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Large victoire du parti de Vladimir Poutine et déroute des communistes aux élections législatives russes

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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14 décembre 2003
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

La formation du Président Vladimir Poutine, Russie unie (Edinaïa Rossia, ER), a largement remporté les élections législatives du 7 décembre, recueillant, selon les derniers résultats communiqués par la Commission électorale centrale, 36,8% des suffrages. Les élections se déroulent au scrutin proportionnel ; les quatre cent cinquante députés de la Douma sont élus pour moitié au scrutin proportionnel de liste et pour l'autre moitié au scrutin uninominal au sein de circonscriptions territoriales. Le Parti démocrate libéral de Russie (LDPR), dirigé par Vladimir Jirinovski, et Rodina (Patrie) sont les deux autres vainqueurs de ces élections. Le LDPR obtient le meilleur résultat de son histoire avec 11,8% des voix, soit 5,82 points de plus que lors du scrutin du 19 décembre 1999, et devient la troisième formation du pays, talonnant de peu le Parti communiste. Dans ses bastions d'Extrême Orient, la formation obtient même jusqu'à 15% des suffrages. Rodina, parti nationaliste situé à gauche de l'échiquier politique et créé quelques mois avant le scrutin, réussit sa percée et recueille 9% des suffrages.

Pour la première fois dans l'histoire du pays, le Parti communiste (PCFR) n'est pas en tête des élections. Il subit une véritable déroute, n'obtenant que 12,7% des voix, soit 11,59 points de moins que lors du précédent scrutin. Autres grands perdants, les partis libéraux, l'Union des forces de droite (SPS), formation dirigée par Boris Nemtsov, et Iabloko (la pomme), parti dirigé par Grigori Iavlinski qui, pour la première fois depuis le début des années quatre vingt dix, ne franchissent pas la barre des 5%, recueillant respectivement 3,9% et 4,3% des suffrages, et ne sont donc pas en mesure d'être représentés à la Douma.

Les résultats du scrutin uninominal seront communiqués ultérieurement mais ne changeront pas ces chiffres de façon significative. La participation a atteint 57,56%, soit 4,29 points de moins que lors du précédent scrutin de 1999. Seuls un tiers des habitants de Vladivostok (34%) se sont rendus aux urnes. Notons qu'Akhmar Zavgaïev a remporté l'unique poste de député à pourvoir en Tchétchénie avec près de 100% des suffrages (les dernières législatives de 1999 n'avaient pas eu lieu en Tchétchénie où l'armée russe était entrée deux mois plus tôt). Enfin, dans quatre circonscriptions (dans les régions de Saint Pétersbourg, Krasnodar, Sverdlovsk et Ulianovsk), les électeurs ont choisi majoritairement de voter « contre tous les candidats », possibilité par laquelle un électeur exprime son rejet de l'ensemble des personnes se présentant à l'élection. Un deuxième tour sera donc organisé dans ces quatre circonscriptions.

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui avait dépêché quatre cents observateurs internationaux pour surveiller le scrutin, a estimé que les élections législatives ne remplissaient pas les critères légaux internationaux et constituaient une régression de la démocratie dans le pays. « Dans ces élections, les énormes avantages procurés au pouvoir en place par son accès aux équipements, fonds et bâtiments publics ont eu pour résultat de fausser profondément les résultats » a déclaré Bruce George, président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. L'organisation internationale avait déjà publié le 1er décembre un rapport faisant état du « clair parti pris » des chaînes publiques en faveur de Russie unie, constatant que cette formation avait bénéficié d'une grande couverture médiatique (17% pour le parti et 40% pour Vladimir Poutine), toujours positive ou neutre, alors que les communistes n'avaient disposé que d'un faible temps d'antenne (12%) et qu'ils étaient toujours apparus de façon négative. « L'accès équitable aux médias audiovisuels n'a pas été assuré » a affirmé Lord Russell Johnson, responsable de l'OSCE. L'organisation internationale a dénoncé la pratique fréquente des « ressources administratives », consistant pour un responsable hiérarchique à donner des instructions de vote à ses subalternes.

« Ces élections sont un nouveau pas en direction du renforcement de la démocratie dans la Fédération de Russie » a déclaré Vladimir Poutine lundi 8 décembre. Le Président sort assurément renforcé de ce scrutin législatif puisque sur les quatre formations politiques obtenant plus de 5% des suffrages, deux (le Parti démocrate libéral, qui en dépit de ses déclarations contre le Kremlin finit toujours par voter les projets du Président, et Rodina) sont assurés d'avoir la majorité absolue à la Douma et d'obtenir les deux tiers de voix nécessaires (trois cents sur quatre cent cinquante) pour modifier la Constitution de 1993. En effet, nombreux sont les analystes politiques qui pensent que Vladimir Poutine envisage de briguer un troisième mandat présidentiel, ce que la Constitution lui interdit. L'ancien Président Boris Eltsine s'est déclaré opposé à toute révision constitutionnelle.

