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ENLe 3 février dernier, le Premier ministre (Taoiseach) irlandais Enda Kenny (Fine Gael, FG) s'est rendu au Aras an Uachterain, résidence officielle du président de la République Michael Higgins (Parti travailliste), pour lui demander de dissoudre la chambre basse du parlement, le Dail Eireann. Cette dissolution entraîne la convocation de nouvelles élections législatives, qui auront lieu le 26 février prochain.
Quelques mois après la Grèce, le Portugal et l'Espagne, l'Irlande, pays qui a bénéficié d'un plan d'aide international de 85 milliards € en 2010 de la part du FMI et de l'Union européenne, affronte donc à son tour les urnes. Le scrutin est centré sur une question principale : que faire des bénéfices de la reprise économique ?
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Paddy Power et publiée le 10 février dernier, le Fine Gael recueillerait 30% des suffrages. Il devancerait le Fianna Fail (FF) qui obtiendrait 18% des voix et le Sinn Fein (SF), 17%. Les travaillistes (Labour) recueilleraient 8% des suffrages. L'ensemble des autres partis obtiendraient moins de 5% des voix.
Le Fine Gael devrait donc avoir des difficultés à reconduire sa coalition avec le Parti travailliste. A la vue de ces sondages, trois scénarios potentiels se dessinent : la formation par le Fine Gael d'un gouvernement minoritaire qui composerait avec le Parlement ; le choix d'élargir la coalition gouvernementale actuelle à de nouveaux partis ou à des députés indépendants et enfin, la convocation de nouvelles élections législatives afin d'obtenir une véritable majorité. La formation d'une coalition Fine Gael-Fianna Fail paraît peu probable tant les 2 partis se sont affrontés au cours des 5 dernières années. Depuis 1989, l'Irlande a toujours été dirigée par des gouvernements de coalition. " L'année 2016 pourrait être celle du tremblement de terre électoral en Irlande en raison de l'émergence de petits partis et de la présence de nombreux indépendants " a indiqué Muiris Mac Cartaigh, maître de conférences en science politique de l'université Queen de Belfast, qui pense que le prochain gouvernement sera difficile à former.
La campagne comprend 2 débats télévisés : le 15 février réunira l'ensemble des dirigeants des partis sur la chaîne de télévision RTE ; le 23, seuls ceux du Fine Gael, du Fianna Fail, du Parti travailliste et du Sinn Fein débattront devant les caméras.
Le Fine Gael domine les débats
La campagne électorale est courte (trois semaines), ce qui devrait bénéficier au Fine Gael. Celui-ci possède deux avantages sur ses concurrents. Tout d'abord, un message clair : " Notre proposition est de reconduire le gouvernement formé par le Fine Gael et le Parti travailliste " répète le Taoiseach sortant Enda Kenny. Ensuite, le Fine Gael est quasiment seul à offrir une vision politique pour l'Irlande. Le parti, qui a choisi pour slogan de campagne " Notre dur labeur a payé, poursuivons sur la voie de la reprise ", espère remporter 30% des suffrages le 26 février.
" Il y a 5 ans, notre économie était au bord du gouffre. Dorénavant, nos finances publiques sont sur les rails, nous avons retrouvé la croissance et le pays n'est plus dépendant de l'aide internationale " souligne Enda Kenny, qui fait campagne sur les bons résultats économiques du pays. En effet, l'Irlande est le pays qui possède la plus forte croissance économique de l'Union européenne : 4,5% prévue cette année après 6% en 2015. Son budget est désormais équilibré (Dublin a même voté un budget de relance validé par Bruxelles il y a quelques semaines), la dette publique est en baisse (107,75% en 2015 pour 111,15% en 2011), la consommation en hausse et le chômage en recul (8,6% en février 2016 pour 10,1% en février 2015) et même à son plus faible niveau depuis 2008. Le 5 février dernier, l'agence de notation Ficth a relevé la note de l'Irlande en la créditant d'un A.
Le Taoiseach sortant se présente comme le garant de la stabilité et de la continuité nécessaires pour terminer le travail en cours.
Enda Kenny promet plus d'emplois, donc des salaires plus élevés et plus de services publics. Il présente un programme de relance économique, centré notamment sur la santé et le logement qui sont deux des principales préoccupations des Irlandais. Le ministre de la Santé Leo Varadkar (FG) a ainsi promis d'introduire des objectifs de temps d'attente dans les hôpitaux et les cabinets médicaux, de rétablir le remboursement des soins dentaires, d'étendre le congé maternité et de développer les structures à l'attention des personnes âgées. Un vaste programme de construction de logements sociaux figure également parmi les projets du Fine Gael. Le parti promet également de baisser les impôts et de ramener en Irlande d'ici à 2021 70 000 personnes ayant quitté le pays. 5 000 retours sont prévus cette année.
