Démocratie et citoyenneté
Thierry Chopin
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Thierry Chopin
I- L'implication du "non" français sur la procédure de ratification du traité constitutionnel dans les autres Etats
Scénario 1
L'interruption du processus de ratification ?
Le "non" français à la Constitution européenne ne doit pas interrompre le processus de ratification, la conférence intergouvernementale ayant adopté une déclaration selon laquelle « si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe, les quatre cinquièmes des Etats membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs Etats membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question ».
Il en ressort, a contrario, que tant qu'au moins cinq pays n'ont pas rencontré de difficultés particulières, les autres sont tenus de poursuivre leur processus de ratification. Le cas s'est déjà présenté par le passé lorsque les Danois ont une première fois rejeté le Traité de Maastricht, le 2 juin 1992, cela n'a toutefois pas empêché l'organisation d'un référendum en France le 20 septembre suivant. De même, le rejet irlandais du Traité de Nice le 7 juin 2001 n'a pas interrompu le débat parlementaire de ratification engagé deux jours auparavant par les députés français.
Néanmoins, pour ce qui concerne le processus de ratification actuel, il n'est pas à exclure qu'il puisse être interrompu si d'autres pays se prononcent pour le "non". Comme l'a souligné Tony Blair, réélu récemment, si les Français votent "non ", le référendum britannique prévu en 2006 pourrait être annulé.
Scénario 2
La poursuite du processus de ratification
Les autres Etats peuvent poursuivre la procédure de ratification. On devra attendre que chacun des pays se prononce pour savoir si, à la demande de la France, la Constitution sera, ou non, renégociée. Dans tous les cas, à la fin du processus de ratification (novembre 2006) un Conseil européen se réunira pour se "saisir de la question". Cette seconde option a été confirmée le soir même des résultats du référendum français par Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg dont le pays préside jusqu'à la fin du mois de juin 2005 l'Union européenne ainsi que par José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne : "Les électeurs français ont choisi, dimanche 29 mai, de dire "non" à la ratification du traité constitutionnel. Nous en prenons acte. Nous regrettons ce choix venant de la part d'un Etat membre qui est depuis 50 ans l'un des moteurs essentiels de la construction de notre avenir commun. Nous respectons entièrement l'expression du suffrage démocratique qui s'est manifesté à l'issue d'un débat intense (…). Neuf pays ont déjà ratifié le texte [1]. Leur décision ne doit pas être repoussée à l'arrière-plan".
Deux hypothèses sont à distinguer :
Scénario 2 a
En novembre 2006, si, à l'issue du processus de ratification, les autres pays se sont prononcés dans leur grande majorité (entre 22 et 24 pays), en faveur du texte, celui-ci bénéficiera d'une forte légitimé démocratique au niveau européen. Dans cette hypothèse, les pays qui l'ont adopté pourraient décider de travailler sur la base de cette Constitution et n'accepteront pas de la renégocier. Quid alors de ceux qui auraient dit "non"; un second vote serait-il organisé ? Leur poserait-on une autre question : souhaitez-vous rester dans l'Union européenne ou quitter l'UE ? Un tel scénario est peu crédible : le seul cas de la France montre que son degré de participation aux institutions et aux politiques communautaires rend improbable cette hypothèse.
Scénario 2 b
Si une forte minorité de pays représentant une forte proportion de population, influencée ou non par le "non" français, refuse le texte, celui-ci ne bénéficierait sans doute pas de la légitimité suffisante pour entrer en vigueur. Dans ce cas, aux yeux de certains, une renégociation du texte paraîtrait s'imposer, ce qui est revendiqué par ceux qui ont défendu le "non" dans le débat référendaire français.
II- L'implication d'un non français sur l'avenir du texte proposé
Scénario 1
L'entrée en vigueur entre les Etats l'ayant ratifié et la sortie de l'Union de l'Etat ou des Etats qui auraient dit "non"?
Le premier scénario est celui d'un retrait volontaire de l'Union du ou des pays qui n'auraient pas ratifié la Constitution. Cette option n'est pas prévue par les traités actuels qui ne contiennent aucune disposition sur un possible retrait de l'Union. Une telle éventualité nécessiterait donc l'accord politique des parties concernées, en application de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) qui dispose que lorsqu'un traité ne contient aucune disposition concernant le retrait, celui-ci n'est possible que si toutes les parties y consentent.
