Bulgarie : le bilan de la transition post-communiste plébiscité ?

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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13 novembre 2006
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Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Comme tous les sondages le laissaient présager depuis plusieurs mois[1], le président socialiste sortant, Guéorgui Parvanov, a été largement réélu le dimanche 29 octobre 2006, au 2e tour du scrutin présidentiel, par un score écrasant de 76 % des suffrages exprimés.

Quant à son opposant direct, Volen Siderov, candidat extrémiste « anti tout », il a su capitaliser sur son nom - en réunissant environ 24 % des suffrages exprimés – les profonds mécontentements d'une partie de la population excédée par les dérives diverses imputées aux mutations politiques, économiques et sociales des 15 dernières années.

D'une manière globale, cette élection peut toutefois être interprétée comme la manifestation par la société d'une acceptation tacite du bilan de la transition post-communiste - dont le héraut serait le président sortant - mais également comme un avertissement à la classe politique que cette approbation ne vaut pas adhésion définitive et majoritaire.

Le président Georgi Parvanov a été réélu à la tête de l'Etat pour un second mandat de cinq ans en totalisant, au second tour, 2.050.488 voix contre 649.387 à son concurrent. Si l'on rapporte ces chiffres aux « électeurs inscrits sur les listes électorales » - 6.450.000 environ - le président sortant regroupe seulement 31,80 % d'entre eux contre 10,07 % à son adversaire. Pour un observateur étranger, le contraste des pourcentages obtenus entre les « exprimés » et les « électeurs inscrits sur les listes » est intéressant et significatif. Si un écart important perdure (quel que soit le type de l'élection), celui-ci peut être de nature à remettre en cause la « dimension légitime » de l'élu parce qu'élu par une minorité de citoyens. Or, dans une démocratie – a fortiori dans un pays en transition – la question de la légitimité de l'élu est fondamentale.

Tous ces chiffres doivent être donc replacés dans un contexte national et analysés. Si l'on se réfère au seul pourcentage calculé par rapport aux « électeurs inscrits sur les listes », la victoire du président socialiste sortant n'est pas aussi « triomphale » que l'indique le pourcentage des « exprimés ». L'« extrémisme radical » qu'illustre le score de Volen Siderov peut être « relativisé ».

Pour la bonne compréhension de notre propos, il est important de savoir que la notion d' « électeurs inscrits sur les listes électorales » en Bulgarie ne recouvre pas ce que l'on entend généralement par « inscrits » (en France, par exemple[2]) et ne doit pas être confondue, non plus, avec celle d' « électeurs [potentiels] » auxquels la constitution bulgare fait pourtant explicitement référence, pour l'élection présidentielle notamment.

Cette ambiguïté peut être source de confusion. Ces deux notions nécessitent donc une brève explication préalable. Lors de l'avènement du pluralisme politique en Bulgarie en 1990, l'ensemble des Bulgares en âge de voter, vivant en Bulgarie ou vivant temporairement à l'étranger, a été considéré comme « électeurs [potentiels][3] ». Ces derniers se chiffrent à environ 7.000.000. Depuis 15 ans, le chiffre des « électeurs inscrits sur les listes électorales » n'a été qu'épisodiquement mis à jour et le dernier «grand nettoyage» décidé par la loi (environ 400.000 électeurs rayés d'un coup) a été effectué juste avant cette élection présidentielle. Pour celle-ci, ce chiffre s'élève à environ 6.500.000. Selon certains experts en matière électorale, les « âmes mortes » parmi les « électeurs inscrits sur les listes électorales » seraient beaucoup plus nombreuses. Pour eux, en effet, le vrai chiffre des électeurs résidant en Bulgarie et pouvant être légalement inscrits sur les listes électorales avoisinerait plutôt les 6.000.000[4]. Même en tenant pas compte de cette dernière remarque, cette différence dans les chiffres de référence est susceptible de biaiser les comparaisons et de fausser le calcul des véritables taux de participation.

