elles ne peuvent pas forcer les États membres réticents à adopter des politiques contre leur gré. En raison des différences de culture politique et de traditions économiques, le zèle écologique des États membres a considérablement fluctué. Des pays tels que l'Allemagne, la Hollande et les nations scandinaves ont adopté nombre de législations environnementales comptant parmi les plus avancées du monde, dépassant souvent les objectifs européens. Par exemple, en 2010, le gouvernement allemand a annoncé des objectifs ambitieux de réduction des émissions de GES, de 40% d'ici 2020, 55% d'ici 2030, 70% d'ici 2040 et 85-95% d'ici 2050 (par rapport au niveau de 1990)[9]. De même, en sa qualité d'hôte de la COP21, le gouvernement français a cherché à donner l'exemple avec la loi de transition énergétique[10] . Cette dernière comprend des réductions d'émissions d'au moins 40% d'ici 2030, et de 80% d'ici 2050 (par rapport au niveau de 1990), ainsi qu'une augmentation des énergies renouvelables atteignant 23% en 2020 et 32% en 2030. De même, le président Macron a fait adopter un plan climat qui inclut l'objectif de la neutralité carbone pour l'économie française d'ici 2050, ainsi que l'interdiction de la vente de véhicules diesel et essence et la fin de l'exploitation des combustibles fossiles d'ici 2040.

En revanche, d'autres États membres n'ont pas accompli suffisamment d'efforts en matière de politique environnementale. L'UE a pris en compte le fait que certains pays pourraient avoir besoin d'une marge de manœuvre plus importante afin de développer leur économie, en prévoyant des mécanismes de flexibilité pour qu'ils atteignent leurs objectifs climatiques. Néanmoins, la portée de cette flexibilité a parfois été exagérée, et plusieurs États membres s'en sont servis pour éviter de mettre en place une politique plus contraignante dans ce domaine. Par exemple, l'économie de la Pologne est l'une des plus productrices de carbone de l'OCDE, en partie du fait de sa dépendance vis-à-vis du charbon en tant que source d'énergie bon marché. Au cours des dernières années, la Pologne a été l'un des plus grands émetteurs de GES par habitant ; en 2012, son atmosphère présentait la concentration moyenne de particules nocives la plus élevée d'Europe. De même, l'Estonie est le plus grand émetteur de GES par habitant de l'Union, en plus d'avoir l'économie la plus productrice de carbone de l'OCDE. Ceci est lié à la dépendance de l'Estonie vis-à-vis de l'extraction du pétrole de schiste afin de produire une énergie bon marché pour répondre à une demande intérieure importante en hiver. Au cours des dernières années, l'Estonie a connu la plus forte augmentation relative des émissions au sein de l'UE, en particulier dans des secteurs tels que la production d'électricité et de chauffage.

Ce problème d'une Europe à plusieurs vitesses dû aux compétences partagées est difficile à résoudre. En effet, certains États membres se sont montrés très réticents quant au transfert de compétences vers le niveau européen. Par conséquent, puisque les politiques climatiques et énergétiques risquent fort de demeurer dans le domaine des compétences partagées dans un avenir proche, l'UE doit apprendre à mieux utiliser les outils dont elle dispose déjà[11]. En outre, le traité de Lisbonne contient plusieurs dispositions susceptibles de renforcer la législation environnementale de l'Union. Les compétences exclusives, les compétences partagées et les compétences d'appui ont été clarifiées par un "catalogue de compétences", qui présente une catégorisation bien définie de la répartition des compétences dans l'ordre légal européen. De plus, le traité a placé la politique environnementale parmi les principaux objectifs et priorités de l'Union[12]. Ainsi, il a étendu le champ d'application de la procédure de codécision, renommée "procédure législative ordinaire", et l'a intégrée dans presque tous les domaines relatifs à l'environnement. Néanmoins, la coordination des compétences partagées serait renforcée par des réunions plus fréquentes entre les ministres de l'Environnement des États membres au sein du Conseil, ainsi que par l'établissement de canaux de communication plus directs entre la Commission et les ministères nationaux compétents. En outre, pour inciter les États membres qui ne font pas suffisamment d'efforts dans ce domaine, l'UE pourrait aussi appliquer à l'avenir des critères plus stricts quant à l'attribution de financements tels que les Fonds structurels et d'investissement européens.