Cette solution n'est cependant pas satisfaisante dès lors que le rejet de la Constitution européenne ne signifie en rien qu'un pays se prononce contre son appartenance à l'Union. En conséquence, l'absence de ratification de la Constitution ne saurait, à elle seule, provoquer un retrait de l'Union, avec les conséquences institutionnelles, politiques et aussi économiques qu'une telle décision ne manquerait pas d'entraîner. En revanche, un vote négatif pourrait conduire à l'organisation d'une nouvelle consultation populaire conditionnant l'appartenance à l'Union européenne à la ratification de la Constitution.
C'est ainsi qu'au Danemark, le Premier ministre a préventivement indiqué qu'il s'engagerait dans cette voie en cas de référendum négatif sur la Constitution. Tout reste cependant une question de rapport de forces et le poids politique, économique et démographique du ou des pays en question se révélera une fois encore déterminant.
Dans le cas de la France, il s'agit d'un Etat fondateur, moteur de la construction européenne et qui de plus a inspiré la Constitution. Il est difficile d'imaginer la mise en œuvre de cette hypothèse.
Dans un entretien au quotidien La Croix le 22 avril, Jean-Claude Juncker a déclaré "si la France se trouvait le seul pays à avoir voté non, elle se verrait adresser une interrogation plus à elle-même qu'aux autres pays membres (...)".
Scénario 2
Conserver le texte tel qu'il est pour les pays qui l'ont approuvé et faire revoter les Français
Le deuxième scénario est celui de l'organisation d'une nouvelle consultation dans le ou les pays qui auraient dit « non » à la Constitution. La situation s'est déjà présentée lors de la ratification des Traités de Maastricht (1992) et de Nice (2001). Le 2 juin 1992, le Danemark est le premier pays à se prononcer sur le Traité de Maastricht. Alors que les partis politiques, les syndicats et les principaux médias préconisent le «oui », c'est finalement le « non » qui l'emporte par 50,7% des suffrages, avec un taux de participation particulièrement élevé de 83%. Face à l'impasse juridique provoquée par ce vote négatif, une solution politique a été trouvée lors du Conseil européen d'Edimbourg de décembre 1992 qui a identifié un certain nombre de problèmes soulevés par le Danemark au regard du Traité sur l'Union européenne. Des dispositions spécifiques ont alors été arrêtées, qui ne s'appliquent qu'au Danemark et à aucun autre Etat membre, ni actuel ni futur, et qui concernent l'euro, la défense européenne, la citoyenneté européenne ainsi que la justice et les affaires intérieures [2]. Sur la base de cette dérogation, un second référendum sera organisé le 18 mai 1993 qui autorisera la ratification du Traité de Maastricht avec 56,8% des voix.
Un scénario similaire s'est déroulé en Irlande, mais avec des caractéristiques différentes. Le 7 juin 2001, les Irlandais ont rejeté le Traité de Nice par 53,9% des voix contre 46,2%, lors d'un scrutin marqué par un très faible taux de participation (34,8%). Ce rejet a créé la surprise dans un pays qui, d'un point de vue économique, a très largement bénéficié de son appartenance à l'Union européenne. Lors de sa réunion de Göteborg (juin 2001), le Conseil européen s'est déclaré disposé « à aider par tous les moyens possibles le gouvernement irlandais à trouver une issue », sans pour autant rouvrir la négociation sur le Traité de Nice pour lequel le processus de ratification devait se poursuivre [3]. Contrairement au cas danois, le « non » irlandais ne s'est donc pas accompagné de l'obtention de clauses dérogatoires. Ce vote négatif a, en revanche, provoqué un électrochoc qui a conduit la classe politique irlandaise à s'impliquer davantage dans la pédagogie sur l'Europe, le rejet du traité étant en grande partie dû à la très faible mobilisation électorale.
S'est alors ouverte une réflexion importante sur la question de la participation populaire au débat démocratique. L'échec du premier référendum a contraint les élus du pays à prendre leur bâton de pèlerin pour dialoguer et débattre avec l'électorat jusqu'au jour du vote. Un effort sans précédent a été accompli par les pouvoirs publics en matière d'information et de sensibilisation de l'opinion aux affaires européennes. Le 19 octobre 2002, le « oui » l'emporta facilement, par 66,4% contre 33,5% avec un taux de participation proche de 50%. Depuis ce second référendum, les structures de dialogue sur l'Europe ont été pérennisées et l'Irlande fait désormais figure de pays modèle en ce qui concerne l'organisation du débat public. Le succès obtenu le 18 juin 2004 par la présidence irlandaise de l'Union européenne pour conclure la CIG augure bien des chances de succès du référendum qui sera organisé dans ce pays sur la Constitution européenne.
