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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Grosse surprise en Roumanie où, contrairement aux prévisions des enquêtes d'opinion, Klaus Johannis (Parti national-libéral, PNL), maire de Sibiu et membre du Forum démocratique des Allemands de Roumanie (FDGR), a remporté le 2e tour de l'élection présidentielle qui s'est déroulé le 16 novembre. Le candidat de l'opposition de droite a recueilli 54% des suffrages contre 46% à Victor Ponta, Premier ministre sortant, président du Parti social-démocrate (PSD). L'écart entre les deux hommes (8 points) est inhabituel en Roumanie où les scrutins présidentiels sont souvent très serrés.
Victor Ponta était arrivé en tête au 1er tour organisé le 2 novembre dernier avec 40,44% des suffrages pour 30,37% à Klaus Johannis.
La victoire de Klaus Johannis marque une véritable rupture en Roumanie, contrôlée par la nomenklatura post-communiste depuis la chute de Nicolae Ceausescu en décembre 1989.
La participation a été forte et s'est élevé à 61,5%, soit +3,48 points par rapport au 2e tour de la précédente élection présidentielle des 22 novembre et 6 décembre 2009 et +8,33 points par rapport au 1er tour.
" Tout dépendra de la mobilisation des électeurs des zones urbaines et de l'étranger qui ont été indignés par la mauvaise organisation du 2 novembre " avait souligné Alina Mungiu-Pippidi, professeur de science politique à l'université Hertie de Berlin au lendemain du 1er tour. " Si 4 à 5% de personnes supplémentaires des zones urbaines viennent voter au 2e tour, Klaus Iohannis remportera l'élection présidentielle " avait-elle conclu. " Si les électeurs des grandes villes, qui sont plutôt favorables à l'opposition, se mobilisent, Klaus Johannis a une chance " avait souligné le directeur du Centre roumain pour des politiques européennes, Cristian Ghinea, selon lequel Victor Ponta a réussi à mobiliser les gens contre sa candidature.
La forte mobilisation, notamment des expatriés et des jeunes, a en effet fait mentir les sondages et permis la victoire du candidat de l'opposition. Traian Basescu était devenu président de la République pour la deuxième fois en 2009 en grande partie grâce au vote des Roumains expatriés.
Beaucoup de Roumains vivant à l'étranger n'avaient pas pu s'exprimer lors du 1er tour le 2 novembre dernier. Seuls 160 056 d'entre eux avaient déposé un bulletin dans l'urne en raison d'un nombre insuffisant de bureaux de vote (294 au total et seulement 160 000 bulletins imprimés pour environ 4 millions d'électeurs), notamment en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Belgique.
Entre les deux tours de scrutin, des manifestations avaient été organisées à Bucarest et dans les villes de Cluj, Timisoara, Sibiu, Brasov, Oradea et Constanta en solidarité avec les Roumains expatriés qui n'avaient pas pu remplir leur devoir civique. Le 10 novembre, le ministre des Affaires étrangères Titus Corlatean (PSD), responsable de l'organisation du vote des expatriés, avait dû démissionner de ses fonctions. Il s'était défendu des accusations portées contre lui en expliquant que la législation interdisait au ministère de mettre en place davantage de bureaux de vote, une information démentie par le Bureau électoral central. Le ministre avait cependant assuré que des mesures seraient prises pour assurer le bon déroulement des opérations de vote dans les ambassades pour le 2e tour : augmentation du nombre d'isoloirs et possibilité de téléchargement en ligne, donc avant l'arrivée au bureau de vote, du formulaire anti fraude (tout électeur doit déclarer sur l'honneur qu'il n'a pas déjà voté dans un autre lieu).
Titus Corlatean a été remplacé par Teodor Melecanu, ancien chef de la diplomatie (1992-1996) et par ailleurs candidat à l'élection présidentielle (0,56% des suffrages au 1er tour).