Sécurité énergétique et marché intérieur de l'énergie

Le sujet des compétences partagées a aussi entravé la capacité de l'UE à développer une approche efficace en matière de sécurité énergétique[13]. L'Union importe plus de la moitié de l'énergie qu'elle consomme, et de nombreux États membres dépendent fortement de la Russie. Ce fait a rendu l'Europe vulnérable face aux perturbations d'approvisionnement ; par exemple, Moscou a interrompu la livraison en gaz passant par l'Ukraine en 2006, 2009 et 2014. En réponse, l'UE a élaboré une stratégie de sécurité énergétique en mai 2014, et a cherché à construire un marché intérieur intégré de l'énergie. Cependant, les progrès sur les deux fronts ont été lents ; le partage des compétences en matière de politique énergétique a entraîné des problèmes de coordination entre les institutions de l'Union et les États membres. De même, malgré plusieurs "paquets énergie" consécutifs, l'UE n'a toujours pas pu mettre en place un marché énergétique opérationnel, qui demeure seulement partiellement intégré. Or, cet état de fait a un impact direct sur la capacité de l'Europe à atteindre ses objectifs climatiques et énergétiques. En effet, la stratégie de sécurité énergétique, ainsi que le marché intérieur de l'énergie, comprennent des mesures ambitieuses visant à augmenter la part des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, permettant dans le même temps de réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis des importations d'énergie. Ainsi, les politiques climatiques et de sécurité énergétique représentent en réalité les deux faces de la même médaille.

Les institutions européennes ont tardé à reconnaître ce lien et, bien que certains progrès aient été réalisés, des contradictions subsistent entre les deux. Par exemple, la Commission a cherché à renforcer la sécurité énergétique en diversifiant les sources d'approvisionnement grâce à l'exploitation de nouveaux gisements d'hydrocarbures rendus accessibles par la fonte des glaces dans l'Arctique. Cependant, l'exploitation de ces nouveaux combustibles fossiles ne fait qu'accélérer le réchauffement climatique et la fonte de la glace arctique, ce qui permet une exploitation plus poussée des hydrocarbures, engendrant ainsi un cercle vicieux. Afin d'harmoniser ses politiques en matière de climat et de sécurité énergétique, l'UE pourrait organiser une Direction générale (DG) unique au sein de la Commission afin de regrouper les deux domaines sous un même toit. Actuellement, ces responsabilités sont réparties entre trois DG différentes dont les compétences ne sont pas toujours clairement délimitées[14]. De la même façon, au sein du Parlement européen, une seule commission travaillant sur l'énergie et l'environnement pourrait être créée en remplacement des deux actuellement en place. De plus, il est essentiel d'accélérer l'achèvement du marché intérieur de l'énergie en construisant les liaisons d'infrastructures manquantes entre les États membres, et peut-être aussi en établissant un organisme régulateur unifié pour l'ensemble du marché de l'énergie. Cela pourrait accélérer l'intégration des énergies renouvelables dans le marché intérieur de l'énergie et contribuer à la diffusion de technologies "propres" à travers l'Europe. Les énergies renouvelables ont en effet connu une chute spectaculaire de leurs coûts au cours des dernières années, ce qui signifie qu'elles sont maintenant en mesure de concurrencer directement les combustibles fossiles[15].

