Démocratie et citoyenneté
Corinne Deloy,
Gaël Brustier,
Fabien Escalona
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ENCorinne Deloy
Gaël Brustier
Fabien Escalona
En premier lieu, Corinne Deloy traite des dynamiques internes aux familles de la droite chrétienne-démocrate et libérale. Historiquement, ces dernières ont œuvré au processus d'intégration européenne en collaboration avec la famille sociale-démocrate, couverte par Fabien Escalona qui traite ensuite des deux autres familles de gauche siégeant au Parlement (les Verts et la gauche radicale), qui présentent un caractère plus jeune et/ou plus oppositionnel par rapport à l'Union. Ces deux traits sont aussi affirmés à des degrés divers au sein des partis de droites radicale et extrême, couvert par Gaël Brustier.
Il ressort de ce bilan un tableau contrasté, où se mêlent d'un côté des évolutions remarquables aux marges de l'espace politique européen et une réduction du poids relatif des grands partis de gouvernement traditionnels, et de l'autre une certaine continuité en termes d'équilibres droite/gauche et surtout de contrôle du Parlement par le " bloc central " des chrétiens-démocrates, libéraux et sociaux-démocrates. Dans le contexte d'une Europe en crise(s), tout se passe comme si les signes s'accumulaient d'une désaffection croissante des corps sociaux envers leurs systèmes politiques nationaux et celui de l'Union, sans que le fonctionnement de ces derniers en soit bouleversé.
Une autre leçon semble se dégager de la constitution des groupes. Leur hétérogénéité interne apparaît accrue, ce qui se traduit par une faible concordance entre leurs frontières et celles des familles politiques qu'ils sont censés représenter. Celles-ci sont en effet fondées sur une profondeur socio-historique et un legs idéologique que ne partagent pas forcément tous les membres actuels des différents groupes. Ce phénomène est à relier à l'afflux important d'élus de nouveaux partis, que les groupes existants avaient intérêt à recruter pour s'assurer soit de leur propre existence, soit d'un poids accru au Parlement.
Introduction
La stabilité est la première impression qu'offre la nouvelle Assemblée issue du scrutin des 22-25 mai 2014. La droite de gouvernement a recueilli 37,8% des suffrages en moyenne européenne, soit un recul de 6,7 points par rapport aux élections de juin 2009. L'extrême droite a obtenu 6,6% des voix, un résultat équivalent à celui d'il y a cinq ans, qui cache des grandes disparités d'un pays à l'autre. L'ensemble des droites a donc atteint 44,4% des suffrages (- 6,7 points) tandis que les forces de gauche, déjà faibles en 2009, ont poursuivi leur recul. Avec 30,1% des voix, elles ont atteint en 2014 leur résultat le moins élevé à un scrutin européen. La gauche radicale a progressé d'un point et la gauche de gouvernement chuté de 2,7 points. Les Etats membres gouvernés par la gauche (Bulgarie, Croatie, Danemark, France, Lituanie, Slovénie) ont été davantage touchés par le vote sanction que ceux de droite.
Les forces de la droite de gouvernement se sont imposées dans les 2/3 des Etats membres, remportant la majorité absolue dans 4 (Pologne, 70,8% ; Lettonie, 68% ; Luxembourg, 52,3% et Hongrie, 51,4%). Les 3 principaux groupes de droite du Parlement européen ont cependant enregistré un recul à l'issue des élections de 2014, et les deux groupes pro-européens - le Parti populaire européen (PPE) et l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE) - ont fait élire 288 députés, un chiffre très au-dessous de la majorité du parlement (376). Si le PPE a conservé sa place de premier parti européen avec 29,4% des suffrages et 221 députés, il a perdu 53 élus par rapport à 2009.
Malgré cette érosion, le groupe " Socialistes & démocrates " (S&D) a échoué dans son pari de devenir la première force politique de l'Assemblée de Strasbourg. En revanche, les franges radicales ou extrêmes de la droite comme de la gauche ont progressé ou résisté, de même que de nombreux partis échappant à l'opposition droite/gauche. Le scrutin de 2014 apparaît donc comme une illustration d'une tendance plus générale du déclin des partis de gouvernement[1], et malgré les difficultés, la droite continue de dominer structurellement la gauche au niveau européen.
A l'issue du scrutin, 9 nouveaux élus n'appartiennent à aucun groupe politique, tandis que 43 sont non-inscrits. Le nombre de sièges du parlement est inférieur (de 15) à celui de l'Assemblée sortante en vertu du traité de Lisbonne.
1. Les droites européennes
1.1. Le Parti populaire européen
Fondé en 1976, le PPE est le premier groupe du Parlement depuis 1999. Il est également majoritaire au sein du Conseil européen qui rassemble les 28 chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres (12 représentants). Il compte 9 représentants dans la Commission sortante où il détient, outre la présidence, des portefeuilles importants tels que le Marché intérieur et les services, la Programmation financière et le Budget, ou encore l'Energie.
Le PPE s'est constitué comme une fédération de partis démocrates-chrétiens. Au fil du temps et des élargissements, il a accueilli en son sein, nonobstant le risque d'affaiblir l'identité du parti, des partis dépourvus de tradition chrétienne-démocrate. Pour l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande qui dominait le parti, la cohérence importait moins que le nombre de partis que celui-ci pouvait accueillir, l'objectif étant de faire du PPE le premier parti du Parlement européen.
Le rapport à l'intégration européenne et la campagne
Le PPE a ainsi beaucoup œuvré pour l'élargissement, voyant dans l'arrivée en son sein de partis de droite et de centre-droit issues des pays d'Europe centrale et orientale l'occasion de se renforcer aux dépens de son rival socialiste[2]. Au fil des années, les tensions entre intégrationnistes et souverainistes au sein du PPE sont devenues de plus en plus vives. Ces tensions ont conduit les partis hostiles à la poursuite de l'intégration européenne à faire scission en 2009.
Parti de centre-droit favorable à l' " économie sociale de marché " (qui conjugue compétitivité et liberté d'entreprise avec des principes de justice sociale), le PPE regroupe 72 partis pro-européens des 28 Etats membres et de 12 autres pays. Le groupe parlementaire affiche une forte cohésion interne (92,6%)[3] et sa puissance réelle au sein de l'hémicycle est supérieure (de 2,1 points) à son pouvoir nominal[4].
En 2014, il a fait campagne en s'appuyant sur son bilan à la tête de l'Union. Le PPE se présente comme un " parti du gouvernement responsable " qui a " préservé la zone euro et jeté les bases de la relance économique ". Il met l'accent sur la nécessité de réformer les marchés financiers ; la poursuite de l'aide aux entreprises; l'investissement dans la recherche et le développement ; l'unification du marché du numérique et la création d'une union européenne de l'énergie. Le PPE est également favorable à l'institution de standards sociaux minima. Il souhaite renforcer la coopération entre les Etats membres, notamment sur la gestion des frontières de l'Union, et développer un partenariat commercial transatlantique fort[5].
L'ancien Premier ministre du Luxembourg (1995-2013), Jean-Claude Juncker, a été désigné candidat du PPE à la tête de la Commission européenne lors du congrès de Dublin des 6-7 mars derniers. Symbole de l'Europe de la consolidation budgétaire, l'ex-président de l'Eurogroupe (2005-2013), opposé à toute taxe sur les transactions financières et très réservé quant à une harmonisation fiscale, prône la poursuite de l'assainissement des finances publiques, selon lui indispensable pour regagner la confiance des investisseurs, et in fine relancer la croissance.
Les résultats
Le PPE est arrivé en tête des élections européennes dans 14 des 28 Etats membres. A l'exception de la Roumanie et de la Slovaquie, les forces de droite ont réalisé un carton plein dans les anciens pays communistes. Les récents événements d'Ukraine semblent avoir renforcé les partis de gouvernement, très majoritairement de droite dans cette partie de l'Europe où la menace de Moscou est ressentie plus fortement qu'ailleurs. La chose est particulièrement notable en Lettonie et Lituanie. En outre, dans les anciens pays communistes, les forces de droite se sont souvent positionnées sur un créneau autoritaire, voire populiste (Hongrie, Bulgarie), et sont parvenues à occuper l'espace politique de partis plus extrémistes, jusqu'à étouffer en partie ces derniers.
