Analyse
Élections en Europe
Pascale Joannin
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ENPascale Joannin
Du 6 au 9 juin, pour tenir compte des traditions de vote des pays, les Européens sont invités à élire leurs 720 représentants au Parlement européen, soit quinze de plus qu’actuellement pour prendre en compte les évolutions démographiques. Trois pays gagnent deux sièges, et neuf États, un siège.
A un mois du scrutin, beaucoup d’incertitudes pèsent encore sur cette élection qui constitue la première étape du renouvellement institutionnel de l’Union européenne qui en découlera : nouvelle Commission, désignation du président du Conseil européen.
Les deux principaux enseignements du scrutin de 2019
La participation
En 2019, le scrutin européen avait réservé une bonne surprise avec un taux de participation en hausse, et dépassant 50%, pour la première fois depuis 1994. Ce regain de participation pourrait-il être reconduit cette année ? De nombreuses études montrent un intérêt croissant des électeurs pour un scrutin encore méconnu. Mais cet intérêt se traduira-t-il en vote ?
Par ailleurs, les jeunes ayant davantage participé au scrutin de 2019, des États ont abaissé le droit de vote à 16 ans (par exemple en Allemagne) espérant ainsi attirer de nouveaux électeurs et obtenir par voie de conséquence une participation plus forte.
Enfin, de nombreuses campagnes de la société civile ont éclos un peu partout en Europe pour sensibiliser la population au scrutin européen et l’inciter à se déplacer à cette occasion pour remplir son devoir civique.
Un nouvel équilibre politique
Un tremblement de terre politique a eu lieu en 2019. Pour la première fois depuis que les élections se tiennent au suffrage universel direct (1979), les deux principaux partis politiques, le Parti populaire européen (PPE), à droite de l’échiquier politique, et le Parti socialiste européen (PSE), à gauche, n’ont pas obtenu, à eux deux, la majorité absolue. Ainsi a été mis un terme au duopole qu’il détenait depuis 1979. Et cette situation semble être révolue.
Un troisième parti avait donc été nécessaire pour former une coalition majoritaire : les Libéraux avec lesquels le PPE avait gouverné une fois (entre 2002 et 2004, Pat Cox avait alors présidé le Parlement européen).
Cette coalition tripartite (PPE, PSE Renew) devrait de nouveau se reproduire cette année.
Certains espèrent un changement de coalition, mettre un terme à la « grande coalition » (droite-gauche) en vigueur depuis si (trop) longtemps et faire émerger une majorité alternative, à droite. Certains sondages prometteurs donnent du grain à moudre aux partisans de cette thèse dont l’une des figures emblématiques est la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, qui a décidé de concourir à ces élections, même si elle ne siègera pas in fine au Parlement européen pour « reproduire en Europe » ce qu’elle a réussi à faire en 2022 en Italie. Mais est-ce envisageable ?
Les spécificités du scrutin : 27 élections
Le scrutin se tient partout selon le système de la proportionnelle, habituel pour tous sauf pour les Français, qui élisent leurs députés nationaux au scrutin majoritaire à deux tours. Il n’est donc pas possible qu’un parti dispose seul de la majorité. Une coalition est nécessaire. Elle n’est plus possible avec deux partis depuis 2019 ; il en faut au moins un de plus pour parvenir à bâtir ces compromis majoritaires au Parlement européen.
Mais le scrutin contient de nombreuses spécificités propres à chaque pays. Il peut exister un seuil minimum pour être représenté (5% dans 9 États membres, 4% dans 3 États membres, 3% en Grèce et 1,8% à Chypre) ou aucun comme dans 13 États membres par exemple. Des règles différentes, et plus ou moins paritaires, sont en vigueur selon les pays pour s’assurer d’une meilleure représentation des femmes. L’âge des votants n’est pas identique dans tous les pays (16 ou 18 ans).
Le projet de listes transnationales imaginé lors de cette législature pour le scrutin de 2024 n’ayant pas abouti, se succéderont donc 27 élections se tenant dans un cadre national avec des acteurs peu connus en dehors de leur pays d’origine, des programmes définis en fonction de priorités nationales et non par le « manifesto » élaboré par un parti européen, et des campagnes différenciées selon chaque État en fonction de la situation politique nationale. Ils en découlent la juxtaposition le 9 juin de 27 résultats qu’il convient ensuite d’européaniser en fonction des affinités électorales, des partis en présence ayant obtenu des sièges et ayant constitué des groupes politiques.