3. La politique environnementale extérieure : l'UE comme leader de la communauté internationale

Recouvrer un rôle central au sein du régime climatique mondial

Suite à de récentes catastrophes météorologiques, dont les puissants ouragans qui ont balayé le Texas, la Floride et les Caraïbes, et que de nombreux scientifiques attribuent directement au réchauffement climatique, Donald Trump a subi des pressions pour revenir sur sa décision de se retirer de l'Accord de Paris. Néanmoins, en dépit de déclarations contradictoires sur l'Accord, l'administration du président Trump ne semble pas disposée à promouvoir une quelconque action significative sur le changement climatique, que ce soit au niveau national ou international[16]. Par conséquent, au moins jusqu'à la prochaine élection présidentielle en 2020, les États-Unis ont vraisemblablement abandonné leur leadership au sein du régime climatique mondial. Si l'Europe parvient à montrer l'exemple au niveau de sa politique interne, elle aura alors la légitimité pour combler le vide laissé par le retrait américain. Le leadership européen lors de la COP21 était davantage axé sur son rôle de médiateur et d'organisateur. L'UE a en effet contribué à créer un cadre nécessaire permettant la signature de l'Accord de Paris par 195 États en établissant des liens entre les pays développés et ceux en développement. À présent que les États-Unis se retirent à nouveau, il est essentiel que l'Europe retrouve une place centrale au sein du régime climatique mondial. En effet, plusieurs grandes nations émettrices de GES telles que la Russie, l'Arabie saoudite ou l'Iran, qui ont signé à contrecœur l'Accord de Paris, restent globalement sceptiques quant aux politiques climatiques. En tant que grands pays producteurs de combustibles fossiles, ils ont le plus à perdre de la transition mondiale vers les énergies propres. Bien que ces pays aient indiqué qu'ils resteraient parties prenantes de l'Accord, tout signe de désengagement pourrait leur permettre de revenir sur leurs promesses en matière de climat et risquerait d'engendrer un effet domino.

Cependant, pour recouvrer un tel rôle de leader, l'UE doit d'abord réformer les procédures par lesquelles elle s'engage dans les négociations climatiques. Si la question des compétences partagées a posé des difficultés au niveau de la législation interne, elle est encore plus problématique pour les relations extérieures. Il en résulte l'existence de trois différents types d'acteurs susceptibles de représenter la position de l'Union. En fonction de leurs compétences respectives, ces acteurs comprennent la Commission, la présidence tournante du Conseil, ainsi que les États membres. Cette "troïka" qui en résulte pose de nombreux problèmes à l'Europe lorsqu'il s'agit de parler d'une seule voix sur la scène mondiale. En effet, des négociations internes précèdent toujours les négociations internationales et les deux sont régulièrement menées simultanément, ce qui bloque souvent l'Union. Étant donné que les pays européens répugnent à transférer des compétences accrues en matière de politique étrangère, l'UE et ses États membres doivent trouver de nouveaux moyens pour renforcer leur cohésion au sein du régime climatique. Par exemple, il serait possible de mieux utiliser les dispositions du traité de Lisbonne relatives aux relations extérieures, notamment le rôle de Haut représentant pour les affaires étrangères, ainsi que celui du Service européen pour l'action extérieure (SEAE). Jusqu'à présent cependant, l'UE a choisi de ne pas les faire intervenir suffisamment lors des négociations sur le climat, peut-être pour éviter de faire de l'ombre aux États membres[17]. C'est là sans doute une erreur. Par rapport à l'actuel "système de troïka", le Haut représentant et le SEAE ont un potentiel beaucoup plus important pour renforcer l'unité de l'Europe sur la scène internationale. Parler d'une seule voix est fondamental si l'UE veut retrouver un rôle de premier plan au sein du régime climatique mondial.