Si les deux principaux partis allemands qui partagent le pouvoir à Berlin ont dominé le scrutin et progressé, la CDU a largement devancé (de 8 points) le SPD, avec 35,3% des suffrages. La droite allemande est sortie victorieuse du scrutin en dépit de la poursuite de la déroute des libéraux du FDP et de la suppression du seuil de 3% pour être représenté. Cette dernière disposition a permis l'entrée à l'Assemblée de Strasbourg de " petits " partis et aurait fait perdre, selon les analystes, entre 5 et 7 sièges à la CDU.
En Autriche, l'ÖVP a aussi devancé le SPÖ du chancelier Walter Faymann. En Finlande, le Kokoomus, KOK, a dominé le scrutin. En Espagne, le parti populaire (PP) de Mariano Rajoy s'est imposé avec 26% des voix. En dépit d'un recul de 16 points, il est parvenu à devancer le PSOE. En Lettonie, Unité (V), parti de la Premier ministre Laimdota Straujuma, a nettement dominé les élections, en remportant 46% des voix et 4 élus, les nationalistes de TB/LNNK obtenant la 2ème position avec 14% des suffrages. La situation est identique en Hongrie, où la FIDESZ-MPP du Premier ministre Viktor Orban a obtenu la majorité absolue, moins de 2 mois après sa victoire aux élections législatives.
Premier parti d'Europe, le PPE a néanmoins essuyé deux défaites. En Italie, Angelino Alfano, dirigeant du Nouveau Centre droit, a subi un revers (4,3%) et Forza Italia a recueilli 16,8% des voix, soit la moitié de son résultat de 2009. Le parti ne conserve que 14 élus, après avoir été affaibli par les condamnations de Silvio Berlusconi. Largement distancée par le parti du président du Conseil Matteo Renzi, la droite italienne a perdu au total 17 de ses élus PPE. En France, l'UMP a été devancée par le FN et a perdu un tiers de ses députés européens. Dépourvue de leader, de programme et de vision, la droite française a été quasiment inaudible durant une campagne dominée par Marine Le Pen, dont le résultat met à jour la forte défiance des Français à l'égard de l'ensemble de la classe politique.
1.2. L'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe
L'ADLE rassemble depuis 2004 l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe et le Parti démocrate européen. Elle regroupe 58 partis issus de 22 Etats membres et de 13 autres pays européens. La Déclaration de Stuttgart de 1976 est la charte fondatrice du groupe. Elle est favorable à plus d'Europe : développement de l'intégration, défense des droits de l'Homme et des libertés, notamment la liberté de circulation au sein de l'Union. Pour eux, le développement de la croissance économique et la réduction des inégalités passent par une plus grande intégration des marchés ainsi que la création et le renforcement d'une union économique et monétaire.
La droitisation du PPE, consécutive à l'intégration de partis au fil des différents élargissements a permis â l'ADLE de s'afficher comme plus fédéraliste et libérale au Parlement européen, notamment sur les questions de société[6]. L'ADLE a cependant connu des défections importantes (départ du PSD portugais et de l'UDF française dans les années 1990, jusqu'à celui du PD italien pour le Parti socialiste européen en 2009), qui font s'interroger encore sur la capacité du parti à attirer de nouveaux partenaires. Elle était en 2009 la 3e force du Parlement et comptait 8 commissaires européens. Elle n'est plus qu'en 4e position.
La campagne et les résultats
En 2014, l'ADLE a désigné l'ancien Premier ministre belge (1999-2008) Guy Verhofstadt comme candidat pour la présidence de la Commission. L'ALDE a fait campagne pour une plus grande intégration des marchés financiers mais aussi pour la simplification et la réduction des réglementations européennes, des subventions agricoles et du nombre de domaines de compétence de la Commission. Elle propose d'ailleurs d'organiser un audit de l'ensemble des organismes européens, tout comme elle veut instaurer un mécanisme chargé de surveiller l'effectivité des droits fondamentaux en Europe. Elle est favorable à la signature d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis comme avec les autres grandes régions économiques du monde[7]. le Parti démocrate européen demande l'élection d'un président unique de l'Union européenne au suffrage universel direct, la mise en place d'un droit du travail européen et d'un Small Business Act européen, qui permettrait de réserver une partie des commandes publiques aux PME européennes.
L'ADLE a remporté les élections européennes dans 4 Etats membres : Le parti du ministre des Finances, ANO 2011, est arrivé en tête en République tchèque (16,1%, 4 sièges), où grâce aux résultats de TOP 09 et de KDU-CSL, l'ADLE et le PPE ont connu leur plus forte progression. En Estonie, les forces de droite au pouvoir se sont imposées avec 38,2% des suffrages au total : pour l'ADLE, le parti du Premier ministre Taavi Roivas a remporté 2 sièges et le Parti du centre a obtenu un siège supplémentaire. Aux Pays-Bas, la droite a totalisé 42% des suffrages. Le CDA (PPE) a recueilli 15,1% des suffrages. En Belgique, les deux partis libéraux (Open VLD et MR) ont remporté chacun 3 sièges.
Les libéraux ont enregistré une forte baisse dans 2 Etats membres : au Royaume-Uni où les Libéraux-Démocrates, partenaires de David Cameron au gouvernement, ont perdu 11 de leurs 12 élus; et en Allemagne, où les libéraux du FDP n'ont pu conserver qu'un quart de leurs députés européens et sont passés de 12 à 4 sièges. Les libéraux ont aussi perdu leurs 5 sièges en Roumanie à la suite du changement d'affiliation du Parti national-libéral (désormais au PPE)
1.3. Les Conservateurs et réformistes européens
Créé quelques jours avant les élections européennes de 2009 après la décision du Parti conservateur britannique et de l'ODS tchèque de quitter le PPE, l'Alliance des Conservateurs et réformistes européens (CRE) était la 5e formation du Parlement sortant. Elle ne constitue pas un groupe à proprement parler mais fonctionne davantage comme une association qui rassemble 16 partis de la droite conservatrice et souverainiste, issus de 10 Etats membres de l'Union et de 4 autres pays européens.
La Déclaration de Prague (2009) est la charte fondatrice du groupe. Le texte plaide pour une réforme radicale de l'UE, défend la préservation de la souveraineté et de l'intégrité de l'Etat-nation et la défense du lien entre l'Europe et l'OTAN. Favorable à une réglementation minimale des entreprises, une imposition réduite et une limitation du gouvernement, le groupe est libéral sur le plan économique mais conservateur sur les questions de société.
Opposés au traité de Lisbonne, le CRE avait choisi de ne pas présenter de candidat pour la présidence de la Commission européenne. En effet, pour ces eurosceptiques, il n'existe pas d'espace politique européen dans lequel les citoyens et les élus pourraient se réclamer d'une souveraineté similaire à celle existant au niveau national.
Le PPE et le CRE aiment à se dire complémentaires et unis dans l'opposition aux forces de gauche. Les relations entre les deux groupes sont cependant fluctuantes. Une partie des membres du PPE ont à plusieurs reprises critiqué l'instabilité de CRE, notamment sur les positions de David Cameron à l'égard de l'appartenance de son pays à l'UE. Les négociations actuelles autour de la candidature de Jean-Claude Juncker pour la présidence de la Commission sont un bon exemple des importantes différences de vision existant entre les deux groupes.
Les résultats
Les deux principaux partis du groupe ont essuyé des échecs cinglants. Annoncée, la victoire du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) au Royaume-Uni a cependant créé l'événement, puisque c'est la première fois qu'un autre parti que les conservateurs ou les travaillistes remportait un scrutin national depuis 1918. Les Tories de David Cameron sont arrivés en 3e position (23,3%) et ont perdu 7 sièges. Les promesses de référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l'UE et, au préalable, d'une renégociation des termes du traité d'adhésion de Londres, n'auront pas réussi à entraver la montée de l'UKIP.
En République tchèque, le Parti démocrate-civique (ODS), qui n'est plus l'ombre de lui-même, a lourdement chuté et est passé de 9 à 2 élus. En revanche, en Pologne, Droit et justice (PiS) a recueilli 31,7% des voix et remporté 19 sièges, soit +7 par rapport à 2009. Le CRE peut également se féliciter du résultat de l'AfD en Allemagne (7% des suffrages et 7 sièges), qui a choisi de rejoindre le groupe dont le parti allemand devient la troisième force.
