Entretien d'EuropeLe devenir des institutions européennes et les relations transatlantiques
Le devenir des institutions européennes et les relations transatlantiques

Les relations transatlantiques

Anne Castagnos-Sen

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25 janvier 2003

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Castagnos-Sen Anne

Anne Castagnos-Sen

Juge-assesseur à la Commission des recours des réfugiés.

I. La Constitution de l'Union européenne

I.1. Les droits fondamentaux

Jean-Claude Masclet, Vice-président de l'université Paris I, a animé les débats sur la question des droits fondamentaux, qui occupe une place centrale dans les travaux de la Convention et dans la construction européenne. Elle constitue le socle par excellence des valeurs communes européennes qui ont présidé à sa création.

Après que Françoise Dreyfus, professeur à l'université Paris I, a établi un parallèle très surprenant entre la Convention de Philadelphie de 1787 qui a été à l'origine de la rédaction de la Constitution américaine, et la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par V. Giscard d'Estaing, tout en posant les limites de cette comparaison, Jacqueline Dutheil de la Rochère, professeur à l'université de Paris II, nous a exposé la place de la Charte des droits fondamentaux dans la future Constitution européenne, proclamée solennellement par le Conseil européen de Nice en décembre 2000. L'orateur a insisté sur le consensus très important qui s'était dégagé des travaux de la première convention chargée de l'élaboration de cette Charte, tout en soulignant l'importance de « ne pas toucher à la Charte » et de l'intégrer en l'état à la future Constitution.

Après avoir longuement débattu au sein d'un Groupe de travail de la manière d'intégrer ces droits fondamentaux à la future Constitution européenne, les Conventionnels ont finalement préconisé l'insertion d'une référence à la Charte, en faisant figurer le texte complet dans un Protocole annexé.

Guy Braibant, Conseiller d'Etat honoraire et membre de la Convention chargée de la rédaction de la Charte, s'est posé la question de savoir s'il existe un modèle européen des droits fondamentaux. René Cassin, grand défenseur des droits de l'Homme en France, s'était fait l'apôtre des deux principes cardinaux de l'individualité et de l'universalité des droits de l'Homme. Si la Charte respecte le premier, elle peut difficilement prétendre au second. La seule exigence de l'abolition de la peine de mort et du respect de certains droits sociaux mettrait par exemple les Etats-Unis dans l'impossibilité de la signer. Cette Charte est donc porteuse d'un modèle européen en ce qu'elle reflète un système de coopération applicable à toute l'Europe (elle est le fruit de long compromis, y compris sur des définitions juridique essentielles) mais rien qu'à l'Europe.

Le contenu de cette Charte n'est pas sans poser quelques problèmes. Jean-Claude Colliard, membre du Conseil constitutionnel et professeur à l'université Paris I, nous a fait part des « perplexités du juge constitutionnel » face à l'application de cette Charte, qui prendrait valeur constitutionnelle si elle était intégrée au futur Traité, et à son contrôle juridictionnel.

I.2 Les structures institutionnelles

Cette table-ronde animée par Robert Badinter, sénateur, membre de la Convention sur l'avenir de l'Europe, a abordé la question terminologique qui préoccupe beaucoup certains juristes . Le terme et le concept de « Constitution européenne » ou de « Traité constitutionnel » est-il approprié, ou même juridiquement autorisé, pour désigner le texte fondateur de l'Europe à venir qui ressortira des travaux de la Convention ? Ou s'agit-il comme le pensent certains constitutionnalistes, d'une monstruosité juridique ? Les avis sont partagés.

Didier Maus, professeur à Paris I, considère que le vocabulaire constitutionnel est utilisé depuis déjà bien longtemps dans les textes européens. En 1929 déjà, Aristide Briand définissait la Société des Nations comme « une sorte de lien fédéral qui ne touche pas à la souveraineté des Etats constituants ». Cette idée a été reprise par Jacques Delors quelques années plus tard, qui parle de la construction européenne comme d'une « Fédération d'Etats nations », formule désormais passée dans le vocabulaire courant, même si elle mérite réflexion quant au fond.

Dans la pratique, il s'agit d'un combat d'arrière-garde : ce débat sémantique est aujourd'hui tranché, le terme de Traité constitutionnel ayant été très largement adopté par les conventionnels, les Etats et dans les médias, y compris par les Britanniques pour qui la notion même de Constitution, absente de leur corpus juridique, est troublante et difficilement perceptible.

Sur le fond, une Constitution est « un texte qui définit les droits fondamentaux et organise les systèmes de pouvoirs ». Comment mieux résumer les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe ? La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a elle-même vocation à devenir une cour constitutionnelle.

