Entretien d'EuropeSynthèse sur le 7ème forum franco-allemand Organisé par l'association franco-allemande de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris avec le soutien de la Fondation Robert Schuman, du 26 avril au 4 mai 2001
Synthèse sur le 7ème forum franco-allemand Organisé par l'association franco-allemande de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris avec le soutien de la Fondation Robert Schuman, du 26 avril au 4 mai 2001

Franco-allemand

Jean-Miguel Pire,  

Béatrice Houchard

-

14 mai 2001

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Pire Jean-Miguel

Jean-Miguel Pire

Houchard Béatrice

Béatrice Houchard

Ouverture du Forum

Par le Professeur Alfred Grosser

M. Alfred Grosser a évoqué la situation difficile du couple franco-allemand, dans le contexte de relations moins privilégiées que par le passé et qui, lors du Sommet de Nice, n'ont pas été loin de connaître une crise. Il a dénoncé la fermeture des Instituts franco-allemands, dans laquelle il a vu un symptôme de la déréliction actuelle. Il a ensuite appelé à remettre en question certains « mythes », et notamment celui de la puissance allemande, à l'heure où l'Allemagne clôt le cortège des pays européens qui se prépare à l'Euro. Il est revenu sur les problèmes causés par une réunification difficile, qui est loin d'être achevée et dont le coût est élevé ; sur ce dernier point, il a dénoncé la totale ignorance de ce coût par les partenaires français. En conclusion, M. Grosser a souligné la nécessité de s'attaquer à des questions aussi graves que celles posées par la construction de l'Europe sociale. L'ampleur des disparités existant entre la France et l'Allemagne dans le domaine de la protection sociale est, selon lui, exemplaire du fossé qu'il y aura lieu de combler si l'on veut que l'Union progresse.

L'amitié franco-allemande à l'épreuve du temps

Participants : le Professeur Alfred Grosser ; Son Exc. Peter Hartmann (ambassadeur d'Allemagne en France) ; Mme Brigitte Sauzay (conseillère auprès du Chancelier Gerhard Schröder pour les questions franco-allemandes).

M. Hartmann s'est employé à minimiser les différends franco-allemands dont, après le Sommet de Nice, la presse européenne avait fait état. Il a souligné la nécessité de conserver la place centrale que le couple France/Allemagne a toujours occupée dans la dynamique européenne. Il a estimé que l'installation du gouvernement fédéral à Berlin ne devrait pas susciter de craintes particulières, quant à un supposé changement de cap qu'il induirait dans la politique européenne de l'Allemagne. Par ailleurs, il a évoqué l'importance que l'échéance de 2004 revêt pour les progrès de la construction européenne : unanimement reconnue, la nécessité de faire évoluer les institutions de l'Union, doit constituer l'horizon du grand débat commun. A cet égard, les consultations citoyennes lancées par la France constituent une initiative répondant parfaitement à cette exigence. Selon l'Ambassadeur, la réalisation de l'alliance entre une économie forte et une Europe plus solidaire, correspond à l'une des principales attentes formulées par l'opinion publique européenne, désormais plus impliquée dans le débat. De même, l'élargissement aux pays d'Europe orientale doit, pour lui, faire l'objet d'une préparation dans laquelle la France et l'Allemagne devraient s'impliquer. Soulignés par l'orateur, les bons résultats de la diplomatie européenne doivent être un encouragement dans la constitution d'une réelle politique étrangère de l'Union. L'ambassadeur allemand a conclu son intervention en plaidant pour une plus grande créativité et une meilleure compréhension dans les rapports franco-allemands.