Il est quand même très curieux qu'un organisme officiel comme la Commission centrale électorale ait publié après le second tour - et seulement par la voie d'un communiqué de presse - deux taux de participation différents ! Le premier par rapport aux « inscrits sur les listes électorales » et le second par rapport aux « électeurs [potentiels]» (car il fallait quand même respecter la lettre de la constitution !). Ce double pourcentage n'a évidemment pas été fait pour le premier tour ce qui fait que, si l'on n'y prend pas garde, on pourrait comparer pour les deux tours des taux qui ne se basent pas sur le même chiffre de référence... L'observateur étranger reste donc perplexe, c'est le moins qu'on puisse dire, quand on annonce officiellement que la participation a été plus faible au second tour qu'au premier mais que les chiffres publiés peuvent indiquer l'inverse...

Si ce chiffre plancher de 6.000.000 peut être discuté, voire contesté, on aura compris que même si l'on s'y référait, le président Parvanov n'aurait de toute façon pas été réélu dès le 1er tour puisqu'il n'aurait pas réuni la double condition fixée par l'article 93 alinéa 3 de la constitution (plus de la moitié des suffrages exprimés et une participation supérieure à 50 % des « électeurs [potentiels] »). En revanche, en fonction du chiffre de référence choisi (« électeurs [potentiels] » ou « inscrits ») la participation des citoyens aurait pu être légèrement plus élevée. Sa dimension légitime n'en aurait été que plus forte, notamment au second tour (34,17 % au lieu de 31,80 % des électeurs si l'on se base sur 6.000.000). Quant à la « surface politique réelle » de son compétiteur direct, elle aurait pu être perçue avec d'autant plus de réalisme (10,82 % au lieu de 10,07 % des électeurs). Il n'en reste pas moins vrai que, si le président Parvanov a été élu par 76 % des suffrages exprimés, il ne l'a été que par environ 1/3 des électeurs bulgares seulement !

Tel qu'il apparaît, le taux d'abstention reste élevé (environ 56% au 1er tour et 58% au 2e tour). Avec environ 44 % de participation au premier tour et 42 % au second tour, le premier parti politique en Bulgarie est « le parti des abstentionnistes ». Cette remarque, faite par de nombreux analystes locaux, est exacte. Il souligne une crise du système politique bulgare après 15 ans de transition. Les bulgares ne sont pas allés voter massivement et cette attitude révèle si ce n'est un certain sentiment de défiance vis-à-vis de la démocratie en général, du moins un rejet de la façon dont elle s'organise concrètement. Une majorité de citoyens n'a manifestement pas été satisfaite non plus de l'offre politique proposée lors de cette campagne électorale.

Il faut être prudent quand on compare plusieurs élections entre elles, car certains rapprochements peuvent être instructifs. Le président Parvanov a réuni en 2001, lors de sa première élection, 1.032.625 voix au 1er tour (soit 36,39 % des exprimés et 15,08 % des inscrits) et 2.043.443 voix au 2e tour (soit 54,13 % des exprimés et 29,65 % des inscrits). En 2006, il obtient 1.780.119 voix au 1er tour (soit 64,04 % des exprimés et 27,51 % des inscrits) et 2.050.488 voix au 2e tour (soit 75,94 % des exprimés et 31,80 % des inscrits).

Si l'on compare les deux premiers tours de 2001 et 2006, on peut constater qu'il a gagné environ 750.000 voix, mais « seulement » 6.000 voix au 2e tour. Sa capacité de rassemblement au 2e tour reste donc du même ordre de grandeur entre 2001 et 2006. Après cinq ans de mandat, on peut en conclure que le président sortant n'est pas vraiment arrivé à élargir, en nombre de voix obtenues et en pourcentage des inscrits, les frontières de son électorat !

