Entretien d'EuropeLa sécurité en Europe : Regards français et lituanien Compte-rendu du colloque organisé par la Fondation Robert Schuman et l'Institut des Relations Internationales et des Sciences Politiques de Vilnius, (Vilnius - 27, 28 avril 2001)
La sécurité en Europe : Regards français et lituanien Compte-rendu du colloque organisé par la Fondation Robert Schuman et l'Institut des Relations Internationales et des Sciences Politiques de Vilnius, (Vilnius - 27, 28 avril 2001)

Stratégie, sécurité et défense

Matthieu Chillaud

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21 mai 2001

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Chillaud Matthieu

Matthieu Chillaud

La Fondation Robert Schuman et l'Institut des Relations Internationales et des Sciences Politiques de Vilnius ont co-organisé dans la capitale lituanienne un colloque portant sur les perceptions françaises et lituaniennes de la sécurité européenne.

Au travers des quatre tables rondes ("Les perspectives d'adhésion à l'OTAN : aspects politiques et militaires" (I), "Les nouveaux équilibres de sécurité européens : un défi politique" (II), "Les aspects militaires de la nouvelle sécurité européenne" (III) et "L'environnement régional de la Lituanie" (IV)), l'objectif du colloque a été de confronter le point de vue de chercheurs, d'universitaires, de diplomates et d'hommes politiques. Il est très vite apparu que les questions relatives à la défense européenne et celles liées aux enjeux stratégiques de l'élargissement de l'OTAN constitueraient le noyau dur des discussions.

Depuis 1991, date du recouvrement de son indépendance, l'objectif de la Lituanie est d'obtenir un maximum de garanties en terme de sécurité militaire ; l'OTAN apparaît, à cet égard, comme le vecteur de sécurité le plus crédible et surtout le plus dissuasif pour contenir les visées russes.

Partant du principe qu'il ne faut faire confiance qu'aux institutions qui ont fait leur preuve, la crédibilité de la défense européenne est encore sujette à caution.

I. Les perspectives d'adhésion à l'OTAN : aspects politiques et militaires

La première session, consacrée aux "Perspectives d'adhésion à l'OTAN : aspects politiques et militaires", a vu, autour du modérateur Raimundas Lopata, directeur de l'Institut des Relations Internationales et des Sciences Politiques de Vilnius, Gedrius Cekuolis, vice-ministre des Affaires étrangères, coordinateur national pour l'intégration à l'OTAN, ouvrir le débat sur la "stratégie de sécurité nationale de la Lituanie".

L'objectif principal de son pays est l'intégration à l'OTAN et à l'UE. La candidature à ces deux organisations, rappelle Gedrius Cekuolis, apparaît pour son pays comme un "paquet indivisible". En ce qui concerne l'UE, il estime que son pays a rattrapé le retard par rapport aux pays de la première vague. La Lituanie, dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), collabore étroitement avec l'UE.

Ainsi, lors de la dernière conférence de catalogue des forces, elle a assuré son soutien à la mise en place de forces lituaniennes pour la gestion des crises civiles. Toutefois, si la Lituanie appuie la constitution d'une défense européenne, elle souhaite surtout éviter un affaiblissement de l'Alliance atlantique. L'OTAN et l'UE sont deux buts parallèles et complémentaires. La Lituanie a pour objectif d'adhérer à l'UE dès 2004 et, en ce qui concerne l'OTAN, elle espère être retenue parmi les prochains pays invités à rejoindre l'Organisation lors du Sommet de l'Alliance atlantique qui devrait se tenir à Prague l'année prochaine.

Le vice-ministre rappelle, en outre, que le soutien des Lituaniens à l'adhésion de leur État à l'OTAN est toujours aussi positif (52 %). Selon lui, la Lituanie est, sans doute, l'État candidat à l'Alliance le plus actif. En effet, c'est son pays qui a accueilli, le 19 mai 2000, les huit autres candidats à l'Alliance. L'"appel de Vilnius" a affirmé l'adhésion des neufs candidats aux valeurs fondamentales de l'Alliance et leur disponibilité à assumer le partage des responsabilités et des tâches que suppose, pour eux, l'élargissement. Le vice-ministre rappelle, de plus, que la Lituanie est le pays le plus actif dans le soutien à la réunion des "Premiers ministres des neuf" (9 pays candidats) à Bratislava.