Constituer un réseau solide de partenariats internationaux sur le climat

La situation internationale actuelle est toutefois très différente de la période où l'Europe avait exercé un rôle de leader mondial dans le domaine de l'environnement. En effet, au cours des années 1990-2000, l'UE était le deuxième plus grand émetteur de GES après les États-Unis, et la Chine était un pays encore relativement pauvre. Aujourd'hui, l'UE se classe au troisième rang, la Chine ayant dépassé l'Europe et les États-Unis pour devenir le premier émetteur mondial. De plus, la part de l'UE dans les émissions mondiales est en train de diminuer progressivement, en partie grâce au succès de sa législation environnementale, mais surtout en raison de la croissance économique des pays en développement, en particulier celle des nations membres du BRICS. Logiquement, cet état de fait signifierait que l'influence européenne dans le régime climatique mondial devrait décliner et qu'elle ne serait donc pas en mesure d'exercer seule un rôle de leadership. En conséquence, il est essentiel que l'UE établisse une collaboration étroite avec la Chine lors des négociations internationales sur le climat ; un tel partenariat devrait constituer la nouvelle colonne vertébrale de l'Accord de Paris. S'ils réussissaient à travailler ensemble en tant que premier et troisième émetteurs mondiaux de GES, l'UE et la Chine devraient être en mesure de contrer le désengagement des États-Unis (le 2e émetteur mondial). D'autant que le président Xi Jinping a réaffirmé sa détermination à mettre en œuvre les engagements pris par la Chine dans le cadre de l'Accord de Paris et à sauvegarder le régime climatique. De fait, la Chine est disposée à opérer une transition vers des politiques plus écologiques, car le pays fait face à une grave crise environnementale due à un développement économique incontrôlé[18]. En outre, Pékin considère le semi-isolationnisme de Trump comme une opportunité pour prendre une position de leader et d'accroître son influence sur la scène mondiale en légitimant son concept de "neutralité du régime[19]".

Il existe donc un fort potentiel pour le renforcement du partenariat entre l'UE et la Chine dans le cadre du régime climatique. En effet, les deux puissances ont travaillé en étroite collaboration au cours des dernières COP et ont publié une déclaration commune pour soutenir l'Accord de Paris suite à l'annonce de retrait des États-Unis. L'UE étant le premier partenaire commercial de la Chine, et la Chine étant le deuxième partenaire commercial de l'UE, elles ont déjà établi des relations de travail étroites sur de nombreux sujets. Depuis 2003, la Chine et l'UE ont participé à un agenda stratégique de coopération, qui prévoit des sommets annuels couvrant un large éventail de sujets, allant du commerce à la sécurité. Cet agenda a servi de base pour le développement de divers cadres de coopération spécifiquement sur les questions environnementales, dont le partenariat sur le changement climatique depuis 2005, le dialogue sur la politique environnementale au niveau ministériel, ainsi que la feuille de route sur la coopération énergétique UE-Chine en 2016. Bien qu'elles soient très importantes, ces différentes plateformes se sont concentrées avant tout sur le dialogue et le partage d'informations plutôt que sur des questions de politiques concrètes. Ainsi, il serait utile de réformer les mécanismes de coopération sino-européens afin qu'ils produisent des résultats concrets liés au processus des Conférences des Parties. Néanmoins, même s'il est essentiel pour l'UE et la Chine de renforcer leur partenariat afin de sauvegarder l'Accord de Paris, l'Europe ne peut pas simplement ignorer le sujet des droits de l'Homme. Cela irait à l'encontre de ses valeurs démocratiques fondamentales. Ainsi, l'UE doit trouver un juste équilibre en renforçant sa coopération avec la Chine, tout en critiquant si nécessaire l'autoritarisme croissant du régime communiste.

En raison du fait que le changement climatique représente un problème mondial, le double leadership sino-européen, bien qu'indispensable, ne suffira pas à lui seul. Toutes les nations doivent participer activement, sinon il existe un fort risque de "free-riding", cas où un pays ou un groupe de pays profitent des efforts de tous les autres sans fournir d'efforts eux-mêmes. L'UE devrait s'appuyer sur son expérience de médiateur pour créer des liens entre les pays développés et ceux en voie de développement afin de construire un réseau solide de partenariats internationaux sur le climat et assurer ainsi une adhésion mondiale vis-à-vis de l'Accord de Paris. En premier lieu, les engagements climatiques des pays développés sont souvent très étendus et juridiquement contraignants, et continuent donc à jouer un rôle clé dans le régime climatique. Par conséquent, le développement de partenariats climatiques avec des pays prospères tels que le Canada et le Japon demeure très important. L'UE a signé un accord de libre-échange avec le Canada en octobre 2016 ; de même, elle a conclu des négociations commerciales avec le Japon en juillet 2017. Ces accords de libre-échange contiennent plusieurs clauses sur le commerce et l'investissement dans le domaine des biens et services environnementaux. Celles-ci comprennent la libéralisation tarifaire pour les produits liés à l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, pouvant établir la base d'une coopération plus soutenue en matière de politique climatique. Néanmoins, plusieurs analystes ont critiqué ces clauses environnementales en observant qu'elles ne s'accompagnent pas de mécanismes efficaces pour leur mise en vigueur et qu'elles risquent d'être contournées en raison de la création d'un système de justice parallèle et privé. Ces questions devront être abordées dans les années à venir lors de la mise en application de ces accords de libre-échange[20].

