Synthèse n°67
Prévention et promotion de la santé auprès des populations précaires et des exclus en Europe
Prévention et promotion de la santé auprès des populations précaires et des exclus en Europe
18/11/2002
Un accès équitable aux soins de santé est un principe commun à tous les Etats européens. Ce principe d'équité n'est pas seulement éthique : les diverses institutions internationales soulignent aujourd'hui à la fois l'impact considérable de la santé sur le développement et la nécessité (et la rentabilité économique) d'investir dans ces domaines.
A la faveur d'épidémies (ré)émergentes, comme le Sida ou la tuberculose, ce principe devient un impératif de santé publique : de telles épidémies ne peuvent être contrôlées si des individus ou des communautés restent exclus du système de santé et des programmes de prévention.
Ce principe et ces constations sont les mêmes qui ont concouru, depuis 50 ans, à la construction des Etats providence européens qui nous a laissé, en héritage, des systèmes de santé et de protection sociale extrêmement diversifiés. La manière dont ils sont organisés et financés a une incidence directe sur la proportion de personnes effectivement couvertes et sur le niveau des prestations offert, c'est-à-dire finalement sur la part des dépenses de santé restant à la charge des individus.
L'Europe est dans son ensemble, la région du monde qui dépense le plus de fonds publics pour la santé et la protection sociale en général. Or, malgré ces investissements, on constate partout que - si, globalement le niveau de santé s'améliore depuis 40 ans - les inégalités sociales de santé persistent, voire même s'aggravent depuis 15 ans.
Quels enseignements en tirer ?
Les questions d'inégalité concernent d'autres secteurs de la santé. Les investissements réalisés dans le secteur des soins curatifs ne parviennent pas, à elles seules, à réduire ces inégalités. Une politique de santé ne peut s'en tenir à organiser l'offre de soins curatifs et à en financer les dépenses.
Au niveau actuel des dépenses de santé publiques dans la plupart des pays, il ne s'agit pas tant de mobiliser de nouvelles ressources que de redistribuer celles disponibles vers d'autres programmes de santé que les soins curatifs. L'éducation, la prévention, la promotion de la santé - pour peu qu'elles s'adressent spécifiquement aux populations qui en ont le plus besoin (les plus vulnérables, les plus défavorisées) sont des réponses probablement plus adaptées - et plus coût-efficaces - pour lutter contre ces inégalités de santé.
Ces inégalités ne peuvent diminuer que si l'accessibilité de tous à ces programmes est assurée. Le temps est révolu où nous pouvions croire que la pauvreté disparaîtrait par la seule vertu d'une croissance économique soutenue, que l'exclusion des personnes les plus marginalisées de ces dispositifs ne remettait pas en cause l'amélioration de la santé de la population dans son ensemble.
Le projet Europromed
Partout en Europe se sont développées des initiatives originales pour répondre aux besoins de santé de ces personnes et améliorer leur accessibilité aux programmes existants.
Le projet Europromed avait pour objectif de confronter les expériences de professionnels issus d'horizons institutionnels divers (publics, associatifs universitaires, etc.), provenant de 8 pays d'Europe.
Les objectifs de ce projet étaient de décrire, d'évaluer et de confronter les actions de promotion de la santé existantes actuellement dans les différentes structures de soins prenant en charge des personnes en situation précaire dans les 8 pays participant au projet (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal et Suisse) et de proposer des recommandations opérationnelles pour les professionnels de la santé visant à mieux dépister les situations sociales à risque pour la santé et les pathologies associées.
Il s'agissait donc d'analyser les différents systèmes de santé, en terme d'adéquation entre l'offre de soins et les besoins de ces populations précaires, de décrire les dispositifs de promotion de la santé existants dans les structures de soins (publiques ou privées, caritatives ou à but lucratif, en ville ou à l'hôpital), d'élaborer enfin des recommandations, directement applicables par les professionnels de santé dans leur pratique de soins.
Ce projet s'inscrivait ainsi dans les objectifs du programme d'action communautaire de promotion de la santé (1996-2000) adopté par le Parlement européen et le Conseil le 29 mars 1996 : "améliorer la connaissance (...) de la situation et du problème de la promotion de la santé par rapport à certains facteurs de risque et déterminants de la santé et à certains groupes sociaux défavorisés" et "promouvoir des approches intersectorielles et multidisciplinaires de promotion de la santé en direction des groupes vulnérables ou défavorisés".