Dès lors, son excellent score du 1er tour en 2006 se comprend mieux, partiellement bien sûr, quand on sait que le leader du DPS, Ahmed Dogan, a appelé à voter pour le candidat socialiste[5]. Le vote des Bulgares d'origine turque (dont on rappelle qu'il a représenté 467.400 voix aux législatives de 2005) s'est massivement porté (plus de 99 % dans certaines régions) sur le président Parvanov[6]. Différents sondages sociologiques l'indiquent d'ailleurs clairement. Cet électorat spécifique, qui pour un certain nombre de raisons est un « électorat captif », certains disent même « ethnique », n'est pas prioritairement socialiste[7]. Par son choix stratégique en faveur du président Parvanov et sa capacité à faire voter son électorat « en bloc », la direction du DPS a encore démontré toute sa force sur la scène politique bulgare.

Si l'on met en perspective les résultats en voix obtenus au 1er tour par les candidats socialistes au cours des quatre élections présidentielles (1992 : 1.549.970 ; 1996 : 1.158.204 ; 2001 : 1.032.665 et 2006 : 1.780.119), on peut constater un redressement spectaculaire en 2006 qui pourrait laisser penser que « la gauche » en général, et le parti socialiste en particulier, sont en bien meilleure santé électorale qu'ils ne l'étaient !

Là encore, le triomphalisme affiché par le parti socialiste au soir du 29 octobre doit être modulé. Aux élections législatives de juin 2005, le parti socialiste, en « coalition » traditionnelle avec quelques groupuscules de gauche, ne réunissait à rassembler que 1.129.196 voix. Si l'on y ajoute le « vote turc » mentionné plus haut, on arrive au chiffre d'environ 1.700.000 électeurs. Le « gain net » du président Parvanov n'est plus alors que de l'ordre de 80.000 voix dont on pourrait plus facilement rechercher l'origine dans l'absence remarquée de compétiteurs au « centre » (NDSV), dans le registre du « populisme soft » (B. Borissov) et par la « faiblesse » globale de son principal concurrent à droite (N. Beronov).

Cette « large victoire » de la gauche à l'élection présidentielle de 2006 peut s'expliquer par un phénomène cumulatif, positif et négatif, c'est-à-dire par l'excellente participation des électeurs traditionnels de gauche et l'apport du « vote turc » du DPS, mais également par l'absence de « concurrents » au centre et la « transparence » du candidat de la droite. Concernant ce « réservoir potentiel » d'électeurs centristes et de droite, la personnalité modérée du président Parvanov – depuis la grave crise politique de l'hiver 1996-97[8] - a certainement joué un rôle pour « séduire » une frange de cet électorat « gagnant » qui, sur le plan idéologique, ne se satisfait plus du message anticommuniste de la droite et a perçu en lui, sur le plan économique, le défenseur de leurs intérêts bien compris, c'est-à-dire d'un statu quo qui leur est finalement profitable.

Il ne s'agit donc pas, a proprement parlé, d'une « vague socialiste » qui aurait submergé la Bulgarie. La gauche sort évidemment renforcée de cette élection, non pas tant d'ailleurs par l'augmentation de son électorat traditionnel que par la manifestation d'une « capacité d'alliance » qui lui permet d'envisager de manière sereine sa participation au pouvoir dans les années qui viennent.

En ce qui concerne V. Sidérov – notre remarque de prudence est également valable pour la comparaison qui est faite dans les lignes qui vont suivre- le résultat de son mouvement « Ataka » aux élections législatives de juin 2005 était de 296.848 voix. Son score au 1er tour de la présidentielle de 2006 est de 597.175 voix (soit 21,48 % des exprimés et 9,22% des inscrits). Avec 649.387 voix obtenues au 2e tour (soit 24,05 % des exprimés et 10,07 des inscrits), il réussit la performance de doubler confortablement son score en l'espace d'un an et demi à peine !

