Démocratie et citoyenneté
-
Versions disponibles :
FR
1 - Les raisons et les conditions de l'implantation de Soyouz en Guyane
Au regard de la concurrence, des prix du marché et de la priorité accordée par les opérateurs de satellites pour disposer du lanceur à une date fixe, le risque d'appairage désoptimisé sur un lanceur comme ARIANE 5, et, en conséquence, de désoptimisation du rapport revenus/coût de lancement est réel. Dans ces conditions, il convient de minimiser le nombre de petits satellites à gagner dans les compétitions de services de lancement.
Un lanceur moyen disponible à un coût inférieur aux prix du marché pour les satellites de 2 à 3 tonnes confère une flexibilité et une souplesse permettant d'être plus agressif sur le marché et de gagner une part plus grande de celui-ci en accroissant les profits.
En effet, l'utilisation conjointe de façon optimisée des 2 lanceurs (lourd et moyen) permet, sans risque, de renforcer d'une part le coefficient de remplissage du premier et, d'autre part, d'augmenter sa rentabilité. Cette utilisation optimale fidélise le client en lui garantissant à la fois la date de lancement et le back-up par le recours possible au second.
Par ailleurs, la disponibilité d'un lanceur moyen ainsi que celle d'un petit lanceur tel que Véga, permet de répondre au besoin des lancements institutionnels de petits et moyens satellites ainsi qu' aux besoins de lancements héliosynchrones.
En outre, même dans le cas de lancements institutionnels tels que la constellation Galiléo, l'apport de la complémentarité entre Ariane 5 et un lanceur moyen tel que Soyouz constitue un atout. En effet, les premiers satellites permettant de vérifier le fonctionnement correct de la conception des satellites Galiléo seront lancés individuellement.
Dans ce contexte, un lanceur lourd comme Ariane 5 serait surdimensionné aussi bien techniquement que financièrement. Pour ces premiers satellites, l'utilisation de Soyouz s'impose donc. Puis, pour la mise en place de la constellation, Ariane 5 permettra de mettre en place des grappes de 5 à 6 satellites sur les plans d'orbite, et les compléments (2 satellites) seront mis en place par Soyouz.
Le Soyouz à Kourou permettra à l'Europe de se doter d'un lanceur moyen nécessaire afin de conforter Ariane tant auprès du marché institutionnel que commercial. L'investissement pour cette implantation est inférieur à ce que pourrait susciter le développement d'un nouveau lanceur.
Ainsi, les coûts de développement d'un tel lanceur moyen complémentaire d' Ariane 5 sont estimés, pour un lanceur de la capacité de Soyouz en Guyane réalisé entièrement en Europe, à environ 1 000 millions d'Euros sur la base d'une conception utilisant au maximum des éléments déjà développés par Ariane 5 ou Vega. Le coût de lancement en phase de production d'un tel lanceur serait d'environ 60 à 70 millions d'euros.
Enfin, la disponibilité d'un lanceur complémentaire à Ariane 5 permettant d'effectuer des lancements vers l'orbite géostationnaire assure la fidélisation de la clientèle laquelle souhaite bénéficier de la possibilité d'un lanceur de rechange en cas d'aléas.
Jusqu'ici les principales coopérations dans le domaine des lanceurs, entre l'Occident et la Russie, ont été dominées par les alliances russo-américaines avec Proton au sein d'ILS (International Launch Services) et Sea Launch avec Boeing. Cette politique permet aux sociétés américaines de contrôler les lancements russes tout en fidélisant les clients dans l'attente de l'arrivée de leurs propres lanceurs DELTA IV et ATLAS V. Par ailleurs, les profits réalisés sur les lanceurs permettent de proposer leurs premiers et nouveaux lanceurs EELV à des prix fortement attractifs. Notons également que le lanceur ATLAS V d'ILS utilise sur son premier étage un moteur russe qui en diminue ses coûts intrinsèques.