A l'issue de ce projet, chacun des participants a participé à la rédaction d'un ouvrage collectif, permettant ainsi par sa contribution écrite, de rassembler les différentes perspectives abordées lors du travail en commun.
L'ouvrage "Prevention and Health Promotion for the Excluded and the Destitute in Europe" présente donc, dans une première partie, un panorama des différents systèmes de soins en Europe, ainsi qu'un état des lieux des différents types d'exclusion de l'accès aux soins et du creusement des inégalités dans ce domaine. On y comprend que quelle que soit la forme des systèmes de santé, ils génèrent une certaine marge de populations qui en sont exclues. Une description des réformes récentes de chacun des systèmes et des perspectives d'avenir qui se développent dans chacun des pays permet d'ouvrir une réflexion ancrée dans le futur. Des données actualisées sur les différents pays, leurs caractéristiques démographiques, économiques, sociales ainsi que sur leurs systèmes de soins et leurs dépenses en matière de santé permettent une comparaison rapide et exhaustive.
La deuxième partie s'attache à décrire les différentes initiatives développées par les institutions et groupes impliqués dans le projet pour répondre à la demande de soins des populations exclues. Dans cette partie, les auteurs ont présenté le contexte dans lequel ont été mises en œuvre ces initiatives, ont cerné, à partir de données quantitatives et qualitatives les différentes problématiques auxquelles les actions cherchaient à répondre, et ont tenté une approche à la fois descriptive et évaluative des projets menés. C'est de cette approche pratique et de la réflexion suscitée par la mise en commun des expériences et des problématiques que le groupe a pu tirer les enseignements qui constituent l'essentiel de la troisième partie.
Celle-ci part en effet du constat qu'aucune action ne peut être envisagée sans un renforcement du travail de promotion et de prévention. Après une brève introduction sur l'évolution historique des différents concepts liés à la santé au cours du XXème siècle, et du rôle joué par la Communauté Européenne dans ce cadre, une réflexion s'engage sur la question de la participation de la communauté aux actions de promotion de la santé. Sont ensuite abordées les questions du choix d'un groupe cible (en se basant par exemple sur les groupes de migrants). Une réflexion sur les liens entre déterminants sociaux et situation de santé permet de développer une approche critique des actions de promotion et de prévention en se basant sur l'exemple de la Belgique, ce qui conduit par la suite à une réflexion sur la question de l'évaluation des politiques de promotion et de prévention. Ainsi, en se basant sur l'exemple d'un programme de promotion de la santé à Cagliari, en Italie, une tentative de cadre d'analyse et d'évaluation de ce genre de programme est élaborée. En partant d'exemples de programmes de prévention – notamment en Suisse, France, ou en Espagne- auprès de populations de migrants tels les Roms, une évaluation est proposée, permettant de poursuivre la réflexion.
Cet ouvrage s'adresse à tous ceux qui participent à une réflexion ou une action autour des questions d'inégalités d'accès aux soins. Partant de la mise en commun des différentes situations d'exclusion et des initiatives développées pour y répondre, il tente de tirer les enseignements des pratiques des différents acteurs, de cerner les difficultés communes et particulières et d'en extraire des propositions de réflexion et d'action pour l'avenir. Cet ouvrage s'inscrit donc dans une réflexion ancrée dans la réalité du terrain, mise dans une perspective à la fois européenne et de recherche, afin d'ouvrir la voie à de nouvelles actions.
En forme de conclusion, 13 recommandations pour améliorer l'accessibilité des personnes et des populations exclues à la prévention et à la promotion de la santé. Celles-ci n'ont d'autre ambition que de soulever - ou de rappeler - des pistes de réflexion et d'action aux décideurs politiques, aux professionnels de l'action sanitaire et sociale, aux chercheurs qui travaillent sur ces questions.