Si le Fine Gael est donné largement en tête des élections législatives du 26 février par les enquêtes d'opinion, le Parti travailliste, son partenaire au gouvernement, en net recul dans les sondages par rapport à son résultat de 2011 (8% en 2016 pour 19,5% en 2011), est en plein questionnement. Une grande partie de son électorat lui reproche de ne pas avoir défendu l'Etat-providence et d'avoir accepté les mesures d'austérité au cours des 5 dernières années.
Les autres forces politiques en présence
La politique menée par le gouvernement d'Enda Kenny n'a pas été indolore. Elle a laissé des traces sur une partie des Irlandais qui ont dû accepter de nombreux sacrifices et dont beaucoup se disent prêts à donner leur voix à de nouveaux partis politiques comme l'Alliance contre l'austérité-Le Peuple avant les profits (AAA-PBP) ; les Sociaux-démocrates, parti fondé en 2015 par trois députés indépendants Stephen Donnelly, Catherine Murphy et Roisin Shortall, positionnés à gauche sur l'échiquier politique, ou Renua Irlande, parti de droite conduit par Lucinda Creighton, ancienne membre du Fine Gael. Ce parti est favorable à l'introduction d'un impôt à taux unique de 23% pour la TVA, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés et pour la loi des trois coups (three strikes law) qui permet à la justice de prononcer des peines de prison perpétuelle à l'encontre d'un prévenu condamné pour la troisième fois pour un délit et/ou un crime.
Les candidats indépendants sont nombreux à être en lice pour les élections législatives. Ensemble, ils sont crédités de 35 sièges.
Le Sinn Fein, qui s'est récemment recentré, est en hausse dans les enquêtes d'opinion. Le parti d'extrême gauche pourrait devenir le deuxième parti d'Irlande, ce qui constituerait une première. Le Sinn Fein a obtenu 15,2% des votes de première préférence et 159 sièges (+ 105) aux élections locales du 23 mai 2014, une performance remarquée. Les deux partis gouvernementaux avaient perdu des sièges lors de ce scrutin : - 105 pour le Fine Gael (24% des voix, 235 sièges) et 81 pour le Parti travailliste (7,2% des suffrages et 51 sièges). Le Fianna Fail avait pris la première place des élections avec 25,3% des voix (267 sièges).
" Les élections législatives du 26 février offrent aux électeurs le choix entre une société juste et égalitaire ou la poursuite de la politique menée par le gouvernement d'Enda Kenny durant les 5 dernières années " a déclaré le dirigeant du Sinn Fein, Gerry Adams. Le parti pourrait cependant quelque peu pâtir de ses liens avec l'Armée républicaine irlandaise (IRA), organisation paramilitaire républicaine qui se bat pour l'unification de l'Irlande.
Enfin, le Fianna Fail est toujours assez bas dans les sondages. Le parti espère remporter entre 35 et 40 sièges le 26 février. De nombreux Irlandais le considèrent comme responsable de la grave crise économique de 2010. Les élections législatives sont d'ailleurs les premières de l'histoire irlandaise où le parti ne figure pas parmi les deux plus importants.
S'il se montre critique à l'égard de la politique du gouvernement et de ce qu'il appelle l'abandon des services publics, le Fianna Fail ne délivre pas de message clair et ne propose aucune politique alternative à celle menée par le Fine Gael et le Parti travailliste au cours des 5 dernières années.
Le système politique irlandais
L'Oireachtas (parlement) est bicaméral. Il comprend le Dail Eireann (Chambre des représentants) qui, jusqu'à présent, comptait 166 membres élus pour 5 ans au sein de 43 circonscriptions. Le nombre des députés a été diminué et le 26 février, les Irlandais (et les Britanniques résidant en Irlande et enregistrés sur les listes électorales) éliront 158 teachtai dala (députés) au sein de 40 circonscriptions (- 3 par rapport au scrutin du 25 février 2011).