Le vainqueur de l'élection présidentielle étant connu d'avance, on peut comprendre que certains commentateurs signalent au soir du 1er tour que le « gagnant psychologique » de l'élection présidentielle de 2006 est en fait le leader d'Ataka qui réussit non seulement à forcer le président socialiste sortant à un second tour, mais également à évincer, en l'humiliant électoralement, le candidat de la droite !

Cette élection présidentielle n'a fait que confirmer ce que l'on pressentait depuis les élections législatives de 2005, c'est-à-dire qu'en Bulgarie, la ligne de fracture ne passe plus seulement entre les « Rouges » et les « Bleus » (les « communistes » et les « anti-communistes ») mais désormais aussi entre les « gagnants » et les « perdants » (réels ou qui se perçoivent comme tels) de la transition.

La question qui se pose dorénavant est de savoir si V. Siderov a atteint le 29 octobre un plafond ou un palier ? Ce dilemme de l'extrémisme se pose à gauche évidemment mais à droite également car il représente un réel danger pour les deux pôles politiques classiques. Ceux-ci risquent de se voir en effet « regrouper » sur le même segment d'un nouvel « axe politique » qui partagerait les « pro-transition » des « anti-transition ». Si ce dernier schéma devait se vérifier dans l'avenir, la gauche et la droite pourraient s'épuiser à s'affronter pour survivre électoralement sur un même terrain, tandis que s'ouvriraient devant V. Siderov les larges opportunités de la récupération de tous les mécontentements. Et on peut imaginer qu'ils iront en augmentant avec les multiples contraintes que va imposer l'adhésion à l'UE. L'exemple de ce qui se passe en Europe centrale est là pour démontrer que ce scénario n'est pas totalement dénué de fondement.

C'est là que l'explication ethnocentriste occidentale de ce phénomène par les clichés réducteurs de « l'extrême droite » ou de « l'ultranationalisme » est un peu courte pour rendre compte de ce qui se passe vraiment. Sous-entendre que 650.000 Bulgares se sont, plus ou moins, convertis à « l'ultranationalisme », voire au « fascisme », en quelques mois est une absurdité qu'il faut dénoncer. Non seulement cette affirmation n'est pas fondée sociologiquement et politiquement, mais elle participe directement de l'opprobre que certains voudraient jeter sur un pays – déjà largement stigmatisé par ailleurs - qui va faire son entrée dans l'Union européenne le 1er janvier 2007.

L'habileté politique de Siderov est d'avoir réussi à coaliser 650.000 personnes aux parcours personnel, intellectuel et social disparates qui ont soif de revanche – certains parlent de vengeance - après 15 ans de duplicité plus ou moins affichée par toutes les élites de la transition, de corruption visible, de népotisme, de gaspillage et d'inefficacité. Ses brefs « talk-show » sur la chaîne câblée « Ckat-TV » commencent souvent par « Je suis en colère parce que... » ou encore « Je dénonce... ». V. Siderov ne propose pas de solutions, il trouve des « boucs émissaires » (non pas tant « les Turcs » que le DPS profiteur), il stigmatise (les Tsiganes paresseux et voleurs), il dénonce (la collusion des élites de gauche et de droite qui se sont enrichies sur le dos des Bulgares), etc. Son langage simple, pour ne pas dire simpliste, et agressif accuse la transition d'avoir bradé les intérêts nationaux du pays sur le plan intérieur (privatisations/spoliations) et extérieur (adhésion à l'OTAN et à l'UE/trahison).

Alors que la gauche (et la droite) envoient le message global comme quoi la transition est une réussite (c'est eux qui l'ont gérée !), « Ataka » dénonce une Bulgarie en faillite. Selon la formule schématique d'un sociologue, les premiers regroupent les « gagnants et les optimistes », le second rassemble les « perdants et les pessimistes ». En quelques mois à peine, V. Siderov a su se faire le porte-parole de cette partie de l'opinion qui n'a (selon des critères propres à chacun) rien gagné de 15 ans de transition, se rebelle et demande une nouvelle redistribution des cartes par laquelle elle pourrait espérer se faire une meilleure place. De là un message global extrémiste et « anti tout » car il faut en donner à tout le monde.