Recommandations
Rappelant en préambule que :
• que le principe d'un accès équitable de tous aux soins (au sens le plus large, incluant toutes les actions de santé dont peuvent bénéficier communautés et individus : promotion de la santé, éducation pour la santé, prévention) est indissociable de l'éthique des Droits de l'Homme, dans le sens où il s'agit d'une condition indispensable au respect des Droits fondamentaux de l'Homme, et, au premier rang desquels, le droit à sa dignité ;
• que la prévention et la promotion de la santé constituent des domaines de recherche et d'action qui ne s'entendent que si les autres besoins prioritaires des individus et des communautés sont satisfaits et que si tous les droits essentiels des personnes sont assurés ;
• que la lutte contre les inégalités de santé constatées dans les différents pays de l'Union Européenne implique nécessairement de prendre en compte les domaines d'intervention - pas uniquement sanitaires - des politiques sociales au sens le plus large (protection sociale, éducation, urbanisme, justice, etc).
• que les personnes à risque d'exclusion des soins de santé peuvent appartenir à des groupes ou des communautés identifiées tels que les "sans" : sans papier, sans domicile, sans droits ; les "hors la loi" : par exemple, les prostitué(e)s, les toxicomanes, les prisonniers, les immigrés clandestins ; les "hors catégories" : par exemple, les migrants (en particulier les Roms) ou les réfugiés
• qu'il peut s'agir aussi d'individus en situation de précarité, c'est-à-dire dont les trajectoires individuelles sont faites d'une accumulation - éventuellement réversible - de facteurs d'exclusion qui, mis bout à bout, vont conduire à une exclusion effective des programmes de santé : que ces facteurs d'exclusion soient d'ordre financier, socioculturel, familial, etc. Ces personnes et ces trajectoires de précarité sont difficiles à repérer aussi bien par les systèmes de protection sociale puisqu'elles sont souvent juste au dessus des seuils qui leur donneraient le droit de bénéficier d'aides sociales, que par les programmes de santé eux-mêmes. Dans des situations d'exclusion par rapport au système de santé de droit commun, ces personnes ne consultent pas pour autant dans des dispositifs spécifiques pour pauvres.
Le groupe de travail Europromed a formulé les recommandations suivantes :
1. La prévention, la promotion de la santé et la prise en charge des populations précaires et exclues doivent être reconnues et soulignées comme autant de priorités par les politiques nationales de santé.
Cette priorité n'implique pas tant la mobilisation de nouveaux moyens qu'une redistribution des moyens existants et un souci constant d'équité. Cette priorité est indissociable des réflexions et des réformes actuellement menées dans tous les pays de l'Union Européenne sur la maîtrise des dépenses de santé et l'amélioration de la qualité des soins délivrés aux populations. Ni l'un ni l'autre de ces objectifs ne peuvent être atteints si une part croissante de la population résidente dans ces Etats reste exclue de la prévention et des soins.
2. Les actions de promotion de la santé spécifiques et l'amélioration de l'accès aux soins (curatifs et préventifs) des populations exclues et/ou précaires nécessitent l'engagement des décideurs locaux.
Des politiques de santé définies et menées localement, au plus près des personnes exclues ou précaires, sont les mieux à même de répondre aux besoins de santé de ces personnes et de lever les obstacles conduisant, dans la pratique, à leur exclusion des soins et des programmes de prévention. L'équité dans l'accès à ces programmes et à ces soins de santé constitue une responsabilité primordiale des décideurs politiques locaux, en particulier en milieu urbain où les situations de vulnérabilité et de marginalisation sont les plus fréquentes et les plus aiguës.
A contrario, les décideurs et les élus nationaux doivent veiller à ce qu'une politique de santé nationale harmonise les écarts observés, dans tous les pays, d'une région à l'autre, dus à la diversité des ressources disponibles... ou de l'engagement local. Dans le domaine de la promotion de la santé et de l'accès aux soins des personnes exclues, ces responsabilités doivent définir une continuité entre des principes communs aux différents Etats-providence européens, des politiques nationales garantes de l'équité et de la cohésion sociale, et des programmes d'action décidés par des responsables locaux au service de leurs populations. Ces objectifs passent éventuellement par la définition de zones de santé prioritaires et l'application de principes de discrimination positive aux politiques de santé locales.
3. Les professionnels de santé, les organisations non gouvernementales, et les populations concernées doivent être associés à la définition des besoins de santé des populations exclues et/ou marginalisées.
L'engagement des décideurs locaux et nationaux des politiques de santé nécessite, d'une part, qu'ils puissent être interpellés sur ces questions par ceux susceptibles d'être confrontés à ces inégalités (les professionnels de santé, les organisations non gouvernementales) et par les populations concernées elles-mêmes. Il nécessite aussi que les mêmes soient, ensuite, associés à la définition des priorités de santé et des politiques nécessaires pour répondre aux besoins de santé ainsi diagnostiqués.
A l'échelon européen, les constats établis par tous ceux - institutions, organisations, professionnels, communautés - engagés dans la dénonciation des inégalités de santé et la prise en charge des situations d'exclusion des soins vécues par les personnes en situation précaire méritent d'être réunis, comparés, diffusés dans une perspective européenne.
4. Les dispositifs de soins et les professionnels de santé doivent ménager, dans leur organisation et dans leur pratique, un souci constant d'équité dans l'accès et le soin des personnes, quelque soient leurs situations sociales et leurs conditions de vie.
En ce qui concerne les dispositifs de soins, ce souci - affirmé a priori et évalué a posteriori - pourrait faire partie des conditions d'accréditation par les pouvoirs publics et/ou les organismes financiers dans les pays où de telles procédures d'accréditation ont été mises en place. Dans ce cas, des indicateurs permettant d'évaluer ces équités d'accès et de soins nécessitent d'être définis.
Ce souci d'accessibilité et d'équité doit se traduire par la mise en place de dispositifs spécifiques intégrés dans les structures de soins publiques comme, par exemple, la mise à disposition de médiateurs culturels et/ou d'interprètes dans les structures accueillant des personnes d'origine étrangère, la mise à disposition de relais thérapeutiques pour les toxicomanes sous substitution, etc.
Pour les professionnels de santé, ce souci fait partie intégrante de leur déontologie professionnelle et des règles éthiques qui s'imposent à eux. Qu'il s'agisse du respect de la dignité de la personne, de l'interdiction de toute discrimination ou de l'obligation de moyens, ces règles nécessitent la connaissance, le respect et la prise en compte de la situation sociale individuelle du patient dans les soins qu'ils prodiguent.
Disposer de structures de soins proposant un environnement "sûr", respectueux de la déontologie médicale, non discriminant (y compris vis-à-vis des personnes dont la situation administrative ou judiciaire peut être péjorative), non stigmatisant (y compris quand il s'agit de dispositifs prenant en charge spécifiquement tel ou tel groupe de population) nécessite aussi d'améliorer la connaissance des usagers en les informant de l'intégralité de leurs droits en tant que malades.
5. Des réseaux multidisciplinaires et des partenariats intersectoriels doivent être développés et soutenus par les pouvoirs publics.
Ces réseaux doivent associer les fournisseurs de soins de santé (médecins et paramédicaux), les autres professionnels de santé (éducateurs pour la santé, acteurs de promotion de la santé), les fournisseurs de soins sociaux (travailleurs sociaux, assistants sociaux) et tous les secteurs d'activité éventuellement concernés (l'éducation, la police, etc.).
Seuls de tels réseaux sont susceptibles, à la fois, de sensibiliser les différents professionnels à la complémentarité de leurs actions en direction des populations les plus vulnérables, d'améliorer l'efficacité des approches utilisées par les uns et les autres, de diminuer les occasions manquées de promotion de la santé, de soins médicaux ou de prise en charge sociale à l'occasion d'un contact avec l'un(e) ou l'autre de ces professionnels ou institutions.
De tels réseaux ne peuvent être laissés à la seule initiative locale (souvent bénévole) des organisations non gouvernementales, des institutions caritatives ou des organismes de prévoyance. Les approches de contractualisation qui se développent dans les différents Etats de l'Union Européenne sont l'occasion de soutenir, formaliser et évaluer de tels réseaux.
6. L'intégration des soins curatifs et préventifs dans l'exercice quotidien des soins primaires doit être promue.
Pour les personnes en situation d'exclusion sociale et/ou vivant dans des conditions précaires, le recours aux soins, rare et souvent tardif, doit être systématiquement l'occasion de délivrer des informations et des soins de prévention. Cette intégration suppose de valoriser - d'une manière ou d'une autre - les pratiques de prévention en médecine de ville.
Plus généralement, tous les services de soins de premiers recours - médecine générale, dispensaires publics ou associatifs, urgences et consultations hospitalières - doivent inclure des actions de promotion de la santé, de prévention et de dépistage en direction des populations défavorisées qui s'adressent à eux.
