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L'Espagne reste ingouvernable

Élections en Europe

Corinne Deloy

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12 novembre 2019
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

L'Espagne reste ingouvernable

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Le Premier ministre sortant Pedro Sanchez a perdu son pari : si le Parti socialiste ouvrier (PSOE) est une nouvelle fois arrivée en tête des élections parlementaires le 10 novembre en Espagne avec 28% des suffrages, il est toutefois en recul par rapport au précédent scrutin du 28 avril 2019. Les socialistes ont obtenu 120 élus, (-3). Par ailleurs, leurs alliés potentiels de gauche, Unidas Podemos (UP) (alliance de 12 partis dont Podemos de Pablo Iglesias, la Gauche unie (IU) et Equo), sortent affaiblis du scrutin : ils ont recueilli 12,84% des voix et 35 sièges (- 7).

Le déclin du PSOE est plus manifeste encore au Sénat puisqu'il a obtenu 92 élus à la chambre haute des Cortes generales, nom du Parlement, soit -31 par rapport au 28 avril dernier.

A droite, le Parti populaire (PP), conduit par Pablo Casado, se redresse après avoir obtenu le résultat le plus faible de son histoire en avril. Il a recueilli 20,82% des suffrages et a remporté 88 sièges (+ 22). Ciudadanos (C's), parti centriste emmené par Alberto Rivera, a sombré lors de ce scrutin. Il a subi un net revers en obtenant 6,79% des suffrages et 10 élus (- 47).

L'évènement de ce scrutin est la percée de Vox, parti populiste de droite fondé à partir d'une scission du PP et dirig par Santiago Abascal, qui a obtenu 15,09% des suffrages et 52 sièges (+ 28) et qui est devenu le troisième parti d'Espagne. " Il y a onze mois, Vox n'avait aucune représentation, dans aucune institution. Aujourd'hui, nous sommes la troisième force politique en Espagne et celle qui croît le plus (...) Nous avons provoqué un changement politique et culturel et ouvert tous les débats interdits" s'est félicité Santiago Abascal à l'annonce des résultats.

Vox a sans aucun doute bénéficié de la crise catalane et des violences qui ont suivi le verdict de la Cour suprême d'Espagne qui, le 14 octobre dernier, a condamné 9 dirigeants catalans à des peines allant de 9 à 13 ans de prison pour sédition, rébellion et détournements de fonds, pour avoir organisé un référendum sur l'indépendance de la Catalogne le 1er octobre 2017 et avoir déclaré de façon unilatérale l'indépendance de la Catalogne, une mesure anticonstitutionnelle. "C'est un vote de protestation" a indiqué Gabriel Colomé, politologue, ajoutant "Ces gens qui votent pour Vox ne sont pas d'extrême droite mais ils veulent montrer qu'ils en ont marre du système. Barcelone a brûlé pendant cinq jours, Vox en a profité. C'est la Catalogne qui leur donne des voix, pas l'immigration" a-t-il ajouté. " Ce n'est pas son charisme qui attire les électeurs (...) Le succès de son parti vient de la crise en Catalogne et du fait que les partis classiques ont été incapables de trouver une solution " a affirmé Ignacio Jurado, politologue de l'université Carlos III de Madrid, en parlant de Santiago Abascal. L'Espagne rejoint donc la majorité des Etats membres de l'Union européenne qui voient les partis populistes croître régulièrement. Le général Francisco Franco, qui a régné sur l'Espagne entre 1939 et 1975, a beau avoir été récemment exhumé du grandiose mausolée où il était enterré - une " profanation " selon Santiago Abascal - et ses restes déplacés vers un cimetière plus discret, les idées du dictateur sont bien de retour dans le royaume ibérique.

Les partis indépendantistes catalans ont également réalisé un résultat historique lors du scrutin. Ensemble, ils ont obtenu 23 sièges au Congrès des députés. La Candidature d'unité populaire-Pour la rupture (CUP-PR), parti indépendantiste de gauche radicale qui avait toujours refusé de participer aux élections nationales, fait même son entrée au parlement du royaume.