Assurer un engagement mondial et un cadre juridique solide pour le régime climatique

L'un des plus grands changements dans le régime climatique au cours de la dernière décennie a sans doute été la montée en puissance des pays en développement. Le Protocole de Kyoto imposait des objectifs contraignants uniquement aux pays développés, car les pays en développement étaient protégés en vertu du principe des "responsabilités communes mais différenciées[21]". Cependant, en raison de leur croissance économique rapide, certains pays en développement sont devenus des émetteurs de GES majeurs et doivent donc être intégrés au sein du régime climatique. L'Europe a contribué activement à trouver des solutions de compromis jugées équitables par les pays en développement afin de convaincre ces derniers de ratifier l'Accord de Paris. Ce succès est dû en partie au fait que l'UE a été le plus grand donateur au monde pendant plusieurs décennies, lui permettant de constituer un solide réseau de partenariats avec les pays en développement, principalement dans les régions de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). En outre, l'UE est aussi le leader mondial du financement de la lutte contre le dérèglement climatique depuis de nombreuses années, fournissant une assistance monétaire et technique étendue, notamment au niveau du transfert de technologies pour aider les pays en développement à diminuer leurs émissions et à s'adapter aux effets du changement climatique (les pays pauvres sont en effet les plus vulnérables). L'UE participe à une multitude de plateformes internationales pour le financement climatique comme le "Fonds vert pour le climat", et s'appuie sur l'aide financière et technique pour inciter les pays en développement à signer des engagements dans ce domaine. De fait, le rôle de l'Europe en tant que leader mondial du financement climatique est en passe de prendre une importance particulière à la suite du retrait des États-Unis de l'Accord de Paris[22].

Les nations émergentes membres du BRICS ont suivi une évolution semblable. L'Inde, par exemple, a connu plusieurs décennies de forte croissance, devenant le quatrième émetteur mondial de GES (après la Chine, les États-Unis et l'UE). Le Premier ministre indien Narendra Modi a confirmé son soutien indéfectible à l'Accord de Paris suite à l'annonce du retrait américain. L'Inde, qui a une longue tradition d'activisme environnemental, cherche à jouer un rôle de premier plan dans le régime climatique afin de renforcer son influence sur la scène internationale. Après la mise en place d'un partenariat stratégique en 2004, l'UE a renforcé ses liens avec l'Inde par le biais de sommets annuels couvrant de nombreux sujets, y compris les questions environnementales. Cela inclut l'initiative sur le développement propre et le changement climatique, le forum UE-Inde sur l'environnement, ainsi que le partenariat pour une énergie propre et le climat signé lors du sommet de 2016. Toutefois, à la différence du dialogue sur la politique environnementale entre l'UE et la Chine, il n'existe pas pour l'instant de cadre institutionnalisé permettant une coopération bilatérale au niveau ministériel entre l'UE et l'Inde sur les questions climatiques et environnementales. Par conséquent, il serait utile d'instituer des réunions officielles et régulières entre le commissaire européen à l'action pour le climat et son homologue indien afin de consolider leur partenariat au sein du régime climatique. En outre, la coopération entre l'Europe et l'Inde est facilitée par le partage de valeurs démocratiques communes. Ainsi, à mesure que l'économie indienne poursuit sa croissance, le partenariat UE-Inde deviendra probablement crucial pour l'avenir du régime climatique mondial.