Dans ce contexte, la simple alliance franco-russe au sein de la Société Starsem, pour commercialiser Soyouz lancé depuis Baïkonour, se révèle insuffisante. Seul le marché institutionnel, très limité au demeurant, est en jeu. Afin d'éviter un contrôle américain sur l'ensemble des lanceurs russes qui pourrait avoir des conséquences particulièrement négatives non seulement pour l'exploitation d'Ariane mais également pour l'industrie des satellites européens et leurs utilisateurs, il est nécessaire de parvenir à fidéliser l'alliance avec Soyouz. Pour ce faire, il est indispensable de donner à celui-ci un accès à un pas de tir équatorial. Cet accès lui assure le marché commercial des satellites de la classe 2 à 3 tonnes. En effet, la maîtrise complète du système russe par les sociétés américaines conduirait à l'asphyxie d'Ariane par le biais de prix très faibles. De facto, les Etats-Unis se retrouveraient en situation de quasi monopole commercial. Ce monopole leur permettrait un retour à des prix élevés et à des conditions imposées aux lancements telles que nous les avons connu dans le passé.
Néanmoins la maîtrise de la configuration de ce lanceur s'avère indispensable. En effet, Soyouz aurait, de par son accès à une base équatoriale, un nouveau potentiel commercial. Cette augmentation de performance, rendue possible grâce à des améliorations de l'étage supérieur (et également des étages inférieurs), ne peut se faire au détriment d'Ariane 5.
L'amélioration des performances du lanceur Soyouz au Centre Spatial Guyanais est indissociable de la mise en œuvre d'une procédure qui n'autorise ce progrès (agréé à la fois par Arianespace et l'Esa) que si celui-ci conforte l'exploitation conjointe des deux lanceurs, tout en conservant la préférence à Ariane.
2 - Une coopération à plus long terme
L'implantation de Soyouz en Guyane doit être le précurseur d'une coopération à plus long terme bénéficiant aux deux parties : l'Europe et la Russie.
En effet, même si l'arrivée de Soyouz sur le sol guyanais permet à l'Europe de se doter d'un lanceur moyen complémentaire à Ariane à moindre coût, cette implantation peut représenter une activité industrielle européenne inférieure à celle qui pourrait être espérée si l'on réalisait ce lanceur en Europe, quel qu'en soit le coût. Cette coopération doit en conséquence déboucher sur des relations à plus long terme qui permettront à l'industrie européenne d'accéder à des technologies, puis à des marchés qui lui auraient été inaccessibles, au regard des budgets européens effectivement disponibles. Par ailleurs, la Russie conditionne sa participation à des coopérations technologiques par l'autorisation de lancer Soyouz depuis la Guyane. Les deux sujets sont connexes.
L'élargissement des coopérations entre la Russie et l'Europe dans le domaine des lanceurs présente des intérêts technologiques et financiers certains, particulièrement pour la préparation du futur et les technologies des lanceurs réutilisables.
L'accès aux technologies nécessaires afin d'évoluer vers des lanceurs réutilisables plus économiques que les lanceurs consommables, exige des investissements considérables. Au regard des budgets prévisionnels disponibles en Europe pour ces activités, les durées d'acquisition de ces technologies seront également non négligeables.
L'avance prise par les Etats-Unis dans ce domaine et la priorité accordée sur ces investissements dans les programmes accroissent le fossé entre l'Europe et les Etats-Unis. Une rupture technologique venant à imposer le concept de lanceur récupérable, l'Europe se verrait définitivement évincée de ce domaine stratégique des lanceurs.
Dans le cadre d'un programme de préparation du futur, la coopération avec la Russie constitue l'unique solution afin d'acquérir plus rapidement ces technologies à un moindre coût, car certaines d'entre elles offrant un intérêt certain pour les lanceurs récupérables (telles que propulsion Lox - Hydrocarbures ou récupération) sont déjà partiellement acquises en Russie et peuvent donc être utilisées et améliorées à moindre coût.
Par ailleurs, la réalisation de certaines de ces activités en Russie (sur le mode d'une véritable coopération) peut permettre aux industries européennes de se focaliser sur des domaines technologiques véritablement novateurs, et d'optimiser ainsi le rendement des deniers publics.