L'intervention de Roland Gablaragues, directeur-adjoint au CAP au Quai d'Orsay, est consacrée aux "enjeux des élargissements européen et atlantique". Il estime, en premier lieu, que les principes de conditionnalité à l'accession à l'UE (critères de Copenhague) et à l'OTAN (rapport de 1995 sur l'élargissement de l'OTAN) sont, à terme, convergents.

Selon lui, les enjeux stratégiques liés à l'élargissement de l'OTAN et de l'UE sont les mêmes pour les États membres et ceux qui aspirent à y adhérer et il serait dangereux que l'OTAN choisisse les prochains États qui pourront adhérer à l'organisation en fonction de leur indice d'"exposition stratégique". Cet indice correspond, pour l'OTAN, aux risques stratégiques liés à l'élargissement à tel ou tel pays.

En outre, à ceux qui agitent le risque de paralysie de l'Alliance si celle-ci venait à s'élargir, Roland Gablaragues indique que l'intervention au Kosovo a pu être meneé à bien en dépit du grand nombre de contingents de nationalités différentes impliqués

Pendant la Guerre froide, l'OTAN était une alliance défensive. Or, depuis 1991, elle s'est considérablement modifiée. Elle conserve une nature duale. Certains estiment que les candidats veulent l'"ancien" OTAN tandis que les États membres souhaitent promouvoir la "nouvelle" version.

A terme, toutefois, l'intérêt de la Lituanie est de voir la Russie devenir un État de droit.

Pour la Russie, l'élargissement de l'OTAN à la Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque fait parti du passé. Ce qui est toujours d'actualité, c'est la crise du Kosovo et surtout le contournement du Conseil de sécurité des Nations unies.

Vilnius doit donc favoriser la poursuite le dialogue avec la Russie fin de parvenir à une inflexion de la position russe vis-à-vis de la candidature des Baltes à l'OTAN.

II. Les nouveaux équilibres de sécurité européens : un défi politique

La deuxième table ronde, animée par Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman, est consacrée aux "nouveaux équilibres de sécurité européens : un défi politique".

Klaudius Maniokas, adjoint au Directeur général du Comité des Affaires européennes auprès du gouvernement lituanien, présente "L'élargissement de l'UE et le nouvel équilibre de sécurité en Europe". L'UE ne dispose pas des moyens militaires pour assurer la sécurité de ses membres. Bien que dépourvue des moyens de "hard security", l'UE dispose d'une gamme complète de moyens de "soft security" et peut ainsi consolider la stabilité intérieure des États candidats et des États membres. Il estime, en outre, que les aspects techniques liés à l'élargissement de l'UE sont trop nombreux.

L'intervention suivante est celle d'Antonio Missiroli, chargé de recherche à l'Institut d'Etude de Sécurité de l'UEO, sur "Les enjeux de la politique européenne de sécurité et de défense pour l'Europe" traite des modalités techniques et opérationnelles de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

Les missions de Petersberg, définies par l'UEO en 1992, ont été insérées dans le traité d'Amsterdam en 1997. Elles concernent des missions d'action humanitaire et d'évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions de force de combat pour la gestion des crises y compris les missions de rétablissement de la paix.

Le catalogue de capacités est l'inventaire des moyens nécessaires à l'UE (forces et capacités collectives) pour accomplir les missions de Petersberg. Document réalisé depuis le 1er juillet 2000 par des experts militaires des 15 États membres à Bruxelles, sous présidence française, avec la participation d'experts de l'OTAN, il a été achevé le 20 octobre dernier et approuvé le 23 octobre 2000 lors du séminaire de Toulouse. Ce document répartit les capacités sous six catégories : terre, mer, air, C3I [commandement, communication, contrôle et information], ISTAR [Intelligence, Surveillance, Targetting, Acquisition et Reconnaissance] et transport stratégique.

Les moyens terrestres définis dans ce catalogue permettront à l'UE de moduler ses capacités entre forces lourdes et légères afin de participer à la même hauteur quelle que soit la dominante requise. Pour cette raison, il requiert un réservoir d'environ 100 000 hommes pour garantir que les 60 000 hommes de l'objectif d'Helsinki soit atteint quelles que soient les conditions opérationnelles de leur emploi.

