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L'opposition de gauche favorite des élections législatives en Lituanie

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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17 septembre 2012
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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L'opposition de gauche favorite des élections législatives en Lituanie

PDF | 224 koEn français

Le 14 octobre prochain, 2,5 millions de Lituaniens éliront les 141 du Seimas, chambre unique du Parlement. Ils se prononceront également par référendum sur la construction d'une nouvelle centrale nucléaire à Visaginas (nord-est du pays). Le 2e tour du scrutin législatif se tiendra le 28 octobre.

La date des élections législatives doit être fixée et proclamée par décret présidentiel au moins 6 mois avant l'expiration de la précédente législature. Le 11 avril dernier, la Présidente lituanienne, Dalia Grybauskaite, a indiqué les dates du prochain scrutin législatif. La campagne a débuté aussitôt après cette annonce, la campagne officielle s'étant ouverte le 14 septembre dernier.

2 000 candidats (+ 400 par rapport aux précédentes élections législatives des 12 et 26 octobre 2008), issus de 27 des 44 partis politiques (dont 6 nouveaux) que compte le pays, sont en lice pour ce scrutin.

La situation de la Lituanie

Le pays est gouverné par la droite depuis 4 ans. Le gouvernement rassemble l'Union de la patrie-Conservateurs (TS-LK), du Premier ministre Andrius Kubilius, l'Union libérale-Union du centre (LLC-LSC) de Gintautas Babravicius et le Mouvement libéral (LRLS), dirigé par Eligijus Masiulis. Andrius Kubilius est le premier chef de gouvernement à avoir accompli un mandat complet depuis que la Lituanie a recouvré son indépendance en 1991, et ce en dépit d'un contexte économique extrêmement difficile.

Très touchée par la crise économique qui a débuté à l'automne 2008 (le PIB lituanien s'est alors contracté de 15%), la Lituanie a refusé de faire appel à l'aide internationale et s'est redressée grâce à la mise en place d'une politique d'austérité et au prix d'importants efforts de la part de sa population. Le gouvernement a érigé la réduction des déficits au rang de priorité nationale, arguant du fait qu'il n'existait pas de contradiction entre croissance et redressement des finances publiques. Il a pu compter sur le soutien de la présidente de la République, Dalia Grybauskaite, élue à la tête de l'Etat dès le 1er tour de l'élection présidentielle le 17 mai 2009.

Les deux chefs de l'exécutif lituaniens ont mené une sévère politique de remise en ordre des finances publiques. Actuellement, le pays connaît la plus forte croissance de l'Union européenne (3% prévu en 2012 après 6% l'année précédente). Son déficit public devrait descendre en dessous de 3% du PIB cette année et sa dette s'établit à 38,5% (2011). Ce chiffre peut sembler faible mais il a cependant augmenté de 9 points en 2 ans. L'inflation reste importante (4,2%) tout comme le taux de chômage (14%). L'emploi devrait d'ailleurs constituer un thème majeur de la campagne électorale.

Dressant en juillet dernier le bilan de ses trois années à la tête du pays, Dalia Grybauskaite s'est félicitée des résultats économiques de la Lituanie. "Maintenant que l'économie va mieux, nous devons nous centrer sur le sort des plus vulnérables et cela exige la mise en place d'une réforme de l'Etat-providence et de notre système de retraite. Il nous faut réduire le chômage et augmenter de nouveau l'an prochain le salaire minimum" a-t-elle déclaré. Le salaire minimum lituanien est l'un des plus faibles de l'Union européenne. Il s'élève à 800 litas, soit 232 €. Seuls 2 des 27 Etats membres de l'Union européenne – la Roumanie et la Bulgarie – ont un salaire minimum plus bas. "La situation économique est pour le moment stable dans le pays mais tendue autour de la Lituanie. Pour cette raison, malgré la fièvre électorale, les politiques devraient faire preuve de leur sens de responsabilités, éviter la surenchère populiste, ne pas promettre l'irréalisable, et se concentrer sur ce qui est le plus important pour l'Etat et sa population" a souligné Dalia Grybauskaite.