Enfin, les 4 élus des nationalistes flamands de la N-VA, arrivée en tête des élections européennes en Belgique, ont rejoint le groupe.
1.4. Perspectives
Les 22-25 mai derniers, la droite a de nouveau gagné la bataille de la crédibilité. Dans la plupart des Etats membres, elle apparaît comme la mieux à même de gérer la crise économique et de faire face aux bouleversements que connaissent les sociétés européennes. Pragmatique, la droite a subtilisé les idées (demande de régulation, de moralisation et de réforme du capitalisme) d'une gauche qui, en panne de projet, n'a pas eu d'autre choix que de se rallier à la politique d'austérité qu'elle ne propose que de modifier à la marge.
Sa victoire au scrutin européen, mais aussi sa première place au sein du Conseil européen et de la Commission, permettent au PPE de revendiquer la présidence de cette dernière. Jean-Claude Juncker est a priori bien placé pour succéder à José Manuel Barroso. L'Europe restera donc marquée à droite et devrait poursuivre une politique de rigueur budgétaire et de consolidation des finances publiques. " On ne fonde pas la croissance sur de la dette qui s'accumule ", a clairement déclaré l'ancien président de l'Eurogroupe durant la campagne.
2. La gauche sociale-démocrate
La social-démocratie est une des familles européennes de l'UE. Son organisation à l'échelle européenne est ancienne et complète. Les partis sociaux-démocrates se sont réunis d'abord au sein de l'Union des partis socialistes de la Communauté européenne en 1974, puis dans le Parti des socialistes européens (PSE) en 1992. Au sein du groupe S&D au Parlement, leur cohésion de vote est élevée, puisqu'elle a atteint plus de 90% lors de la législature 2009-2013[8].
2.1. L'état de la famille sociale-démocrate
La famille sociale-démocrate contemporain est présente dans certains pays membres de l'UE. Elle fait preuve d'une grande capacité d'adaptation aux mutations qui ont touché les sociétés européennes durant les dernières décennies. Les partis les plus anciens ont en effet réussi à préserver leur statut de principale force d'alternance, malgré la réduction des effectifs de la classe ouvrière et le déclin du paradigme keynésien. D'une certaine manière, l'observation peut toutefois être étendue aux nouveaux membres: la plupart sont héritiers des anciens partis communistes des pays du bloc de l'Est et ont survécu à la transition démocratique.
Paradoxalement, la première des faiblesses de la famille social-démocrate concerne sa taille. Son élargissement lui a assuré de rester le second groupe au Parlement et d'accueillir en son sein plusieurs partis de gouvernement, mais s'est payé par une hétérogénéité accrue. Les rapprochements en termes de programmes, d'action gouvernementale et de comportements des leaders ont en effet été très modestes, d'autant que la nouvelle composante orientale de la social-démocratie est elle-même très diverse[9]. Une seconde grande faiblesse concerne l'affaiblissement structurel de la composante la plus ancienne de la social-démocratie en Europe occidentale. Un processus continu d'érosion électorale et militante s'est en effet déroulé depuis une trentaine d'années et a tendance à s'accélérer. Une 3e faiblesse importante concerne sa capacité d'innovation idéologique. Aucune proposition comparable à la défunte " Troisième Voie " n'a émergé ces dernières années. Depuis l'entrée en crise, les propositions d'alternatives restent trop peu coordonnées et insuffisantes au regard des enjeux[10].
En résumé, la social-démocratie européenne est une famille recomposée mais largement artificielle, qui rassemble sous le même toit deux branches principales. La première est occidentale. Elle détient la plus grande longévité et présente le plus haut degré d'homogénéité, mais subit une crise latente de sa représentativité, de son influence et de son identité. La seconde est orientale. Elle est à la fois plus récente et plus hétérogène dans ses traits idéologiques, sociologiques et organisationnels, et il paraît prématuré de décréter achevée sa phase de constitution.
2.2. Le rapport à l'intégration européenne et la campagne électorale
Les sociaux-démocrates sont incontestablement des soutiens de l'intégration européenne et appartiennent au bloc politique (avec le PPE et l'ALDE) qui en a été le propulseur. A partir des années 1980, les partis qui étaient restés hostiles à l'intégration européenne ont évolué vers une appréciation plus positive. Ce ralliement général, fondé sur l'espoir de retrouver un espace viable pour des politiques sociale-démocrates, s'est traduit par un soutien régulier aux traités successifs adoptés –de l'Acte unique au traité de Lisbonne, en passant par celui de Maastricht.
Des divisions partisanes en ont découlé, dans la mesure où le cadre européen ainsi forgé a pu être interprété comme hostile aux fondamentaux sociaux-démocrates, en raison du primat de l'intégration négative (par le marché et la concurrence) ou de la régulation de la politique monétaire par une institution indépendante du politique[11]. Cela dit, les sociaux-démocrates ont difficilement pu remettre radicalement en cause les principes directeurs de l'économie politique de l'UE, auxquels leurs dirigeants au pouvoir ont en fait largement souscrit dans les espaces nationaux. De plus, le malaise sur ce terrain a été compensé par une exaltation de l'Europe politique et sociale, dont la construction ne pouvait souffrir, selon les élites sociale-démocrates, d'un blocage de la machine communautaire[12].
Les programmes européens des sociaux-démocrates ont reflété ces tensions, en éludant de nombreux débats sur le cadre institutionnel et économique de l'UE, tout en proclamant des objectifs généraux de progrès humain et d'harmonisation fiscale, sociale et environnementale entre les Etats membres. Le manifeste produit en 2009 a toutefois représenté une vraie avancée, dans un contexte où le PSE avait su élaborer plusieurs propositions concrètes, par exemple à propos de régulation financière ou de mutualisation des dettes souveraines. Néanmoins, le faible poids général des fédérations européennes de partis, autant que l'importance du jeu intergouvernemental, ont empêché ces propositions d'être audibles et de trouver un véritable débouché institutionnel. Plus généralement, la crise n'a toujours pas permis à la social-démocratie de mieux articuler son action entre le niveau européen de gouvernement, et le niveau national, constitué d'une pluralité de communautés politiques dont les rythmes politiques et sociaux sont désynchronisés.
De ce point de vue, le manifeste électoral adopté en 2014 a même représenté un recul par rapport à celui présenté 5 ans auparavant[13]. Il peut être lu comme une illustration typique (voire caricaturale) de l'évitement des enjeux les plus cruciaux de l'intégration européenne, comme en témoigne l'absence de référence à la Banque centrale européenne. Le consensus trouvé autour de dix axes programmatiques contenant très peu de mesures concrètes, montre que le PSE reste uni mais peu intégré[14].
La campagne de 2014 a été marquée par une innovation, à savoir l'organisation de la campagne autour de la figure d'un candidat commun à la présidence de la Commission européenne. C'est Martin Schulz, social-démocrate allemand, président du Parlement européen suite à un accord avec le PPE, qui a été sélectionné par les partis membres du PSE (sans l'appui du Labour britannique, qui le jugeait trop " fédéraliste "). Le choix de sa personne est apparu logique, compte tenu de son investissement et de son rôle (et de ceux des Allemands en général) dans les institutions européennes, mais aussi controversé, dans la mesure où il incarne le caractère consensuel voire dépolitisant du système politique européen. A part en Allemagne, c'est surtout en France que la personnalité de Schulz a été le plus mise en avant, peut-être moins par conviction que par nécessité d'éviter la trop forte nationalisation d'une élection intermédiaire menaçante pour un pouvoir très impopulaire.
Le slogan choisi par le PS français -" Imposons une nouvelle croissance "- a illustré à merveille le dilemme de la social-démocratie européenne, dépendante de la bonne santé de l'économie pour avancer son agenda et satisfaire les composantes les plus populaires de son électorat. De façon générale, le PSE a choisi de cibler leurs attaques contre les chrétiens-démocrates pointés comme les premiers responsables de la crise et des mauvaises réponses qui lui ont été apportées, tout en passant sous silence son appui à plusieurs de ces réponses (surveillance des budgets nationaux, réduction de celui de l'UE). Régulation, harmonisation, adoucissement des programmes d'austérité et investissements sociaux et environnementaux à l'échelle européenne ont été mis en avant, dans des campagnes essentiellement nationales et de facture assez classique.
