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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le Premier ministre sortant Antonis Samaras a donc finalement perdu la deuxième manche de son pari. Après avoir échoué à faire élire un président de la République par le parlement et avoir dû convoquer des élections législatives anticipées, il n'a pas réussi à conserver la confiance des Grecs et a été devancé le 25 janvier par la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) d'Alexis Tsipras qui a manqué de deux sièges la majorité absolue. SYRIZA a recueilli 36,34% des suffrages et doublé son nombre de députés par rapport aux précédentes élections législatives du 17 juin 2012 (149, + 78).
La Nouvelle démocratie (ND) du chef du gouvernement, emmenée par Theodore Fortsakis, recteur de l'université d'Athènes, a obtenu 27,81% des voix et 76 sièges (- 53).
Aube dorée (XA), parti d'extrême droite de Nikolaos Michaloliakos dont 16 députés sortants sont incarcérés et 70 membres inculpés d'appartenance à une organisation criminelle, demeure le troisième parti politique...avec 6,28% des suffrages et 17 sièges (-1). Il est suivi par To Potami (La rivière), parti libéral de Stavros Theodorakis, qui a obtenu 6,05% des voix.
Le Parti communiste (KKE) dirigé par Aleka Papariga a recueilli 5,47% des suffrages et 15 sièges (+ 3). Le Parti des Grecs indépendants (ANEL), parti de droite populiste de Panos Kammenos, a obtenu 4,75% des voix et 13 sièges (- 7). Enfin, le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK) conduit par le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères sortant, Evangelos Venizelos, est en déroute : il a obtenu 4,68% des voix et 13 sièges (- 20). Le Mouvement des socialistes démocrates (KIDISO), parti créé le 2 janvier dernier par l'ancien Premier ministre (2009-2011) George Papandréou, n'est pas parvenu à franchir le seuil de 3% des suffrages obligatoires pour être représenté à la Vouli.
La participation a été légèrement supérieure à celle enregistrée lors des précédentes élections législatives du 17 juin 2012 : elle s'est élevée à 63,87% (+ 1,38 point). Le vote est obligatoire en Grèce jusqu'à l'âge de 70 ans mais les sanctions ne sont pas appliquées.
Un vote de colère et de rejet de l'austérité
Les Grecs ont clairement exprimé leur rejet des partis traditionnels incarnés par le PASOK et, dans une moindre mesure, la Nouvelle Démocratie. SYRIZA a cessé de faire peur et les Grecs ont choisi de l'utiliser pour crier leur souffrance avec l'espoir que leur vote parvienne à changer leur quotidien.
En passant en une dizaine d'années de 3,3% des suffrages (2004) à plus de 30%, SYRIZA a été forcée d'évoluer ; elle s'est effectivement recentrée au cours des dernières années, exprimant sa volonté de voir la Grèce rester dans la zone euro. Elle possède néanmoins toujours un courant de militants positionnés très à gauche avec laquelle elle devra composer.
SYRIZA a su attirer une large partie des Grecs épuisés par la politique d'austérité mise en œuvre ces dernières années et touchés par les coupes sévères dans les finances publiques exigées par la troïka (Union européenne, FMI et Banque mondiale) en contrepartie du versement de 240 milliards € d'aide financière. SYRIZA a également convaincu de nombreux déçus de la gauche traditionnelle grecque symbolisée durant les quatre dernières décennies par le PASOK.
Le rejet des politiques d'austérité et la colère étaient les premières motivations citées par les Grecs la veille du vote. Rappelons que le chômage touche 25,7% de la population active (49,8% des - de 25 ans) et que le taux de pauvreté s'établit à 23,1%, un record dans l'Union européenne. Les salaires ont diminué d'un tiers, dans la fonction publique comme dans le secteur privé (le salaire minimum s'élève à 586 €), et sont souvent payés avec retard ; les pensions de retraite se sont effondrées et le revenu des ménages a chuté de 35%. Le nombre de fonctionnaires est passé de 900 000 (fin 2009) à 656 000 (fin 2014). Une entreprise sur quatre a dû mettre la clé sous la porte.
Aux yeux de beaucoup de Grecs, la Nouvelle Démocratie est le parti qui a mis en œuvre cette politique. Pourtant grâce aux efforts accomplis, la Grèce a connu un retour de la croissance au 3e trimestre 2014 et de l'excédent primaire (hors service de la dette). La Nouvelle Démocratie avait appelé les électeurs à la responsabilité en se focalisant sur le danger que représentait SYRIZA qui risquait de " dresser l'Europe contre Athènes " et le chaos qui attendait le pays en cas de succès de " ce parti.
Un programme très à gauche
"Notre avenir commun en Europe n'est pas celui de l'austérité, c'est celui de la démocratie, de la solidarité et de la coopération " a déclaré Alexis Tsipras. " Lundi, nous en aurons fini avec l'humiliation nationale. Nous en aurons fini avec les ordres venus de l'étranger " avait-il indiqué lors de son dernier meeting de campagne à Athènes le 23 janvier.
SYRIZA désire à la fois soulager les Grecs en souffrance et relancer l'économie du pays. Pour ce faire, elle veut signer un accord sur un New Deal européen qui comprendrait des investissements publics réalisés par la Banque européenne d'investissement (BEI) et permettrait à la Banque centrale européenne (BCE) d'acheter des obligations et créer une Banque publique d'investissement. Le parti souhaite une réduction de la dette afin de débloquer des fonds pour permettre à l'Etat d'investir et d'améliorer la situation sociale des plus défavorisés. Il veut relancer l'économie par une hausse de la demande intérieure.