L'Europe devrait également chercher des moyens pour renforcer le cadre juridique du régime climatique. En effet, même s'il garantit un niveau global d'engagements des pays développés et en développement, l'Accord de Paris, comme de nombreux accords environnementaux, n'est pas juridiquement contraignant. Il s'agit d'un "accord plus contraignant sur la forme que sur le fond[23]". Cela n'est pas surprenant, car le régime climatique a toujours souffert de la faiblesse des mécanismes pour la mise en application des traités. Par conséquent, l'initiative du président Macron de proposer un nouveau Pacte mondial pour l'environnement constitue un pas dans la bonne direction. L'objectif du Pacte est de fournir "un texte juridique global rassemblant les principes fondamentaux du droit de l'environnement", et visant à devenir la "pierre angulaire du droit international de l'environnement[24]". Le Pacte mondial deviendrait un traité juridiquement contraignant qui pourrait être invoqué devant les juridictions nationales pour demander des comptes aux États sur les questions environnementales. L'UE doit veiller à ce que les États membres ratifient rapidement ce pacte afin de renforcer sa crédibilité en tant que leader du régime climatique. En outre, l'Europe devrait s'appuyer sur son vaste réseau de partenariats environnementaux avec des pays développés et en développement afin de renforcer le soutien au Pacte mondial. Un tel effort contribuera à assurer sa ratification lorsqu'il sera soumis à l'Assemblée générale des Nations Unies.

***

En conclusion, l'Europe peut et doit devenir le gardien de l'Accord de Paris sur le changement climatique. À la suite du désengagement américain, il y a un vide dans le régime climatique mondial qui doit être comblé. L'UE et ses États membres ont la capacité d'exercer leur leadership en montrant l'exemple, puisqu'ils sont en passe de promulguer certaines des législations environnementales les plus ambitieuses au monde. Cependant, il faudra aborder les problèmes de coordination entre les États membres et les institutions européennes relevant des compétences partagées, ainsi que les contradictions éventuelles entre les politiques climatiques et de sécurité énergétique. L'UE a commencé à se positionner au cœur du régime climatique mondial en tissant un vaste réseau de partenariats internationaux avec des pays développés et en développement. Néanmoins, il sera nécessaire que l'Europe renforce sa cohésion lors des négociations climatiques afin de pouvoir parler d'une seule voix sur la scène internationale. De même, il est important que l'UE travaille au renforcement du cadre juridique pour le régime climatique mondial. Il existe un fort potentiel pour que l'Europe développe à la fois ses politiques internes ainsi que sa diplomatie climatique, étant donné que les enquêtes d'opinion indiquent des niveaux élevés et constants de soutien populaire sur ces questions à travers l'UE.[25]

Dans l'ensemble, l'Europe a probablement besoin du régime climatique de la même manière que le régime climatique a besoin de l'Europe. En effet, le changement climatique représente un problème majeur susceptible de renforcer l'unité européenne, étant donné que la plupart des États membres conviennent que des mesures doivent être prises dans ce domaine. De plus, si l'UE parvient à adopter une législation environnementale ambitieuse, cela permettra d'attirer des investissements écologiques et des capitaux internationaux, contribuant ainsi à consolider la reprise économique en Europe. Par ailleurs, la diplomatie climatique a également permis à la politique étrangère naissante de l'UE de connaître des succès tangibles. Malgré des faiblesses dans d'autres domaines, les négociations sur le climat représentent une opportunité pour l'Europe de renforcer sa présence sur la scène internationale. Parallèlement, le régime climatique a aussi besoin de l'Europe car sinon, à la suite du désengagement américain, la Chine risque de combler le vide et d'assumer seule le rôle de leadership mondial. Si un gouvernement autoritaire venait à dominer le régime climatique, cela pourrait avoir un impact sur sa légitimité à long terme. Ainsi, le leadership européen est nécessaire pour équilibrer le pouvoir de la Chine et défendre les valeurs démocratiques au sein du régime climatique. L'Europe, en raison de sa nature même, est idéalement positionnée pour contribuer à promouvoir ces valeurs. Les négociations sur le climat ne requièrent aucune sorte de puissance militaire, mais plutôt des compétences diplomatiques subtiles. En tant que puissance normative, l'UE peut s'appuyer avec succès sur des outils tels que la diplomatie multilatérale afin d'influer sur l'agenda climatique international et devenir le gardien de l'Accord de Paris.