Si la Bulgarie n'est plus « socialiste », un grand nombre de Bulgares ont été et restent foncièrement « égalitaristes ». Ils refusent encore la diversification sociale - et l'inévitable différenciation qui l'accompagne sur le plan financier (d'autant plus choquante qu'elle est souvent très voyante) - qui est le produit du libéralisme économique débridé des 9 dernières années. « Je suis honnête et je suis pauvre ; si mon voisin de pallier qui me ressemblait autrefois est devenu riche c'est qu'il est malhonnête ! ». Tel est, en forçant à peine le trait, ce que pensent de nombreux Bulgares qui n'arrivent plus à se situer sur la nouvelle « échelle des valeurs ». Ce type de comportement est une aubaine pour le discours populiste et extrémiste de V. Siderov. Son message « rendre la Bulgarie aux Bulgares » a d'autant plus de succès. Interdire le « parti turc » (DPS), retirer les troupes bulgares de l'Irak et quitter l'OTAN, renationaliser les industries privatisées, renégocier les accords avec l'UE (surtout la fermeture de la centrale nucléaire de Kosloduy), lutter contre la corruption et « la mafia » liées aux élites de gauche et de droite qui sont au pouvoir depuis le début de la transition, réprimer plus durement la délinquance (tsigane), etc. Plus ses adversaires politiques essaient de le « diaboliser » dans leur électorat pour essayer de se prémunir, plus le sien se renforce car « si Siderov fait peur c'est qu'il dit la vérité » !

La différenciation de l'électorat des deux candidats arrivés en tête au 1er tour permet de mieux situer (sur le plan des tendances, évidemment) les catégories dans lesquelles ils recrutent principalement. Sur l'ensemble des personnes interrogées[9], G. Parvanov recueille 66% du vote féminin et 57% du vote masculin tandis que V. Siderov rassemble 26% des hommes et 17% des femmes. Selon l'âge des votants, le président sortant mobilise principalement chez les personnes âgées de plus de 60 ans (66 %) et chez les jeunes de 18-29 ans (64 %), tandis que son concurrent fait son meilleur score chez les personnes de 40-49 ans (23 %) et 50-59 ans (25 %). Selon les diplômes obtenus, les électeurs du candidat de gauche sont plutôt de niveau collège (78 %), alors que les électeurs du candidat extrémiste sont plutôt de niveau lycée (26 %). Sur le plan ethnique, l'électeur de G. Parvanov est turc (95%), tsigane (82 %) et « autre » (72 %) avant que d'être bulgare (56 %) tandis que l'électeur de V. Siderov est avant tout bulgare (25 %) ou « autre » (12 %)[10]. Selon l'appartenance professionnelle, l'électeur du président réélu est surtout chômeur (73 %), « femme au foyer » (71%) et retraité (66 %), alors que l'électeur de son compétiteur extrémiste est ouvrier (28%), employeur (26%) et étudiant (22 %). Sur le plan géographique, le premier recrute plutôt dans les villages (74 %) et, à parité, dans les villes régionales (ville moyenne) et de province (petite ville) (57%), alors que le second fait ses meilleurs scores chez les électeurs des villes de province (28 %) et les villes régionales (24 %).

Par rapport aux élections législatives de 2005, 50 % des électeurs interrogés qui indiquent avoir voté pour le NDSV, déclarent avoir voté pour le président sortant au 1er tour et 28 % pour le leader du mouvement « Ataka ». Parmi les électeurs interrogés ayant voté pour l'un des trois principaux partis de la droite en 2005, 30% de l'alliance BNS (Mozer-Sofianski) 15 % de l'ODS (ancien président Stoyanov) et 9 % du DSB (ancien premier ministre Kostov) déclarent avoir voté pour le président Parvanov dès le 1er tour. Ils sont, en revanche, 23 % (ODS), 22 % (BNS) et 11 % (DSB) à avoir choisi le candidat extrémiste. Parmi les électeurs interrogés qui déclarent s'être abstenus en 2005, 56 % ont voté pour Parvanov et 30 % pour Siderov.

