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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Fondation Robert Schuman
A quelques jours du scrutin, les néo-islamistes apparaissent comme les grands favoris des élections législatives de dimanche prochain. Le Parti de la justice et du développement (AKP), dirigé par Recep Tayyip Erdogan, est en tête dans toutes les enquêtes d'opinion avec 30% des intentions de vote, devançant le Parti républicain du Peuple (CHP), formation de centre gauche qu'a rejoint l'ancien ministre de l'Economie Kemal Dervis, estimée à 18%.
S'il n'est plus candidat, Recep Tayyip Erdogan, déclaré inéligible par le Haut Conseil électoral le 16 septembre dernier, est toujours président de son parti, en dépit des protestations de certains juristes affirmant que le président d'un parti doit également en être un membre fondateur. Le 23 octobre dernier, Erdogan a de nouveau été sommé de comparaître devant un tribunal dans un procès concernant l'origine de sa fortune. Plus grave, le lendemain, Sabih Kanadoglu, procureur de la cour de Cassation, a demandé à la Cour constitutionnelle l'interdiction du Parti de la justice et du développement pour non-respect des lois sur les partis politiques. En dépit des déclarations de l'ex-maire d'Istanbul - qui se défend d'être un islamiste, se prononce en faveur de la candidature de la Turquie à l'Union européenne et appelle à une plus grande liberté d'expression et de religion - la société civile turque et les militaires sont inquiets de la montée en puissance de la formation de Recep Tayyip Erdogan.
Le rejet des partis politiques traditionnels par une grande majorité des Turcs est manifeste. Un rejet dont profite le Parti de la justice et du développement qui fédère les exclus sur son nom et défend les intérêts des classes moyennes et défavorisées. L'AKP n'est cependant pas la seule formation à avoir investi ce terrain. Cem Uzan, homme d'affaires de 42 ans, influent dans les médias et la téléphonie mobile, a récemment décidé de se lancer en politique. « A partir d'aujourd'hui, je mets de côté mon identité d'homme d'affaires, et, pour mener rapidement la Turquie à la place où elle devrait être, je prétends à la direction du pays » a déclaré le fondateur du Parti jeune (Genc). Pour beaucoup, l'homme d'affaires, poursuivi par la justice américaine pour escroquerie à l'encontre des entreprises Nokia et Motorola mais également par la justice turque, ne cherche qu'à bénéficier de l'immunité parlementaire. La formation de Cem Uzan occupe la troisième place dans les enquêtes d'opinion, frôlant les 10% d'intentions de vote requis pour être représenté au Parlement. Pour s'imposer auprès des électeurs, le leader populiste ne renonce devant aucune promesse. « Plus de taxes sur les médicaments, sur l'alimentation, sur les livres, un terrain et une maison pour tous ceux qui n'en ont pas grâce à des prêts sur trente ans » annonce le leader du Parti jeune qui promet également, s'il est élu, des livres scolaires gratuits pour tous les enfants des écoles et la multiplication par quatre du nombre des universités turques.
En dehors du Parti de la justice et du développement, du Parti républicain du Peuple et du Parti jeune, aucune autre des dix-huit formations en lice (y compris les trois partis appartenant à la coalition gouvernementale, le Parti de la gauche démocratique (DSP), le Parti de l'action nationale (MHP) et le Parti de la mère patrie (ANAP), formation libérale et pro-européenne dirigé par Mesut Yilmaz) ne devrait être en mesure de franchir le seuil des 10% dimanche. Cette dernière formation réalise toutefois, depuis une semaine, une remontée dans les sondages. Selon une enquête réalisée par le centre d'études sociales d'Istanbul, la moitié des quatre millions d'électeurs appelés aux urnes pour la première fois s'apprêtent à voter en faveur du Parti de la justice et du développement ou du Parti jeune. Par ailleurs, un sondage, publié dans le journal Milliyet, indique qu'un tiers des électeurs envisagent de voter pour une formation différente de celle pour laquelle ils se sont prononcés lors de la dernière consultation électorale.
Dans son rapport sur l'élargissement publié le 9 octobre dernier, la Commission européenne s'est abstenue de recommander l'ouverture des négociations avec la Turquie, pays officiellement candidat depuis 1999, estimant que les importants progrès politiques réalisés par Ankara restaient insuffisants sur certaines questions relatives au respect des droits de l'Homme. Les Quinze, qui ont dorénavant les yeux fixés sur les prochaines élections législatives, ont donc choisi la prudence au désespoir des Turcs pro-européens qui craignent que la réticence de l'Union européenne ne renforce encore le camp des anti-européens. Le président turc, Ahmet Necdet Sezer, a estimé que les conclusions des Quinze sur la Turquie étaient « positives » mais qu'elles « ne satisfaisaient pas aux attentes » de son pays. La classe politique turque espère toujours que l'Union européenne donnera son feu vert à l'ouverture des négociations d'adhésion lors du sommet de Copenhague des 12 et 13 décembre prochains.
Sauf surprise de dernière minute, les électeurs turcs s'apprêtent à porter les néo-islamistes à la tête du pays. Cette perspective inquiète la classe politique traditionnelle du pays, une grande partie de la société civile et l'Union européenne pour ne pas parler des militaires, gardiens officiels de la laïcité, qui, par leur présence au sein du Conseil de sécurité nationale, possèdent des pouvoirs importants en Turquie. Le 3 novembre prochain, à quelques semaines du sommet de Copenhague et dans le contexte international actuel de l'éventualité d'une guerre contre l'Irak, les Turcs joueront une carte essentielle pour l'avenir de leur pays.
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