En quoi cette future « Constitution » irrite-elle donc ses détracteurs ? Effectivement, elle ne sera pas l'expression d'une souveraineté. Mais il n'existe pas de modèle unique de texte constitutionnel et, selon D. Maus, ce n'est pas parce qu'une Constitution n'émane pas d'un corps souverain qu'elle n'a pas de pertinence.

Le texte élaboré par la Convention sera un Traité constitutionnel, en ce sens qu'il sera ratifié par tous les Etats membres et se substituera aux traités actuels. Peut-être même fera-t-il l'objet d'un référendum, ce qui lui apporterait cette légitimité démocratique qui lui manquerait. La Communauté, puis l'Union européenne ont été les constructions politiques les plus originales de la seconde moitié du XXème siècle, ce nouveau traité pourrait devenir la première constitution originale du XXIème siècle.

Ce n'est pas l'opinion de Michel Rosenfeld, professeur à l'université américaine Cardozo School of Law, pour qui le terme de « traité constitutionnel » est une aberration sémantique, un « Traité » définissant les relations externes des Etats, tandis q'une « Constitution » établissant les liens internes à un Etat ou aux Etats parties.

Pour Robert Badinter, « un amoureux des constitutions », la Fédération d'Etats nations est un concept innovant, entre Fédération et confédération. Il préserve l'équilibre entre unité et diversité. Mais l'Europe en marche, élargie à 25, pose trois problèmes fondamentaux au regard des structures institutionnelles :

Quelle est la pertinence de cette « Fédération d'Etats nations » dans des pays comme la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne, et a fortiori dans certains pays d'Europe centrale où se pose de manière aiguë la question des minorités ?

La démocratie est-elle possible lorsque le gouvernement central est aussi éloigné des Etats ? L'on peut s'interroger aussi sur la manière d'intégrer les différents niveaux de démocratie (européen, national, régional) et de la démocratie infrarégionale. La question se posait différemment en 1787 aux Etats-Unis car l'intégration des Etats était très faible alors que l'intégration économique européenne est déjà très forte.

Une Constitution n'est-elle possible que lorsqu'il y a communauté de culture et de coopération politique ? « Nous le peuple américain » répondait à un sentiment d'appartenance très fort à une même communauté d'Anglais qui avaient obtenu leur indépendance, ce qui n'a aucun équivalent en Europe aujourd'hui.

Pour Patrick Julliard, professeur à Paris I, le débat terminologique sur un Traité constitutionnel est à la fois un vrai et un faux problème, le vrai problème étant par définition plus facile à résoudre. La contradiction, réelle mais insoluble, c'est qu'une « Constitution » implique une certaine rigidité, par opposition au « Traité» qui incarne une certaine souplesse et contient ses propres mécanismes d'adaptabilité (réserve, exception, déclaration etc.). Le Traité constitutionnel de la Convention contiendra des réserves, ce qui risque de vider la Constitution de son contenu.

Le vrai problème est en réalité celui de la « communautarisation ». La Constitution exclut les mécanismes intergouvernemantaux et exige donc la communautarisation du 2ème et du 3ème piliers. Cette question a déjà été tranchée en ce sens par l'Avant-projet de Traité constitutionnel du 28 octobre 2002.

Le faux problème est celui de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres. En réalité, et bien que les Etats s'en défendent, la Communauté européenne contient tous les éléments d'un système fédéral en ce qu'il répartit clairement, par application du principe de subsidiarité et de proportionnalité, les compétences entre le niveau communautaire et le niveau national, les compétences dites « partagées » étant illusoires. La seule vraie question est donc de savoir si le droit communautaire doit prévaloir sur le droit national, la réponse étant bien évidemment positive. Depuis des années, tel M. Jourdain, « nous faisons du fédéralisme sans le savoir ».

En réponse aux diverses questions soulevées par les intervenants, et en particulier par Giuseppe de Vergottini, professeur à l'université de Bologne, qui s'est interrogé sur l'équilibre institutionnel et le modèle fédéral européen, Robert Badinter a replacé les débats dans le cadre des travaux réalisés au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe. De manière générale, il a insisté sur l'importance de ses résultats dans la perspective de la Conférence intergouvernementale qui suivra : « Ce qui sortira des travaux de la Convention ne pourra pas être refusé par les Etats, étant donné le niveau de responsabilité des Conventionnels et l'implication des gouvernements ». Mais le texte devra être approuvé par tous les Etats (il est inimaginable dans la configuration de la construction européenne, de s'inspirer des Conventionnels américains qui avaient prévu une ratification d'au moins 9 des 13 Etats) et de préférence validé par référendum, même si ce processus implique des révisions constitutionnelles dans certains Etats. Selon les termes de Didier Maus, « cette Constitution requiert le consentement libre et éclairé de la majorité des peuples concernés ». Plusieurs points ont d'ores et déjà fait l'objet d'un large consensus :

1) Le concept de Traité constitutionnel est acquis et il retrouvera toute sa légitimité par le processus de ratification et, souhaitons-le, celui du référendum en 2005. Lorsque 450 millions d'Européens venus des 25 pays membres auront approuvé ce texte, sa légitimité démocratique ne sera plus mise en cause. Ce référendum constituera bien sûr un « grand moment de vérité » dans le processus de construction européenne.