Selon les sondages, 46% des Roumains de l'étranger avaient voté pour Klaus Johannis et 15,8% pour Victor Ponta le 2 novembre dernier. " Il est triste de voir qu'un candidat profite de sa fonction publique pour empêcher les citoyens d'exercer un droit constitutionnel. Victor Ponta est une menace pour la démocratie " avait déclaré Klaus Johannis à l'issue du 1er tour. Sergiu Miscoiu, analyste au Centre d'études politiques et de recherches internationales (CESPRI) de Cluj, a affirmé que Victor Ponta avait commis une " grave erreur " en ostracisant les expatriés. En effet, cette décision a eu pour effet de renforcer la solidarité entre les Roumains.
" Chers Roumains, vous avez été des héros. 25 ans après la révolution, les gens ont été obligés de sortir dans la rue pour défendre leur droit de voter. Je salue les Roumains de la diaspora qui ont fait la queue pendant des heures pour voter " a déclaré Klaus Johannis après le 2e tour. 379 000 Roumains de l'étranger, soit plus du double du nombre du 1er tour de scrutin, ont voté le 16 novembre.
" Grâce à vous, une autre Roumanie va voir le jour. La Roumanie que nous souhaitons exclut tout conflit ou revanche ; elle sera fondée sur votre vote et sur notre parole " a déclaré Klaus Johannis, qui avait choisi pour slogan " La Roumanie de la chose bien faite ". " Je vais faire à l'échelle de la Roumanie ce que j'ai fait à Sibiu " a-t-il promis. " Ma vision des choses, c'est que la Roumanie est un pays occidental " a t-il ajouté, précisant que " ce qui se passe aujourd'hui en Hongrie ne relève pas de la démocratie et ne vas pas dans la bonne direction ". Enfin, le nouveau président de la République a promis de consolider l'Etat de droit et de mettre en place un système judiciaire totalement indépendant.
" Nous sommes un pays démocratique. Le peuple a toujours raison " a indiqué le Premier ministre Victor Ponta en apprenant sa défaite qu'il a très tôt reconnue. Il n'avait pas hésité à jouer sur la fibre nationaliste (alors qu'il était opposé à un adversaire surnommé " l'Allemand " en raison de ses origines) comme à encenser l'esprit religieux (" Celui qui croit en Dieu est quelqu'un de bien. Lui seul peut prendre soin des autres " avait-il déclaré lors du lancement de sa campagne électorale).
Sûr de sa victoire, Victor Ponta avait déjà choisi celui qui lui succèderait au poste de Premier ministre, en la personne du président du Sénat, l'ancien Premier ministre (2004-2008) et candidat à l'élection présidentielle Calin Popescu-Tariceanu (Parti libéral-réformiste). " Nous avons appris suffisamment appris pour ne pas perdre l'élection présidentielle pour la troisième fois " avait-il aussi répété.
La confiance n'aura pas été suffisante pour le Premier ministre qui a cependant déclaré qu'il n'avait pour l'heure aucune raison de démissionner.
Agé de 56 ans, Klaus Johannis est originaire de Sibiu (Hermannstadt en allemand), ville dont il est devenu maire en 2000, le premier d'origine allemande dans une ville roumaine depuis Alfred Dörr, maire de Sibiu entre 1940 et 1945. Régulièrement réélu (il a obtenu un 4e mandat avec 78,4% des suffrages lors des élections locales 10 et 24 juin 2012), ce membre de la minorité allemande de Roumanie est un symbole de réussite : il a en effet complètement transformé sa ville en renouvelant ses infrastructures et en restaurant son centre historique. Sibiu connaît depuis qu'il la gouverne un véritable essor économique et est devenue une destination touristique privilégiée qui a été choisie comme capitale européenne de la culture en 2007, année où la Roumanie a rejoint l'Union européenne. " Sibiu est la preuve vivante qu'en Roumanie, il est possible d'avoir une administration saine et efficace, que l'on peut faire une politique décente sans scandale ni injure, que l'on peut encourager les investissements qui créent la prospérité. Si nous avons pu le faire à Sibiu, nous pouvons le faire dans toute la Roumanie " a répété Klaus Johannis.
