Entretien d'EuropeInsécurité routière : Pour en finir avec l'hécatombe
Insécurité routière : Pour en finir avec l'hécatombe

Liberté, sécurité, justice

Béatrice Houchard

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9 juillet 2001

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Houchard Béatrice

Béatrice Houchard

43.000 personnes sont mortes en 1998 sur les routes d'Europe (dernières statistiques connues.) Parmi elles, 1000 enfants de moins de dix ans, 7000 piétons, 2500 cyclistes…

La route est la principale cause de décès chez les moins de 45 ans en Europe. Et les vacances d'été ne sont pas la période la moins dangereuse de l'année. Pourtant, les dangers ne sont pas les mêmes partout. Ainsi a-t-on plus de risques de mourir sur la route en Grèce ou en France qu'en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Politiques publiques, appel au sens civique, action de la Commission européenne se conjuguent pour tenter de mettre fin à l'hécatombe.

43.000 morts par an sur les routes d'Europe en 1998. Certes, le chiffre est en baisse (-26% en huit ans) puisqu'on comptait, en 1990, plus de 56.000 victimes. Mais les spécialistes de la sécurité routière sont inquiets : le nombre des morts n'a plus baissé depuis 1996.

Bons et mauvais élèves

Un rapport publié par l'Eurostat ( l'Office statistique des Communautés européennes ) décrit cette évolution. On y constate que le taux de mortalité routière a diminué régulièrement partout de 1990 à 1998, sauf en Grèce (+5%). Les pays ayant enregistré la plus forte diminution sont l'Autriche (- 41%), la Finlande (- 40%), l'Espagne et le Royaume-Uni (-35%), la Suède (-33%), l'Allemagne (-32%) et le Danemark (-31%).

Dans les autres pays de l'Union européenne, la baisse a été égale ou inférieure à la moyenne :

Belgique et Pays-Bas (-26%)

France et Luxembourg (-23%)

Portugal (-20%)

Irlande (-15%)

Italie (-13%)

On constate aussi de très grandes disparités, d'un pays à l'autre, sur les risques de mortalité routière. La moyenne européenne est de 114 morts par million d'habitants. Mais le taux de mortalité routière est « seulement » de 60 par million d'habitants en Suède, 61 par million d'habitants au Royaume-Uni. Et ce chiffre monte à 243 au Portugal, 212 en Grèce, recordmen du danger sur la route. La France (152 morts pour un million d'habitants) et l'Espagne (151) sont au-dessus de la moyenne. L'Allemagne (95) et l'Italie (110) en dessous.

A chacun sa réglementation

Chaque pays possède son propre code de la route, et sa propre manière de le faire appliquer. A Vienne, en 1968, les pays membres de l'Europe de l'époque avaient adopté une convention qui énumérait et définissait les pictogrammes des signes routiers existant sur le plan international. Mais les Etats membres gardent la possibilité d'utiliser ces sigles…ou de ne pas les utiliser. Et si la Commission insiste régulièrement pour que les pays membres établissent des normes communes, les Etats, au nom de principe de subsidiarité, restent réticents.

S'il n'y a plus de frontière, on est tout de même prié, à chaque passage d'un pays à l'autre, d'avoir en tête les réglementations du pays où l'on vient d'entrer.

Limitation de vitesse

Ainsi de la limitation de vitesse sur autoroute, qui est de 130 km/h en France mais de 110 km /h en Suède et au Danemark, de 112 km/h en Irlande et au Royaume-Uni, de 120 km/h en Belgique, Espagne Finlande, Grèce, Luxembourg, Pays Bas et Portugal. Pas de limitation de vitesse en Allemagne sauf au cas par cas, Land par Land.

Même constatation pour la limitation de vitesse en ville, même si la nuance est infime : 50 km/h dans tous les Etats sauf en Irlande et au Royaume-Uni (48km/h)

Ceinture de sécurité

Le port de la ceinture de sécurité est obligatoire partout, à l'avant et à l'arrière, sauf en Grèce où il n'est obligatoire qu'à l'avant du véhicule.

Alcoolémie

C'est sur le taux d'alcoolémie toléré que l'on rencontre les plus importantes différences, puisque l'on va de 0,2mg/ml à 0,8 mg/ml, et que la Grèce se distingue encore en n'ayant adopté aucune limitation particulière.

0,2 mg/ml : Suède

0,5 mg/ml : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Pays-Bas, Portugal.