A Nice, l'objectif a été de créer les structures permanentes indispensable à l'action de l'Union Européenne dans le domaine de la défense : comité politique et de sécurité, comité militaire, État-major de l'UE. Pour les militaires, il s'agissait du Comité militaire et de l'EMUE qui vont être mis en place progressivement. Le passage à la phase opérationnelle pourra être envisagé dès l'été 2001. Le comité militaire, la plus haute autorité militaire du dispositif, composé des Chefs d'État-major ou de leurs représentants, donne des avis militaires et formule des recommandations destinées au Comité Politique et de Securité (COPS). Il fournit des directives militaires à l'EMUE (Etat-Major de l'UE) qui sera composé d'une centaine d'officiers. Cet organisme est chargé de l'alerte rapide, de l'évaluation des situations et de la planification stratégique pour les missions dites de Petersberg, de l'identification des forces européennes et multinationales. Les décisions stratégiques de l'UE s'appuieront sur ses travaux et donne ainsi à l'UE une réelle autonomie de décision.

Cette deuxième table ronde est conclue par une analyse de Egidijus Motieka sur la géopolitique de la position des États baltes ("Potentiel stratégique des États baltes et scénarios d'évolution géopolitique"). Les trois États baltes sont des petites puissances. Leur position géopolitique, en outre, les condamne à être utilisés par les grandes puissances pour le contrôle du Rimland. Leur insertion complète dans la zone euro-atlantique est le seul moyen dont il dispose pour échapper à ce statut de précarité stratégique.

III. Les aspects militaires de la nouvelle sécurité européenne

Jean-Pierre Maulny, directeur-adjoint de l'IRIS, assume le rôle de modérateur de la troisième table-ronde consacrée aux "Aspects militaires de la nouvelle sécurité européenne".

Henry Zipper de Fabiani, adjoint au directeur de la Délégation aux Affaires stratégiques, présente "La défense française à l'heure de la Politique européenne de sécurité et de défense pour l'Europe".

La PESD a été lancée lors de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo. La France souhaitait associer les Britanniques à cette politique afin d'assurer une autonomie stratégique pour l'Europe. A l'heure actuelle, l'UE marche sur "deux jambes" (une "jambe OTAN" et une "jambe purement européenne"). L'OTAN et l'UE doivent être capable de travailler conjointement d'une façon efficace, l'UE devant pouvoir déployer un certain nombre de capacités de force : renseignement, projection, contrôle et capacités stratégiques.

Les ministères britannique et français sont en dialogue constant afin d'impulser la mise en place de ces capacités. Toutefois, les crises ne peuvent être gérées qu'avec de seuls instruments militaires et la France, comme quelques pays européens, possède des forces de police à statut militaire.

Depuis 1991, la France procède à une large refonte de son instrument de défense réduction des formats, professionnalisation des armées, recherche de l'intéropérabilité, transformation du corps européen afin de le mettre en adéquation avec les besoins de l'OTAN et de la PESD.

IV. L'environnement régional de la Lituanie

La quatrième table ronde, animée par Algis Dabkus, directeur des Affaires stratégiques et de sécurité, au Ministère lituanien des Affaires étrangères, porte sur "L'environnement régional de la Lituanie".

La première intervention ("La Russie de Poutine : une nouvelle politique étrangère ?") est assurée par Anne de Tinguy, chargée de recherche au CERI. Selon elle, il y a indiscutablement une nouvelle politique étrangère de la Russie depuis l'élection de Vladimir Poutine.

Pouvant être qualifiée de "diplomatie du pragmatisme", cette nouvelle politique étrangère est résolument offensive ; il n'est plus question de pratiquer la politique de la chaise vide, comme le faisait Boris Eltsine. La priorité de la politique étrangère de la Russie est la CEI car elle veut retrouver des alliés qui lui ont fait cruellement défaut mais aussi arrêter la désintégration de l'ancien espace soviétique. La Russie entend s'affirmer comme la puissance régionale quitte à le faire dans la brutalité, notamment en Géorgie.

Les relations avec les États-Unis sont marquées par le dossier NMD (National Missile Defense). Quant aux rapports avec l'Europe, ils sont inscrits dans l'Accord de partenariat avec l'UE. Les Russes sont favorables à l'élargissement de l'UE à la seule condition qu'elle n'aboutissent à une marginalisation de leur pays. A chaque déplacement de Vladimir Poutine dans une capitale européenne, le président russe ne manque pas de parler du dossier NMD. La Russie s'intéresse à tous les pays européens et pas uniquement aux plus puissants (cf. le récent voyage du Président russe en Espagne).