Mme Sauzay a tout d'abord exposé en quoi consiste son rôle auprès du Chancelier allemand : faire du « management interculturel » ; selon elle, l'explicitation des fondements culturels de certaines attitudes françaises peuvent contribuer, en effet, à dissiper nombre de malentendus entre nos deux pays. Elle a souligné l'absence de visibilité politique des décisions prises au Sommet de Nice, et plaidé pour un retour à la politique. Selon elle, la société civile doit continuer à jouer un rôle important dans l'édification de l'Union. Au cours de la discussion qui a suivi ces interventions, M. Grosser a émis des réserves sur la forme retenue par la France pour organiser le débat en vue de 2004. Selon lui, c'est aux dirigeants qu'il appartient de poser des choix, car eux seuls assument la responsabilité politique de ces choix. Il a estimé que les débats organisés par les préfets ne vont pas contribuer à accroître la compréhension dont l'Europe fait l'objet dans l'opinion. Mme Sauzay a appelé à la constitution de véritables partis européens transversaux ; seules ces structures seraient capables, selon elle, de radicaliser le débat européen en lui donnant une dimension réellement politique.

Europe libérale ou Europe sociale ?

Participants : Mme Anne-Marie Idrac (ancien ministre, Députée UDF des Yvelines, Secrétaire générale de l'UDF, présidente du Mouvement Européen-France) ; M. Ottmar Schreiner (Député SPD au Bundestag, membre de la Commission parlementaire aux Affaires européennes et aux questions sociales) ; M. David Naudé (responsable des études économiques à la Deutsche Bank à Paris) ; M. Jacques Maire (Délégué aux affaires européennes et internationales du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité).

Pour Mme Idrac, la construction de l'Europe sociale en harmonie avec les règles de l'économie de marché, ne sera possible que si l'on privilégie une approche fédérale respectant la subsidiarité. Le respect des traditions culturelles de chaque pays représente une condition essentielle : pragmatisme, rationalité, vision à long terme constituent, selon elle, les exigences d'un volontarisme social hors duquel la construction européenne ne pourra se poursuivre de manière satisfaisante. Ensuite, M. Naudé a évoqué les effets positifs de l'Euro dans l'ajustement des politiques économiques de pays comme l'Italie. Le respect des exigences européennes a permis à certains gouvernements de mener des politiques audacieuses pour lesquelles, en temps ordinaire, ils n'auraient peut être pas disposé de l'appui populaire nécessaire. A présent que les ajustements ont été réalisés dans la plupart des pays de la zone Euro, M. Naudé a affirmé qu'il était possible d'harmoniser les contenus des politiques budgétaires : ici se tient, selon lui, l'un des éléments importants du renforcement de l'intégration européenne.

M. Schreiner a dressé le tableau contrasté de l'unification allemande et des effets de celle-ci sur la protection sociale. L'extension d'un régime très protecteur à l'ensemble de la population germanique a représenté un effort considérable qu'il convient de prendre en compte lorsque l'on évoque la contribution allemande à l'intégration. Plaidant pour une meilleure prise en compte des questions sociales, il a demandé s'il ne fallait pas songer à des critères de convergences sociaux. Enfin, M. Maire, délégué aux affaires européennes et internationales du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, a déclaré que l'achèvement du marché intérieur est un facteur de déstabilisation de la protection sociale en Europe. Il a estimé que cet écueil peut être dépassé en accroissant les compétences sociales de l'Union. Il a mis en garde contre les bons résultats actuels de l'économie dans la mesure où ceux-ci donnaient une image faussée de la situation : le retour éventuel d'une période de récession devrait faire apparaître l'état réel et peu satisfaisant de la protection sociale en Europe.

Religion, politique et société en Europe au XXIe siècle

Participants : M. René Rémond (Historien, président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Membre de l'Académie Française) ; Mgr Jean-Marie Lustiger (Cardinal-archevêque de Paris) ; Dr. Stephan Reimers (Prélat, Représentant de l'Eglise protestante allemande auprès de la République Fédérale).