2) Il s'agira d'un texte unique, remplaçant tous les traités actuels

3) Ce texte sera doté d'une personnalité juridique et morale

4) La Charte des droits fondamentaux sera intégrée telle quelle au Traité avec force juridique, sous réserve de petites modifications cosmétiques de l'article 51 et 52. Le Traité reprend « toute la Charte et rien que la Charte » et ne crée pas de nouvelles compétences. La ratification du Traité entraînera l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme sous le contrôle juridictionnel de la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg. Il y a potentiellement risque de conflit de compétence entre Luxembourg et Strasbourg mais Robert Badinter « fait confiance aux juristes européens pour harmoniser le droit ».

5) « Nous n'assistons pas à la naissance des Etats-Unis d'Europe » : il ne s'agit pas de créer un Etat fédéral dans lequel les Etats membres perdraient leur souveraineté mais une fédération d'Etats souverains (le concept d'Etat nation n'ayant pas grand sens chez certains de nos partenaires européens), dans laquelle les Etats membres délèguent volontairement une part de leur souveraineté nationale.

6) L'intégration dans le Traité de la notion de subsidiarité implique le contrôle politique du Parlement européen et des parlements nationaux, et le contrôle juridictionnel a posteriori de la CJCE.

7) La structure en piliers disparaît mais des procédures décisionnelles différenciées seront maintenues selon les domaines.

En matière de partage des pouvoirs, Robert Badinter est pour sa part convaincu de la nécessité d'une Commission européenne forte qui jouerait le rôle de gouvernement de l'Europe à 25. « C'est vers la Commission européenne que va aller la souveraineté de l'Europe ». La proposition franco-allemande de l'élection du président de la Commission par le Parlement européen change radicalement la donne en ce qu'elle confère à celui qui occupera cette fonction une légitimité démocratique forte et qu'elle le rend responsable devant le Parlement, élu au suffrage universel direct.

Mais où les Etats vont-ils récupérer leur pouvoir ? Le Conseil des ministres va tendre à devenir la seconde chambre législative qui examinera les textes proposés par la Commission, ce qui entamera largement son pouvoir actuel. Avec une Commission puissante, le Conseil des ministres va perdre beaucoup de son importance.

L'idée franco-allemande de la présidence bicéphale est, selon l'ancien président du Conseil constitutionnel, source de conflit institutionnel. En effet, l'Europe va assister à une forme de cohabitation à la française : d'un côté le président de la Commission qui exprime la légitimité parlementaire et populaire, de l'autre le président du Conseil européen qui procède de la légitimité étatique. En outre, cette proposition met fin à la présidence tournante de l'Union, ce qui présente l'avantage d'une plus grande continuité mais heurte ceux qui, comme les pays de l'élargissement, y voient de grandes vertus pédagogiques vis-à-vis de leur opinion publique nationale.

Jean François-Poncet exprime un point de vue plus optimiste sur l'idée de la double présidence qui débouchera peut-être sur des « crêpages de chignon », mais a le mérite de proposer une solution acceptable au problème insoluble qui oppose les « souverainistes », tenant d'un Conseil fort, aux « fédéralistes », favorables à une Commission omnipotente.

II. L'Union européenne et les relations transatlantiques

II.1 Les politiques extérieures de la nouvelle Union

Sous la présidence de Jean François-Poncet, cette table-ronde s'est interrogée sur la définition de ce que pouvait et devait être l'action extérieure de l'Union européenne, sur le modèle dont elle devait s'inspirer et sur les moyens dont elle devait se doter pour la mener à bien.

Xavier Greffe, professeur à l'université de Paris I, a soulevé la question de la gouvernance économique de l'Europe, pour conclure qu'elle laissait grandement à désirer sur le plan extérieur, à l'exception du domaine commercial (notamment au sein de l'OMC) où cette gouvernance fonctionne plutôt bien.