2.3. Les résultats
De 1979 jusqu'à 1994, la social-démocratie a été le premier groupe au Parlement européen. A partir de cette date, les partis de cette famille ont cependant enregistré des reculs, passant de plus de 27% des suffrages en moyenne dans les années 1980 à des scores inférieurs à 25% en 2004 et 2009. Lors du précédent scrutin, le groupe S&D n'a d'ailleurs obtenu qu'un quart des sièges du Parlement, alors qu'il en contrôlait plus d'un tiers 20 ans auparavant. A cet égard, les résultats obtenus cette année sont décevants pour les sociaux-démocrates. Ces derniers ne réussissent qu'à stabiliser le poids de leur groupe à un niveau modeste, tout en devant se contenter d'un second rang dont ils ne parviennent pas à s'extraire depuis 1999.
Plusieurs éléments viennent d'ailleurs assombrir le tableau " rassurant " d'une stabilisation des performances sociale-démocrates. Premièrement, si l'on considère non plus la taille relative du groupe S&D, mais la moyenne des suffrages recueillis dans les urnes, c'est une poursuite du déclin électoral qui apparaît. La moyenne générale des partis affiliés s'élève à 20,2% (contre plus de 22% en 2009) et celle des pays anciens (soit la composante la plus classique de la social-démocratie) à 19,7%, en recul significatif par rapport aux 22,4% atteints en 2009.Alors que les sociaux-démocrates des nouveaux pays membres avaient vu leur score progresser et converger avec ceux de l'Ouest il y a 5 ans, ils connaissent aussi un recul (d'environ 23% à près de 21%, une moyenne supérieure aux pays anciens mais gonflée par le cas particulier de Malte)[15]. Ni la participation au pouvoir ni l'opposition ne semblent garantir contre les décrochages électoraux, même si l'on doit observer que les scores les plus hauts ont été réalisés par certains partis au pouvoir, comme en Italie (40,8%) et en Roumanie (37,6%).
Deuxièmement, certains scores sont particulièrement inquiétants. La " côte d'alerte " pour des partis à prétention gouvernementale a en effet été atteinte dans plusieurs Etats membres. Aux Pays-Bas, les travaillistes se situent sous la barre de10%, derrière la gauche radicale et le parti D66. Les socialistes luxembourgeois approchent péniblement de la barre de 12% (contre plus de 19% il y a 5 ans), tandis que le PS français, certes habitué à des niveaux médiocres à ce type d'élections, n'a même pas atteint la barre de 14% (un point bas historique). En Hongrie et en République tchèque, des partis déjà mal en point ont vu leur score rétrécir de plus d'un tiers entre 2009 et 2014. En Grèce (-28 points), en Espagne (-15,5 points) et en Irlande (-8 points), la participation à des gouvernements " austéritaires " a été payée au prix fort. Troisièmement, dans de nombreux pays toutes zones régionales confondues, le poids de la social-démocratie au sein de la gauche s'est dilué, même là où elle a maintenu ses positions comme en Suède ou en Autriche.
Concernant les équilibres à l'intérieur du groupe S&D, l'excellente performance du PD de Matteo Renzi, désormais membre à part entière du PSE, lui permet d'en être la première délégation nationale. Avec 31 élus, celle-ci dépasse en effet les 27 députés allemands du SPD. Il faut d'ailleurs remarquer que la stabilisation du groupe social-démocrate a été permise par ce succès, qui est celui d'un parti dirigé par un leader d'origine démocrate-chrétienne ; par les bons scores de la coalition roumaine, intégrée tardivement et quelque peu artificiellement à la social-démocratie ; et par la remontée des travaillistes britanniques, hostiles à Martin Schulz et à un approfondissement de l'intégration européenne. Le groupe S&D apparaît donc comme un groupe de centre-gauche au sein duquel l'identité sociale-démocrate est de plus en plus diluée, et dont la cohésion nécessitera un vrai travail interne au regard de l'hétérogénéité qui y prévaut.
2.4. Perspectives
Malgré leurs résultats contrastés, le poids relatif des sociaux-démocrates leur confère une capacité de négociation avec les chrétiens-démocrates et les libéraux, mais la progression simultanée de la gauche et de la droite radicales incitera encore plus fortement qu'auparavant à des formes de collaboration, par-delà l'opposition droite-gauche. Le fait que la gauche, inclus le groupe GUÉ/ NGL dépasse le nombre de députés du PPE et de ALDE ne devrait jouer que sur quelques votes, car le rapprochement stratégique avec la gauche radicale est rendu délicat par des divergences idéologiques fortes. Le vieux dilemme des sociaux-démocrates n'en sera que plus aiguisé, à savoir peser dans un cadre européen peu favorable à leurs principes traditionnels, tout en cherchant à défendre leurs valeurs et à prouver leur singularité politique devant les citoyens.
Le Parlement européen ne sera cependant qu'un des terrains sur lesquels se jouera la résolution de ce dilemme. La présence et l'influence des sociaux-démocrates dans les exécutifs nationaux seront tout aussi importantes de ce point de vue. Or, ils ne détiennent dans de nombreux cas qu'un statut de partenaire minoritaire au sein des coalitions gouvernementales existantes, ou doivent composer avec des partenaires de droite qui ne partagent pas leur agenda, au contraire de ce qui se passa dans le premier après-guerre, lorsqu'il s'agissait de démocratiser les régimes avec les libéraux, ou dans le second après-guerre, lorsqu'il s'agissait de bâtir l'Etat social avec les démocrates-chrétiens. Alors que " la social-démocratie [...] se posa toujours la question des alliances dans une perspective globale : celle d'une alliance entre forces sociales, elle-même mise au service d'une stratégie de réforme des rapports sociaux "[16], plusieurs cas de coalitions traduisent l'effondrement de toute réflexion théorique à cet égard, ce qui ne facilite guère une stratégie différente et/ou cohérente au niveau européen.
3. Les Verts et la gauche radicale
Au cours des années 1990, les Verts alliés aux régionalistes ont détrôné la gauche radicale comme quatrième force politique du Parlement et comme deuxième force de gauche en son sein. L'enjeu des élections de 2014 consistait dans une possible inversion de ce rapport de forces, traduisant le dynamisme électoral récent de certains partis de gauche radicale et la difficulté pour les écologistes de réaliser d'aussi bons scores qu'en 2009 dans les pays à forts contingents parlementaires.
3.1. La famille écologiste
L'état de la famille écologiste
Les Verts sont une des rares familles politiques nouvelles à avoir émergé sur la scène politique européenne depuis l'après-guerre, à la façon d'une vague d'apparitions nationales très nette durant la décennie 1980[17]. Ses racines se situent dans les mouvements contestataires des années 1960-70, engagés notamment dans la défense des milieux de vie, contre le nucléaire, pour la paix et qui étaient généralement porteurs d'un ethos libertaire et d'une critique du productivisme.
Contrairement à la social-démocratie et à la gauche radicale, issues du clivage de classe et devant s'adapter à l'ère postfordiste, les Verts sont donc nés d'emblée comme l'expression partisane d'une urbanité alternative, tenant compte de la désindustrialisation et de la progression de valeurs culturellement libérales au sein de nouvelles couches instruites et socialisées dans un univers de relative abondance matérielle. On ne sera donc pas surpris que les études menées sur le profil-type de l'électeur écologiste conduisent à présenter celui-ci (et très souvent celle-ci) comme jeune, urbain, très instruit, " permissif " sur les questions de mœurs et très concerné par les enjeux d'environnement et de qualité de vie[18]. Ces caractéristiques expliquent la présence inégale de l'écologie politique dans les Etats membres, dans la mesure où celle-ci est rare dans les nouveaux Etats membres et concentrée dans les pays d'Europe du Nord les plus marqués par l'individualisation des valeurs.
Les origines des Verts dans les " nouveaux mouvements sociaux " ont influencé le type de partis qu'ils ont bâtis dans leurs premières années. Ceux-ci étaient caractérisés par une économie militante donnant le primat au collectif, aux simples militants et aux activistes sur les leaders individuels et les élus. Au fur et à mesure que les Verts se sont insérés dans la vie politique locale puis nationale, mais aussi que les nouveaux mouvements sociaux ont perdu de leur vigueur, ces traits n'ont pas radicalement disparu mais une mutation a bien eu lieu. Cette dernière s'est traduite par une distanciation vis-à-vis du modèle organisationnel originel, due à la professionnalisation croissante des dirigeants et représentants du parti, ainsi que de l'appareil partisan[19].