Enfin, et l'indication est intéressante, par rapport à l'élection présidentielle' de 2001 (qui opposaient le candidat Parvanov au président sortant Stoyanov), 23 % des électeurs interrogés qui avaient voté Stoyanov ont déclaré avoir voté Parvanov et 28 % pour Siderov.

L'échec de la droite bulgare lors de cette élection est patent. Que son candidat officiel réunisse seulement 271.078 voix (9,75 % des exprimés et 4,18 % des inscrits) est un camouflet pour ses deux principaux leaders, l'ancien président P. Stoyanov et l'ancien Premier ministre I. Kostov qui l'avaient choisi et investi. De manière un peu abrupte, des sympathisants de la droite ont pu dire au soir du 1er tour que « ces deux là, de toute façon, n'ont jamais rien gagné et ont toujours tout perdu » dans la mesure où les victoires de l'élection présidentielle de 1996 et des élections législatives du printemps 1997 étaient plutôt le résultat de l'échec dramatique du gouvernement socialiste de J. Videnov que le résultat d'un enthousiasme pour la droite et ses dirigeants[11].

Par le cumul de leurs maladresses politiques respectives, ils se sont fait battre lors des élections suivantes de 2001 alors que leur bilan était – il faut le reconnaître – quand même positif. Cet affront électoral de 2006, qui confirme en l'amplifiant celui des électionslégislatives de 2005, signe-t-il l'arrêt de mort d'une certaine droite ? Dans l'affirmative, qui est en mesure de la faire renaître et avec quel message ?

Si l'on reprend les suffrages obtenus par la droite (au 1er tour) lors des précédents scrutins présidentiels: (1992 : 2.273.541 ; 1996 : 1.889.825 ; 2001 : 1.538.482 (Stoyanov, 991.680 et Bonev, 546.801) et 2006 : 346.556 (Beronov, 271.078 et Markov, 75.478)[12], on peut constater une inexorable « descente aux enfers ».

Pour ce qui est de cette dernière élection - et par delà le « déphasage politique » manifeste des leaders - on peut partiellement expliquer un tel résultat par le fait que la droite a « épuisé », si l'on peut dire, son agenda programmatique : la Bulgarie vit désormais dans une démocratie pluraliste et dans une économie de marché ; elle a procédé aux privatisations et aux restitutions des biens nationalisés et elle a rejoint l'OTAN (2004) et l'UE (2007).

Ce message fort et emblématique des années 1990 s'est d'autant plus réduit que la gauche, qui y était plus ou moins hostile jusqu'en 1996, l'a récupéré grâce notamment à l'action du président Parvanov. Les socialistes ont su le gérer – jusqu'à présent du moins – avec un certain brio dans la mesure où le parti socialiste a finalement accepté un virage idéologique sans éclater (même si sa cohésion interne n'est plus aussi monolithique qu'autrefois) et où le gouvernement actuel de coalition, dirigé par le jeune S. Stanichev, a accepté les multiples contraintes imposées par les institutions financières internationales et la mise en œuvre de l'acquis communautaire.

Sans véritables nouveaux leaders (les dirigeants actuels étant assimilés par une majorité de la population – à tort ou à raison – aux élites compromises de la transition) et sans véritable programme, l'actuelle droite a peu à peu disparu de l'échiquier politique pour céder sa « fonction tribunicienne » à deux mouvements populistes et revendicatifs, « Ataka » de V. Siderov et le « GERB » du maire de Sofia, B. Borisov. Ce dernier, qui n'a pas voulu se présenter à la présidentielle et à soutenu le candidat de la droite du bout des lèvres, prépare le lancement officiel de son mouvement « attrape tout » début décembre. Il n'est pas certain que ce rassemblement hétéroclite et son leader constituent dans un proche avenir la meilleure alternative démocratique à la gauche. Combinant un flair politique manifeste avec une ambition certaine et disposant selon les sondages d'un réservoir électoral important, B. Borisov est en attente de l'opportunité politique susceptible de le propulser sur le devant de la scène. Il n'est pas sûr, toutefois, qu'il soit en mesure à lui tout seul de révolutionner la droite, tant d'un point de vue doctrinal que programmatique.

