Démocratie et citoyenneté
Thierry Chopin,
François-Xavier Priollaud
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Thierry Chopin

François-Xavier Priollaud
Introduction
"La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences". L'article 88-1 de la Constitution de la Ve République lie ainsi notre destin national à celui de l'Europe et fait de la participation à l'aventure européenne le nouveau cadre d'exercice de la démocratie française.
Les importants transferts de souveraineté, librement consentis et sans équivalent dans l'histoire des pays de l'Union, se sont accompagnés d'un effort d'adaptation sans précédent des politiques publiques. Mais, paradoxalement, la vie institutionnelle française est pour sa part, restée relativement imperméable au nouveau contexte européen. Opposant sans le dire une résistance au changement, la République française a négligé une dimension essentielle de son rayon d'action au point de se trouver véritablement mise à l'épreuve par l'émergence d'une démocratie européenne en formation [1].
A cet égard, une réflexion sur l'articulation, parfois problématique, entre notre modèle institutionnel " républicain " et la démocratie européenne en devenir est indispensable si l'on souhaite éviter que le décalage parfois perçu, entre notre modèle hexagonal et la construction européenne, ne s'accroisse davantage. Ce qui est en jeu réside dans la capacité de la France à retrouver pleinement la place qui doit être la sienne en Europe.
Les travaux actuels du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République fournissent l'occasion d'une analyse sur ces enjeux et de préconisations allant dans ce sens.
1 - La Ve République et l'Europe : une adaptation en trompe-l'œil. Les affaires européennes abusivement assimilées à des affaires étrangères
Depuis 1958, pas moins de cinq révisions constitutionnelles ont directement été liées à la construction européenne [2]. Pourtant, les institutions françaises n'ont opéré qu'une adaptation de façade à l'intégration européenne. Deux éléments, au moins, en témoignent : l'hypertrophie constante du pouvoir exécutif dans la gestion des " affaires européennes " en France et, de manière corrélative, la faiblesse du contrôle parlementaire sur ces questions.
L'hypertrophie du pouvoir exécutif dans la gestion des " affaires européennes " en France
En France, les enjeux européens relèvent de la gestion de l'exécutif, le président de la République et le gouvernement inspirant la construction européenne ainsi que le fonctionnement de l'Union, ce qui contraste avec ce qui se passe dans d'autres Etats membres, à l'instar des pays scandinaves, où les parlementaires jouent un rôle plus actif dans le contrôle des " affaires européennes ". Cela a des implications importantes : en particulier le fait que, traditionnellement, le pouvoir exécutif qui inspire la construction européenne et le fonctionnement de l'Union, n'a pas l'habitude de rendre compte, de manière systématique, de sa politique européenne. Celle-ci fait partie du " domaine réservé " et, souvent, les " affaires européennes " continuent d'être considérées comme des " affaires étrangères " comme en en témoigne le statut du secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes qui demeure sous la tutelle du ministre des Affaires étrangères et européennes alors qu'il y aurait une logique à le rattacher directement au Premier ministre (à l'instar, au niveau administratif, du secrétariat général pour les affaires européennes).
En outre, le fait que les " affaires européennes " soient gérées de manière quasi monopolistique par le pouvoir exécutif – une situation qui tranche avec ce qui se passe ailleurs dans l'Union, où les parlementaires jouent un rôle plus actif et où les référendums sont plus fréquents – produit des effets pervers, en particulier une tendance à développer une " culture du complot ", qui s'est notamment manifestée pendant la campagne référendaire. Ce sentiment de défiance envers " Bruxelles " procède en partie de l'instrumentalisation de l'Union européenne pratiquée trop souvent par les gouvernements français successifs pour faire admettre des réformes économiques et sociales à la France. L'Union est alors prise comme un bouc émissaire commode. Peu de responsables politiques ont, par exemple, assumé et revendiqué les décisions visant à libéraliser les secteurs historiquement gérés par des monopoles publics. Le cas de la directive sur la libéralisation des services a été exemplaire à cet égard de ce " jeu de défausse ". Ainsi, faute d'avoir fait l'objet d'un contrôle parlementaire régulier en France, la construction européenne s'est trouvée récemment confrontée à une série de mises en cause et de défiance de la part des citoyens français. Cette défiance envers " Bruxelles " procède, pour une part au moins, d'une " culture du transfert de responsabilité " du niveau national sur le niveau communautaire. Associer beaucoup plus systématiquement le Parlement français au contrôle de l'action communautaire contribuerait sans doute à limiter ce mécanisme. Or, force est de constater que ce n'est pas pleinement le cas et que des avancées pourraient être envisagées dans ce domaine.
Les limites du contrôle parlementaire sur les " affaires européennes "
De manière corrélative, l'hypertrophie du rôle joué par l'exécutif dans la gestion des " affaires européennes " est illustrée de manière exemplaire et très concrète par les limites du contrôle parlementaire dans ce domaine . Plusieurs exemples en témoignent.
On peut tout d'abord se rappeler que la polémique qui s'était développée pendant l'hiver 2005 autour de " l'amendement Balladur ", lors du débat sur la révision constitutionnelle préalable au référendum sur le traité constitutionnel, a confirmé la prédominance d'une conception diplomatique de l'appartenance française à l'Union européenne. En plein débat sur l'ouverture des négociations avec la Turquie, l'ancien Premier ministre demandait en effet que le Parlement puisse voter sur cette question et que d'une manière générale, le Gouvernement soit dans l'obligation de soumettre au Parlement tout projet d'acte européen dès lors que, sous certaines conditions, les députés ou les sénateurs en aient formulé la demande. Or le gouvernement d'alors s'était constamment opposé à cette revendication arguant que cela aurait conduit à une violation de l'article 52 de la Constitution selon lequel " le Président de la République négocie et ratifie les traités ". En d'autres termes, le Parlement n'a pas à interférer dans les prérogatives de l'exécutif. A la lumière du référendum négatif du 29 mai 2005, il convient néanmoins de garder à l'esprit qu'à l'époque, la majorité parlementaire, alors soutenue par le président du parti politique majoritaire, n'avait jamais caché son opposition à l'ouverture des négociations avec la Turquie. Il est tout aussi instructif d'observer que l'épilogue apporté à " l'amendement Balladur " fut l'introduction dans la Constitution d'une disposition rendant obligatoire la tenue d'un référendum pour autoriser tout nouvel élargissement [3]. Paradoxalement, c'est ainsi par un contournement de la représentation nationale que l'exécutif a répondu au souhait exprimé par le Parlement d'un renforcement de son contrôle sur les affaires européennes. Néanmoins, le Gouvernement s'est depuis engagé à organiser un débat parlementaire sans vote avant chaque réunion du Conseil européen.
Deuxième exemple : les limites du contrôle parlementaire sur les affaires européennes dans le cadre des institutions de la Ve République sont également marquées par le refus constaté jusqu'à présent de transformer les délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat en commissions permanentes non législatives [4], à l'instar de la situation qui prévaut dans les vingt-six autres parlements de l'Union européenne. Une telle évolution s'est toujours heurtée à une série d'oppositions fondées sur des arguments tant de principe que de circonstances, parmi lesquels l'atteinte à l'équilibre des institutions que provoquerait la création d'une septième commission permanente [5]. Faut-il rappeler que la Constitution de 1958 est entrée en vigueur quelques mois seulement après la signature du traité de Rome, et que l'importance prise depuis par la construction européenne rend anachronique une telle opposition. Le droit reconnu en 1974 aux parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel a, par exemple, bien plus bouleversé l'équilibre des institutions que ne le ferait la création d'une nouvelle commission permanente ! Alors que le principe semble désormais acquis d'une augmentation du nombre des commissions permanentes au Parlement [6], rien n'indique cependant que cela concernera les deux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat. Quelle que soit la solution retenue, et sans préjuger des avantages et des inconvénients de telle ou telle évolution, chacun s'accorde à prôner une meilleure articulation entre les délégations pour l'Union européenne et chacune des commissions permanentes.
En dépit de ce qui précède, la révision constitutionnelle du 1er mars 2005, préalable à la ratification du traité constitutionnel européen, aurait toutefois permis de franchir une nouvelle étape avec la prise en compte par la Constitution française de l'existence d'un domaine législatif européen indépendamment de la distinction interne qu'opère la Ve République entre la loi et le règlement [7]. L'application de cette disposition était toutefois conditionnée par l'entrée en vigueur du traité constitutionnel européen. Afin de pallier l'absence de ratification, une circulaire du Premier ministre du 22 novembre 2005 [8] a étendu aux projets d'actes non législatifs relevant de la procédure de codécision le champ des actes européens sur lesquels les assemblées peuvent adopter des résolutions. Cette mesure, si elle paraît modeste, a néanmoins pour effet d'étendre, en amont du processus décisionnel européen, le champ du contrôle parlementaire et constitue, à ce titre, un élément de " démocratisation parlementaire des affaires européennes ".
En aval, le Parlement intervient au niveau de la transposition des directives, mais uniquement pour celles qui relèvent de sa compétence et à la condition que le Gouvernement en inscrive l'examen à l'ordre du jour parlementaire dont il a la maîtrise. Il est à noter que la publication par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, tous les ans depuis 2002, d'un rapport sur l'état des lieux de la transposition par la France des directives communautaires, a certainement contribué à l'amélioration, dans ce domaine, des performances de notre pays [9].
2 – Parlement français / Parlement européen : une évolution asymétrique
Le déséquilibre des pouvoirs et le déclin du Parlement français
Il semble que les systèmes institutionnels français et européen s'inscrivent dans des logiques inverses, comme l'illustre la relation entre les pouvoirs exécutif et législatif. En réaction aux dérives de la IVe République, la Constitution du 4 octobre 1958 a instauré un parlementarisme rationalisé. L'Assemblée nationale se trouve ainsi placée sous la quasi-tutelle du gouvernement, qu'il s'agisse notamment du strict encadrement du domaine de la loi (par la distinction opérée entre les articles 34 et 37), de l'absence de maîtrise de l'ordre du jour, de la limitation du nombre des commissions permanentes ou encore du droit de dissolution dont peut user le Président de la République. Qui plus est, au fil des années, la pratique institutionnelle a renforcé ce déséquilibre entre les pouvoirs, avec la prédominance d'un " fait majoritaire " qui rend très faibles les marges de manœuvre dont disposent au quotidien les députés de la majorité [10].
A cela, la construction européenne ajoute un dessaisissement de certaines compétences régaliennes dont étaient titulaires les parlementaires nationaux, tandis que le respect du pacte de stabilité et de croissance encadre très fortement les pouvoirs budgétaires du Parlement. Pris en étau entre deux mouvements simultanés liés à la construction européenne et à la décentralisation, le Parlement français – davantage que d'autres parlements nationaux, en raison de l'hypertrophie de l'exécutif – pourrait ainsi avoir le sentiment de n'être plus qu'une chambre d'enregistrement. Le recours à deux reprises (en 2001 et en 2004 par des gouvernements de gauche comme de droite) aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour transposer des directives communautaires est une indication supplémentaire de ce dessaisissement dont les parlementaires nationaux sont les victimes.
Ces remarques permettent, pour une part au moins, de rendre compte du relatif désintérêt en France pour le Parlement européen, désintérêt qui reproduit peut-être au niveau communautaire la manière dont le Parlement est considéré au niveau national. Dans le régime de la Ve République, dont la mise en place est d'ailleurs contemporaine du lancement de la construction européenne, l'Assemblée nationale et le Sénat ont des prérogatives extrêmement réduites au regard de celles détenues par d'autres parlements de l'Union, à l'instar de ce qui existe, par exemple, dans les pays scandinaves. Ce qui compte avant tout en France, c'est le Président de la République, son élection et les prérogatives étendues que la Constitution lui confère. C'est ensuite le Gouvernement, qui dispose de toutes les ressources du " parlementarisme rationalisé " et de la discipline majoritaire. Il n'y a guère qu'en période de cohabitation que l'Assemblée nationale se rappelle au bon souvenir des Français et du Président de la République – sa majorité demeurant cependant toujours aussi soumise aux souhaits du Gouvernement.
La montée en puissance des pouvoirs du Parlement européen au fil des traités
Cet affaiblissement du Parlement en France explique sans doute en partie pourquoi les Français et leurs responsables politiques ne se sont jusqu'ici guère intéressés au Parlement européen, au risque de ne pas suffisamment s'apercevoir que sa montée en puissance continue en fait désormais une institution incontournable au niveau communautaire, non seulement du point de vue de la production normative et de son impact sur le corpus juridique national [11] mais aussi du point de vue de l'influence française à Bruxelles et à Strasbourg.
A l'opposé du Parlement français, le Parlement européen suit une évolution radicalement différente. Cette assemblée, à l'origine exclusivement consultative, qui s'est octroyée elle-même l'appellation de " Parlement " en 1962, a vu ses pouvoirs législatif, budgétaire mais aussi en matière de contrôle administratif et politique, notamment à l'égard de la Commission, constamment renforcés au fur et à mesure des traités successifs. Le traité réformateur vient parachever cette évolution en en faisant un parlement comme les autres, c'est-à-dire le co-législateur de l'Union européenne à égalité avec le Conseil des ministres. Mais surtout, l'évolution du Parlement européen s'inscrit dans une dynamique politique qui lui est très favorable au regard de la nécessaire amélioration du fonctionnement démocratique de l'Union. Les majorités d'idées (ou de circonstances) qui se dégagent au Parlement européen en font une assemblée très offensive, notamment à l'égard de la Commission. N'étant pas soumis à la menace d'une dissolution, les députés européens ont ainsi opté pour une stratégie d'affirmation qui s'est pour la première fois traduite en 1984 par le refus de voter la " décharge " du budget (sorte de quitus). Mais l'épisode le plus marquant reste incontestablement la démission collective de la Commission Santer au printemps 1999, sans que le Parlement européen n'ait d'ailleurs eu besoin de recourir formellement à l'adoption d'une motion de censure. Plus récemment, en 2004, " l'affaire Buttiglione " a, une nouvelle fois, révélé le rapport de forces politique favorable au Parlement européen, puisque les députés ont fait plier le Président de la Commission et le Conseil de l'Union en imposant le remplacement du commissaire pressenti pour les questions liées à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. En France, le fait majoritaire rend impossible de telles situations. Sans aller jusqu'au renversement de l'exécutif, le contrôle politique qu'exerce le Parlement sur le gouvernement est en réalité moindre que celui du Parlement européen sur la Commission. A cet égard, la démocratie parlementaire nationale est bel et bien en retrait sur la démocratie européenne, et mérite d'être réhabilitée.
Dans cette perspective, et à l'horizon des élections au Parlement européen en juin 2009, il convient de mettre l'accent sur des réformes institutionnelles qui peuvent être décidées au niveau national, et qui nous paraissent nécessaires pour consolider l'influence de la France à Bruxelles et à Strasbourg. En effet, le Parlement européen est la seule institution dont les pouvoirs se sont étendus de manière aussi continue depuis une vingtaine d'années. A ce titre, le Parlement européen est une institution stratégique pour l'influence française. Avec cet arrière-plan à l'esprit, on mesure aisément l'importance des prochaines élections européennes pour chacun des Etats membres et, en particulier, pour la France. Avant les élections européennes en 2004, plusieurs études avaient souligné les faiblesses françaises au Parlement européen et attiré l'attention des responsables politiques sur ce déficit d'influence nationale au sein d'une institution de plus en plus puissante [12]. Une certaine prise de conscience semble avoir eu lieu. Pour conforter les progrès réalisés, l'effort doit être généralisé, impliquant des changements institutionnels. Quelques réformes spécifiques seraient de nature à renforcer l'influence française dans l'Union, tout particulièrement au Parlement européen [13].
- Une nouvelle modification du mode de scrutin aux élections européennes pourrait être envisagée en France, dans le prolongement de la réforme de 2003. L'esprit du changement alors opéré était, en effet, de favoriser la participation des électeurs et de limiter l'éparpillement des élus français entre différentes listes et différents groupes. La réforme semble avoir échoué sur le premier point : le taux de participation en juin 2004, de 43,14 %, fut le plus faible enregistré depuis le premier scrutin, en 1979. Les élections de 2004 ont, en revanche, permis une première avancée en matière de rapprochement des électeurs et de leurs eurodéputés, en substituant à l'unique circonscription hexagonale huit circonscriptions interrégionales. Il conviendrait de poursuivre cet effort de rapprochement tant les effets d'échelle gênent encore l'identification des électeurs à leurs représentants au Parlement européen : à titre de comparaison, un eurodéputé élu dans le Sud-Ouest de la France représente 8 000 000 d'électeurs quand un député à l'Assemblée nationale en représente autour de 100 000. Pour contribuer à cet objectif de proximité des électeurs et des élus, et renforcer le regroupement des eurodéputés, il pourrait être envisagé d'organiser les élections européennes dans le cadre de listes régionales ; ce niveau est désormais bien connu des citoyens, à la différence des circonscriptions interrégionales créées en 2003, nouvel échelon encore lointain et peu familier [14].
- Un autre changement paraît indispensable : la limitation du cumul des mandats pour les eurodéputés français. Sur ce point, la réforme de 2003 a, en effet, marqué un recul, qu'il convient de corriger : alors qu'elle avait été supprimée en 2000, la possibilité de cumuler un mandat au Parlement européen avec la direction d'un exécutif local a été réintroduite trois ans plus tard. Rare chez les élus britanniques et allemands, le cumul est particulièrement fréquent dans la délégation française, au sein de laquelle bon nombre d'élus français cumulent souvent plusieurs mandats (48 sur 78, soit près des deux tiers d'entre eux). Dans le cadre d'une réforme du mode de scrutin qui consoliderait l'ancrage local des eurodéputés, le retour à une limitation plus stricte du cumul pourrait contribuer au renforcement de l'influence des élus français au Parlement européen.
3 - Une nouvelle approche du rôle du Parlement français vis-à-vis des "affaires européennes"
Renforcer le rôle du Parlement français dans le contrôle politique des " affaires européennes "
Il semble nécessaire de renforcer le rôle des parlements nationaux et, en particulier, du Parlement français. La République française est mise à l'épreuve par l'émergence d'un système politique européen qui est irréductible aux habituelles questions diplomatiques ou " affaires étrangères ", à la différence de ce qui se passe dans d'autres Etats membres où les députés jouent un rôle plus actif dans ce domaine. Cet élément pourrait constituer une nouvelle expression de ce " déficit démocratique " souvent évoqué par les adversaires du projet européen comme le résultat du transfert de compétences, de " parcelles " de pouvoir, des Etats vers l'Union. Mais, en réalité, le déficit démocratique ne découle pas tant de ces transferts de compétences qui ont été dûment acceptés par les gouvernements nationaux mais bien plutôt de la nature " fonctionnelle " de ces transferts, c'est-à-dire du fait qu'à chaque transfert de compétence, ce sont les parlements qui ont été dessaisis de certaines de leurs prérogatives au profit de la gestion des " affaires européennes " par l'exécutif qui vote les lois et le budget européens.
Si l'on s'accorde sur cette hypothèse, il devient clair que l'une des avancées possibles réside dans le renforcement de la représentation parlementaire nationale en particulier en matière de contrôle politique des décisions européennes. La valeur ajoutée que peuvent apporter les parlementaires nationaux ne réside pas tant dans un contrôle technique des projets de normes communautaires, que dans une approche politique des questions européennes.
A cet égard, il est notable que le traité réformateur devrait reprendre à son compte les avancées contenues dans le projet de traité constitutionnel, qu'il s'agisse notamment du droit d'alerte précoce en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité ou encore du droit d'opposition d'un parlement national à l'activation de la " clause passerelle " qui permet d'étendre la majorité qualifiée à des domaines jusqu'alors régis par la règle de l'unanimité.
Pour autant, l'association des parlements nationaux à la construction européenne ne doit pas s'envisager, de manière exclusive, sous un prisme exclusivement négatif qui se limiterait au droit de dire non. Il est en effet nécessaire d'imaginer, parallèlement, des mécanismes d'association positive car les parlementaires nationaux contrôleront d'autant mieux les institutions européennes qu'ils sauront être une force de proposition.
Le Parlement français : une force de proposition possible sur les sujets européens
Une seconde piste pourrait ainsi être envisagée afin d'associer le Parlement plus étroitement à la " gestion " de la politique européenne de la France, à partir notamment de la formule de la convention qui a fait ses preuves en réunissant, dans une même enceinte, des légitimités complémentaires : parlementaires nationaux et européens, représentants des gouvernements et membres de la Commission européenne [15]. A ce jour, deux conventions ont été formées : l'une en 1999 pour élaborer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'autre en 2002-2003 pour rédiger un projet de traité constitutionnel. A la lumière de ces deux expériences réussies, et indépendamment des difficultés rencontrées lors du processus de ratification de la Constitution européenne, le recours plus fréquent à des conventions ad hoc, sur des sujets qui suscitent des difficultés politiques, favoriserait la recherche de compromis conformes à l'intérêt général européen. De telles conventions spécialisées pourraient être convoquées par le Conseil européen qui leur délivrerait le mandat, non pas de décider, mais de dégager des propositions sur des orientations majeures de la construction européenne. Du modèle social européen au budget communautaire, en passant par un débat sur les limites de l'Union, les thèmes ne manquent pas. Ce serait une façon positive d'associer les parlementaires nationaux à l'Europe, en bonne intelligence avec le Parlement européen, tout en résistant à la tentation facile visant à cantonner les parlements nationaux dans le rôle défensif du seul contrôle du principe de subsidiarité. Cela permettrait aussi de rompre avec une logique négative d'opposition pour faire des parlementaires nationaux une force de proposition.
Conclusion
Le référendum français sur la Constitution européenne a mis en évidence certains traits de la culture politique française : en particulier, la nature même du modèle républicain dans lequel s'inscrivent les institutions françaises (qui se caractérisent en particulier par l'hypertrophie du pouvoir exécutif) produit des effets qui sont loin d'être négligeables sur la capacité du système politique français à accorder un rôle au Parlement dans la gestion des " affaires européennes ", et ce à la différence d'autres Etats membres de l'Union. La République française a donc, aussi sur ce point, à apprendre des autres démocraties européennes et doit introduire les éléments de pluralisme indispensables à sa modernisation en prévoyant, en particulier, que le Parlement puisse jouer un rôle plus important que ce n'est le cas actuellement en matière non seulement de contrôle des décisions communautaires mais aussi de proposition sur les enjeux concernant l'avenir de l'Union et de ses Etats membres. Ce n'est qu'en acceptant cette exigence incontournable que la France pourra contribuer à " démocratiser " sa culture politique républicaine, condition supplémentaire de son " retour en Europe "...
[1] Ce texte prolonge une réflexion initiée dans T. Chopin et F.-X. Priollaud, " La République française à l'épreuve d'une démocratie européenne en formation ", in Dominique Reynié (dir.), L'opinion européenne en 2006, Paris, La Table Ronde / Fondation Robert Schuman, 2006, p. 177-194.
[2] En 1992 pour ratifier le traité de Maastricht et autoriser les transferts de compétence liés à la monnaie unique; en 1993 pour la mise en œuvre des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes ; en 1999 préalablement à la ratification du traité d'Amsterdam; en 2003 pour permettre l'entrée en vigueur du mandat d'arrêt européen décidé par les chefs d'Etat et de gouvernement à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et enfin en 2005 préalablement à la ratification avortée du traité constitutionnel. Sur ces cinq révisions constitutionnelles, trois ont plus particulièrement concerné le contrôle parlementaire des affaires européennes. La révision constitutionnelle du 25 juin 1992 ajoute en effet un article 88-4 à la Constitution qui permet à l'Assemblée nationale et au Sénat de voter des résolutions sur les projets d'actes européens qui, s'ils étaient adoptés dans l'ordre juridique interne, relèveraient du domaine de la loi. Le champ d'application de l'article 88-4 sera élargi lors de la révision constitutionnelle de 1999 qui donne la faculté au Gouvernement de soumettre au Parlement tout projet d'acte européen qu'il relève ou non du domaine législatif.
[3] L'article 88-5 dispose : " Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République ", disposition dont l'entrée en vigueur de cette modification constitutionnelle n'était pas conditionnée à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Notons que J-P. Jouyet, Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes a suggéré, lors de son audition devant le comité de réflexion sur la modernisation de la Ve République (le 11 septembre 2007), de supprimer cette obligation.
[4] C'est-à-dire une commission des affaires européennes "sui generis" qui permettrait de conserver le principe, cher aux parlementaires, de double appartenance de ses membres avec l'une des autres commissions permanentes. En outre, cette commission serait avant tout une commission de contrôle, ce qui justifierait qu'elle ne soit pas dotée du pouvoir d'amendement.
[5] L'article 43 de la Constitution de 1958 limitant à six le nombre des commissions permanentes, une révision constitutionnelle est nécessaire pour autoriser la création d'une septième commission permanente. Néanmoins, la fusion, à l'Assemblée nationale, de la Commission des Affaires étrangères avec la Commission de la Défense, rendrait possible la création d'une Commission des Affaires européennes sans qu'il soit nécessaire de réviser la Constitution.
[6] Le Président de la République a notamment plaidé, lors de l'entretien télévisé du 20 juin 2007, en faveur de la création d'une Commission pour le Développement durable.
[7] Le nouvel article 88-4 de la Constitution, dont l'entrée en vigueur était néanmoins subordonnée à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe était ainsi rédigé : " Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets d'actes législatifs européens ainsi que les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution européenne. Selon les modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés à l'alinéa précédent ".
[8] Cf. Circulaire du 22 novembre 2005 relative à l'application de l'article 88-4 de la Constitution, in Journal Officiel du 25 novembre 2005, p. 18281.
[9] Cf. Communication au Conseil des ministres (18 juillet 2007) du Secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, sur la transposition par la France des directives et des décisions-cadres européennes.
[10] Les conséquences du fait majoritaire sont particulièrement visibles s'agissant du contrôle parlementaire des affaires européennes. En effet, les résolutions votées au titre de l'article 88 - 4 de la Constitution s'inscrivent avant tout en appui de la position française exprimée par le gouvernement au sein du Conseil de l'Union.
[11] Cf. par exemple le Rapport du Conseil d'Etat consacré à " La norme internationale en droit français ", La documentation française, 2002.
[12] Voir notamment le rapport de l'Assemblée nationale, " Présence et influence de la France dans les institutions européennes ", de Jacques Floch, mai 2004 et aussi Yves Bertoncini et Thierry Chopin, " Le Parlement européen : un défi pour l'influence française ", Note de la Fondation Robert Schuman, n°21, avril 2004. Plus récemment, et dans une perspective plus large, on pourra se reporter au Rapport du Conseil d'Etat consacré à " L'administration française et l'Union européenne : quelles influences ? Quelles stratégies ? ", La documentation française, 2007.
[13] Voir sur ce point, Clément Beaune et Thierry Chopin, " L'influence française au sein du Parlement européen à mi-mandat. Quelle stratégie à l'horizon 2009 ? ", in Horizons stratégiques (Centre d'analyse stratégique), n°4, La documentation française, avril 2007, p. 140-155.
[14] Paradoxalement, alors que le débat porte en France sur l'instauration d'une dose de proportionnelle aux élections législatives, la problématique paraît être inversée au niveau du Parlement européen. En effet, le scrutin proportionnel intégral n'a jusqu'à présent pas fait ses preuves s'agissant du rapprochement des députés européens de leurs électeurs. Dans cette perspective, ne pourrait-on pas réfléchir à l'introduction d'une dose de scrutin majoritaire pour l'élection des députés français au Parlement européen susceptible de favoriser un réel ancrage des élus de nature à les rapprocher de leurs concitoyens.
[15] Voir sur ce point, Hubert Haenel, " Les parlements nationaux, un appui pour l'Europe ", in Notes de la Fondation Robert Schuman, n°34, juin 2006.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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