0,8mg/ml : Irlande, Italie, Luxembourg et Royaume-Uni.

Permis de conduire

Le permis de conduire national est valable dans tous les pays de l'Union européenne. Le permis à points, adopté en France en 1992, existe également en Allemagne, en Grèce et au Royaume-Uni.

Retrait du permis de conduire

Le retrait définitif (c'est à dire à vie) existe seulement en Belgique, en Grande-Bretagne, pays auxquels on peut ajouter, pour information, la Suisse.

Partout ailleurs, un permis peut-être retiré avec possibilité de le repasser après un certain délai.

Mais l'application n'est pas partout la même. Sait-on, par exemple, que la loi française permet de retirer le permis de conduire « en raison de l'état de santé » d'un conducteur ? En Grande-Bretagne, le permis peut être retiré définitivement pour conduite sous l'état de drogues.

A noter, l'expression inventée par la législation suisse, qui permet de retirer son permis de conduite à tout « conducteur incorrigible » Encore faut-il s'entendre sur ce que l'on met derrière le mot « incorrigible...

Infractions transnationales

Un conducteur qui ne respecte pas les codes de la route nationaux, où qu'il se trouve, doit payer une amende dans le pays où l'infraction a été commise. Mais, le plus souvent, s'il n'a pas été interpellé avant son retour dans son pays d'origine, aucune poursuite ne sera intentée contre lui.

De même, le Conseil de l'Europe avait adopté le 17 juin 1998 une convention destinée à étendre aux quinze Etats membres un retrait de permis de conduire décidé par les autorités d'un autre pays que le pays de résidence. Une liste d'infractions avait été établie et adoptée : excès de vitesse, conduite en état d'ivresse, refus de se soumettre à un contrôle d'alcoolémie, conduite sans permis. Il était prévu que les autorités du pays où l'infraction était commise pourraient décider du retrait de permis, et transmettre aux autorités du pays de résidence l'information, étant entendu… que le pays en question pourrait décider d'appliquer la sanction, ou pas, en fonction de sa propre législation nationale.

A ce jour, tous les Etats membres n'ont pas ratifié la convention.

Equipements obligatoires

La liste n'est pas la même dans tous les pays de l'UE. Un Etat membre ne peut donc exiger qu'un véhicule comporte des équipements qui ne sont pas obligatoires dans l'Etat où il est immatriculé. Même s'il se trouve provisoirement en infraction lorsqu'il circule dans tel ou tel pays étranger.

Les appels au civisme

Depuis la fin du mois de juin, les spots télévisés de la sécurité routière ont changé de ton en France. Déjà, en 2000, une série de films réalisés par Raymond Depardon avaient dramatisé, à dessein, la violence routière. La campagne récente, avec ses mots-choc (« sa fille va mourir » dit une voix off avec gros plan sur une fillette sur la banquette arrière, ou encore « il s'encastre dans le camion, lui et sa famille ») est une vraie nouveauté, qui rejoint le réalisme des campagnes d'appels au civisme habituellement diffusées dans les pays du nord de l'Europe ou en Grande-Bretagne. Une petite révolution culturelle dans un pays où l'on estime généralement qu'il n'est pas très grave de rouler à 150 quand la limitation est à 130, ou de ne pas respecter les distances entre véhicules.

La comparaison des statistiques, en laissant apparaître une assez nette frontière nord-sud entre les pays « dangereux » et les autres, renvoie à des explications d'ordre psychologique : tous les conducteurs, selon leur origine et leur culture, n'accordent pas la même valeur symbolique à la voiture. Ou ne considère pas la voiture comme un outil de pouvoir. En d'autres termes : un Italien n'est pas un Suédois, un Français n'est pas un Britannique.

Le bon élève européen : les Pays-Bas

Le contre-exemple de la France, ce sont les Pays-Bas où le nombre des tués a été diminué par deux en quinze ans (68 morts par million d'habitants contre 152 tués en France) Comment un tel résultat a-t-il été possible ? Par la mise en place d'une politique répondant à un savant dosage entre l'éducation, la répression, l'équipement.

Education : Dès les années 70 et 80, la sécurité routière a été enseignée dès l'école maternelle. La sensibilisation des enfants a été très forte afin qu'adultes, leurs comportements et leurs mentalités soient différents de ceux de leurs parents. Il ne s'est pas agi, aux Pays-Bas de faire de la délation systématique comme par exemple dans les pays du nord de l'Europe. Mais de pointer tous les comportements dangereux, tandis que des associations décernaient des brevets de bonne conduite aux meilleurs conducteurs.