Le rapport à l'intégration européenne et la campagne électorale
Parallèlement à cette " normalisation " dans les arènes nationales, les Verts se sont aussi accommodés du fonctionnement communautaire, alors que leurs principes étaient heurtés par le caractère à la fois technocratique, intergouvernemental et pas toujours transparent de ce dernier. La décennie 1980 a d'ailleurs été marquée par d'intenses débats stratégiques (au cours desquels l'alliance avec les régionalistes a été un temps mise en cause), mais aussi idéologiques, dans la mesure où leurs idéaux démocratiques, décentralisateurs et antimilitaristes ne pouvaient s'accommoder ni de l'UE existante ni de la perspective d'un " super-Etat-nation "[20].
Le projet d' " Europe des régions ", malgré ses faiblesses, a permis d'offrir une synthèse permettant de combiner le refus d'un pouvoir central fort et la volonté d'articuler conscience globale et enracinement local. Cela dit, c'est surtout la recherche de participation gouvernementale au niveau national qui a poussé les Verts à une acceptation croissante du cadre de l'UE et de la nécessité de " jouer son jeu " institutionnel[21]. Cela s'est particulièrement remarqué dans le soutien aux récents traités européens, critiqués mais globalement endossés, dans l'espoir d'en faire un marchepied vers un véritable processus constituant.
Dans la période la plus récente, le groupe des Verts est celui qui a démontré le plus de cohésion au Parlement européen (plus de 90%)[22]. Pendant la campagne, il s'est illustré en organisant une primaire citoyenne pour le choix d'un binôme paritaire comme candidat à la présidence de la Commission. Le vote organisé en ligne a été un échec sur le plan de la participation, mais les Verts sont la seule famille à avoir ouvert leur processus de désignation aux citoyens. Les têtes de liste désignées ont finalement été l'Allemande Ska Keller, remarquée au cours des débats télévisés, et le Français José Bové, moins mis en avant que sa colistière (y compris en France, à cause de ses propos controversés contre " toute manipulation du vivant "). Le manifeste écologiste en appelait logiquement à un " Green New Deal ", se concentrant sur les enjeux climatiques, de santé, de protection des libertés publiques et de transparence démocratique, sans toujours lister des mesures concrètes[23].
Résultats et perspectives
Les élections européennes apparaissent traditionnellement plutôt favorables aux Verts. D'une part, la faible participation enregistrée tend à une surreprésentation des électeurs les plus diplômés qui appartiennent à leur noyau électoral. D'autre part, ces élections " de second ordre " permettant un vote plus expressif sont l'occasion pour les citoyens de pousser des listes alternatives aux grands partis de gouvernement. C'est ainsi à l'élection européenne de 2009 qu'Europe Ecologie - Les Verts a réalisé son meilleur score. En raison de cette poussée exceptionnelle 5 ans auparavant, mais aussi de la participation de plusieurs partis écologistes à des gouvernements peu populaires en temps d'austérité, il semblait difficile pour les écologistes de progresser.
De fait, dans les urnes comme au Parlement, on observe une stagnation générale de la famille écologiste. Son nombre de députés et son poids relatif au PArlment sont en recul par rapport à 2009, en partie à cause du départ des eurodéputés de la NV-A (Belgique). Son rang final la place désormais derrière la gauche radicale pour deux sièges. La défection des nationalistes flamands va toutefois dans le sens de la direction du groupe, dont le souci semble être de privilégier une homogénéité minimale de valeurs sur le recrutement tous azimuts de députés. Pour autant, cela n'empêchera pas une plus grande diversité nationale des élus Verts/ALE. Les délégations allemande et surtout française sont en recul : alors qu'elles représentaient la moitié du groupe, elles en pèsent désormais à peine un tiers, notamment au profit de nouveaux élus provenant d'Etats membres où les écologistes étaient jusque-là marginalisés.
Dans le détail, les progressions les plus notables par rapport à 2009 s'observent en Suède (+4,3 points) et en Autriche (+4,6 points), mais aussi dans plusieurs pays comme la Hongrie, où le score écologiste est passé de 2,6 à 5% ; en Croatie, en Slovénie et en Lituanie, où les écologistes ont réalisé des percées en partant d'une situation de marginalité ; et en Espagne où le nombre d'élus est multiplié par deux (grâce à des partis certes très différents). En revanche, des reculs ont été enregistrés dans des pays d'implantation historique, comme en Allemagne (-1,4 point), aux Pays-Bas (-1,9 point) ou en Finlande (-3,1 points). La moindre cohérence du groupe qui en résulte a toutefois un aspect plus positif, à savoir une diffusion de la présence de la famille écologiste au-delà de ses bastions traditionnels, y compris en Europe centrale et orientale. Par rapport à la gauche radicale, autre famille de gauche non implantée dans toute l'UE, elle réussit à placer des députés européens dans davantage d'Etats membres.
3.2. La gauche radicale
L'état de la gauche radicale
Depuis les débuts de l'intégration européenne et l'élection du Parlement européen au suffrage universel, l'espace politique à gauche de la social-démocratie a été marquée par l'effondrement de la famille communiste. Certes, quelques partis communistes orthodoxes continuent de peupler l'espace à la gauche de la social-démocratie. Cela dit, la dynamique actuelle de cet espace politique repose sur d'autres types de partis, situés essentiellement en Europe occidentale et comprenant des dissidents sociaux-démocrates, des communistes rénovés, des " rouges-verts ", voire des tendances d'extrême-gauche aspirant à des combats unitaires. Ensemble, ils dessinent peu à peu les contours internes et externes d'une nouvelle famille de partis[24].
Quatre changements majeurs caractérisent le relais de la famille communiste par une gauche radicale renaissante: l'absence de subordination à un centre étranger ; la médiatisation d'intérêts plus divers que ceux de la seule classe ouvrière, notamment ceux des couches salariées du public et les professions intellectuelles ; la reformulation d'un projet post-capitaliste mais aussi anti-patriarcal et parfois écologiste ; l'abandon du modèle de parti de masse caporalisé au profit de structures organisationnelles plus légères et s'efforçant d'être plus démocratiques.
Malgré des récents progrès électoraux, les handicaps de la famille restent lourds. Premièrement, elle ne dispose pas encore d'un contre-modèle ni d'une utopie mobilisatrice commune à opposer au système actuel (même si des innovations doctrinales sont à noter, comme l' " écosocialisme "). Deuxièmement, l'effondrement du communisme a entraîné la déliquescence de tout un univers intellectuel et militant, et de nombreuses structures d'encadrement populaire. Par conséquent, les relais d'opinion dans la société restent peu nombreux et parfois vieillissants. Troisièmement, la gauche radicale n'existe électoralement que dans la moitié des Etats membres, avec des performances assez inégales d'un pays à l'autre.
Le rapport à l'intégration européenne et la campagne électorale
Beaucoup des orientations programmatiques de la gauche radicale sont contradictoires avec les règles actuelles régissant l'Union européenne. Cela explique pourquoi tous les partis de cette famille contestent son architecture institutionnelle et ses politiques publiques, même si un nombre croissant d'entre eux s'accommodent de l'Union européenne comme cadre de réalisation d'un idéal de coopération entre les peuples[25]. Contrairement à la social-démocratie, la gauche souhaite clairement la rédaction de nouveaux traités, qui garantiraient notamment la primauté des droits sociaux sur les libertés économiques, un contrôle démocratique accru sur la vie économique et la fin des liens entre l'Union européenne et l'OTAN.
L'intégration européenne reste un sujet de division bien plus fort que dans les autres familles de gauche. Jusqu'aux années 1970, les partis communistes y étaient radicalement opposés. Par la suite, les positions ont été plus variées et leur conciliation n'a pas été évidente, d'où l'existence de deux groupes différents entre 1989 et 1994. Une fédération européenne de partis (le Parti de gauche européen) n'a vu le jour qu'en 2004, tandis que le groupe parlementaire GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique) est peu intégré. Il fonctionne sur un mode confédéral et sa cohésion interne lors des votes est une des plus faibles du Parlement européen (80%), surtout lors des votes concernant l'enjeu de la supranationalité (60-70%)[26]. Les positions se répartissent entre une minorité qui rejette fondamentalement la construction européenne, et une majorité " alter-européiste " favorable à l'intégration mais rejetant certains de ses aspects. Elles renvoient en fait à une question majeure : le néolibéralisme est-il inscrit dans la nature fondamentale de l'Union européenne ou peut-il être combattu dans le cadre de cette construction supranationale ?