Chaque circonscription désigne 3, 4 ou 5 députés. Ceux-ci sont désignés au scrutin proportionnel selon le système du vote unique transférable. L'électeur désigne parmi une liste de candidats celui/celle (ou ceux/celles) au(x)quel(le)(s) il souhaite accorder sa voix par ordre de préférence. Il inscrit ainsi le chiffre 1 devant le candidat qui a sa première préférence puis, s'il le souhaite, 2, 3, 4, etc. devant les noms des autres candidats de la liste. Le calcul du quotient électoral, c'est-à-dire du nombre de suffrages minimum que doit obtenir un candidat pour être élu, constitue la première opération du dépouillement. Ce quotient correspond à l'ensemble des voix exprimées divisé par le nombre de sièges à pourvoir (3, 4 ou 5 selon les circonscriptions) augmenté d'une unité. Tout candidat qui recueille ce nombre de suffrages est élu. Les voix excédentaires qu'il a obtenues sont alors réparties entre les candidats ayant été retenus en deuxième préférence.
Les Irlandais sont très attachés à leur système de vote qu'ils partagent avec seulement deux autres pays dans le monde (Malte et l'Australie), au point de refuser par deux fois (1959 et 1968) qu'il soit modifié. Le vote unique transférable ayant été inscrit dans la Constitution irlandaise en 1937, sa modification ou son abandon ne sont possibles que via un référendum. Permettant une représentation fidèle des partis politiques, le système de vote unique transférable est cependant parfois critiqué pour la forte concurrence qu'il engendrerait entre les candidats d'un même parti. Ainsi, les députés regrettent parfois que ce mode de scrutin les oblige à consacrer beaucoup de temps aux demandes individuelles de leurs concitoyens et les empêche de se concentrer sur les questions politiques nationales.
Une nouvelle loi votée en 2012 oblige les partis politiques à présenter désormais au moins 30% de femmes (40% dans 7 ans) aux élections législatives sous peine de voir la dotation qu'ils perçoivent de l'Etat être réduite de 50%.
Le Seanad Eireann, Chambre haute du parlement, comprend 60 membres, dont 43 sont élus au scrutin proportionnel (selon le système du vote unique) par cinq grands corps constitués de parlementaires (les sénateurs sortants et les députés nouvellement élus) et d'élus locaux (conseillers de comtés et conseillers des villes de comtés) représentant divers secteurs de la société (culture, éducation, agriculture, travail, industrie, commerce et administration publique). 11 membres du Seanad Eireann sont nommés par le Premier ministre et 6 par les citoyens inscrits sur les listes électorales ayant obtenu un diplôme de troisième année de l'université nationale d'Irlande ou de l'université de Dublin (Trinity College).
Le Seanad Eireann, qui ne sera pas dissous avant l'élection de la nouvelle chambre basse, est élu traditionnellement au plus tard 90 jours après le Dail Eireann.
Le gouvernement irlandais peut comprendre jusqu'à 15 membres. 2 d'entre eux peuvent être membres du Seanad Eireann, tous les autres doivent obligatoirement être élus députés.
7 partis politiques sont actuellement représentés au Dail Eireann :
– le Fine Gael (FG) (Clan des Gaels), parti du Premier ministre sortant Enda Kenny, créé en 1933 et situé au centre-droit de l'échiquier politique, possède 76 sièges ;
– le Parti travailliste (Labour), parti membre de la coalition gouvernementale sortante, fondé en 1912 et conduit par Joan Burton, Tanaiste (vice-Première ministre) et ministre de la Protection sociale, compte 37 députés ;
– le Fianna Fail (FF) (Soldats de la destinée en gaélique), parti de droite fondé en 1926 et dirigé par Micheal Martin, possède 20 sièges ;
– Le Sinn Fein (SF) (Nous-mêmes en gaélique) a la particularité d'exister (et de participer aux élections) dans deux Etats de l'Union européenne : l'Irlande et le Royaume-Uni. Parti nationaliste d'extrême gauche et dirigé par Gerry Adams, le Sinn Fein compte 14 députés ;
– le Parti socialiste (SP), parti d'extrême gauche, possède 2 sièges ;
– Le peuple avant les profits (PBP), parti d'extrême gauche, compte 2 députés ;
– l'Action des travailleurs et des chômeurs (WUA), parti d'extrême gauche dirigé par Seamus Healey, possède 1 siège.
Les Irlandais élisent également au suffrage universel direct leur président de la République. Ce dernier n'a toutefois qu'un pouvoir de représentation. Désigné tous les 7 ans au suffrage universel direct, son mandat ne peut être renouvelé qu'une seule fois. L'actuel chef de l'Etat, Michael Higgins, est en fonction depuis le 27 octobre 2011.
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