Des "guidelines" opérationnels de détection et de prise en charge des pathologies prévalantes dans ces populations doivent être développés et utilisés en santé primaire, concernant en particulier les intoxications de toute nature (alcool, tabac, psychotropes, drogues illégales), les maladies transmissibles (tuberculose, VIH, Hépatite C), la santé mentale (syndromes anxio-dépressifs).
Les approches de "disease management" qui visent une plus grande intégration des différentes offres de soins et des services de santé (et une utilisation plus efficace du système de soins) autour d'une pathologie donnée peuvent contribuer à cet objectif à la condition, là encore, qu'elles prennent en compte les conditions de vie des personnes exclues.
7. Des programmes de santé avancés (outreach programmes) doivent être mis en place pour atteindre les individus et les communautés qui ne viennent pas spontanément dans les structures de soins existantes.
Les personnes les plus vulnérables vis-à-vis de problèmes de santé (en particulier, mais pas seulement, les maladies transmissibles) sont souvent celles les plus réticentes à consulter dans les dispositifs existants : par exemple, les toxicomanes, les étrangers en situation irrégulière, les personnes sans domicile, les prostitué(e)s, etc. Pour toutes ces personnes, seuls des dispositifs "avancés", venant à leur rencontre, sur leurs lieux de vie, sont susceptibles de les atteindre.
Ces programmes, souvent initiés par des organisations non gouvernementales, doivent faire partie intégrante de l'offre de soins proposée à la population et être coordonnés aux (si ce n'est managé par les) dispositifs de soins publics existants (consultations, urgences hospitalières, etc.).
8. Les dispositifs de soins existants (y compris la médecine de ville) doivent proposer une offre de soins sociaux dans la continuité de leur offre de soins de santé, soit de façon intégrée, soit de façon coordonnée.
Les professionnels de santé constatent que (en dehors de cas de maladies graves ou de retard à consulter se traduisant par une aggravation des situations cliniques observées), derrière la plainte somatique commune, derrière la demande de soins médicaux formulées par les personnes en situation précaire, se cache souvent une demande d'ordre social.
Cette demande doit être prise en compte dans le même temps ou, au moins, dans la continuité directe du soins de santé soit en intégrant des travailleurs sociaux dans les dispositifs de soins, soit en coordonnant de façon effective et efficace leurs activités avec les services sociaux les plus proches.
En médecine de ville, de tels réseaux permettent de rompre l'isolement des médecins généralistes, souvent démunis pour prendre en charge une telle demande sociale et, par là, réticents à prendre en charge certains patients marginalisés. Ils permettent aussi d'augmenter l'utilisation du système de soins de ville par les populations exclues et de prémunir les effets de transfert observés vers une utilisation inadéquate et peu justifiée des urgences hospitalières.
9. Des actions spécifiques de prévention et de promotion de la santé doivent être conduites en direction des personnes en situation précaire et des différentes populations marginalisées et exclues.
Des actions et des programmes de prévention et de promotion de la santé méritent d'être renforcées, partout et pour tous. De par leurs conditions de vie, leur situation sociale, leur niveau d'éducation ou leur culture, des groupes de population ne peuvent être atteints par des actions de promotion de la santé et de prévention que si ces actions spécifiques dans leurs médias et leurs contenus sont mises en place.
A l'inverse, l'impact réel des actions menées en population générale devraient être systématiquement évaluées dans ces groupes de populations marginalisés et exclus.
10. Les personnes en situation précaire, les groupes de population exclus, les communautés marginalisées doivent être associés à la mise en œuvre et à l'évaluation des actions de promotion de la santé qui leurs sont destinées.
Une participation active de ces populations est un pré-requis indispensable pour la réussite de tels programmes. A partir du moment où la nécessité de programmes spécifiques de promotion de la santé apparaît, les objectifs et les outils de tels programmes ne peuvent être définis et développés "de l'extérieur" par les seuls professionnels de santé, aussi experts soient-ils.
Quels besoins de santé sont ressentis et quelles priorités de santé (individuelles et collectives) en découlent ; comment s'inscrivent ces priorités par rapport aux autres (concernant, pour les personnes en situation précaire, souvent des domaines non moins essentiels de la vie : habitat, alimentation, ressources financières minimum, éducation des enfants, etc.) ; à partir de là, quels messages sont recevables et dans quelles conditions sont autant de questions auxquelles les personnes elles-mêmes doivent pouvoir apporter leurs réponses.