Actuellement, c'est la seconde option qui prévaut, comme en témoigne le choix d'Alexis Tsipras, leader grec de Syriza, comme candidat à la Commission. Celui-ci a essentiellement fait campagne contre l'austérité et pour un " New Deal " à l'échelle européenne, impliquant un nouveau statut pour la BCE et la renégociation voire l'annulation partielle de certaines dettes publiques. Le manifeste du Parti de gauche européen s'efforçait plus largement de proposer un nouveau modèle social mais aussi écologique (en dénonçant le traité transatlantique comme un contre-exemple absolu), tout en restant vague sur la stratégie politique et institutionnelle à suivre[27]. Réussie sur un plan personnel, la campagne de Tsipras a aussi favorisé la constitution d'une liste d'union de la gauche radicale italienne. Cela dit, le manque de moyens et la nationalisation toujours forte des campagnes n'ont pas permis de repérer un réel effet sur les résultats.
Résultats et perspectives
La représentation de la gauche radicale a souffert de l'effondrement de la famille communiste, d'autant plus que le groupe a été abandonné par les nombreux députés du Parti communiste italien. Lors des dernières années, la gauche radicale a aussi payé au prix fort son absence dans la plupart des nouveaux États membres. Structurellement, les élections européennes ne sont d'ailleurs pas un scrutin favorable, dans la mesure où les partis de gauche radicale prospèrent plutôt lorsque la participation électorale est forte et implique donc celle des milieux populaires[28].
Le groupe GUE/NGL compte au final 52 députés, ce qui lui permet de se hisser au 5e rang au sein du Parlement européen, en dépassant de peu le groupe écologiste qui avait damé le pion à la gauche radicale en 1989. L'élément le plus significatif à retenir est plutôt la reconquête d'un poids relatif comparable à celui qu'il détenait il y a 15 ans, sur la base d'un nombre d'élus inédit et accru de 50% par rapport à 2009. Ce résultat traduit bien une dynamique de la gauche radicale, même si celle-ci est concentrée sur un petit nombre de pays.
La composition interne du groupe fait apparaître un rapport de forces favorable aux partis ne relevant pas de la branche communiste la plus orthodoxe, d'autant plus que les deux députés du KKE grec ont renoncé à siéger au sein du groupe. Une stratégie privilégiant davantage l'implication dans le processus communautaire pourrait en découler. Cela dépendra beaucoup de la capacité d'animation des plus gros contingents de députés, à savoir ceux de Die Linke et de Syriza (un quart du groupe). La marginalisation de la " vieille " composante communiste ne signifie pas pour autant une victoire sans partage des partis affiliés. L'hétérogénéité du groupe sera élevée, avec l'arrivée de nombreux députés à la gauche de leurs scènes politiques nationales, mais peu ou pas impliqués dans la construction d'une véritable famille de gauche radicale comme les 5 élus de Podemos (Espagne), ceux des gauches nationalistes basque et irlandaise, ou encore ceux des partis défenseurs des droits des animaux (Pays-Bas et Allemagne).
Electoralement, le contraste entre les fortes progressions en Grèce et en Espagne et la relative stagnation dans les autres pays (sauf en Irlande où le Sinn Fein a gagné 6 points) a frappé tous les observateurs. On peut y trouver une explication par le degré de violence des cures d'austérité, mais elle ne fonctionne pas pour le Portugal (où le total de gauche radicale est en recul) et l'Italie (où ce courant est encore très faible). Les forces ayant fortement percé ou progressé en Grèce et en Espagne ont surtout en commun d'avoir bénéficié de l'existence de forts mouvements sociaux autonomes et d'avoir réussi à s'y impliquer de façon subtile, cultivant ainsi des liens forts mais sans domination avec la société civile mobilisée[29]. Plus généralement, toutefois, les dynamiques proprement nationales sont les plus explicatives des résultats dans chaque Etat membre. Ainsi, on ne peut comprendre l'absence de progression du Front de gauche en France (malgré l'effondrement de l'extrême-gauche et la déroute du Parti socialiste) sans prendre en compte ses difficultés internes et sa mauvaise gestion de l'après-présidentielle.
4. Extrêmes-droites, droites radicales ou populistes
Le 14 novembre dernier à Vienne, plusieurs partis d'extrême-droite européens se sont retrouvés à l'initiative d'Andreas Mölzer, alors député européen du FPÖ (Autriche). Se rassemblent ce jour-là : Marion Maréchal-Le Pen et Ludovic de Danne pour le Front National, Kent Eckeroth des " Démocrates suédois ", Andrej Danko du Parti National Slovaque, mais également Lorenzo Fontana de la Lega Nord et Philip Claeys du Vlaams Belang[30]. Il s'agissait d'une nouvelle tentative d'organisation des partis des extrêmes-droites " mutantes " en Europe[31], après plusieurs épisodes que l'on peut brièvement rappeler :
- Lors des élections de 1979, une alliance baptisée " eurodroite " vit le jour, à laquelle participaient l'italien Movimento Sociale Italiano–DestraNazionale (MSI-DN) et l'espagnole FuerzaNuova, au profit du Parti des Forces Nouvelles (PFN), de Pascal Gauchon, Alain Robert et Jean-Louis Tixier-Vignancour.
- Entre 1984 et 1989, avec le même MSI-DN ainsi qu'un élu unioniste et un élu d'extrême droite grec, le Front national forma au Parlement le " Groupe des droites européennes ", que quitta par la suite le MSI-DN (dirigé depuis 1987 par Gianfranco Fini) mais que rejoignirent les Republikaner allemands de Franz Schönhuber.
- En 1989, naquit le " Groupe technique des droites européennes " comprenant les élus du Front national, les Republikaner et un élu du Vlaams Blok (Belgique). Il fut dissous en 1994.
- Entre 1999 et 2001, un autre " Groupe technique des députés indépendants" (TDI) associa les élus de la liste Emma Bonino, les élus du Front national et ceux de la Lega Nord et le représentant du MovimentoSoziale-Fiamma Tricolore (MS-FT).
Ces épisodes, ainsi que les actuels soubresauts relatifs à la constitution d'un groupe au Parlement européen sous la présidence de Marine Le Pen, démontrent qu'il n'existe pas pour cette famille de véritable unité organisationnelle sur le continent européen. Des oppositions idéologiques et géopolitiques la rendent problématique, comme l'illustre la difficulté de concilier la vision russophile de Marine Le Pen avec l'extrême-droite balte - et en particulier les Lituaniens du TT (11% dans leur pays) - qui y est hostile.
4.1. L'état de l'extrême-droite en Europe
Il existe plusieurs catégories de partis d'extrême droite. Outre l'alliance autour du FN et FPÖ, on trouve d'autres partis, plus authentiquement néofascistes, voire néonazis. On peut, de fait, établir deux catégories de partis :
- Les partis qui, issus ou non, de l'extrême-droite traditionnelle ont adopté ou adoptent progressivement un nouvel agenda, plus authentiquement " populiste ", formellement respectueux de la démocratie, voire revendiquant la défense de la démocratie, tendant à promouvoir la défense des droits individuels, souvent hostile à l'islam et à sa présence sur le continent européen. On retrouve ici des partis qui, malgré des soubresauts, acceptent de travailler ensemble : le FN, la Lega Nord, le PVV, le FPÖ, les SD suédois. On peut aussi compter le Dansk Folkeparti (DF), fondé par Pia Kjaesgaard en 1995. Il s'agit d'un parti de droite radicale, mais qui appuie des gouvernements de centre-droit dans son pays[32]. Il maintient aussi des distances constantes avec les autres partis idéologiquement comparables en Europe, comme le FN, avec qui il refuse tout travail au niveau européen.
- Les partis de l'extrême droite traditionnelle la plus stricte, antidémocratique, inégalitaire, souvent raciste, par exemple Forza Nuova en Italie, Jobbik en Hongrie, Ataka en Bulgarie. Il peut même s'agir d'une inspiration néonazie, comme dans les cas flagrants du NPD en Allemagne mais aussi d'Aube Dorée en Grèce.
