Entretien d'EuropeAnna Marchand, la protection des droits des tsiganes dans l'Europe d'aujourd'hui, Paris, l'harmattan, 2001, 320p.
Anna Marchand, la protection des droits des tsiganes dans l'Europe d'aujourd'hui, Paris, l'harmattan, 2001, 320p.

L'UE et ses voisins orientaux

Jean-Miguel Pire

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28 mai 2001

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Pire Jean-Miguel

Jean-Miguel Pire

La question tsigane et le traitement dont elle fait l'objet dans les organisations internationales, posent le problème du droit des minorités en général. La multiplicité des solutions proposées, et leur incarnation dans des politiques publiques, nécessitaient une analyse critique permettant de dégager les grands enjeux pour l'avenir proche. Avec l'effondrement des régimes communistes, les revendications tsiganes se sont faites plus pressantes et, en réclamant la protection de leur identité ethnique, elles ont interrogé ce que l'auteur appelle le « système traditionnel des droits de l'homme. »

A travers une analyse juridique et socio-politique comparative des tendances actuelles de la protection internationale des droits des Tsiganes en Europe, l'ouvrage de Anna Marchand met à jour l'articulation existant entre ce qui serait le droit à l'égalité (conception « classique » des droits de l'homme), et le droit à la différence (conception moderne du droit des minorités). Répondant à cette double exigence, une première partie pose « un regard traditionnel sur les problèmes des Tsiganes et la protection internationale de leurs droits de l'homme fondamentaux ». Il revient à la deuxième partie de tenter une « nouvelle approche : la protection de l'identité tsigane par la protection internationale des droits des personnes appartenant aux minorités internationales. » Dans chacune de ces parties, un premier chapitre analyse la situation des tsiganes comme titulaires des droits évoqués, et un second s'appuie sur l'étude des « documents et des activités internationaux » relatifs à ces droits.

L'extrême dispersion des Tsiganes dans l'Europe et l'absence d'un Etat capable de les représenter et de leur offrir protection et organisation est cause, pour Anna Marchand, de leur marginalité et du déni de toute dignité humaine, dont ils ont été les perpétuelles victimes. Précarité des conditions économiques, malnutrition, détresse sanitaire et sociale, discrimination éducative, intolérance, mais aussi négligence des autorités publiques incapables de protéger des Tsiganes trop souvent considérés comme les boucs émissaires : tels sont les éléments du tableau que brosse Anna Marchand pour décrire la condition tsigane. Elle note ainsi que l'hostilité dont les Tsiganes font l'objet vient souvent de la méconnaissance de leur culture et de leurs traditions. Mais, conséquence de l'éducation défaillante, l'auteur admet que cette intolérance est aussi le fait des Tsiganes eux-mêmes vis-à-vis des cultures des pays où ils résident.

Pour Anna Marchand, l'absence d'Etat dans lequel ils puissent se reconnaître constitue l'une des causes importantes de la situation des Tsiganes. Si une prise de conscience politique commence à émerger, elle est entravée par la rivalité existant entre les multiples entités qui composent la réalité tsigane. Néanmoins, la revendication relative aux droits de l'homme, en réunissant l'ensemble des parties, semble constituer le meilleur socle d'une action politique en devenir. Par ailleurs, avec l'internationalisation de la justice sur la base de ces droits, la démarche tsigane s'inscrit désormais pleinement dans les actuels « standards politiques » qui font de plus en plus droit aux revendications des minorités.

Anna Marchand éclaire ces questions par une étude systématique des documents émanant des grandes organisations internationales. Entre la Charte des Nations Unies (1945), la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (1948), la Convention européenne des Droits de l'Homme (1950), et le développement actuel du rôle des ONG, la protection des droits fondamentaux a progressé ; comme l'ensemble des minorités, les Tsiganes ont su bénéficier des avancées qui s'étendent désormais au domaine économique mais aussi éducatif et culturel.

Dans la seconde partie, l'auteur procède à une analyse systématique des éléments permettant de déterminer le caractère « minoritaire » du peuple tsigane, et, sur la base de celui-ci, de définir des droits singuliers. Là encore, cette attribution se heurte à l'absence d'Etat et de territoire défini. Pour autant, l'auteur n'en considère pas moins que « le cadre de la protection internationale des minorités paraît bien adapté pour servir de point de repère aux Tsiganes qui cherchent à sauvegarder et à renforcer leur identité ethnique. » L'auteur évoque ici les évolutions récentes qui ont conduit la communauté internationale à améliorer la prise en compte des spécificités de la situation tsigane.

Il est clairement montré comment l'avènement d'un véritable droit international public a représenté une chance pour un groupe de population que l'absence d'Etat et de territoire excluait des cadres habituels de la compréhension socio-politique. Les effets positifs de ces changements sont analysés en faisant, à côté des éléments économiques, toute leur part au domaine linguistique et culturel. Le Conseil de l'Europe comme l'Union Européenne considèrent, en effet, de plus en plus que la promotion de la culture et de la langue des Tsiganes constitue un « moyen de combattre les préjugés qui sont aux sources de la violation de leurs droits fondamentaux. » Selon l'auteur, à la reconnaissance du statut de minorité nationale doit s'ajouter un instrument susceptible de prendre en compte la spécificité tsigane. Elle avance ainsi l'idée d'un protocole à la Convention européenne des droits de l'Homme.

Au-delà de la question tsigane, Anna Marchand montre qu'il est temps « d'orienter l'éducation vers le dialogue interculturel, fondé sur la prise de conscience de la valeur de la diversité ethnique et sur le renforcement de la tolérance culturelle. » En se livrant à l'étude éclairée du cas tsigane, son livre apporte une pierre à cette orientation. Bien documenté, disposant d'annexes et d'une bibliographie qui en font un véritable outil de recherche, il permet de renouveler et d'approfondir la question complexe du droit des minorités.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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