Au delà des enthousiasmes partisans et tels que les chiffres officiels le font apparaître, l'élection présidentielle de 2006 en Bulgarie indique qu'une « minorité » de citoyens a « majoritairement » exprimé son adhésion à la poursuite d'une politique pro-occidentale et pro européenne soutenue par le président socialiste réélu et le gouvernement de coalition tripartite (BSP, NDSV et DPS) largement majoritaire au Parlement. D'une certaine manière, elle symbolise la fin d'une époque, celle d'une transition telle qu'on pouvait la concevoir au début des années 1990 et d'un certain type d'affrontement politique.

Comme les autres pays d'Europe post-communiste, la Bulgarie doit faire face désormais à une poussée populiste potentiellement dangereuse. Sauf crise politique majeure, la majorité parlementaire actuelle est aux affaires pour encore 3 ans environ. La pire des solutions serait qu'elle se trompe dans les priorités de son agenda : ne pas faire l'impasse sur le message fort que les électeurs viennent de faire parvenir, pour la seconde fois, à la classe politique, ne pas relâcher les efforts entrepris dans certains secteurs sous la pression de l'UE et ne pas tomber dans la démagogie facile en accusant « Bruxelles » des difficultés à venir.

Les futures échéances politiques que constituent l'élection des représentants bulgares au Parlement européen et les élections locales (2007) seront un nouveau test pour la démocratie bulgare dans la mesure où l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne le 1er janvier 2007 ne peut pas être considérée comme le « remède miracle » aux maux de la Bulgarie mais comme une chance de les traiter au mieux des intérêts des Bulgares.

Résultats de l'élection présidentielle des 22 et 29 octobre 2006

Sources : commission centrale electorale : www.izbori2006.org (pour les suffrages définitifs obtenus par les candidats et les % respectifs) et état-major d'un grand parti (pour les inscrits, votants et exprimés du 1er tour) et ambassade de Bulgarie à paris (pour les inscrits et la participation au 2e tour).

* Chiffre se composant de la manière suivante au 1er tour : 6.444.426 sur les listes principales et 26.184 sur les listes complémentaires.

** Parmi lesquels on dénombre 24.873 bulletins blancs, et 52.325 bulletins nuls dont 1.235 pour cause d'absence des 2 tampons et 31.345 pour cause de plusieurs noms cochés sur le bulletin.

*** Suffrages des votants qualifiés de valablement exprimés.

[1] Voir nos articles : « l'élection présidentielle de l'automne 2006 en Bulgarie : une élection sans surprises ? »

www.colisee.org/article.php?id_article=2154,

www.colisee.org/article.php?id_article=2155,

www.colisee.org/article.php?id_article=2156

et « Bulgarie:élection présidentielle du 22 octobre 2006. Le président Parvanov sera-t-il réélu au premier ou au second tour ? » http://www.colisee.org/article.php?id_article=2230

[2] En France, très schématiquement, sont inscrites sur les listes électorales les personnes qui ont accompli à la mairie une démarche volontaire d'inscription et/ou ont justifié d'une attache directe dans une circonscription de rattachement.