Son programme économique promet la fin de l'austérité : allègements d'impôt (suppression des impôts et des cotisations sociales pour une durée de 7 ans, prélèvement limité à 30% du revenu qui rapportait 3 milliards € par an), hausse du salaire minimum (à 751 € contre 586), rétablissement du 13e mois pour les plus faibles pensions de retraites, octroi de bons d'électricité ou de logement et accès gratuit aux transports en commun pour les plus défavorisés (environ 300 000 foyers), création de 300 000 emplois, gratuité des soins de santé pour tous.
SYRIZA souhaite une négociation immédiate de la dette pour 2015 et la renégociation globale de la charge de la dette (175% du PIB, soit 318 milliards €). Elle est favorable aux nationalisations.
Alexis Tsipras chiffre son programme à 12 milliards € dont il pense pouvoir disposer en réduisant le remboursement de la dette, en luttant contre la fraude fiscale et en réaffectant des fonds européens.
" La question du trou budgétaire peut être résolue si nous négocions avec nos partenaires une remise sur 24 milliards € que nous devons allouer au remboursement de la dette sur l'année 2015. Nous souhaitons abaisser le niveau du remboursement de notre dette publique de 5% du PIB à 2% pour les dix prochaines années. Nous paierons le FMI mais nous voulons renégocier la partie de notre dette publique détenue par les Etats européens, la BCE et le Mécanisme européen de stabilité (MES)1 afin de la rendre soutenable " a déclaré George Stathakis, professeur d'économie et conseiller d'Alexis Tsipras, considéré comme le principal artisan du virage du parti et pressenti comme futur ministre de l'Economie.
SYRIZA " ne souhaite pas l'effondrement mais le sauvetage de l'euro " a déclaré son dirigeant. " Nous ne sommes pas en 2012, il existe une marge de négociation " a-t-il ajouté tout en indiquant le 21 janvier qu'il " fera ce qu'il peut et non pas ce qu'il souhaite ".
Qui est Alexis Tsipras ?
Agé de 40 ans et originaire d'Athènes, Alexis Tsipras est diplômé d'ingénierie civile de l'université polytechnique d'Athènes (UPNA). Il a travaillé plusieurs années comme ingénieur civil dans l'industrie du bâtiment.
Il s'est très jeune engagé dans les Jeunesses communistes (KNE) et a milité dans plusieurs mouvements étudiants. Il fait partie du mouvement de réformateurs qui fait scission du parti communiste (KKE) à la fin des années 1980 et en 1999, devient le premier secrétaire politique de la section de la jeunesse du parti (Neolaia Syn), une fonction qu'il exercera jusqu'en 2003.
La première victoire électorale d'Alexis Tsipras a lieu lors des élections locales des 15 et 22 octobre 2006 : la liste de SYRIZA recueille 10,50% des suffrages à Athènes et il devient, avec trois autres membres de la liste, conseiller municipal.
En 2008, Alexis Tsipras est élu président du Synaspismos (ancien parti d'extrême gauche membre de la coalition SYRIZA) et l'année suivante, député.
Il est réélu lors des élections législatives du 6 mai 2012 où SYRIZA enregistre le résultat le plus élevé de son histoire, avec 16,78% des suffrages et 52 sièges (26,9% des suffrages et 71 députés le 17 juin suivant). Le 22 mai, Alexis Tsipras est désigné président de SYRIZA.
Aux élections européennes du 25 mai 2014, le parti recueille 26,57% des suffrages et remporte 6 sièges. Il devance la Nouvelle Démocratie du Premier ministre Antonis Samaras, qui obtient 22,72% des voix et 5 sièges.
Alexis Tsipras est vice-président du Parti de la gauche européenne depuis 2010.
La véritable question des élections législatives grecques du 25 janvier portait moins sur le nom du vainqueur que sur la majorité avec laquelle celui-ci allait pouvoir gouverner.
Ayant échoué de peu à obtenir la majorité absolue, Alexis Tsipras devra donc trouver un partenaire de gouvernement. Il a ouvert des négociations avec les populistes du Parti des Grecs indépendants. Les deux partis sont opposés à la troïka mais possèdent peu d'autres points d'accord. Il peut également se tourner vers To Potami, parti moins hostile à la troïka (il veut clore les négociations avec les organisations internationales pour permettre le versement de la dernière tranche financière) et surtout opposé à tout étatisme (" Nous ne voulons pas faire croître l'Etat mais l'économie " a indiqué son dirigeant Stavros Theodorakis).
Le scrutin a consolidé le nouveau bipartisme qui se dessinait en Grèce depuis deux ans et qui oppose la droite avec Nouvelle Démocratie à la gauche radicale avec SYRIZA. Le PASOK, parti de la gauche hellène depuis la chute de la dictature des Colonels en 1974, disparaît.
Le parti d'Alexis Tsipras devient donc le premier parti de gauche radicale à s'imposer en Europe. " Changer la Grèce, changer l'Europe " affirmait l'un de ses slogans. Sa victoire a réjoui un grand nombre d'Européens, et notamment Podemos, de Pablo Iglesias, en Espagne et le Bloc des gauches (BE) au Portugal, deux pays qui renouvelleront leur parlement cette année. En revanche, elle inquiète les institutions de Bruxelles qui, pour la première fois, vont devoir travailler avec un dirigeant national ouvertement hostile.
Reste que si les Grecs sont souverains, Athènes n'est pas vraiment en position de force et le prochain gouvernement, qui a affirmé sa volonté de rester au sein de la zone euro, ne pourra pas révolutionner la politique économique du pays.
Le nouveau parlement grec devra également au plus vite parvenir à élire un successeur au président de la République Carolos Papoulias. Le premier tour de l'élection présidentielle pourrait se tenir le 7 février prochain.
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