Le FPÖ, en pointe dans les rapprochements au sein de la première catégorie, est dirigé par Hans-Christian Strache. Il a progressivement reconquis des positions électorales suite aux crises successives de la famille " libéral-autrichienne " au cours des années 2000 : difficultés électorales, différents stratégiques entre Andreas Mölzer et Jörg Haider, scission de Jörg Haider et création du BZÖ en 2005, disparition accidentelle de Haider en 2008. Aux élections législatives de septembre 2013, le FPÖ obtint 20,5% et le BZÖ ne parvint pas, avec 3,53%, à obtenir le seuil de représentativité au Parlement autrichien. Tous deux furent d'ailleurs concurrencés par le parti Stronach (5,7%). La ligne du FPÖ s'est radicalisée par rapport à la période Haider. Désormais " SozialHeimatPartei ", le FPÖ a repris le slogan de Jörg Haider adopté au cours des années 1990 (" ÖsterreichZuerst ! "), s'oppose à l'euro et dénonce avec vigueur la gouvernance européenne, alors qu'Haider avait accompli un virage " euro-enthousiaste " avec le BZÖ[33]. Le FPÖ ne recherche d'ailleurs plus d'alliance avec les chrétiens-démocrates de l'ÖVP et ne participe plus au pouvoir.
L'Italie est un cas particulier intéressant. L'intégration du MSI-DN au jeu politique de la Seconde République, puis l'intégration d'Alleanza Nazionale (AN, nouveau nom du MSI-DN adopté en 1995) aboutit à sa réorientation idéologique, qui se fait d'ailleurs au prix d'une scission (celle des amis de Pino Rauti, qui avaient rallié le MSI-DN en 1972 et qui créent le MS-FT). Jusqu'à sa fusion avec Forza Italia dans le PDL, AN comprend en son sein des membres plus radicaux et voit certains de ses élus la quitter pour créer La Destra. Autre parti d'extrême-droite, la Lega Nord établit des alliances avec Forza Italia et Silvio Berlusconi dès 1994, mais leurs relations ont été particulièrement tumultueuses et ont fréquemment abouti à la dislocation ou à la fragilisation de la coalition de " centro-destra " au pouvoir à Rome[34]. Le nouveau leader Matteo Salvinia a décidé de mettre l'accent sur l'opposition à l'euro, aux institutions et à la gouvernance de l'Union européenne. La Lega Nord est revenue à un étiage autour de 5%, stabilisant ses résultats après une période de grand trouble, due à une succession de scandales internes.
Au final, l'extrême droite européenne est très hétérogène et cela se traduit dans la diversité de conceptions de l'Europe que ces partis arborent.
4.2. Le rapport à l'intégration européenne et la campagne électorale
" L'Europe aux Européens " et " haro sur Bruxelles ! " peuvent résumer assez bien l'une des tendances lourdes de l'évolution des partis de la droite radicale ou populiste en Europe.
L'Alliance européenne pour la liberté (AEL) mise sur l'aggiornamento des droites extrêmes européennes. Elle rassemble le FN, le FPÖ, le VB, la Lega Nord et le Parti National Slovaque. Elle est basée à Malte et présidée par Franz Obermayer (FPÖ). C'est une organisation qui, dans ses statuts, affirme respecter la Déclaration universelle des droits de l'Homme ou la Convention européenne des droits de l'Homme. Ses buts politiques sont établis de telle façon à être compatibles avec le cadre de l'Union européenne. L'AEL affirme militer pour la " transparence ", le " contrôle démocratique " en vue d'éviter l'établissement d'un " Super-Etat ". La " subsidiarité " et les parlements nationaux souverains sont également défendus par cette structure qui proclame sa volonté de défendre tant la "diversité" que la "liberté d'expression". Les nations d'Europe doivent pouvoir exercer leur " droit de renforcer leur propres valeurs historiques, traditionnelles, religieuses et culturelles ". Enfin, la défense des libertés civiles cohabite avec la lutte " contre les tendances totalitaires " de l'Union européenne . L'ancien parlementaire européen, Andreas Mölzer, est un des artisans du rapprochement de ces partis. Déjà en 2005, il s'était efforcé de trouver un terrain d'entente sur la conception à se faire de l'Europe : il la voyait comme un ensemble de " communautés ethniques ", quand le FN français la voyait comme un ensemble de " nations européennes ".
Il existe en effet des degrés divers d'opposition à l'Europe ou de scepticisme envers la façon dont elle se construit. A l'exception notable du BZÖ, qui n'a pas survécu à son chef, les partis de la droite radicale ou populiste en Europe développent certes des discours hostiles. Pour autant, il existe différentes " utopies " européennes parmi les partis en question. Certains, comme le FN, adhèrent à l'idée d'" Europe des patries ", d'autres comme le Vlaams Belang sont favorable à une " Europe des communautés ethniques ", les Démocrates Suédois tendant à dénoncer le " super-Etat européen " tout en acceptant le principe d'une coopération européenne. Si bien que l'on peut, à l'instar de Cas Mudde, qualifier ce rapport à l'Europe de " chaos terminologique "[35].
Dans tous les cas, il ne se dégage pas d'idéal commun de l'Europe. Ces profondes divergences idéologiques n'empêchent en rien le travail commun au sein du Parlement européen. Ainsi le Vlaams Blok/ Vlaams Belang a-t-il toujours travaillé avec le FN, pourtant aux antipodes de sa conception de l'Europe et des droits des minorités flamandes.
Le Front National, justement, a mené campagne sur le thème " Non à Bruxelles, oui à la France ", signifiant ainsi son refus de voir tout pouvoir supranational exister au niveau continental ou mondial. Son discours de défense de l'Etat-Nation comme cadre indépassable de la démocratie et de la solidarité est classique. Dans le passé, lors de la scission avec les partisans de Bruno Mégret, une divergence était apparue, ce dernier affirmant, au contraire des partisans de Jean-Marie Le Pen, croire en la nécessité d'une " Europe puissance ".
En conclusion, s'il n'existe pas de parti favorable à la gouvernance actuelle de l'Europe, il n'existe pas non plus de vision commune de l'Europe entre ces partis. Si la délégation du FN est désormais de loin, par l'effet combiné de la démographie et du score obtenu le 25 mai 2014, la plus importante à l'extrême droite de l'hémicycle de Strasbourg, il convient de s'interroger sur son hégémonie réelle parmi les partis de la même " famille " politique en Europe. Il n'est en effet pas du tout certain que sa conception de l'Europe prévale parmi les autres partis de la droite radicale ou de l'extrême droite en Europe. Le travail commun avec les autres partis peut également l'amener à évoluer dans son rapport au processus d'intégration européenne.
4.3. Les résultats
Depuis 1979, l'extrême-droite a toujours été présente au Parlement européen, mais jusqu'à 1984, seul le MSI-DN italien la représentait. Longtemps, il fut le plus ancien parti d'extrême-droite présent au Parlement européen jusqu'à sa mutation idéologique et organisationnelle du 27 janvier 1995 - la " Svolta de Fiuggi " - et son changement de cap politique, qui lui fit nouer des alliances en Europe avec des partis comme le RPR.
Le tableau suivant reprend les résultats de l'extrême-droite lorsqu'elle est parvenue à constituer un groupe au Parlement européen. A partir de 2004, le score des souverainistes de droite radicale (mais qui ne peuvent être considérés en bloc comme un groupe d'extrême-droite stricto sensu), est indiqué en italique, et correspond au courant actuel de l'ELD.
Source : Parlement européen
Evidemment, le score du FN est le plus spectaculaire des résultats européens de cette famille. Il constitue ainsi la délégation française la plus importante (23 élus) et aurait pu lui assurer la prééminence d'un possible groupe. Avec 24,95% des voix, le FN enregistre en tout cas son meilleur score à une élection nationale ou européenne.
La Lega Nord, avec 6 élus, maintient un score (à égalité avec 1994, supérieur de 2 points à 1999 et 2004, mais inférieur de plus de 3 points à son score de 2009, 10,21%). Le FPÖ, avec 19,5%, obtient 4 élus. Il ne pâtit plus d'aucune concurrence, ni de Franck Stronach, ni du BZÖ. Au Danemark, le DF obtient un score historique de 26,6% devançant de près de 7 points les sociaux-démocrates et réalisant un bond de 11 points par rapport à 2009.Les Démocrates Suédois obtiennent 9,7% des voix, mais refusent désormais, comme le DF le fait depuis longtemps, de participer à un groupe avec le FN, duquel il s'était pourtant rapproché.