Il y a 7 groupes politiques à l’heure actuelle répartis comme suit :
Députés par État membre et groupe politique
Source : Parlement européen
Une poussée attendue à droite
Une vague pas un raz de marée
Selon les sondages les plus récents, il semblerait que les électeurs soient tentés de donner leur suffrage à un parti situé à la droite de la droite de l’échiquier politique : droite populiste, nationaliste, radicale, voire extrême. Ainsi en France, le Rassemblement national est crédité de 30% des voix, loin devant les autres partis. En Italie, Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni arriverait en tête avec 28,5% des voix. Mais partout ailleurs l’écart est plus serré entre ces partis et leurs suivants immédiats (exemple en Autriche). En Allemagne l’AfD, après avoir longtemps connu des scores élevés, n’obtiendrait plus que 15% et la Lega en Italie 8%. Une vague à droite est donc probable, mais elle ne se sera pas aussi forte qu’annoncée il y a quelques mois. Cela ne constituera donc pas un tsunami entraînant un raz de marée. La seule incertitude est de savoir qui de ECR ou ID sera devant l’autre et si l’un deux parvenait in extremis à dépasser les Libéraux ?
Une droite radicale désunie
Une de raisons de la moindre amplitude de cette vague est que cette droite radicale est actuellement divisée et répartie entre deux groupes au Parlement européen : ECR (conservateurs et réformistes européens) et ID (Identité et démocratie). Cette division est liée à des divergences politiques majeurs comme, par exemple, le soutien à l’Ukraine exprimés par les partis siégant plutôt à ECR et un tropisme favorable à la Russie pour les partis siégeant au sein du groupe ID. Ces profondes divergences semblent difficilement réconciliables et il est probable que cette division subsiste à l’issue du scrutin de juin prochain. D’autant plus que certains représentants de ce courant ne sont rattachés à aucun de ces deux groupes et siègent parmi les non-inscrits (ex : le Fidesz en Hongrie). Ce qui rend encore un peu plus compliquée et ardue la lisibilité et la cohérence de cette droite.
Un système en sursis ?
En 2014, les partis européens ont imaginé le système du Spitzenkandidat (“tête de liste” en allemand) dans le but de désigner, plus démocratiquement, la personne appelée à présider la Commission européenne. L’objectif était alors de renforcer le lien entre les citoyens et le président de la Commission, historiquement désigné par le Conseil européen, et d’inciter les électeurs à voter lors du scrutin européen qui a lieu tous les cinq ans. En votant pour un parti, l’électeur choisissait indirectement le titulaire de cette présidence puisque celle-ci devait être confiée au chef de file du parti arrivé en tête lors des élections européennes. Chaque parti européen pouvait donc sélectionner en amont son candidat. Ce système a été expérimenté avec succès lors des élections européennes de 2014. En effet, le spitzenkandidat du parti arrivé en tête, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (Parti populaire européen, PPE), était devenu président de la Commission européenne.
En 2019, il n’en a pas été de même. Jean-Claude Juncker ne s’étant pas représenté, le PPE avait choisi pour Spitzenkandidat, l’Allemand Manfred Weber. Le PPE étant de nouveau arrivé en tête lors du scrutin européen, son candidat aurait pu espérer bénéficier du même sort qu’en 2014. Mais Weber n’avait pas été, comme Juncker, 18 ans Premier ministre de son pays ! Les chefs d’État et de gouvernement ont donc repris la main et proposé, comme le prévoit les traités, une Allemande, issue du PPE, Ursula von der Leyen sans qu’elle ait été candidate. Cela a été vivement contesté par le Parlement européen où Ursula von der Leyen a été confirmée de justesse.
La présidente sortante de la Commission européenne est candidate à un second mandat. Avec le soutien cette fois-ci de son parti, la CDU, et celui du PPE qu’elle a obtenu, mais pas à l’unanimité, lors du Congrès de ce parti à Bucarest le 7 mars dernier. Comme le PPE, huit autres partis ont désigné une tête de liste. Un débat télévisé entre eux a eu lieu à Maastricht le 29 avril. Selon nos calculs, le groupe PPE virerait de nouveau en tête le 9 juin, Ursula von der Leyen devrait donc être réélue. A moins que le Conseil européen sorte de sa botte, comme en 2019, un autre candidat.
Quelle coalition majoritaire ?
En dépit des tendances exprimées ici ou là, un examen scrupuleux des sondages dans tous les États membres, reproduits en annexe, laissent apparaître que les deux principaux partis, PPE et PSE, le resteront encore le 9 juin même s’ils pourraient perdre quelques sièges ; que ces deux partis n’auront plus la majorité qu’ils ont perdue en 2019 et qu’il leur faudra trouver un partenaire pour former une coalition majoritaire. Si les Libéraux risquent de perdre plus de sièges qu’attendu, ils devraient en conserver suffisamment pour reconduire la même coalition, la seule qui soit effectivement majoritaire.