[1] Entre 1990 et 2014, les émissions européennes ont diminué de 23%, tandis que le PIB a augmenté de 46%. Contrairement à l'industrie lourde, la transition verte de l'économie a généré des nouveaux emplois et a stimulé la croissance dans divers secteurs tels que les énergies renouvelables.
[2] Après l'annonce par la Syrie de son intention de signer l'Accord de Paris, les États-Unis sont devenus le seul pays au monde qui ne fera pas partie de l'Accord. En effet, même la Corée du Nord l'a ratifié en promettant de diminuer ses émissions. Voir: Taylor A., North Korea slams Trump's decision to pull out of Paris accord as 'the height of egotism', The Washington Post, 7 juin 2017.
[3] L'Europe a joué un rôle essentiel lors du sommet de la Terre de Rio en 1992 avec la création de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), insistant sur l'adoption d'objectifs et de calendriers précis. Par la suite, l'UE a contribué à la négociation de la Convention de Rotterdam de 1998 sur les produits chimiques et les pesticides dangereux, au Protocole de Carthagène de 2000 sur la prévention des risques biotechnologiques, ainsi qu'à la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants.
[4] Les scientifiques estiment que les contributions nationales de toutes les parties réunies entraîneraient probablement encore un réchauffement global de 2,7 °C d'ici la fin du siècle - d'où l'importance des réunions quinquennales qui vont débuter en 2023 et progressivement réviser les engagements à la hausse au fil du temps.
[5] L'objectif de 2020 (une réduction de 20%) a été dépassé à la fin de 2014, lorsque l'UE a réalisé une réduction de 23%. Les dernières projections indiquent que l'UE se dirige vers une baisse de 24 à 25% d'ici 2020. Voir: Commission européenne - Communiqué de presse, EU shows leadership ahead of Paris with 23% emissions cut, octobre 2015.
[6] La neutralité carbone peut être définie comme suit: "...ne pas entraîner d'ajout net de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ... contrebalancer les émissions de dioxyde de carbone par des compensations carbone". Voir: Merriam-Webster online dictionary, 'carbon–neutral'.
[7] Vogler J., chapitre 12: "The Challenge of the Environment, Energy and Climate Change", extrait de Hill C., Smith M. et Vanhoonacker S., International Relations and the European Union (3e édition, 2017), Oxford University Press, p. 283.
[8] Trannoy A. et Aussilloux V., Pour une Europe leader de la transition énergétique, Télos, 2017.
[9] En 2014, le précédent gouvernement de la gr+ande coalition a approuvé un programme d'action pour le climat afin de soutenir des mesures supplémentaires pour atteindre ses objectifs de 2020 ; de même, un plan pour le climat a été annoncé en 2016 pour accélérer la mise en œuvre des objectifs de 2030, 2040 et 2050, et respecter les engagements allemands dans le cadre de l'Accord de Paris.
[10] En raison de la part importante de l'énergie nucléaire dans son mix énergétique (75% en 2016), la France a toujours eu un taux relativement faible d'émissions de GES par rapport à la taille de son économie. Cependant, l'énergie nucléaire reste controversée, en particulier depuis l'incident de Fukushima en 2011 au Japon.
[11] À long terme, afin de pouvoir promulguer une législation environnementale de plus grande portée, il pourrait s'avérer nécessaire de transférer davantage de compétences à Bruxelles en matière de politiques climatiques et énergétiques.
[12] L'article 3 du traité sur l'Union européenne dresse la liste des objectifs de l'UE: "Un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement" est l'un des objectifs de l'Union, qui doit également "contribuer au développement durable de la planète".
[13] La sécurité énergétique peut être définie comme "la disponibilité de sources d'énergie suffisantes à des prix abordables". Voir : Hill, p.275.
[14] Cela inclut la DG de l'Action pour le Climat, la DG de l'Énergie, ainsi que la DG de l'Environnement.