Quant aux relations avec les États baltes, les Russes sont toujours hostiles à leur adhésion à l'OTAN. La relance du dialogue avec l'Alliance atlantique est, pour les Russes, le meilleur moyen pour empêcher l'intégration des Etats baltes dans l'Alliance atlantique.

Ceslovas Laurinavicius, maître de conférence à l'Institut des relations internationales de Vilnius prend le relais d'Anne de Tinguy. Son bref exposé, intitulé "es enjeux des évolutions récentes en Russie : un point de vue lituanien", reprend trait pour trait celui d'Anne de Tinguy, tout en tempérant les aspects positifs de l'offensive diplomatique russe en Europe.

Le troisième exposé, intitulé "les perspectives de coopération régionale en Europe centrale et dans la Baltique", est assuré par Jacques Rupnik, directeur de recherche au CERI. Il identifie trois modèles de structure de coopération : le groupe de Visegrad, la coopération entre les pays baltes et le Pacte de Stabilité dans les Balkans. En ce qui concerne le groupe de Visegrad, l'environnement géopolitique était favorable à un approfondissement de la coopération (Russie repliée sur elle-même, Allemagne ancrée à l'Ouest et absence de contentieux majeurs entre les PECO). Jacques Rupnik souligne qu'en dépit du caractère hétérogène des trois États baltes, le label "balte" est synonyme de réussite.

La conclusion de la dernière table ronde revient à Vytautas Zalys avec un exposé portant sur "Les processus de l'intégration euro-atlantique et l'avenir de l'enclave de Kaliningrad". Depuis quelques temps, la question de Kaliningrad fait l'objet de nombreux articles dans la presse internationale. Une fois que la Pologne et la Lituanie seront membres et de l'OTAN et de l'UE, de nouveaux problèmes apparaîtront et le régime des visas risque de devenir la principale difficulté entre Kaliningrad et la Russie et entre Kaliningrad et les pays voisins.

Si la Russie détient les clefs de l'avenir politique de Kaliningrad, c'est l'UE qui en assumera le développement économique. La Lituanie, à cet égard, a vocation à constituer le trait d'union entre, d'une part, l'UE et Kaliningrad et, d'autre part, entre l'UE et la Russie.

Au travers des discussions et des différentes questions qui ont ponctuées les interventions de chacun, il est apparu que le dialogue entretenu jusque là par la Lituanie et la France pouvait reposer sur un certain nombre de malentendus, voire sur une certaine méfiance ; la première suspectant la seconde de vouloir bâtir une défense européenne dans le but d'affaiblir l'OTAN et la seconde soupçonnant la première de faire de l'adhésion à l'Alliance altantique une question de principe, sans se soucier des conséquences néfastes que cela pourrait avoir dans les relations Europe/ Russie.

Ainsi, lorsque l'une des parties françaises questionne les interlocuteurs lituaniens sur leurs véritables motivations pour adhérer à l'OTAN, leur réponse est très évasive. Pour eux, la question ne se pose d'ailleurs même plus dans ces termes ; la question n'est plus de savoir "pourquoi adhérer à l'OTAN ?", mais "quand adhérer à l'OTAN ?". Leur approche émotionnelle de la sécurité tend à occulter les autres organisations de sécurité.

Ainsi, si l'OSCE est encore releguée au rang des "organisations inefficaces" en matière de sécurité, ce n'est que très récemment que les Lituaniens ont souhaité s'associer davantage aux mécanismes de la PESD. Ils continuent, néanmoins, à estimer que l'OTAN est la seule organisation de sécurité effective, crédible et surtout opérationnelle. Si l'adhésion à l'UE et l'OTAN apparaît comme un "paquet indivisible", les deux organisations ont chacune un rôle propre et en même temps complémentaire. De ce fait, ils peinent beaucoup à saisir les tenants et les aboutissants de l'Europe de la défense.

Au total, ce colloque, utile, a permis la confrontation d'opinions qui toutes, en définitive, traduisaient la nécessité de voir les Pays baltes en général et la Lituanie en particulier obtenir enfin ce "droit à la sécurité" que le XX ° siècle leur a refusé. Si toutes les parties étaient d'accord sur cet objectif de sécurité, elles préconisaient toutefois des moyens différents pour y parvenir.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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