Parmi les groupes les plus authentiquement néofascistes ou néonazis, les scores du Jobbik en Hongrie (14,7%) et d'Aube Dorée en Grèce (9,4%) en font les principaux représentants de cette catégorie. Par une modification de la règle de représentativité électorale, le NPD allemand envoie aussi un représentant au Parlement européen. L'extrême droite traditionnelle (ou la " vieille " extrême droite)[36] continue toutefois d'être marginale dans l'Union européenne.
La difficulté et l'échec de Marine Le Pen à constituer un groupe au sein du Parlement européen ont été renforcés par la présence traditionnelle de partis eurosceptiques qui ne font pas véritablement partie de la mouvance des droites radicales. Ainsi, l'UKIP de Nigel Farage a-t-il pu constituer un groupe avec des partis comme le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) de Beppe Grillo. Les ressources mobilisables par Nigel Farage (député européen depuis 1999) étaient supérieures à celle du FN, depuis longtemps isolé au sein de l'assemblée strasbourgeoise. Habitué à travailler avec d'autres eurosceptiques, N. Farage a su attirer aussi bien les élus " grillistes " que des partis issus de la droite radicale, comme les Démocrates Suédois (SD) ou des membres du parti lituanien d'extrême droite, ainsi qu'une élue FN démissionnaire.
Perspectives
Il n'y a pas d'unité de l'extrême droite, des droites radicales ou populistes en Europe. Les difficultés à constituer un groupe doivent au moins autant à des différents conjoncturels qu'à l'impossibilité d'établir une base commune idéologique sur l'Europe. Le travail politique mené depuis plus d'une décennie par Andreas Mölzer, ne recouvre qu'une partie seulement du spectre étudié. C'est néanmoins autour du FN, du FPÖ, du PVV et de la Lega Nord que semble naitre une ébauche d'européanisation de la droite radicale en Europe.
ANNEXES
[1] Pierre Martin, "Le déclin des partis gouvernements en Europe", Commentaire, n°143, 2013, pp. 543-554.
[2] Sur l'histoire du PPÉ, Pascal Delwit (dir.), Démocratie-chrétienne et conservatismes en Europe : une nouvelle convergence, Bruxelles, Editions de l'ULB, 2003 ; Pascal Fontaine, Voyage au cœur de l'Europe, 1953-2009 : histoire du groupe démocrate-chrétien et du parti populaire européen au Parlement européen, Bruxelles, Racine, 2009, Agnès Alexandre-Collier et Xavier Jardin, Anatomie des droites européennes, Paris, Armand Colin, 2004..
[3] Site internet Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/political-group-cohesion.html
[4] Site internet Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/political-groups-power.html
[5]Manifeste électoral du PPE, Congrès de Dublin, 6-7 mars 2014, disponible sur http://dublin2014.epp.eu/wp-content/...
[6] Sur l'histoire des libéraux, Pascal Delwit (dir.), Libéralisme et partis libéraux en Europe, Bruxelles, Editions de l'ULB, 2002.
[7]Une Europe à votre service, http://www.aldeparty.eu/sites/eldr/files/...
[8] Site internet Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/political-group-cohesion.html
[9] Jean-Michel De Waele, Fabien Escalona et Mathieu Vieira, " La social-démocratie des années 2000 ", Notes de la Fondation Jean Jaurès, janvier 2014.
[10] David Bailey, Jean-Michel De Waele, Fabien Escalona et Mathieu Vieira (dir.), European Social Democracy During the Great Economic Crisis : Renovation or Resignation ?, Manchester, Manchester University Press, 2014.
[11] Fabien Escalona, " La primauté du politique en danger " (http://fabien-escalona.blogspot.fr/2013/02...)
[12] Michael Holmes, " Le rapport de la gauche à l'intégration européenne : une évaluation ", Notes de la Fondation Jean Jaurès, avril 2014.
[13] Voir le Manifeste du PSE " Vers une nouvelle Europe ", disponible sur le site http://www.pes.eu/.
[14] Quinze ans après, on pourrait reprendre tel quel le diagnostic posé par Gerassimos Moschonas : "La production persistante de documents programmatiques appuyés sur le minimum minimorum prouve que la distance à parcourir en vue d'une réelle cohésion [...] demeure toujours grande. D'ailleurs, les programmes minimalistes ne sont pas susceptibles de se transformer en outils d'action" (in " Socialistes : les illusions perdues ", in Gérard Grunberg et al. (dir.), Le vote des Quinze, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, pp. 135-162).
[15] Pour le scrutin de 2009, se reporter à Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, " La social-démocratie européenne au lendemain des élections de 2009 ", Revue politique et parlementaire, n°1052, 2009, pp. 123-137.
[16] Daniel-Louis Seiler, "La social-démocratie et le choix des alliances et des coalitions", in Pascal Delwit (dir.), Où va la social-démocratie européenne ?, Bruxelles, Editions de l'ULB, pp. 105-136.
[17] Daniele Caramani, " Electoral waves: an analysis of trends, spread, and swings of votes across 20 west European countries, 1970–2008 ", Representation, vol. 47, n°2, 2011, pp. 137-160.
[18] Jérôme Vialatte, Les partis Verts en Europe occidentale, Paris, Economica, 1996 ; Martin Dolezal," Exploring the stabilization of a political force: The social and attitudinal basis of Green parties in the age of globalization ", West European Politics, vol. 33, n°3, pp. 534–552.
[19] E. Gene Frankland, Paul Lucardie et BenoîtRihoux (dir.), Green Parties in Transition, Aldershot, Ashgate, 2008.
[20] Elizabeth Bomberg, Green Parties and Politics in the European Union, Londres, Routledge, 1998
[21] Michael Holmes, op.cit.
[22] Site internet Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/political-group-cohesion.html.
[23] Manifeste commun des Verts pour 2014, " Change Europe, Vote Green ", consultable sur http://europeangreens.eu/
[24] Fabien Escalona et Mathieu Vieira, " La gauche radicale en Europe, ou l'émergence d'une famille ", Notes de la Fondation Jean Jaurès, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2013.
[25] Michael Holmes, op.cit.
[26] Site internet Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/political-group-cohesion.html.
[27] Manifeste du Parti de la Gauche Européenne pour les élections européennes de 2014, consultable sur http://www.european-left.org/
[28] Luke March, Radical Left Parties in Europe, Londres, Routledge, 2011.
[29] MyrtoTsakatikaet Marco Lisi, " Zippin' up My Boots, Goin' Back to My Roots: Radical Left Parties in Southern Europe ", South European Society and Politics, vol. 18, n°1, 2013, pp. 1-19.
[30] Le Vlaams Belang, issu du Vlaams Blok, se trouve concurrencé en Belgique par les nationalistes flamands de la NV-A.
[31] Gaël Brustier, " Mutation des nouvelles extrêmes droites européennes : un défi pour la gauche ", Notes de la Fondation Jean Jaurès, Paris, Fondation Jean Jaurès, 28 janvier 2014 ; Jean-Yves Camus, " Extrêmes droites mutantes en Europe ", Le Monde diplomatique, mars 2014.
[32] Cas Mudde, Populist Radical Right Parties in Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 162. C'est un discours que tenta de reprendre sa fille, de manière éphémère, lorsqu'elle fut chargée de prendre la tête de liste de cette formation.
[33] Cas Mudde, op.cit., p. 43
[34] Ce fut le cas en décembre 1994 lorsque la Lega Nord fit tomber le premier gouvernement Berlusconi, mais également pendant le dernier gouvernement Berlusconi, au cours duquel elle prit partie pour le Ministre de l'Economie, Giulio Tremonti, contre la ligne politique des proches de Gianfranco Fini.
[35] Cas Mudde, op.cit., pp. 165-167.
[36] Piero Ignazi, Extreme right parties in western Europe, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; " The silent counter-revolution : hypotheses on the emergence of extreme-right wing parties in Europe ", European Journal of Political Research, vol. 22, n° 1-2, 1992, pp. 3-34.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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