[3] L'une des raisons pour lesquelles ce choix a été fait se trouve dans le fait que les 2 acteurs de la transition, le parti communiste (bkp) et le parti de l'union des forces démocratiques (sds), avaient un intérêt politique dans cette définition plutôt large de l'électeur potentiel. Dans le contexte d'incertitude et de peurs réciproques de l'époque, les premiers y voyaient un bouclier contre d'éventuelles majorités anti-communistes trop facilement réunies (d'où la référence au seuil de 50 % des « électeurs [potentiels] » dans la constitution) ; les seconds ne voulaient pas se priver des voix des nombreux bulgares à l'étranger considérés à l'époque comme plutôt favorables aux changements. De plus, en 1990, les bulgares d'origine turque qui avaient été chassés vers la turquie par le régime communiste avant 1989 (estimés entre 300 et 500.000 environ) pouvaient être tout à fait considérés comme des électeurs bulgares à part entière même s'ils n'étaient plus inscrits sur les listes électorales.

[4] Il est difficile de revenir sur ces chiffres des « électeurs ». Le problème est plus politique que technique, d'ailleurs. Les principaux visés par ces ajustements seraient essentiellement ces bulgares vivant aux quatre coins du monde et plus particulièrement ceux établis et travaillant désormais en turquie depuis de nombreuses années. Très mobilisé, un très grand nombre d'entre eux vient voter en Bulgarie grâce à la logistique généreuse du parti qui les représente en Bulgarie, le mouvement des droits et des libertés (dps). Quand ils ne peuvent pas aller voter dans les consulats ou les bureaux de vote ouverts à cet effet, celui-ci organise leur transport par bus depuis la turquie pour qu'ils accomplissent leur devoir électoral en Bulgarie... Quelques centaines de voix dans quelques petites municipalités peuvent changer beaucoup de choses - sur le plan local il est vrai - dans des régions à population mixte. Le DPS est un acteur important sur la scène politique nationale avec ses 10 à 12 % d'électeurs. Il a d'ailleurs toujours participé aux gouvernements qui se sont succédé depuis 5 ans maintenant.

[5] Ce qu'il n'avait pas fait en 2001.

[6] Pour l'anecdote, on peut signaler qu'en 1992, au cours de la première élection présidentielle au suffrage universel, le parti socialiste bulgare avait voulu stigmatiser le président J. Jelev (dissident anti-communiste) auprès de l'opinion publique pour avoir recueilli le « vote turc » en imprimant des affiches de campagne sur lesquelles, grâce à un montage photographique, il portait le «fez »...

[7] Le dps est d'ailleurs membre de l'internationale libérale.

[8] Le président Gueorgui Parvanov a fait preuve d'une grande capacité d'évolution psychologique ces 15 dernières années – voire d'une grande « adaptabilité » politique – si l'on se souvient qu'en 1990, jeune historien membre de l'institut d'histoire du parti communiste, il a été candidat à la députation sous la bannière nationaliste du « comité de défense des intérêts nationaux » (nationaliste et anti-turc), derrière le patriarche orthodoxe pimen, dans la région de blagoevgrad.

[9] Sondage (« exit poll ») de l'institut mbmd du 22 octobre 2006.

[10] Plusieurs sociologues expliquent ce chiffre par le « vote Pomak », ces bulgares ethniques de confession musulmane qui se sentent ostracisés par les responsables du dps dans certaines régions mixtes.

[11] dans sa conférence de presse, le président Parvanov a souligné avec un malin plaisir, voire une certaine arrogance, que les leaders de la droite se trouvaient confrontés à un « 4 février 1996 », faisant référence en cela à cette date charnière du parti socialiste bulgare où le leader de ce dernier, le même G. Parvanov, avait dû tirer les leçons amères de la défaite du gouvernement socialiste de l'époque, renoncer au pouvoir qui leur revenait constitutionnellement et entamer un difficile processus de reconstruction interne.

[12] soit respectivement : 1992 : 44,66 % des suffrages exprimés et 33,40 % des inscrits ; 1996 : 44,07 % et 27,63% ; 2001 : 54,22 % et 22,46% et 2006 : 12,46 % et 5,35 %.

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