La baisse de la dette, le développement des infrastructures, notamment dans le domaine de l'énergie, et la modernisation économique du pays constituent les priorités fixées par Andrius Kubilius pour les élections législatives. La monnaie unique constitue une autre priorité du Premier ministre. La Lituanie espère rejoindre la zone euro en 2014. Riga et Vilnius sont les deux capitales d'Europe centrale et orientale les plus avancées dans le processus d'adoption de l'euro.

Le leader du parti social-démocrate (LSP) Algirdas Butkevicius et celui du Mouvement libéral (LRLS), Eligijus Masiulis, ont tous deux déclaré que la Lituanie ne devait pas s'empresser d'adopter la monnaie unique tout au moins tant que la crise de la zone euro n'était pas résolue.

Le gouvernement a été affaibli au début de l'année 2012 par "l'affaire Palaitis". Raimundas Palaitis (LLC-LSC), ministre de l'Intérieur, s'est vu reprocher d'avoir limogé deux officiers responsables du Service de l'investigation du crime financier (FNTT), Vitalijus Gailius et Vytautas Girzadas, qui avaient conduit l'enquête sur des affaires d'abus financiers concernant la banque Snoras. Le 9 mars, le Seimas a d'ailleurs demandé la réintégration de Vitalijus Gailius et Vytautas Girzadas à leurs postes, ce que la loi ne permet pas. Raimundas Palaitis a démissionné le 20 mars.

Par ailleurs, Romas Kalvaitis et Stasys Okunevicius, candidats sur la liste de l'Union de la patrie-Conservateurs (TS-LK), ont été remplacés après que leur collaboration avec le KGB a été rendue publique. Stasys Okunevicius s'est également illustré lors des combats pour l'indépendance de la Lituanie en 1991. Son parti a rappelé que toute personne souhaitant le rejoindre se doit de l'informer de son appartenance au KGB dès son adhésion, "pas 12 ans plus tard". Le Centre de recherche sur le génocide et la résistance a mis en ligne le 6 septembre dernier 628 nouveaux documents sur les activités de la police politique dans la République socialiste soviétique de Lituanie, révélant les noms de 1 500 cadres du KGB. Un tiers des Lituaniens ont été victimes de répression durant la période soviétique.

Les forces politiques en présence

Les partis de l'opposition devraient, selon les enquêtes d'opinion, s'imposer dans les urnes. Les sociaux-démocrates (LSP) se disent "prêts à gouverner". Critiquant la politique d'austérité du gouvernement, ils promettent une hausse des dépenses publiques. Leur leader, Algirdas Butkevicius, a cité la réduction des impôts pour les petites et moyennes entreprises et celle de la TVA sur les légumes et la viande comme les priorités du prochain gouvernement. Il a également affirmé que la prochaine majorité regroupera le Parti social-démocrate, le Parti du travail (DP) du milliardaire d'origine russe Viktor Ouspaskitch et Pour l'ordre et la justice (TT) de l'ancien président de la République Rolandas Paksas.

Le Parti du travail est dirigé par l'ancien ministre (2004-2005) de l'Economie, Viktor Ouspaskitch, un homme aussi charismatique que controversé. Il avait démissionné du gouvernement dirigé par Algirdas Mykolas Brazauskas (LSP) après que la commission d'éthique l'eut accusé d'utiliser ses fonctions pour promouvoir des intérêts particuliers. En mai 2006, il s'était enfui à Moscou après avoir été accusé d'avoir omis de déclarer 8 millions de litas (2,32 millions €) de revenus et 7 millions de litas (2,03 millions €) de dépenses aux services fiscaux. De retour en Lituanie en 2007, Viktor Ouspaskitch a été arrêté puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. Réélu député lors des élections législatives d'octobre 2008, il a bénéficié de l'immunité judiciaire. Celle-ci a été levée mais Viktor Ouspaskitch ayant été élu député européen en juin 2009, il a retrouvé son immunité. Il a promis de réduire le chômage (à 0% en 3 ans) et de démissionner s'il n'y parvenait pas. Il s'est également déclaré partisan d'une plus grande intégration européenne.