"La partie de poker s'est retournée contre Pedro Sanchez. Elle favorise les pôles les plus extrêmes, en offrant une nouvelle plateforme à Vox d'un côté, et en propulsant de l'autre côté les radicaux indépendantistes catalans de la Candidature d'unité populaire-Pour la rupture qui vont faire leur entrée au parlement pour la première fois. C'est un échec pour les socialistes, mais aussi sans doute pour toute la démocratie espagnole" avait prédit José Antonio Zarzalejos, chroniqueur politique, quelques jours avant le scrutin.

La participation a été très légèrement plus faible que celle enregistrée lors des précédentes élections parlementaires du 28 avril : elle s'est établie à 69,87% (- 1,89 point).

Résultats des élections parlementaires du 10 novembre 2019 en Espagne

Participation  : 69,87%

Congrès des députés

Source : https://resultados.10noviembre2019.es/Congreso/Total-nacional/0/es

Sénat

Source : https://resultados.10noviembre2019.es/Senado/Total-nacional/0/es

Destinées à permettre à l'Espagne de trouver une majorité de gouvernement, les élections parlementaires du 10 novembre ont au contraire compliqué encore les choses avec un parlement encore plus fragmenté que le précédent. Le royaume ibérique est par conséquent plus ingouvernable que le 28 avril dernier. " La formation d'un gouvernement va une nouvelle fois prendre du temps et l'Espagne devrait passer les vacances de Noël sans exécutif " a déclaré Antonio Barroso, analyste du cabinet Teneo.

Ni les partis de gauche (Parti socialiste ouvrier, Unidas Podemos et Plus de pays) ni les partis de droite (Parti populaire, Ciudadanos et Vox) n'ont obtenu la majorité absolue des sièges au Congrès des députés qui s'élève à 176 sièges. Le 10 novembre, les transferts de voix ont eu lieu au sein de chacun des blocs, le rapport de forces est donc resté identique à celui qu'il était avant les élections.

Désormais, deux solutions s'offrent à Pedro Sanchez.

La première est la constitution d'un gouvernement socialiste minoritaire qui nécessiterait l'abstention du Parti populaire. " La concurrence entre le Parti populaire et Vox incite le premier à ne pas permettre la formation d'un gouvernement de gauche " a indiqué Antonio Barroso.

La deuxième est la formation d'une " grande coalition " qui unirait le PSOE et le PP, ce que les deux partis ont, jusqu'à ce jour, toujours exclu, estimant que cela aggraverait la crise de la représentation politique en brouillant la frontière entre la gauche et la droite. Une telle alliance ferait également de Vox le premier parti d'opposition au parlement. Mais ont-ils désormais le choix ?

" La répétition des élections parlementaires a réduit les possibilités de négociation et de manœuvre, tant pour le Parti socialiste ouvrier que pour Unidas Podemos, notamment en raison de la montée de Vox ", a déclaré Javier Franzé, professeur de théorie politique à la Faculté de science politique et de sociologie de l'Université Complutense de Madrid. " Il sera difficile de débloquer la situation mais personne en ce moment n'a la tête à convoquer de nouvelles élections. C'est l'élément le plus important qui nous évitera un retour aux urnes " a déclaré Oriol Bartomeus, professeur de science politique à l'université autonome de Barcelone.

" D'une manière ou d'une autre nous formerons un gouvernement progressiste et nous débloquerons l'impasse politique (...) Nous en appelons à tous les partis politiques, à l'exception de celles qui œuvrent contre la coexistence et qui encouragent la haine " a déclaré Pedro Sanchez à l'issue du scrutin.

Une chose est sûre : les politiques, tous les politiques, vont devoir impérativement trouver une réponse au blocage actuel. Sous peine de voir se poursuivre l'instabilité politique dans le royaume et, à terme, de voir la démocratie espagnole vaciller.

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