Le nouveau visage du Parlement européen
Contrairement à des opinions émises un peu rapidement, malgré ces tendances et la forte nationalisation du scrutin, la composition du Parlement européen issu des élections du mois de juin 2024 ne devrait pas connaître de vrai bouleversement.
L’Europe politique, un temps ébranlée par des protestations nationales, soumises comme d’autres démocraties à des contestations légitimes, questionnée par la situation internationale évolutive, demeure finalement relativement stable.
Telles sont les conclusions auxquelles les meilleurs experts de la Fondation Robert Schuman, appuyés par leur réseau européen unique, sont parvenus à l’issue d’une analyse approfondie des campagnes électorales et des estimations déjà publiées.
Composition du Parlement européen après les élections de juin 2024 (prévisions)
NB : répartition effectuée à partir de la déclaration des groupes et partis européens tel que connu à ce jour. Ne préjuge pas des mouvements et affiliations qui pourraient avoir lieu après le scrutin notamment pour les non-inscrits
***
Rappel des résultats du scrutin européen des 23-26 mai 2019
Source : Parlement européen
NB : en 2019, le Royaume-Uni, en négociation pour quitter l’Union européenne, avait participé aux élections européennes, son départ n’ayant pas été formellement avalisé
Annexes
Allemagne
96 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/allemagne/
35 listes
Source : https://www.tagesschau.de/europawahl/parteien_und_programme/europawahl-2024-parteien-100.html
Autriche
20 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/autriche/
7 listes
Source : https://www.bmi.gv.at/412/Europawahlen/Europawahl_2024/start.aspx
Belgique
22 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/belgique/
16 listes
Source : https://elections.fgov.be/informations-generales/numeros-nationaux-et-sigles-proteges
NB. : le scrutin législatif fédéral se tient le même jour que les élections européennes
Bulgarie
17 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/bulgarie/
15 partis et 7 coalitions
Source : https://www.cik.bg/bg/decisions/3267/2024-05-09
NB. : le scrutin législatif se tient le même jour que les élections européennes
Croatie
12 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/croatie/
25 listes
Chypre
6 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/chypre/
12 listes
Danemark
15 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/danemark/
11 listes
Espagne
61 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/espagne/
39 listes
Source : https://www.juntaelectoralcentral.es/cs/jec/documentos/candid_present_UE_080524.pdf
Estonie
7 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/estonie/
9 listes et 5 indépendants
Finlande
15 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/finlande/
15 listes
Source : https://tulospalvelu.vaalit.fi/EPV-2024/en/ehd_listat_kokomaa.html
France
81 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/france/
NB : La clôture du dépôt des listes est fixée au 17 mai.
Source : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049285193
Grèce
21 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/grece/
31 listes
Source : https://www.ypes.gr/wp-content/uploads/2024/05/FYLLADIO-EPISTOL-PSF-FINAL-20240510.pdf
Hongrie
21 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/hongrie/
11 listes
Source : https://vtr.valasztas.hu/ep2024/valasztopolgaroknak/jelolo-szervezetek?tab=lists
Irlande
14 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/irlande/
29 listes
Italie
76 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/italie/
42 listes
Source : https://elezionistorico.interno.gov.it/eligendohome/deposito/europee/20240609/depositati
Lettonie
9 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/lettonie/
16 listes
Source : https://epv2024.cvk.lv/kandidatu-saraksti
Lituanie
11 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/lituanie/
15 listes
Source : https://www.vrk.lt/kandidatai-kandidatu-sarasai-2024-ep
Luxembourg
6 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/luxembourg/
13 listes
Malte
96 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/malte/
6 listes et indépendants
Source : https://electoral.gov.mt/pr7-29-04-24-en
Pays-Bas
31 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/pays-bas/
20 listes
Pologne
53 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/pologne/
11 listes
Source : https://wybory.gov.pl/pe2024/en/kandydaci?kolejnosc=3_asc&strona=12
Portugal
21 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/portugal/
17 listes
République tchèque
21 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/republique-tcheque/
30 listes
Source : https://www.volby.cz/pls/ep2024/ep23?xjazyk=EN
Roumanie
33 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/roumanie/
16 listes
Source : https://europarlamentare2024.bec.ro/wp-content/uploads/2024/04/specimen_BV.pdf
Slovaquie
15 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/slovaquie/
24 listes
Slovénie
9 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/slovenie/
11 listes
Source : https://www.dvk-rs.si/
Suède
21 élus
https://2024.electionseuropeennes.eu/suede/
15 listes
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