M. René Rémond s'est félicité de ce que le forum aborde une question religieuse, à ses yeux, si déterminante pour comprendre les relations historiques existant entre la France et l'Allemagne. Il a insisté sur la différence de statut de l'Eglise dans chacun des deux pays : à la stricte séparation de l'Eglise et de l'Etat en France, répond, en Allemagne, l'existence d'un clergé pleinement intégré dans l'appareil d'Etat, bénéficiant de l'impôt et participant activement des politiques sociales. Le Cardinal Lustiger a souligné le contraste existant entre les deux Eglises en évoquant son expérience personnelle lors d'un séjour effectué en Allemagne durant les années 50. A la différence d'une Eglise française écartée de l'Etat, mais dont les valeurs ont été largement incluses dans l'idéologie laïque de la vertu, l'Eglise allemande se présente comme un élément de l'appareil d'Etat, mais vidée de ses racines populaires. Ensuite, l'orateur a abordé la relation de l'Europe à l'Islam en indiquant combien elle différait de la relation avec la religion juive. Enfin, le Cardinal Lustiger a regretté que la construction européenne se fasse dans l'oubli de la dimension religieuse. Formidable patrimoine culturel, la religion constitue, à ses yeux, l'un des fondements de l'unité européenne.

M. Stephan Reimers a présenté la situation particulière de l'Eglise allemande par rapport aux institutions. Il a évoqué son rôle social et caritatif , et la part importante qu'elle prend dans l'édification de l'unité sociale. Comme le Cardinal Lustiger, il a souligné la nécessité de prendre en compte la dimension religieuse dans la construction européenne.

Conclusion du forum :

L'Europe de l'Atlantique à l'Oural : perspectives d'élargissement pour l'Union Européenne ?

Participants : M. Petr Janyska (Ambassadeur de la République Tchèque en France) ; M. Alexandru Herlea (ancien ambassadeur de Roumanie auprès de l'UE, ancien ministre de l'intégration européenne du gouvernement roumain, vice-président de l'Internationale Chrétienne Démocrate) ; M. Dusko Lopandic (directeur des affaires européennes au Ministère des Affaires Etrangères de la République fédérale de Yougoslavie) ; M. Eneko Landaburu (directeur Général de la DG à l'élargissement de la Commission Européenne) ; Mme Jadranka Kalmeta (ministre Conseiller, Chargée d'affaires de l'Ambassade de Bosnie-Herzégovine en France) ; M. Michael Roth (Député SPD au Bundestag, membre de la Commission parlementaire aux Affaires Européennes).

Le VIIIe Forum franco-allemand s'est achevé, vendredi 4 mai, par un colloque sur « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural : quelles sont les perspectives d'élargissement pour l'Union européenne ? ». Malgré ce titre gaullien, les débats auraient pu s'enfoncer dans un confortable ronron, et se conclure sur le refrain de la meilleure des Europes possible. C'était compter sans le jeune député allemand (SPD) Michael Roth. Profitant d'une question d'un étudiant de Sciences-Po sur " l'âme de l'Europe ", il lance le débat : « Après le sommet de Nice, nous étions tout sauf satisfaits. Il est clair qu'il y a des grains de sable dans la machine. L'amitié franco-allemande est ennuyeuse et sans vie. Nous attendons que le Premier ministre français nous donne sa version de la Constitution européenne. Seul Schröder veut s'éloigner de cette mentalité de marchands de tapis qu'on a vue à Nice. Comment l'Europe peut-elle fonctionner autrement que sur le mode fédéraliste ? Comment faire l'élargissement si plus personne n'y croit ?A Nice, chacun n'a vu que ses intérêts nationaux. Ce n'est pas ça, l'Europe. Je n'en peux plus ! ».

Du coup, sous les applaudissements, les autres participants au colloque ont fait part de leur frustration post-niçoise. Ainsi Eneko Landaburu, directeur général de l'élargissement auprès de la Commission européenne : « L'élargissement sera un échec si une réforme profonde du fonctionnement de l'Europe n'est pas trouvée. Les nuits de Nice furent pitoyables, en tout cas tout le contraire de ce dont nous rêvons. Ce fut l'échec absolu, la fin d'un processus, l'affaiblissement des volontés, un pourrissement. Il faut regarder les choses en face : il n'y a aujourd'hui qu'un seul leader en Europe, c'est Schröder. Et la voie fédéraliste est la seule possible pour répondre aux questions qui se posent ».

Alexandru Herlea, ex-ambassadeur de Roumanie auprès de l'Union européenne, a approuvé l'ensemble tout en soulignant qu'il existait « une autre vision de l'Europe, la vision chrétienne-démocrate, celle du PPE ». Mais il a tiré un autre signal d'alarme : 44% seulement de l'opinion européenne est favorable à l'élargissement.

Raison de plus, ont insisté tous les participants, pour faire montre de volonté politique. Car si la question des institutions est totalement bloquée, celle de l'élargissement avance à grands pas, malgré la difficulté de l'entreprise. Et tous sont convenus, non sans un certain optimisme, que les premières nouvelles adhésions pourraient intervenir fin 2003, début 2004, afin que plusieurs pays (9, comme le souhaite Michael Roth ?) participent aux élections au Parlement européen de juin 2004.

Eneko Landaburu a rappelé les conditions de cet élargissement, et celles de sa réussite. Celles de l'élargissement : 1) Que les pays candidats soient des démocraties. 2) Qu'ils aient des économies de marché capables d'accepter le choc d'une Europe sans frontières. 3) Que tous les pays acceptent les règles du jeu déjà en vigueur, ces fameuses 80.000 pages qui constituent « l'acquis communautaire »

Celles de la réussite : 1) Une bonne négociation, car « on ne rentre pas dans l'UE comme on rentre dans l'OTAN ». 2) L'acceptation par les Etats-membres du coût budgétaire de l'élargissement. 3) L'aménagement de règles du jeu qui sont déjà délicates à 15 et qui le seront encore bien davantage à 27 ou à 35.

Autour de la table, les degrés de confiance étaient variables. Petr Janyska, ambassadeur de la République tchèque en France, et dont le pays est très avancé vers l'élargissement, a fait part de l'enthousiasme de son gouvernement mais aussi de son peuple : « L'élargissement est une préoccupation quotidienne à la "une" des journaux, à l'Université, dans les communes. La pensée européenne est présente à Prague. Pour nous l'élargissement n'est pas un mal inévitable, mais l'occasion d'une véritable réflexion ».

Plus inquiet, Alexandru Herlea met en cause son propre pays, la Roumanie, dont les élites sont trop souvent issues des élites de l'avant 1989, ce qui explique selon lui que son pays soit « la lanterne rouge des pays candidats ».

Plus perplexe, et pour cause, Dusko Lopandic, directeur des affaires européennes au Ministère des affaires étrangères yougoslave, écoute et observe, souhaitant contribuer à faire monter son pays dans le prochain wagon de l'élargissement. Malgré des contradictions : « La construction européenne est très éloignée et pourtant très présente en Europe ». Malgré deux craintes : celle d'assister à une division prolongée du continent européen. Et celle de voir l'UE mal digérer le prochain élargissement, ce qui ne l'inciterait pas à en faire d'autres.

Finalement, l'Europe s'étendra-t-elle un jour jusqu'à l'Oural , c'est-à-dire jusqu'à la Russie ? La réponse a plutôt été négative, tant il est vrai, précisa Michael Roth, que « ce serait une erreur de vouloir ouvrir l'Union européenne à tous les pays ». Mais tous les participants sont tombés d'accord, avec Eneko Landaburu, pour que soit enfin, et peut-être dès 2004, « réalisé le rêve de Schuman, de Gasperi, de Monnet et d'Adenauer ». Avec le souhait unanime que l'Europe trouve ses chantres et ses philosophes pour lui redonner du souffle. Ce que Petr Janyska a traduit ainsi, en guise de conclusion : « L'élargissement de l'Europe n'a pas son Sartre, son Althusser et son Lacan. Dommage... ».

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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