Pour ce qui concerne la France, interrogé sur les ondes de la BBC (BBC Radio 4) vendredi 29 avril, Jacques Delors estime que, si le « non » l'emportait en France le 29 mai lors du référendum et que la France soit le seul, parmi les 25 pays membres de l'Union à rejeter le traité établissant une constitution pour l'Europe, il deviendrait envisageable d'organiser, dans un délai à définir, probablement après l'issue du processus de ratification dans les autres pays, une nouvelle consultation populaire dans le seul pays ayant rejeté le traité. De la même manière, Valéry Giscard d'Estaing a indiqué le 27 mai qu' "il n'y aura pas d'autre solution" que d'organiser un nouveau scrutin à l'issue de la ratification par les autres pays membres de l'Union; l'ancien Président de la République a également souligné qu'un éventuel nouveau vote se ferait sur le même texte : "on ne recommencera pas le travail, c'est trop lourd et il n'y aura pas la volonté politique pour le faire".
En ce qui concerne la France, ce serait l'un des enjeux de la campagne pour l'élection présidentielle de 2007. Cependant, il paraît politiquement très délicat, pour ne pas dire impossible, d'organiser un second scrutin et encore moins de procéder à une ratification par voie parlementaire.
Scénario 3
Abandonner le texte et se résoudre à ce que l'UE fonctionne pour une durée indéterminée sur la base du Traité de Nice
Dans le cas où la procédure de ratification s'arrêterait après le "non" français, ou si le non français était suivi d'un nombre significatif de refus, la première conséquence serait l'abandon du texte et par là même le maintien des dispositions du traité de Nice c'est-à-dire un traité qui, conformément à l'opinion dominante, risque d'aboutir à un fonctionnement inefficace de l'Union.
En cas de non-entrée en vigueur de la Constitution européenne, personne ne sait combien d'années peuvent s'écouler avant qu'une nouvelle volonté politique ne se dessine afin de doter l'Europe d'un texte commun. Le "non" d'un Etat fondateur (et peut-être deux en cas de rejet du texte par les Pays-Bas), initiateur de la Constitution européenne, présente un risque fort de bloquer ou d'enliser la construction européenne.
De surcroît, le "non" français risque également de causer une divergence inédite au sein du couple franco-allemand. Pour la première fois, en effet, dans l'histoire de la construction européenne, les deux pays "moteurs" divergent sur une étape clé de la poursuite de la construction communautaire. Des efforts devront être accomplis pour maintenir l'unité du couple, même si la situation politique intérieure en Allemagne et l'organisation d'élections anticipées au mois de septembre prochain compliquent la situation, l'énergie et toute l'attention du gouvernement allemand se concentrent sur les difficultés internes. Il convient toutefois de souligner que le chancelier Schroeder a affirmé que, si le résultat français devait être considéré comme un "revers", néanmoins "ce n'est pas non plus la fin du partenariat franco-allemand dans et pour l'Europe".
Enfin, ayant échoué à faire adopter un projet qu'elle a elle-même contribué à initier, il sera beaucoup plus difficile pour la France de prendre de nouvelles initiatives afin de relancer la réforme nécessaire du fonctionnement de l'Union. De surcroît, compte tenu des difficultés à débloquer dix années de négociations institutionnelles, il est peu vraisemblable que les Etats parviennent à s'entendre sur de nouvelles réformes.
L'Union européenne fonctionnera donc sur la base du traité de Nice et n'aura donc pas, pendant de longues années, les instruments politiques et démocratiques pour agir de manière efficace et légitime.
III- Un non français et une renégociation du Traité ?
Un constat : une impossible renégociation à la marge
La ratification de précédents traités européens dans d'autres États membres a parfois exigé un nouveau référendum après un premier rejet (v. supra).
Ce fut le cas au Danemark pour le traité de Maastricht et en Irlande pour le Traité de Nice. Mais, dans les deux cas, il s'agissait d'un non qui portait sur un élément spécifique et précis.
Le non français est illisible pour nos partenaires, étant donné le caractère hétéroclite des arguments invoqués. Une renégociation à la marge paraît donc en l'espèce impossible.
Scénario 1
Le dépeçage du traité constitutionnel : écarter la partie III du reste de la Constitution ?