La Cour constitutionnelle a statué le 4 septembre dernier sur le cas de Rolandas Paksas. Celui-ci avait été destitué de sa fonction de chef de l'Etat par le Seimas le 6 avril 2004 après avoir été reconnu coupable d'avoir violé la Constitution en accordant illégalement la nationalité lituanienne à Iouri Borisov, homme d'affaires russe et principal financier de sa campagne pour l'élection présidentielle des 22 décembre 2002 et 5 janvier 2003, d'avoir violé les secrets d'Etat en révélant à ce même homme des informations confidentielles et enfin d'avoir favorisé ses amis lors de la privatisation d'une société d'autoroutes. Cependant, la Cour européenne des droits de l'Homme, qu'il avait saisie, avait statué que les mesures prises à son encontre (interdiction à vie de briguer des fonctions impliquant une prestation de serment constitutionnel) étaient inadéquates et contraires à la Convention européenne des droits de l'Homme. L'interdiction à vie a donc été réduite à 4 années et, le 22 mars dernier, le Seimas a adopté un amendement à la loi électorale autorisant Rolandas Paksas à se présenter aux élections. Le 4 septembre, la Cour constitutionnelle a affirmé que seul un amendement constitutionnel pouvait mettre fin à l'interdiction de devenir député. Rolandas Paksas ne peut donc être candidat en octobre. Le programme de son parti promet d'attribuer gratuitement des terres dont l'Etat est propriétaire aux personnes souhaitant les cultiver, de créer des emplois et de réduire l'émigration.

L'Action électorale polonaise (LLRA), représentant la minorité polonaise de Lituanie et dirigée par Waldemar Tomaszewski, s'est fixée pour objectif de parvenir à dépasser le seuil de 5% des suffrages exprimés et de remporter au moins 10 sièges au Seimas de façon à pouvoir former un groupe parlementaire. Le parti a fait alliance avec 2 partis : le Parti du peuple de Kazimiera Prunskiene (dirigé de façon temporaire par son fils Vaidotas Prunskus en raison des graves problèmes de santé dont souffre sa mère) et l'Alliance russe d'Irina Rozova. Les 3 partis, qui feront campagne sur les enjeux économiques, se sont déclarés prêts à gouverner avec le Parti du travail et le Parti social-démocrate (LSP).

Contrairement aux élections législatives de 2008 où le Parti de la résurrection nationale d'Arunas Valinskas avait créé la surprise en arrivant en 2e position lors du 1er tour de scrutin et où le nouveau Parti du travail (DP) de Viktor Ouspaskitch était arrivé en tête du 1er tour des élections législatives de 2004, les partis récemment créés semblent, cette année, susciter peu d'attrait selon les enquêtes d'opinion. Le Parti démocratique du travail et de l'unité de Kristina Brazauskiene, veuve de l'ancien Premier ministre (2001-2006) Algirdas Mykolas Brazauskas ; Union (TAIP) du maire de Vilnius Arturas Zuokas ; la liste Drasos Kelias et la Liste lituanienne conduite par Darius Kuolys, rassembleraient ensemble moins de 10% des suffrages. Les Lituaniens disent déplorer la création de nouveaux partis avant les élections.

Le système politique lituanien

La Lituanie possède un parlement monocaméral, le Seimas, de 141 membres, élus tous les 4 ans selon un mode de scrutin mixte. 71 députés sont désignés au système majoritaire et 70 au scrutin proportionnel. Un parti politique doit recueillir 5% des suffrages exprimés pour être représenté au parlement (7% dans le cas d'une coalition). Dans les circonscriptions où l'on vote au scrutin majoritaire, tout candidat obtenant la majorité absolue des suffrages dès le 1er tour de scrutin, sous condition que la participation atteigne au moins 40%, est déclaré élu. Si la participation est inférieure à 40%, le candidat, ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages (et les voix d'au moins 1/5e des inscrits), est élu. Un 2nd tour est organisé si ces conditions ne sont pas remplies. Tout parti souhaitant participer aux élections législatives doit posséder au minimum 1 000 membres.

10 partis politiques sont représentés dans l'actuel Seimas:

– l'Union de la patrie-Conservateurs (TS-LK), parti libéral dirigé par le Premier ministre sortant Andrius Kubilius, possède 46 sièges ;

– le Parti social-démocrate (LSP), principal parti d'opposition dirigé par Algirdas Butkevicius, compte 24 députés ;

– Pour l'ordre et la justice (TT), parti populiste de droite dirigé par Rolandas Paksas, possède 14 sièges ;

– l'Union libérale-Union du centre (LLC-LSC), dirigée par Gintautas Babravicius, compte 13 députés ;

– le Mouvement libéral (LRLS), fondé en 2006 et conduit par Eligijus Masiulis, membre du gouvernement sortant, possède 12 sièges ;

– le Parti du travail (DP), parti populiste de gauche créé en 2003 par Viktor Ouspaskitch, compte 11 députés ;

– le Parti chrétien (KP), centre-droit, fondé en 2010 par la fusion de l'Union sociale conservatrice chrétienne et du Parti conservateur chrétien, dirigé par Gediminas Vagnorius, possède 8 sièges ;

– l'Action électorale polonaise (LLRA), parti créé en 1994 et dirigé par Waldemar Tomaszewski, compte 3 députés ;

– l'Union paysanne populaire (LVLS), fusion du Parti des paysans (LVP) et du Nouveau Parti démocratique (NDP), dirigé par Ramunas Karbaukis, compte 3 députés.

Le référendum

Le 17 juillet dernier, le Seimas par 62 voix, contre 39 contre et 18 abstentions, a voté en faveur de l'organisation d'un référendum sur la construction d'une nouvelle centrale nucléaire. La fermeture en 2009 de la centrale d'Ignalina, du type (RBMK) de Tchernobyl, en fonction depuis 26 ans et produisant 70% de l'électricité du pays, a entraîné une hausse des tarifs de l'électricité et un accroissement de la dépendance énergétique de la Lituanie vis-à-vis de la Russie (les trois Etats baltes importent 62% de leur électricité, un record dans l'Union européenne). Le projet de la future centrale nucléaire de Visaginas associe la Lettonie à hauteur de 20% et l'Estonie de 22%. La Pologne a également été invitée à participer au projet. La Lituanie y participera à hauteur de 30%. La centrale possèdera une capacité de 1 300 mégawatts et devrait être opérationnelle entre 2020 et 2022. 5 milliards €, soit la plus forte somme jamais engagée dans le pays depuis 1991, seront nécessaires pour la construction réalisée par l'entreprise japonaise Hitachi !

"Approuvez-vous la construction d'une nouvelle centrale en Lituanie ?", telle est la question à laquelle devront répondre les Lituaniens le 14 octobre prochain. ^

Lors des dernières élections législatives de 2008, les Lituaniens avaient déjà été appelés à se prononcer, par référendum, sur la poursuite du fonctionnement de la centrale nucléaire d'Ignalina. A la question: "Approuvez-vous le fait que la centrale d'Ignalina continue à fonctionner jusqu'à ce qu'une nouvelle centrale soit construite ?", 88,59% des électeurs avaient dit "oui" mais la consultation avait été déclarée invalide puisque seulement 48,44% des électeurs s'étaient prononcés alors que la loi électorale impose une participation minimum de 50% + 1 pour qu'un tel vote soit déclaré valide.

Le maire de Vilnius, Arturas Zuokas, souhaitait également qu'un référendum soit organisé le jour des élections législatives sur la réduction du nombre de députés (de 141 à 101), l'extension de la durée du mandat parlementaire (de 4 à 5 ans), la modification de la date du scrutin législatif (de l'automne au printemps) et enfin l'interdiction pour un député de faire plus de deux mandats consécutifs. Il a cependant échoué à obtenir les 300 000 signatures nécessaires pour que ces questions puissent faire l'objet d'une consultation populaire (125 000 signatures seulement ont été recueillies).

Selon la dernière enquête d'opinion publiée par l'institut Spinter Tyrimai, 5 partis politiques devraient passer le seuil des 5% de suffrages et entrer au parlement.

Le Parti social-démocrate recueillerait 16,9% des voix, le Parti du travail 13,3%, Pour l'ordre et la justice 9,4%, l'Union de la patrie-Conservateurs (TS-LK), 7,7% et le Mouvement libéral, 5,2%.

De nombreux analystes estiment que le scrutin pourrait cependant réserver des surprises. Ils rappellent que lors des élections locales du 27 février 2011, l'Union de la patrie-Conservateurs était arrivée, avec 16% des suffrages, contre toute attente en 2e position derrière les sociaux-démocrates (21%).

L'opposition de gauche favorite des élections législatives en Lituanie

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