" Qui aurait imaginé que moi, enseignant au nom allemand (...) me retrouverait un jour devant des dizaines de milliers de personnes pour présenter ma vision de la Roumanie ? C'est la première fois depuis la chute du communisme il y a 25 ans qu'une structure politique d'envergure désigne pour la fonction présidentielle un candidat appartenant à une minorité ethnique. Cela prouve que la société roumaine est mûre. Nous ne pouvons pas demander le respect des autres si nous ne nous respectons pas nous-mêmes " avait indiqué le maire de Sibiu au début de sa campagne électorale.
La Transylvanie compte depuis le XIIe siècle une importante minorité allemande venue défendre la frontière orientale du royaume de Hongrie contre les incursions des Tatars et, plus tard, des Turcs à la demande du roi Géza II de Hongrie. Les Roumains d'origine allemande étaient 745 000 en 1930 et ne sont plus que 30 000. Au cours de son règne, Nicolae Ceaucescu a " vendu " de nombreux Roumains d'origine allemande à la République fédérale d'Allemagne. Un étudiant en début de cursus était " vendu " 5 500 Deutsche Mark (2 700 €) ; un étudiant en fin d'études, 7 000 Deutsche Mark (3 500 €) et un étudiant diplômé, 11 000 Deutsche Mark (5 500 €). La Roumanie aurait gagné plus d'un milliard de Deutsche Mark avec ces transactions. Après l'effondrement du régime communiste en 1989, les Roumains d'origine allemande ont quitté le pays en masse.
" La Roumanie représente une exception positive, par son choix d'un président membre d'une minorité ethnique qui compte quelque 60 000 membres (0,30% du total) sur une population de 20 millions " a déclaré le politologue Radu Alexandru. Notons que le nouveau chef de l'Etat est protestant tandis que la majorité des Roumains sont orthodoxes.
Diplômé en physique de l'université Babes-Bolyai de Cluj, Klaus Johannis a enseigné d'abord la physique avant de devenir inspecteur de l'enseignement primaire. Il a adhéré au Forum démocratique des Allemands de Roumanie (FGDR) en 1990. Son nom est évoqué en 2009 pour remplacer Emil Boc (Parti démocrate-libéral, PDL) au poste de Premier ministre mais le président de la République Traian Basescu s'y est opposé. Klaus Johannis a rejoint le Parti national-libéral en 2013. Le 28 juin 2014, il a succédé à Crin Antonescu, démissionnaire après la performance du parti aux élections européennes du 25 mai, à la présidence du parti.
Après la fusion du parti avec le Parti démocrate-libéral, Klaus Johannis a été choisi pour représenter les 2 partis, réunis sous l'étiquette d'Alliance chrétienne libérale (Alianta Crestin Liberal, ACL), à l'élection présidentielle des 2 et 16 novembre.
Le parti qui sera formé, probablement à la fin de cette année, à partir des 2 principaux partis de droite du pays, devrait conserver le nom de Parti national-libéral.
Klaus Johannis succèdera donc le 22 décembre prochain, soit 25 ans jour pour jour après la révolution roumaine de 1989, à Traian Basescu au Palais Cotroceni, résidence des présidents de la République à Bucarest.
" Klaus Johannis va utiliser son influence présidentielle pour saper la majorité dont dispose le gouvernement de Victor Ponta au parlement " a souligné Tsveta Petrova, analyste à Eurasia Group qui, avant le scrutin, avait indiqué que le nouveau chef de l'Etat était certainement plus favorable aux entreprises que Victor Ponta.
Le nouveau chef de l'Etat a promis que " les années de la difficile cohabitation entre le chef du gouvernement et le président de la République Traian Basescu ne se répèteront pas ". " Le chef de l'Etat devra être un contrepoids à la forte majorité de gauche au Parlement " a souligné Cristian Ghinea, directeur du Centre roumain pour des politiques européennes.
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