Par delà les économies que peut apporter dans la conception des nouvelles générations de lanceurs une coopération équilibrée avec la Russie, ainsi que le retour industriel lié aux travaux qui seront effectués en Europe dans la mise en œuvre du programme Soyouz en Guyane (travaux qui impliquent des sociétés appartenant à tous les états participants au programme), la phase opérationnelle de ce dernier améliorera la rentabilité de l'exploitation d'Ariane et, d'une façon générale, du système des lanceurs européens (Ariane, Soyouz, Véga).
En outre, l'exploitation de Soyouz en Guyane effectuée en complète synergie avec celle d'Ariane, impliquera les consortiums européens présents au Centre Spatial Guyanais. L'Esa estime que le revenu direct pour les Etats participants à l'exploitation de Soyouz en Guyane pourrait représenter sur une durée de 10 ans environ le double de la contribution versée.
Le retour dans l'industrie européenne serait de l'ordre de 3 fois l'investissement initial des Etats.
Enfin, la possibilité, relativement rapide, d'assurer depuis la Guyane des lancements de spationautes européens vers la Station Spatiale Internationale, confèrerait une dimension politique, stratégique, technologique et médiatique importante à l'image de l'accès à l'espace pour l'Europe laquelle deviendrait ainsi l' une des rares puissances à maîtriser le vol habité.
3 - Coût et mise en œuvre du programme
Le programme d'implantation de Soyouz en Guyane a fait l'objet d'un avant-projet détaillé préfinancé par la France. Cet avant-projet s'est soldé par une revue de définition préliminaire dont le comité directeur, tenu en septembre 2003, a constaté la grande qualité du travail fourni et la bonne compréhension mutuelle des problèmes à résoudre entre les équipes européennes et russes. Il a conclu à la possibilité technique de réaliser le projet, moyennant la mise en place de groupes de travaux spécifiques pour finaliser en particulier les questions relatives à la sauvegarde et à la sécurité. Ces travaux en cours permettent une convergence sur ces problèmes importants. Enfin, le planning d'ensemble du programme et son coût ont été précisés.
Le planning conduit à un premier lancement possible à partir de 2007.
Le coût du programme Soyouz en Guyane est de 344 millions d'Euros (aléas compris) dont au moins 121 millions d'Euros seront à rembourser par Arianespace sur le business-plan de Soyouz entre 2007 et 2015.
La Résolution votée par les ministres européens, lors du conseil de l'Esa au niveau ministériel du 27 mai 2003, tient lieu de Résolution habilitante pour ce programme. La déclaration de programme sera ouverte à contribution des Etats membres le 10 octobre, et les souscriptions devront être obtenues au plus tard le 10 décembre pour un démarrage effectif et officiel immédiat. Les intentions de souscription affichées lors de cette ministérielle, certes encourageantes au regard des intentions initiales, ne couvrent pas la totalité du programme. Un effort important de mobilisation est entrepris auprès des partenaires européens.
Ces derniers, s'ils considèrent bien les intérêts politiques et économiques d'une telle coopération, restent très attachés à la notion de retour industriel direct du programme concerné ; or les travaux à effectuer en Europe sont essentiellement des investissements d'infrastructures. Cet état de fait leur pose problème.
Le financement du programme utilisant les ressources de trésorerie de l'Esa, n'exigera des paiements des Etats participants qu'à partir de 2006. La France devrait contribuer à ce programme à hauteur d'au moins 50 %.
Au total, nous avons ici un accord qui donne la possibilité à l'Europe d'avancer plus vite et à moindre coût sur des technologies indispensables à la mise en œuvre de son indépendance dans des domaines aussi important que l'Espace, la communication, ou le positionnement satellitaire.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
Pour aller plus loin
Avenir et perspectives
Ernest Wyciszkiewicz
—
12 mai 2025
Les Balkans
Željana Zovko
—
31 mars 2025
Stratégie, sécurité et défense
Jan-Christoph Oetjen
—
27 mai 2024
Éducation et culture
Jorge Chaminé
—
3 juillet 2023

La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :