Actualité
Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
-

Versions disponibles :
FR
EN
Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
Le 22 novembre prochain, plus de douze millions de Néerlandais sont appelés aux urnes pour renouveler les 150 membres de la Chambre des Etats généraux, Chambre basse du Parlement. Au total, 26 formations politiques sont en lice pour ces élections législatives, un chiffre qui égale le record du scrutin de 1994. Parmi elles, 14 présenteront des candidats dans chacune des 19 circonscriptions que compte le royaume. Ces élections législatives sont anticipées. Initialement prévues pour le 16 mai 2007, la chute de la coalition gouvernementale dirigée par Jan Peter Balkenende le 29 juin dernier et la formation d'un gouvernement minoritaire qui s'en est suivi ont convaincu le leader de l'Appel chrétien-démocrate (CDA) d'avancer la date du scrutin.
Le système politique
Les Etats généraux, Parlement des Pays-Bas, sont bicaméraux. Ils comprennent une première chambre (Eerste Kamer), le Sénat, qui compte 75 membres, élus tous les 4 ans au suffrage indirect par les membres des 12 Etats provinciaux du royaume, et une deuxième chambre (Tweede Kamer), la Chambre des Etats généraux, dont les 150 membres sont élus tous les 4 ans au suffrage universel direct à la proportionnelle intégrale, mode de scrutin favorisant l'existence et la représentation d'un grand nombre de formations politiques.
Chaque formation politique souhaitant présenter des candidats aux élections législatives doit recueillir 30 déclarations de soutien dans chacune des 19 circonscriptions du royaume, soit au total 570 signatures.
L'actuelle chambre des etats généraux comprend 9 formations politiques:
- L'Appel chrétien-démocrate (CDA), parti de centre-droit né dans les années soixante-dix de la fusion de trois partis, le Parti populaire catholique (KVP), le Parti antirévolutionnaire (ARP) et l'Union chrétienne historique (CHU), en réaction à la laïcisation de la société. Le CDA, formation du Premier ministre Jan Peter Balkenende, compte 44 députés ;
- Le Parti du travail (PvdA), fondé en 1946 et issu du mouvement syndical, regroupe les sociaux-démocrates. Principal parti d'opposition, dirigé par Wouter Bos, il possède 42 sièges ;
- Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), créé en 1948 et se réclamant de Thorbecke, le père de la révision constitutionnelle des Pays-Bas en 1848, est dirigé par Mark Rutte. Il appartient à la coalition gouvernementale de Jan Peter Balkenende et possède 28 élus ;
- Le Parti socialiste (SP), parti d'extrême gauche dirigé par Jan Marijnissen, possède 9 élus ;
- La Liste Pim Fortuyn (LPF), formation d'extrême droite créée en 2002 par le sociologue Pim Fortuyn, assassiné le 6 mai 2002, compte 8 députés ;
- La Gauche verte (GL), parti écologiste situé à gauche sur l'échiquier politique, compte 8 députés ;
- Le Parti des démocrates 66 (D66) regroupe les libéraux réformateurs de centre gauche. Membre de la coalition gouvernementale depuis les dernières élections législatives du 22 janvier 2003 jusqu'à la fin du mois de juin dernier, le D66 possède 6 députés ;
- L'Union chrétienne (CU), formation née de la fusion en janvier 2000 de la Fédération politique réformée (RPF) et de l'Alliance politique réformée (GPV), dirigée par André Rouvoet, compte 3 députés ;
- Le Parti politique réformé (SGP) se partage avec la CU l'électorat protestant orthodoxe (calvinistes de stricte obédience) et compte 2 députés.
Les enjeux du scrutin
Le meurtre de Pim Fortuyn le 6 mai 2002 avait traumatisé les Pays-Bas où la proximité entre les électeurs et la classe politique fait partie des traditions nationales et dont la culture politique a toujours été fondée sur le débat et la recherche du consensus. Depuis cette date, les Pays-Bas traversent une période d'instabilité politique inhabituelle dans le royaume. Le leader populiste Pim Fortuyn, dénonciateur d'une immigration qu'il jugeait excessive et dangereuse -«Les Pays-Bas sont plein» était son slogan- et luttant contre « l'islamisation de la société néerlandaise », avait été le révélateur de la coupure entre les élites et une grande partie de la population. Deux ans après Pim Fortuyn, le 2 novembre 2004, le cinéaste Theo van Gogh était poignardé en pleine rue par un jeune islamiste pour avoir évoqué les violences faites aux femmes musulmanes. Depuis 4 ans, la population a, à maintes reprises, exprimé son malaise devant la mise à mal de son modèle de société basé sur le consensus, l'ouverture et la tolérance. Symbole de leurs inquiétudes: pour la première fois depuis les années cinquante, le royaume connaît une vague d'émigration vers des pays comme le Canada ou l'Australie.
Le 1er juin 2005, les Néerlandais ont utilisé le référendum sur le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe pour envoyer un signal à la classe politique. « Le « non » est un signal envoyé aux hommes politiques pour leur dire « arrêtez-vous et écoutez-nous » » affirmait Maurice de Hond, directeur du principal institut d'opinion. Selon les analystes politiques, le « non » (61,6% contre 38,4% de « oui », la participation s'étant élevée à 63,4%) exprimait principalement le refus des Néerlandais de voir la Turquie entrer dans l'Union et, plus largement, leur crainte de l'étranger.
Les Pays-Bas comptent 1,6 million d'immigrés, soit 10% de leur population totale (Office central des statistiques, 2004). Environ la moitié sont décrits comme « non-Occidentaux », les trois groupes majoritaires sont les Turcs (environ 194 000), les Surinamiens (environ 187 000) et les Marocains (environ 166 000). « Le « non » néerlandais est intimement lié à un repli général du pays sur lui-même » soulignait Richard Wouters, en charge de l'Europe au sein de la Gauche verte. « Le pays se sent menacé, manque de confiance, se replie sur lui-même » ajoutait le sociologue Paul Scheffer.
Ces 4 dernières années, pas moins de trois gouvernements se sont succédé et nombreux sont les ministres, députés ou leaders politiques ayant dû quitter leurs fonctions pour des raisons diverses. Dernières démissions en date : celles du ministre de la Justice, Piet Hein Donner, et de la ministre du Logement, de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, Sybilla Dekker, le 21 septembre dernier, après la publication du rapport définitif sur l'incendie du centre de rétention de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol qui avait causé la mort de 11 personnes en octobre 2005. L'enquête a conclu à des défaillances des autorités en matière de sécurité. Fons Hertog, maire de Haarlemmermeer, commune où est situé l'aéroport, a également démissionné.
Le 29 juin dernier, la coalition gouvernementale a démissionné après une controverse suscitée par la ministre de l'Intégration, Rita Verdonk (VVD). Ancienne directrice de prison et surnommée Rita de fer, elle est à la fois critiquée par les formations de l'opposition et les organisations de défense des droits de l'Homme pour sa politique envers l'immigration et le droit d'asile et appréciée par une majorité de Néerlandais (elle a été élue personnalité politique de l'année en décembre 2005). En mai dernier, la députée d'origine somalienne naturalisée néerlandaise Ayaan Hirsi Ali (VVD), amie du cinéaste assassiné Theo van Gogh et scénariste de son film Submission consacré à la vie des femmes dans les sociétés musulmanes, déclare avoir menti sur sa véritable identité et sur son parcours d'exilée lors de sa demande d'asile politique aux Pays-Bas. A la suite de cette annonce, Rita Verdonk décide de lui retirer sa nationalité néerlandaise. A la fin du mois de juin, après des semaines de pressions politiques, la ministre fait machine arrière et déclare qu'Ayaan Hirsi Ali peut rester néerlandaise. Mais entre temps, cette dernière, qui consacre une grande partie de sa vie à la lutte pour l'amélioration de la condition des femmes musulmanes et vit sous protection policière permanente depuis l'assassinat de Theo van Gogh (une note avait été retrouvée sur son corps menaçant la députée somalienne de mort), a décidé de quitter les Pays-Bas et de s'installer aux Etats-Unis. Le 29 juin dernier, le Parti des démocrates 66 (D66) a déposé une motion de censure contre Rita Verdonk. Celle-ci n'a pas été votée par la majorité des parlementaires mais, après son échec, la formation politique a provoqué la chute de la coalition gouvernementale en lui retirant son soutien.
Après des années de rigueur souvent douloureuses pour une grande partie de la population, les Pays-Bas affichent une bonne santé économique. Le taux de chômage est l'un des plus bas de l'Union européenne et, selon les projections du gouvernement, la dette publique devrait, fin 2007, s'élever à 48% du PIB (265 milliards d'euro), soit en dessous des 50% autorisés par le Pacte de stabilité et de croissance. Lors du traditionnel discours de politique générale prononcé le 19 septembre dernier par la reine Beatrix, la coalition gouvernementale a promis la fin des mesures d'austérité pour 2007, une baisse des charges pour les ménages et pour les employeurs et annoncé une croissance de 3% du PIB pour l'année prochaine et un excédent budgétaire de 0,2% du PIB. « Le nombre d'emplois augmente, l'économie croît, un système de santé solide et social a été instauré, le nombre d'allocations (chômage et assistance sociale) est en baisse. Je me rends compte que tout cela a été possible grâce à l'investissement personnel des citoyens dans les années de restrictions budgétaires mais je pense que des temps meilleurs sont arrivés. Cela n'était arrivé qu'une seule fois durant les 40 dernières années. Les Pays-Bas ont de nouveau pris une position de tête, avec une dette publique en baisse, une inflation faible, un marché du travail flexible et un meilleur climat d'affaires. Nous pouvons être fiers du résultat de ce que nous avons accompli ensemble » a déclaré le Premier ministre Jan Peter Balkenende le 19 septembre dernier. Il s'est également montré confiant pour les élections législatives du 22 novembre prochain.
Le 26 septembre dernier, les Pays-Bas ont fait leur retour sur la liste des dix économies les plus compétitives du monde (passant de la 11e à la 9e place) établi par le World Economic Forum de Genève, organisation indépendante de grands managers du secteur privé. Selon Henk Volberda, professeur à l'université Erasme de Rotterdam et membre de l'organisation, « les Pays-Bas ont surtout retenu l'attention du Forum en raison de la qualité de leurs instances publiques, de leur politique économique, de leurs bonnes infrastructures et des investissements croissants dans l'enseignement supérieur».
Wouter Bos, le leader du Parti du travail (PvdA), a dû reconnaître le travail effectué par l'actuelle coalition gouvernementale. Il a cependant tenu à préciser que celui-ci arrivait bien tard et que le partage des richesses pourrait être plus équitable, indiquant qu'il proposait un programme qui, sans contester les réalisations de Jan Peter Balkenende, était plus social. Il a également reconnu que si les élections législatives avaient eu lieu à la date prévue en mai 2007, l'amélioration continue de la situation socioéconomique aurait joué en défaveur de l'opposition.
Alors que la Liste Pim Fortuyn (LPF) avait pratiquement disparu de la scène politique aux dernières élections législatives du 22 janvier 2003, recueillant 5,7% des suffrages (soit 11,3 points de moins que huit mois plus tôt), plusieurs formations se disputent ses électeurs. Ancien membre du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, Geert Wilders, avait fondé en septembre 2004 le Groupe Geert Wilders avant de créer, pour les élections du 22 novembre prochain, le Parti pour la liberté (PvdV). Cette formation se propose se fermer les frontières à l'immigration non-occidentale, d'interdire la double nationalité et la construction de mosquées et d'écoles musulmanes dans les cinq prochaines années et d'obliger les immigrés présents dans le royaume à signer un contrat d'assimilation. Geert Wilders prédit que « la criminalité des musulmans submergera les Pays-Bas et que l'intolérance et la culture violente toucheront le pays au cœur de son identité », évoquant un « tsunami d'islamisation ».
De son côté, le leader des Pays-Bas vivables (LN) de Rotterdam, Marco Pastors (30% des suffrages lors des élections municipales du 7 mars 2006), a fondé Een NL (Un Pays-Bas). Il souhaite mettre un frein à l'immigration et en finir avec le trouble politique et social qui règne dans le pays.
La Liste Pim Fortuyn existe toujours et participera aux élections législatives sous le nom de « Fortuyn », Olag Stüger sera sa tête de liste. « Ils essaient de jouer sur le mécontentement supposé des électeurs qui ont porté l'ascension de Pim Fortuyn. Mais Pim Fortuyn était un phénomène en soi et il n'avait pas beaucoup de concurrence » analyse le politologue Linze Schaan, coordinateur du Centre pour la démocratie locale. « Pim Fortuyn a fait irruption dans le système existant. Il ne se situait pas seulement à droite de l'éventail politique, il a exploité un malaise politique généralisé. Marco Pastors n'aura de chances de succès que s'il ne s'enferme pas dans une image de droite » déclare le professeur de science politique Ruud Koole. « Plusieurs formations ont plus ou moins la même approche de l'immigration » souligne Maurice de Hond qui ajoute « les élections se joueront plutôt sur la personnalité des leaders des deux principaux partis, Jan Peter Balkenende pour les chrétiens-démocrates et Wouter Bos pour les sociaux-démocrates ».
Enfin, le Parti pour l'amour, la liberté et la diversité (PNVD), connu sous le nom de Parti pédophile, ne pourra pas participer aux élections législatives faute d'avoir rassemblé les 570 déclarations de soutien requises pour figurer parmi les candidats. Cette formation, qui souhaitait abaisser l'âge de la majorité sexuelle à douze ans et légaliser la pornographie enfantine, avait suscité de nombreuses réactions négatives.
la campagne électorale
Du côté de l'opposition, le Parti du travail (PvdA) a présenté au début du mois de septembre son programme électoral, intitulé « Les enfants d'abord ». Celui-ci prévoit la gratuité de l'accueil des enfants de moins de 12 ans trois jours par semaine, un congé parental payé à 70% du salaire minimum durant les six premiers mois après la naissance de l'enfant et une augmentation de 10% du salaire des enseignants du primaire et du secondaire. Il propose d'économiser durant les prochaines années 12 milliards d'euro notamment sur la fonction publique, une mesure qui a été critiquée par la Fédération du mouvement syndical (FNV).
Le programme du Parti socialiste (SP) est intitulé « De meilleurs Pays-Bas pour le même prix ». Il propose un relèvement du minimum social de 10%, des transports publics gratuits pour les enfants de moins de 12 ans et les personnes âgées de plus de 65 ans, la gratuité de l'accueil des enfants, la possibilité pour les électeurs de renvoyer le gouvernement et un droit d'approbation des comités d'entreprise sur les salaires des dirigeants de leur entreprise. La formation souhaite investir 11 millions d'euro dans l'enseignement, la lutte contre la pauvreté et le système de santé durant la prochaine législature.
Enfin, la Gauche verte (GL) demande des « Pays-Bas plus verts, plus sociaux et plus tolérants ». Centrée sur l'emploi, la formation souhaite augmenter l'indemnité chômage qui serait limitée à un an et investir dans l'enseignement (1500 euro par élève) et dans les transports publics (800 millions d'euro).
Du côté de la coalition gouvernementale, l'Appel chrétien-démocrate (CDA) souhaite continuer à travailler « à la transformation de l'Etat providence en une société de participation ». Sa plate-forme électorale est centrée sur les classes moyennes et met en avant la responsabilité individuelle et l'autonomie. Le programme du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) est nettement libéral se prononcant en faveur d'une baisse des impôts sur le revenu de 3%, la suppression de l'impôt immobilier, la baisse des droits de succession prélevés sur les héritages et une baisse des cotisations sociales.
Dans sa plate-forme intitulée « Durable ensemble », l'Union chrétienne (CU) demande une hausse des allocations familiales, une indexation de la retraite de base sur les salaires, le recrutement de 3000 agents de police supplémentaires et la fin de l'élargissement de l'Union européenne après l'entrée de la Croatie et de la Macédoine.
L'ensemble des observateurs politiques du pays s'attend à des élections législatives serrées. Malmené dans les enquêtes d'opinion et aux élections municipales du 7 mars dernier où les formations gouvernementales avaient toutes enregistré un recul et où le Parti du travail (PvdA) s'était imposé, l'Appel chrétien démocrate (CDA) s'est nettement redressé ces dernières semaines au point de faire jeu égal avec le PvdA A l'heure actuelle, la campagne électorale est polarisée sur l'affrontement entre l'actuel Premier ministre Jan Peter Balkenende et le leader travailliste, Wouter Bos. Cet été, le Premier ministre a atteint sa cote de popularité la plus élevée depuis son arrivée au pouvoir en mai 2002 : 30% de la population déclaraient approuver sa politique. Peter Kanne, de l'institut d'opinion TNS Nipo, voit « un rapport direct entre la popularité croissante de l'Appel chrétien-démocrate et la confiance des Néerlandais dans leur économie ».
La dernière enquête d'opinion, réalisée par Interview-NSS pour l'émission télévisée NOVA et publiée le 23 octobre dernier, donne une légère avance à l'Appel chrétien-démocrate (CDA) qui remporterait 46 sièges, devançant le Parti du travail (PvdA) qui en obtiendrait 44 sièges. Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) arriverait en troisième position avec 26 sièges, suivi du Parti socialiste (SP) avec 16 sièges. Enfin, la Gauche verte (GL) obtiendrait 6 sièges, l'Union chrétienne (CU) 5, le Parti politique réformé (SGP) 3 et le Parti des démocrates 66 (D66) 2.
Rappel des résultats des élections législatives du 22 janvier 2003
Participation : 80%

Sur le même thème
Pour aller plus loin
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
5 mai 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
28 avril 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
28 avril 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
14 avril 2025

La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :