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Flemming Splidsboel Hansen
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Flemming Splidsboel Hansen
Senior Researcher, Ph.d., Danish Institute for International Studies
Fin juin, après une conférence sur la sécurité européenne à Varsovie, arrivant à l'aéroport pour retourner au Danemark, un grand panneau indiquait la devise de la présidence polonaise du Conseil qui s'achève : « Sécurité, Europe ! ». La transition d'une présidence à l'autre semble se faire sans aucune rupture : en arrivant à Copenhague, le Danemark mettait la dernière main à ses préparatifs en vue de la présidence du Conseil au second semestre, qui commence le 1er juillet avec pour slogan « Une Europe forte dans un monde en changement ». Le sentiment d'urgence et de gravité est partagé par toutes les présidences.
Les Danois et l'Union européenne
La dernière présidence du Danemark remonte à 2012. L'évolution de la perception et de la compréhension par le public de la place et du rôle du Danemark en Europe et dans le monde, de l'Union européenne et de l'interaction entre le Danemark et l'Union, est stupéfiante. Les électeurs danois ont décidé, en juin 2022, d'abolir la clause de non-participation en matière de coopération dans le domaine de la défense, en vigueur depuis 1993, et ce avec l'écart le plus important entre le « oui » et le « non » dans l'histoire des référendums danois sur l’Europe. Traditionnellement, les batailles politiques étaient âprement disputées mais, cette fois-ci, il y eut peu de discussions et encore moins d'incertitude quant à l'issue du vote. L'invasion massive, illégale et non provoquée de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a rapidement incité l'opinion publique danoise à soutenir l'idée d'une participation sans restriction du Danemark à la coopération de l'Union européenne en matière de défense.[1]
Les sondages d'opinion confirment cette évolution. Une enquête Eurobaromètre (hiver 2025) montre que 66% des Danois estiment « qu’au cours des prochaines années », le rôle de l'Union européenne deviendra « plus important » (moyenne européenne : 44%). De même, 82% des Danois s'attendent à l'avenir à ce que le rôle de l'Union « pour protéger les citoyens européens contre les crises mondiales et les risques de sécurité » soit « plus important » (moyenne européenne : 66%). Interrogés plus en détail sur les domaines politiques les plus importants pour l’Union, les Danois citent en priorité « la défense et la sécurité » (52%), « l'indépendance énergétique, les ressources et les infrastructures » (36%) et « la compétitivité, l'économie et l'industrie » (30%).
S'exprimant avant les vacances parlementaires, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, a déclaré que « pour de nombreux Danois, la coopération européenne n'a jamais vraiment été un chouchou ». Cependant, a-t-elle ajouté, « le vieux monde n'est plus. Nous vivons des temps nouveaux ». Largement utilisée - depuis les débats politiques sur la culture publique jusqu'aux conversations familiales autour de la table - la notion de « Bruxelles » a été pendant des décennies, pour les Danois, une référence facile et aisément compréhensible pour critiquer des décisions politiques distantes, bureaucratiques, élitistes et, par essence, très peu danoises. Cela a changé. C'est désormais à Bruxelles que le Danemark trouve ses partenaires les plus proches, et c'est à Bruxelles qu'il assure sa prospérité et sa sécurité. La présidence danoise repose sur cette adhésion sans précédent du public danois à tout ce qui touche à l’UE.
Priorités danoises
La présidence danoise a identifié deux priorités qui, une fois combinées, recoupent celles indiquées par les Danois dans l'Eurobaromètre : « Une Europe sûre et une Europe verte et compétitive ». L'approche est caractérisée par l'urgence : « L'Union européenne est confrontée à un nouvel ordre international marqué par l'incertitude, la concurrence stratégique et économique mondiale et la multiplication des conflits. » Quatre domaines se distinguent.
Poursuivre l’élargissement
La présidence danoise tient fermement à ce que le processus d'élargissement se poursuive et s’accélère. Cela concerne en premier lieu l'Ukraine, puis la Moldavie et des États candidats non spécifiés des Balkans occidentaux. Cette détermination repose sur un impératif géopolitique : « Les développements géopolitiques soulignent la nécessité d'élargir l'Union européenne », indique le programme de la présidence. Cette priorité reflète un rapprochement politique spectaculaire au Danemark, où le Parlement est presque unanimement d'accord pour dire que l'Ukraine doit être soutenue militairement, économiquement et politiquement, y compris par une adhésion rapide, bien que toujours fondée sur le mérite, à l'Union. Le Danemark est l'un des principaux soutiens de l'Ukraine, et ce soutien sera mis à profit dans le cadre de la présidence. Dans un sondage réalisé en mars dernier, 46% des Danois interrogés se sont déclarés prêts à accepter l'Ukraine en tant qu'État membre, même si elle ne parvenait pas à satisfaire aux exigences formelles.
Certes, il reste beaucoup à faire avant que l'Ukraine ne rejoigne l'Union européenne et les six mois de la présidence danoise devront être mis à profit pour éliminer le plus grand nombre possible d'obstacles à cette adhésion. Il s'agit notamment d'aider l'Ukraine dans ses efforts de réforme, de donner plus de substance au débat sur la voie à suivre et, surtout, de normaliser le point de vue selon lequel l'Ukraine a naturellement sa place au sein de l'Union européenne. Entre l'invasion de l'Ukraine par la Russie et le début de la présidence danoise, la Première ministre Mette Frederiksen s'est rendue à six reprises dans la capitale ukrainienne, Kyiv, notamment pour marquer les mille premiers jours de l'invasion totale en novembre 2024.
Contenir la Russie
La Russie, acteur central des « développements géopolitiques actuels », devra être contenue. L'ambition de faire entrer l'Ukraine dans l'Union européenne, y compris par le biais d'un processus accéléré, devra être réalisée dans un environnement complexe à somme nulle. Si les responsables russes ont déclaré que l'Ukraine serait libre d'adhérer à l'Union - révélant ainsi la mentalité moscovite selon laquelle les anciens territoires soviétiques auraient encore besoin d'une autorisation pour franchir les étapes qui définissent leur identité - il ne faut pas y croire. Comme les partisans les plus optimistes de l'adhésion de l'Ukraine fixent l'échéance à 2030, la Russie a le temps d'essayer d'y faire obstacle. Il n'est alors pas nécessaire de s'engager dans cette voie maintenant - mieux vaut se concentrer sur la demande plus immédiate de ne pas autoriser l'Ukraine à adhérer à l'OTAN. La question de l'adhésion à l'Union pourra être traitée par la suite.
Dans ce contexte, la présidence danoise insistera sur la nécessité d'affaiblir la Russie ou, tout du moins, de ne pas lui permettre d'accroître son influence. Un échec à cet égard pourrait compromettre l'ambition de faire entrer l'Ukraine - et la Moldavie - dans l'Union européenne. Cependant, il ne s'agit pas seulement de l'élargissement. Il s'agit de la sécurité européenne dans son ensemble et de celle des différents États membres. Le programme de la présidence indique qu'elle « adoptera une approche ambitieuse dans le cadre de la poursuite des travaux sur la gestion des menaces hybrides » émanant de la Russie. Le Danemark est l'un des principaux défenseurs d'une politique robuste à l'égard de la Russie, c'est-à-dire d'une politique qui augmente le coût pour cette dernière de ses actions agressives actuelles et qui la dissuade de poursuivre des actions similaires à l'avenir : « La présidence poursuivra également ses efforts visant à maintenir et à adopter les sanctions les plus sévères possibles à l’encontre de la Russie, à garantir une mise en œuvre et une application plus efficace dans l’ensemble de l’Union européenne et à lutter de manière concertée contre le contournement des sanctions. » Alors que la présidence danoise débute le 1er juillet, l'Union a adopté un total de dix-sept paquets de sanctions contre la Russie (à l'heure où nous écrivons ces lignes, le dix-huitième paquet est bloqué par la Hongrie et la Slovaquie). On peut s'attendre à ce que la présidence travaille avec détermination pour ajouter d'autres mesures et pour améliorer les normes d’exécution. Cette stratégie inclura probablement la question délicate de la flotte fantôme russe, qui achemine le pétrole du pays vers les marchés internationaux. Comme la Russie menace de faire monter les enchères pour empêcher une mise en œuvre plus vigoureuse des sanctions liées au pétrole - notamment en déployant des navires de guerre et des avions de chasse pour se protéger - la question risque de devenir plus litigieuse au sein de l’Union et donc plus difficile à gérer pour la présidence danoise.
Accélérer la coopération en matière de défense
Troisième point : en tant que nouveau converti à la coopération en matière de défense européenne, il est remarquable de voir à quel point ce domaine politique occupe désormais une place importante pour le Danemark. C'est une indication claire de la gravité avec laquelle les défis géopolitiques sont perçus. Selon le programme de la présidence, « il est (...) essentiel que l'Europe s'efforce d'être en mesure, d'ici 2030 au plus tard, de se défendre elle-même, notamment en livrant une contribution crédible à la sécurité euro-atlantique commune. Cela implique, par exemple, le développement de capacités de défense critiques, le renforcement de l’industrie européenne de la défense, y compris les capacités de production et d’approvisionnement, ainsi qu’une coopération encore plus étroite entre l’Union européenne et l’OTAN ». Le Danemark semble résolu à assurer des progrès dans ce domaine et à réfléchir et proposer de nouvelles idées et approches pour réussir. La présidence danoise bénéficie d'un fort soutien national à cet égard : dans un sondage réalisé en mars dernier, 82% des Danois interrogés ont exprimé leur accord avec l'affirmation selon laquelle « l'Union européenne devrait devenir plus forte dans le domaine militaire ». Là encore, c’est une nouveauté : dans les sondages réalisés au cours des années 2022-2024, la réponse positive était successivement de 45%, 61% et 70%.
Si l'on examine de plus près le débat politique au Danemark, il semble qu'il y ait un « plan A » et un « plan B » derrière tout cela. Le « plan A » consiste à augmenter les dépenses de défense et à renforcer la coopération dans l'espoir d'obtenir un engagement continu des États-Unis envers l'Europe. En témoignent, par exemple, les déclarations du programme de la présidence concernant la « complémentarité avec l'OTAN » et le fait de « travailler aux côtés de l'OTAN dans la mesure du possible ». Il est évident que le Danemark n'agit pas de manière isolée. Idéalement, du point de vue danois, tous les États européens, membres de l'OTAN devraient atteindre l'objectif défini en matière de dépenses de défense (en pourcentage du produit intérieur brut). Cet objectif est désormais fixé à 5%. Pour les États membres appartenant à l’OTAN, cela s'ajoutera à leur contribution au budget européen. Les appels très directs à l'augmentation des dépenses de défense pour atteindre ce nouvel objectif, qui seront également lancés par les représentants du gouvernement danois au cours de la présidence semestrielle, visent à obtenir un soutien national et à dénoncer les membres de l'OTAN qui ne parviendraient pas à l’atteindre dans les délais impartis, mettant ainsi en péril les relations avec les États-Unis.
Dans le cas probable où même une dépense de défense de 5% dans la plupart ou la totalité des États européens membres de l'OTAN ne suffirait pas à garantir le maintien de l'engagement des États-Unis - ou si les Alliés européens parvenaient à la douloureuse conclusion que les États-Unis ne sont plus dignes de confiance - le « plan B » serait activé. Ce plan prévoit que les États membres - éventuellement en étroite coopération avec d’autres États comme la Norvège, le Royaume-Uni et le Canada - agissent seuls et sans les États-Unis. Les dépenses de défense de 5% renforceraient la capacité de ces États à agir en ce sens. Le « nouveau » soutien danois à la coopération européenne en matière de défense a un double objectif : garantir le maintien de l'engagement des États-Unis et accroître les capacités de l'Union européenne. Ce dernier objectif est, dans l'immédiat, un moyen d'atteindre le premier. Toutefois, il pourrait devenir un objectif final. En fait, les discussions en coulisses au Danemark suggèrent que le « plan B » est désormais le nouveau « plan A », même si cela n'est pas dit ouvertement. La détérioration des relations entre les alliés européens et les États-Unis, et entre le Royaume du Danemark et les États-Unis, depuis janvier dernier, a été si rapide et si dramatique que la rupture pourrait se matérialiser dès la présidence danoise.
Il convient d'ajouter que l'objectif de 5% se décompose en deux éléments distincts : les dépenses militaires (3,5%) et les dépenses de sécurité au sens large (1,5%). Ces dernières augmenteront la résilience de la société dans tous les domaines - physique, cybernétique et cognitif. Au Danemark, il est évident que cette résilience sociétale en général est mieux assurée dans le cadre de l’UE. Cela passe par une coopération à la fois large et approfondie avec les États membres sur des normes communes, par exemple la directive sur la sécurité des réseaux et de l'information (SRI 2), qui définit des normes nouvelles et plus strictes en matière de cybersécurité pour les secteurs critiques. Selon le programme de la présidence, l'Union européenne doit « mieux cibler ses efforts sur les lacunes les plus critiques en matière de capacités en Europe » avec pour objectif de « défendre ses intérêts, notamment en renforçant sa puissance, sa résilience et sa capacité de dissuasion face aux menaces complexes et hybrides auxquelles l’Europe est confrontée. »
Insister sur la transition écologique
Si l'on en juge par les seuls programmes de la présidence, le Danemark est plus vert que la Pologne. C'est peut-être l'un des domaines où la transition entre les présidences polonaise et danoise est plus visible. Le programme de la présidence polonaise mentionnait le mot « vert/écologique » onze fois, alors que le programme danois le fait à trente-six reprises. L'actuel accord de coalition gouvernementale stipule que « le Danemark doit être un pionnier, en identifiant et en atteignant des objectifs et des actions ambitieux en matière de climat, inspirant ainsi les autres à suivre ». La transition verte sera donc un objectif en soi. Toutefois, elle concerne également, dans une large mesure, la sécurité, et c'est ainsi que le slogan « Sécurité, Europe ! » est repris ici. « La transition écologique est essentielle à la construction d'une Europe plus sûre et plus compétitive », selon le programme de la présidence danoise, qui poursuit que « la transition écologique doit être menée de manière à maintenir le niveau d’ambition tout en soutenant la compétitivité et la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne, ainsi qu’en garantissant l’indépendance de l’Europe vis-à-vis de l’énergie russe ».
Compte tenu du ton général du programme de la présidence danoise, on peut s'attendre à ce que la transition écologique soit principalement liée aux discussions sur un programme de sécurité plus large. La raison n'en est pas seulement instrumentale - il est plus facile de convaincre des États membres autrement plus hésitants du bien-fondé de la transition verte - elle reflète aussi une urgence ressentie au Danemark. Alors que l’UE maintient, et peut-être même accroît, son attention sur la manière de contenir la Russie, un relâchement de l'emprise énergétique de celle-ci sur plusieurs États membres sera considéré comme une grande priorité, légitimant des coûts plus élevés et des politiques drastiques.
Le Groenland et l'Arctique
Le Royaume du Danemark se compose du Danemark, des îles Féroé et du Groenland. Ces deux derniers territoires ne font pas partie de l'Union européenne. Le Royaume est actuellement confronté à une pression extérieure sans précédent, l'administration américaine de Donald Trump maintenant sa menace de s'emparer du Groenland. Cette pression n'est pas, et ne sera pas, à l'ordre du jour de la présidence danoise. Cependant, il est très probable que le conflit sur le Groenland perdure, voire s'exacerbe en arrière-plan pendant la présidence danoise.
Jusqu'à récemment, la position du Danemark était que la région arctique était réservée aux États limitrophes. Après l'annonce par Donald Trump de son intention de prendre le contrôle du Groenland, cette position a été assouplie. La visite du président français Emmanuel Macron au Groenland le 15 juin dernier, accompagné du chef du gouvernement groenlandais Jens-Frederik Nielsen et de la Première ministre danoise Mette Frederiksen, est à ce jour l'illustration la plus spectaculaire de ce changement. « Il est important de montrer l’attachement du Danemark et de l’Europe à ce territoire », a déclaré Emmanuel Macron. Le programme de la présidence souligne le rôle essentiel de l'Union européenne en tant que « garante de la défense de l’ordre juridique international ». Il s'agit principalement d'une référence à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais celui-ci est également soumis à de fortes pressions de la part des États-Unis. Le statut et la visibilité accrue que lui confère la présidence donneront au Danemark plus de poids et plus d'opportunités, alors que le pays s'efforce de désamorcer la tension sur le Groenland ou, en cas d'échec, de gagner le soutien de ses alliés. Tout soutien au sein de l'Union - institutions et États membres - sera considéré comme essentiel. On peut donc s'attendre à ce que le Danemark cherche à impliquer certains de ces partenaires au cours du second semestre. Il ne le ferait pas en tant que détenteur de la présidence, mais cela se produirait pendant sa présidence. La distinction est importante, mais elle est également difficile à maintenir aux yeux de l'opinion publique. Les autorités danoises s'en réjouiront, car elles espèrent gagner le plus de soutien et de sympathie possible dans le conflit sur le Groenland.
[1] Trois op-outs subsistent : Ils concernent l'Union monétaire (UEM), la justice et les affaires intérieures (JAI) et la citoyenneté de l'Union européenne.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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