Pierre Lequiller, Président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et membre de la Convention sur l'avenir de l'Europe, a fait part du large consensus que recueille parmi les Conventionnels l'idée d'un ministre européen des affaires étrangères nommé par le Conseil, qui regrouperait les fonctions actuelles occupées par Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, et Chris Patten, Commissaire chargé des relations extérieures. Cette proposition constitue une très grande nouveauté dans le fonctionnement actuel de l'Union : elle permettra une meilleure cohérence et une plus grande visibilité des travaux du Conseil des ministres chargé de ces questions.

En matière de défense, il sera sans doute nécessaire de fixer un certain nombre de critères déterminants pour faire progresser l'idée d'une défense commune de progresser, fusse-t-elle au sein de coopérations renforcées. Ceci ne signifie pas que la communautarisation sociale des questions de défense soit souhaitable - peut-on imaginer un contingent de soldats français envoyés au front sur ordre de Bruxelles ?

Sur la présidence de l'Europe, P. Lequiller a brièvement rappelé sa proposition d'un président unique. Si la contribution franco-allemande offre un compromis acceptable entre des positions très divergentes, il espère qu'à terme, on arrivera à un seul Président qui donnerait enfin à l'Europe « une voix et un visage ».

Françoise de la Serre, chercheur au CERI, a présenté les défis de la PESC et de la PESD, en rappelant que la question de la politique extérieure n'était pas initialement prévue par le mandat de Laeken qui a convoqué la Convention sur l'avenir de l'Europe mais qu'elle est pourtant au cœur du projet politique européen : il faut que les Européens décident de ce qu'ils veulent faire ensemble. La coexistence de la logique intergouvernementale et de la « méthode communautaire » n'a, jusqu'à présent, pas produit de véritable politique étrangère commune qui soit lisible, crédible, efficace et en rapport avec les capacités réelles de l'Union. Le bilan est donc assez maigre. Si elle veut survivre et poursuivre son intégration, l'Union ne peut se contenter d'une action civile et intérieure, mais doit devenir un acteur sur la scène internationale. L'accord sur une personnalité juridique de l'Union est un instrument de cohérence important en politique extérieure. La proposition franco-allemande de double présidence n'est pas une mauvaise chose, mais « le diable sera dans les détails ».

En matière de défense, il faut remettre à plat les missions de Petersberg (maintien de la paix et missions humanitaires) et les objectifs d'Helsinki définis au Conseil européen de décembre 1999, de manière à renforcer la cohésion et l'efficacité de l'Union. La grande diversité des Etats en matière de défense (budget, capacité, adhésion à des accords internationaux ou bilatéraux etc.) impose la mise en œuvre de coopération renforcées, même si celles-ci sont pour l'instant prohibées par le Traité de Nice dans ce domaine. Doit-on aller plus loin et reprendre l'idée d'une « clause de solidarité » entre Etats membres ?

La vision américaine sur ces questions a été exposée de manière très pessimiste par deux intervenants.

« Tout le monde reconnaît, et à juste titre, qu'un Etat européen n'est pas en construction » et si les Européens pensent qu'ils peuvent avoir une politique européenne commune, ils se trompent ! C'est en ces termes que s'est exprimé Ezra Suleiman, professeur à l'université de Princeton, en insistant notamment sur la complexité des structures européennes et leur manque de visibilité pour le simple citoyen comme pour les spécialistes de la question.

Esther Brimmer, professeur à l'université Johns Hopkins de Washington, a fait part de ses réflexions sur la définition de « l'Union comme puissance mondiale ou puissance régionale », en exprimant ses doutes sur la capacité de l'Union à assurer à l'extérieur des frontières européennes les trois missions qu'elle s'est fixée en matière intérieure : maintien de la paix, aide au développement/assistance et respect des droits de l'Homme.

Jean François-Poncet a conclu les débats en livrant aux participants sa thèse « qui ne plaît généralement à personne ». En matière de politique extérieure, l'ancien ministre confie ne pas faire partie des euro-utopiques : nos moyens restent limités et nous n'avons pas la prétention de concurrencer les Etats-Unis sur ce terrain. Mais cela ne veut pas dire que l'Europe ne comptera pas : « Si nous ne sommes pas comme les Américains, nous les aiderons à réussir ». Nous assistons actuellement à une « scandinavisation » de l'Europe. Nos valeurs sont de plus en plus empruntes de paix, de protection de l'environnement et de conceptions de la démocratie qui nous viennent du Nord. A propos de l'Irak, « nous avons protégé les Etats-Unis contre eux-mêmes et nous les avons forcé à respecter les procédures prévues par les Nations-Unies ».

II.2. L'évolution des relations transatlantiques

Catherine Lalumière, vice-présidente du Parlement européen, a animé les débats sur l'état des relations entre l'Europe et les Etats-Unis.

En introduction, le professeur David Calléo de l'université Johns Hopkins de Washington a fait une présentation des perspectives géopolitiques des Etats-Unis vis-à-vis de l'Union européenne. Au moment où l'Union européenne va vers une plus grande unification et une plus grande autonomie, l'Amérique s'interroge sur son identité. La fin de la guerre froide et d'un monde bipolaire exige une redéfinition du Nouvel ordre mondial dans lequel les Etats-Unis occupent une place centrale. Les défis américains relèvent plus de l'économique que du géopolitique : la création de la BERD fait chuter la valeur du dollar, l'avènement de l'EURO met fin à sa prééminence mondiale. « Les Etats-Unis vont être enfin obligés de respecter les mêmes règles que le reste du monde ». En complément de cette intervention, Charles Doran, de l'université Johns Hopkins,a appelé à la mise en place de nouvelles relations commerciales entre l'Europe et les Etats-Unis.

Jacques Andréani, ancien Ambassadeur de France à Washington, a brossé un rapide tableau de l'évolution des relations transatlantiques depuis la chute du mur de Berlin, en mettant notamment en lumière le rôle de l'Alliance atlantique dans ce processus. Depuis 1990, le modèle américain des relations transatlantiques a triomphé. La question se posait en effet de savoir si l'OTAN devait être maintenue après la disparition du Pacte de Varsovie et de l'Union soviétique en 1991. Mais la volonté de George Bush de maintenir une présence américaine en Europe et la crainte de voir l'Allemagne réunifiée prendre de la puissance a pesé lourd dans la balance des négociations. Finalement, l'OTAN a été réformée dans le sens d'une coopération plus politique que militaire, option plus acceptable pour la Russie de Gorbatchev, l'idée des Etats Unis étant de placer l'Union européenne au cœur de l'Alliance atlantique (« de Vancouver à Vladivostock ») en y intégrant la PESC et la PESD. Ces ambitions « hégémoniques » se sont cependant heurtées à plusieurs obstacles, notamment la baisse de croissance économique américaine et le peu d'intérêt de l'opinion publique américaine pour les relations extérieures et l'Europe. A l'inverse, la France a sous-estimé dans l'équilibre UE/OTAN l'attraction qu'exercent les Etats-Unis sur les pays de l'élargissement. Pour compléter ce tableau, Charles Zorgbibe, professeur à l'université de Paris I, a présenté l'avenir de l'Alliance atlantique dans le contexte de l'après 11 septembre, la question essentielle étant celle de l'emploi de la force à titre préventif.

Michel Girard, professeur à l'université de Paris I, a posé le problème fondamental des relations transatlantiques , « malentendus ou divergences épistémiques », sans y apporter de réponses définitives : en effet, s'agit-il de simples incompréhensions passagères ou de conceptions radicalement différentes du monde ? Les Européens se rassemblent de plus en plus sur une lecture commune de l'histoire, même si celle-ci les a divisés, alors que cette lecture commune est très réduite avec les Etats-Unis ; en matière de politique étrangère, l'Amérique fait preuve de pragmatisme alors que l'Europe croit à la coopération et à la négociation (à la base de toutes les relations intra-européennes). Le rapport à l'autre est différent des deux côtés de l'Atlantique.

La présentation de Ruth Wedgwood, professeur à l'université de Yale, sur la Cour pénale internationale, rejoint la position officielle américaine sur cette question.

Elle reproche à cette juridiction d'être « un projet européen » dont l'élaboration a été lourdement influencée par les organisations non-gouvernementales et dénonce le flou de la définition de certaines notions . « Comment des pilotes américains pourraient être sanctionnés alors qu'ils n'ont fait qu'exécuter les ordres ? », s'interroge R. Wedgwood.

Pour conclure les débats de cette table-ronde, Catherine Lalumière a souligné l'importance que le Parlement européen attache aux concepts de paix, respect des droits de l'Homme, solidarité, en rappelant l'engagement de cette institution en faveur de la Cour pénale internationale.

Conclusions

Les travaux de cette journée ont été clôturés par Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux Affaires européennes, qui a, en préalable, insisté sur la prééminence du droit dans les relations internationales. « L'ONU est le seul cadre légal international pour gérer les crises auxquelles nous sommes confrontées ». Sur la construction européenne, Noëlle Lenoir a rappelé que « l'idée de contrer la puissance américaine est ancrée dans le projet européen dès les années 60 ». Et l'idée forte qui préside aux travaux de la Convention, c'est bien de faire de l'Europe une entité politique forte, dotée d'une réelle légitimité démocratique

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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