Répression : aucun résultat tangible n'aurait pu être enregistré sans une « tolérance zéro » fermement appliquée. La loi est respectée, la répression est ferme.

Réglementation. Avec le but avoué de faire encore diminuer le nombre de tués de 25% d'ici à 2010, les Pays-Bas s'apprêtent à prendre de nouvelles mesures : amélioration des infrastructures routières, limitation de vitesse abaissée à 60 km/h sur les départementales, 80 km/h sur les nationales, et 30km/h en ville. Cette limitation est déjà systématiquement appliquée aux abords des écoles et dans les quartiers résidentiels des villes.

L'action de la Commission européenne

Face à une hécatombe qui n'émeut guère les peuples (notamment en France où les bilans, centaines de morts par centaines de morts, ne semblent pas affoler grand monde) l'Europe a décidé d'agir. La Commission a adopté un programme d'actions 1997-2001 intitulé « Promouvoir la sécurité routière dans l'Union européenne », dont un bilan d'étape permanent est effectué.

Au centre de ce programme : la volonté d'intégrer la dimension socio-économique de la mortalité routière. Avec une notion-choc : chaque mort sur les routes coûte un million d'euros. La Commission s'était donné pour objectif la diminution du nombre des morts en encourageant les actions suivantes : rendre les véhicules plus sûrs ; augmenter le taux de port de la ceinture de sécurité ; modérer la vitesse ; sensibiliser les citoyens à la nécessité d'évaluer et d'améliorer leur aptitude à conduire de façon sûre pour eux-mêmes, les passagers sous leur responsabilité et les autres usagers de la route.

Le17 mars 2000, en rendant public un premier rapport d'étape, Mme Loyola de Palacio, vice-président de la Commission, en charge des transports et de l'énergie, déclarait : « Nous ne pouvons pas nous résoudre à une telle tragédie quotidienne : au niveau individuel comme collectif, il incombe à chacun des acteurs dans la société de prendre ses responsabilités dans la lutte contre l'insécurité routière. La Commission, pour ce qui la concerne, entend jouer pleinement le rôle qui lui revient.

La Commission a donc, sur cette base, dégagé six mesures prioritaires :

- Poursuite et approfondissement du programme européen d'évaluation des nouveaux modèles de voitures (programme EuroNCAP) La Commission finance des essais de chocs frontaux et latéraux des voitures les plus vendues en Europe dont les résultats sont publiés dans la presse spécialisée et les revues des associations de consommateurs.

- Extension de la législation sur les limitateurs de vitesse pour les véhicules commerciaux légers. La législation les impose actuellement pour les camions de plus de 12 tonnes et les autobus et autocars de plus de 10 tonnes.

- Montée en puissance des campagnes incitant à porter la ceinture de sécurité. 8000 vies par an, estime-t-on, pourraient être sauvées en Europe si chacun bouclait sa ceinture.

- Améliorer la sécurité des faces avant des véhicules, pour qu'elles soient moins dangereuses en cas de chocs frontaux. La Commission devrait proposer des normes techniques précises applicables aux nouveaux véhicules.

- Recommandations aux Etats membres concernant le taux d'alcoolémie. La Commission préconise un taux uniforme de 0,5 mg/ml dans toute l'Europe, alors que le seuil toléré varie actuellement de 0,2 à 0,8.

- Définition d'orientations pour la gestion des « points noirs » et mise en place d'infrastructures diminuant les risques. La Commission propose qu'un guide recensant les points noirs en question soit établi, en vue de les corriger.

La Commission a énuméré également cinq domaines qui devront faire l'objet de nouvelles recherches : critères médicaux pour l'attribution du permis de conduire ; critères pour les épreuves du permis ; utilisation de feux de jours ; étude des effets des médicaments sur la conduite ; soins apportés aux victimes.

Enfin, la Commission « encourage par une recommandation formelle les autorités nationales, régionales et locales à évaluer de façon plus systématique les coûts et effets des mesures en matière de sécurité routière, et à accroître et rendre plus perceptibles les investissements publics consacrés à ces mesures ».

Il en faudra sans doute bien davantage pour que l'hécatombe régresse de manière significative, partout dans l'Union européenne.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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