« Un million de personnes ont cru en notre programme de justice sociale et de croissance économique » s'est félicité Sergueï Glaziev, leader de Rodina, « Les gens ont compris que nos intentions étaient sérieuses. C'est inattendu mais cela nous donne une grande responsabilité ». Rodina, qui a failli s'appeler Tovarich (Camarade), a été créée quatre mois avant les élections législatives et réunit une trentaine de petites organisations politiques de tous bords (socialistes, nationalistes de Narodnaïa Volia, etc.). Son programme est centré sur la redistribution au peuple des richesses naturelles, en particulier de la rente pétrolière, et sur la chasse aux oligarques, milliardaires qui ont fait fortune à travers les grandes privatisations des années quatre vingt dix. Cette formation nationaliste de gauche a été fortement suspectée d'être en fait une émanation du Kremlin, créée pour mordre sur l'électorat communiste, et ce d'autant plus que le numéro deux de Rodina est Dimitri Rogozine, ancien représentant du Kremlin pour la question de l'enclave de Kaliningrad. « Nous restituerons la richesse à la population » a affirmé ce dernier à la radio Ekho Moskvi dimanche soir.

« Cette farce honteuse qu'on nous montre n'a rien à voir avec la démocratie », a déclaré Guennadi Ziouganov, leader du Parti communiste, ajoutant « Vous participez tous à ce spectacle dégoûtant qu'on a qualifié, je ne sais pas pourquoi, d'élection ». Le leader communiste a dénoncé de nombreuses violations de la loi électorale et rappelé combien la campagne électorale avait été manipulée par le pouvoir. Les dirigeants communistes ont ainsi été accusés de mener un train de vie plus que confortable alors que leurs électeurs parviennent tout juste à survivre.

Les partis libéraux ont subi les conséquences de leurs incessantes querelles et de leurs divisions. En outre, ces formations, qui n'ont jamais tranché entre le soutien et l'opposition aux projets gouvernementaux, n'ont pas toujours été bien comprises des électeurs. Boris Nemtsov, leader de l'Union des forces de droite (SPS), a affirmé que la Douma serait dorénavant « dominée par les nationaux socialistes et les bureaucrates ». Ces élections législatives signent probablement le départ de figures qui ont dominé la vie politique depuis la fin de l'Union soviétique, tels que le leader communiste Guennadi Ziouganov mais aussi Anatoli Tchoubaïs, père des privatisations russes et l'économiste libéral Grigori Iavlinski.

Le 28 novembre dernier, le Président Vladimir Poutine avait demandé aux Russes d'élire une Douma efficace ne laissant aucune place « aux bagarres politiques ». « Si la future Douma s'occupe de bagarres internes et que les députés jouent à fanfaronner devant les caméras, alors le Président sera pieds et poings liés » avait-il déclaré. Le Président a été écouté et la nouvelle Douma devrait donc être dominée par les forces nationalistes, l'opposition y étant réduite à la portion congrue et les valeurs libérales y ayant perdu toute influence. Si « Russie unie » remporte la majorité absolue, « la Douma sera encore plus docile que la précédente et le Parlement disparaîtra en tant qu'unité politique pour n'être plus que décoratif » avait annoncé, à la veille des élections, l'analyste politique Iouri Korgouniouk.

Le scrutin législatif du 7 décembre atteste de la main mise de Vladimir Poutine sur la vie politique russe et de la disparition de toute alternative au Président. Le Parti communiste est laminé et échoue de nouveau à représenter une opposition politique crédible. « Il n'y a pas d'opposition pure en Russie, déclarait ainsi il y a quelques jours Sergueï Ivanenko, vice-président de Iabloko, ce qui compte pour les partis, c'est plutôt l'influence qu'ils arrivent à exercer sur le pouvoir ».

Ces élections législatives, véritable référendum sur les quatre années de présidence de Vladimir Poutine, ont donc été marquées, comme attendu, par un recul des libéraux et une nouvelle percée des nationalistes. Elles permettent au Président d'aborder en toute sérénité l'élection présidentielle prévue pour le 14 mars prochain.

Résultats des élections législatives du 7 décembre 2003 en Russie:

Participation : 57,56%

Source Agence France Presse

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