11. Ces sujets soulignent la nécessité de diversifier le savoir médical tel qu'il est enseigné aux professionnels de santé, en particulier la formation académique initiale et la formation continue des médecins et des paramédicaux.
D'autres disciplines que biomédicales doivent faire partie du curriculum des facultés de médecine et des écoles de formation paramédicales.
La formation des professionnels de santé aux besoins de santé des personnes et des populations vulnérables et marginalisées, et plus généralement aux inégalités sociales de santé, nécessite que la formation initiale comme la formation continue ultérieure réservent une place centrale à d'autres disciplines du champ de la santé telles que la sociologie, l'économie, l'ethnologie, l'histoire, l'éthique, etc.
Des temps de formation commun - en particulier dans ces disciplines - aux différents professionnels de la santé (médecins, paramédicaux, travailleurs sociaux, professionnels de la promotion de la santé) devraient être promus.
12. Le développement de ces approches de santé à destination des personnes et des populations exclues nécessite, de façon concomitante, le développement de travaux de recherche en santé sur ces situations et ces populations.
A partir des situations observées et des objectifs sus cités, quatre priorités de recherche se dégagent :
• La nécessité de développer des outils de recherche étudiant les conditions de vie et les états de santé de façon individuelle et longitudinale : l'étude des trajectoires individuelles sociales et sanitaires devrait permettre de repérer les personnes vulnérables et les parcours sociaux à risque pour la santé, au-delà des anciennes catégorisations sociales devenues largement inopérantes, et d'améliorer l'efficacité des réponses proposées.
• La nécessité de développer des recherches communautaires lorsque ces communautés existent : l'état de santé et l'accès aux soins des populations migrantes ou immigrées constitue un exemple emblématique où des questions d'accessibilité spécifiques doivent être adressées en tant que telles, sans qu'elles puissent apparaître contradictoire avec les objectifs d'intégration et les principes de non-discrimination poursuivis.
• La nécessité de développer des recherches en matière d'évaluation des programmes de promotion de la santé en direction de ces personnes et de ces populations : leur situation de marginalisation et d'exclusion constituent autant de difficultés à leur évaluation qui doivent être prises en compte dès l'initiation de ces programmes et nécessitent le développement d'approches novatrices.
• Ces objectifs de recherche nécessitent une approche européenne : parce qu'ils partagent des principes éthiques et des objectifs communs, qu'ils sont confrontés à des situations d'exclusion largement similaires, qu'ils ont développé, pourtant, des politiques sociales et des politiques de santé différentes, des expériences et des programmes en matière de promotion de la santé et d'accès aux soins qui méritent d'être valorisés, les différents Etats membres de l'Union Européenne constituent sans doute un "laboratoire d'idées" unique.
13. Les inégalités sociales de santé doivent constituer, en tant que telles, un objectif des divers systèmes d'information en santé nationaux. Au niveau européen, des informations standardisées et comparables doivent être disponibles en routine.
Dans tous les pays, les systèmes d'information en santé existants (surveillance des causes de décès, surveillance des maladies professionnelles, surveillance des maladies à déclaration obligatoire, systèmes d'informations hospitaliers, etc.) devraient permettre, par l'inclusion de données sociales en plus des données de santé, de décrire la distribution et les tendances temporelles des inégalités sociales de santé (populations les plus vulnérables, écarts existants entre les personnes les plus et les moins favorisées, etc.) et d'évaluer l'impact socio-sanitaire des programmes et des actions de prévention et de promotion de la santé mises en place.
Au niveau européen, une synthèse des informations devrait pouvoir être régulièrement effectuée, par exemple sous la forme d'un rapport annuel et/ou sous la responsabilité d'un observatoire européen des inégalités de santé. Des études spécifiques, comparatives, devraient être soutenues, concernant les populations les plus vulnérables : par exemple (mais la liste n'est pas exhaustive) les adolescents, les personnes âgées isolées, les migrants, les étrangers en situation régulière ou non, les toxicomanes, les prisonniers, les chômeurs de longue durée.
En conclusion, la dimension sociale de l'Europe est aussi à rechercher dans l'amélioration de l'accessibilité de tous aux programmes de santé.
Directeur de la publication : Pascale JOANNIN