[15] Par exemple, le coût des batteries dans les véhicules électriques a diminué de 80% depuis 2008 et celui de l'énergie éolienne en mer a diminué de plus de 50% au cours des trois dernières années en Europe du Nord. 2016 a également été la première année où les énergies renouvelables ont dépassé le charbon en tant que source de production d'électricité. Voir: The Economist, The Burning Question: With or without America, self-interest will sustain the fight against global warming, 26 novembre - 2 décembre 2016.
[16] L'ancien secrétaire d'État américain Rex Tillerson a expliqué lors d'une interview en septembre 2017 que Trump pourrait changer d'avis sur l'Accord de Paris "si nous pouvons tomber d'accord sur une série de propositions que nous croyons justes". Néanmoins, le Parti républicain dans son ensemble reste très sceptique sur le changement climatique, en partie à cause de la pression exercée par de puissants lobbies. De même, l'administration Trump s'est engagée dans une politique de démantèlement de l'Agence américaine pour la protection de l'environnement.
[17] Bien que le Conseil des affaires étrangères de l'UE ait adopté un plan d'action sur la diplomatie climatique en 2015 destiné à mieux utiliser les dispositions du traité de Lisbonne en matière de diplomatie climatique, cela demeure insuffisant.
[18] Par exemple, à peu près 1,6 million de Chinois meurent chaque année en raison de la pollution. Voir: Rohde R. A. et Muller R. A., Air Pollution in China: Mapping of Concentrations and Sources, Berkeley Earth, 2015.
[19] Cela implique de déconnecter les bons comportements sur la scène internationale de la politique intérieure, légitimant ainsi l'autoritarisme et discréditant l'idée qu'une politique étrangère libérale émane nécessairement d'un régime démocratique. Voir: Nathan A. J., The Authoritarian "Big Five", China's Challenge, issu de "Authoritarianism Goes Global, The Challenge to Democracy", édité par Diamond L., Plattner M. F. et Walker C., The John Hopkins University Press, 2016, pp. 23-39.
[20] Le système des tribunaux d'arbitrage a été accusé d'affaiblir les tribunaux ordinaires en donnant la priorité aux intérêts des entreprises en ce qui concerne les clauses environnementales et sociales du traité. Voir: CETA and the environment: a gold standard for the planet or for big business?, Une étude de Transport & Environment et Client Earth, 2016.
[21] Cela fait référence au fait que les pays développés doivent prendre l'initiative quant à la réduction de leurs émissions de GES, étant donné que les pays en développement peuvent avoir besoin de plus de latitude pour soutenir leur économie. Les GES ont une durée de vie allant jusqu'à 100 ans, de sorte qu'il existe aussi une question de contribution historique au changement climatique.
[22] L'Accord de Paris prévoyait jusqu'à $100 milliards d'aide financière par an à partir de 2020 pour soutenir les pays en développement, et les États-Unis s'étaient engagés à fournir la plus grande part de cette contribution.
[23] Voir : Hill, p. 285.
[24] "[Ce pacte] viendra ainsi compléter l'édifice juridique des normes fondamentales : après les deux pactes internationaux de 1966 (l'un relatif aux droits civils et politiques, l'autre relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), il consacrera une troisième génération de droits fondamentaux, celle touchant à l'environnement". Voir: Le Club des Juristes, Vers un Pacte mondial pour l'environnement, 24 juin 2017.
[25] Selon une enquête de l'Eurobaromètre, 91% des citoyens de l'UE considèrent le changement climatique comme un problème grave, 69% comme un problème "très grave" et 22% comme un problème "assez sérieux". De même, la plupart des personnes (93%) sont d'accord pour dire que le changement climatique ne sera efficace que si tous les pays du monde agissent ensemble. Voir : Rapport spécial de l'Eurobaromètre sur le changement climatique (n° 435), enquête réalisée par TNS political & social à la demande de la Commission européenne, DG de l'Action pour le climat, juin 2015.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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