Alors que l'on doit reconnaître les progrès réalisés par la Constitution s'agissant du fonctionnement des institutions et de l'influence de la France au sein de celles-ci, notamment au Conseil des ministres, certains partisans du non proposent de dépecer le traité. L'objectif serait de ne retenir que la Partie I, voire les Parties I, II, et IV et d'écarter la Partie III, source de controverses.
Cette proposition est doublement illusoire :
• séparée du traité constitutionnel, cette 3e partie continuerait en effet de s'appliquer avec les traités existants. L'inclure dans un protocole annexé à la Constitution ne changerait rien puisque ces protocoles ont la même valeur juridique que les traités eux-mêmes.
• cette hypothèse se heurte ensuite à la réalité puisque le traité constitutionnel est un texte de compromis. Chaque Etat a accepté des concessions, notamment l'Espagne et la Pologne [4] s'agissant des dispositions institutionnelles. Si un Etat (qui n'a pas ratifié la Constitution) demandait à revenir sur une partie du Traité, les autres (qui ont, par exemple, comme l'Espagne ratifié le traité constitutionnel) reviendraient également sur les concessions qu'ils ont faites et tout l'édifice s'écroulerait. Détricoter la Constitution n'aboutirait sans doute pas à grand chose, si ce n'est à renoncer aux solutions obtenues après près de dix années de négociations entre Etats pour améliorer le fonctionnement de l'Union européenne, désormais composée de 25 Etats membres.
Scénario 2
Quelle renégociation ?
En vue d'obtenir une meilleure Constitution que le traité constitutionnel qui a été soumis aux suffrages des Français, deux questions se posent : Sur quoi renégocier? Avec qui renégocier ?
Pour élaborer une nouvelle constitution, il faudrait faire, tout d'abord, la synthèse des raisons qui font que certains pays auraient dit non. Or, il est très délicat de dire qui pourrait prétendre incarner en France le "non". Plus particulièrement, compte tenu de la multiplicité des ressorts du non dans notre pays, de quel projet européen la France sera-t-elle porteuse ?
Il est évident, de surcroît, que la France se retrouvera en situation de faiblesse diplomatique. Il lui sera en effet difficile de trouver des alliés disposés à défendre ses vues, puisque la plupart des autres pays de l'UE auront approuvé la Constitution. Quoi qu'il arrive la France devrait s'efforcer de négocier au sein d'une hypothétique alliance avec le ou les autres Etats qui auraient rejeté la Constitution. Le cas échéant, la concomitance d'un vote négatif en France et au Royaume-Uni aurait par exemple pour effet paradoxal de nous rapprocher d'un pays favorable à une Europe conçue uniquement comme un marché et peu disposé à soutenir une Europe sociale. Il est plus vraisemblable que les autres Etats membres, au premier rang desquels le Royaume-Uni, qui présidera l'Union à compter du 1er juillet prochain, alléguant du fait que nous avons refusé ce que nous avons bâti, en profitent pour réduire l'Europe à une simple zone de libre-échange. Le Royaume-Uni pourra être tenté, par exemple, de revenir sur le caractère contraignant de la Charte des droits fondamentaux qu'il a accepté du bout des lèvres.
En bref, une renégociation ne semble pas envisageable et le "non" français risque davantage d'avoir pour conséquence le rejet définitif de la Constitution européenne, à moins que l'enjeu constitutionnel européen ne s'invite à nouveau dans le débat public français, lors de l'élection présidentielle de 2007
[1] La Lituanie, la Hongrie, la Slovénie, l'Italie, la Grèce, la Slovaquie, l'Espagne, l'Autriche et l'Allemagne.
[2] Ces dérogations ont été accordées par une décision du Conseil européen et par l'adoption de déclarations annexées au traité (qui complètent les protocoles spécifiques déjà accordés au Danemark), dans pour autant modifier le traité de Maastricht, qui avait déjà été ratifié par huit Etats membres.
[3] Les 21 et 22 juin 2002, le Conseil européen de Séville a toutefois adopté une déclaration rappelant que les dispositions du traité de Nice relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ne remettent pas en cause la politique de neutralité militaire de l'Irlande. Cette déclaration, de caractère politique, est dépourvue de toute valeur juridique.
[4] Le nouveau système a été fortement critiqué par l'Espagne et la Pologne qui souhaitaient conserver les avantages obtenus avec le Traité de Nice en décembre 2000 (les deux pays avaient obtenu 27 voix au Conseil qu'il faut comparer aux 29 de l'Allemagne qui compte pourtant deux fois plus d'habitants).
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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