Éducation et culture
Vladimir Rojanski
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Vladimir Rojanski
La définition progressive d'une politique audiovisuelle dans l'espace européen
C'est de façon progressive que la Communauté s'est dotée d'une politique audiovisuelle ; ni ce secteur ni les questions culturelles n'ont fait l'objet d'un traitement spécifique lors des débuts de la construction européenne. Au fil des ans, les institutions communautaires ont été amenées à s'intéresser aux enjeux de l'audiovisuel du fait de la mise en place du marché intérieur et la Cour de justice a rendu plusieurs arrêts visant à soumettre la diffusion télévisée au droit communautaire [1]. Alors même que le cinéma et l'audiovisuel paraissaient relever exclusivement des compétences nationales et n'avaient jamais figuré en tant que tels sur l'agenda communautaire, la question se posait dès lors de l'application à l'audiovisuel - la télévision en l'occurrence - des principes du marché intérieur.
Dans ce contexte, la Commission proposa un dispositif axé autour de trois éléments, ainsi que le rappelle Jean-Michel Baer [2] : "la reconnaissance de la légitimité des mesures de promotion des œuvres (quotas), la fixation d'un socle de quotas 'européens' obligatoires (qui pouvaient être honorés par des productions nationales), la possibilité pour les Etats qui le souhaitaient d'aller au-delà du socle européen". La négociation de la directive Télévision sans Frontière (TSF), pierre angulaire de la politique audiovisuelle européenne, aboutit en octobre 1989, concluant près de trois ans de négociations entre les partenaires européens. Les Assises européennes de l'audiovisuel, organisées à Paris en 1989 (30 septembre/2 octobre), conduisirent à jeter les bases d'une politique de soutien à l'industrie européenne des programmes [3].
La cohérence de cet ensemble de mesures est certaine, sinon leur efficacité qui fait l'objet de polémiques récurrentes : il s'agit de créer un véritable marché des films et programmes européens, susceptible de favoriser la circulation des œuvres ainsi que leur compétitivité face aux programmes nord-américains en particulier. La politique audiovisuelle européenne apparaît dès le départ comme le résultat d'une confrontation entre une vision libérale portée par les partisans d'une déréglementation du secteur et une approche de nature plus interventionniste soutenue par les partisans d'une politique audiovisuelle volontariste. Le dispositif audiovisuel communautaire, synthèse des divergences entre les Etats membres, reflète ainsi les tensions structurelles caractérisant l'articulation des impératifs découlant du marché intérieur et des exigences attachées à la mise en œuvre de politiques audiovisuelles.
Pour la France, qui allait devenir le principal protagoniste de l'"exception culturelle", dans le contexte des négociations commerciales du cycle de l'Uruguay, l'engagement en faveur d'une politique européenne volontariste s'explique à la fois par l'attention portée à son industrie audiovisuelle et par une tradition d'intervention publique en matière culturelle. En Espagne, dont l'industrie cinématographique connaît depuis le début des années 1990 une phase de croissance, le gouvernement met également en avant une forte ambition culturelle. L'Italie, forte d'une brillante histoire cinématographique, est considérée comme supportant la position française. Certains pays, comme la Belgique ou la Grèce, attachés à défendre des capacités de création menacées par l'ouverture des marchés, se sont alignés sur cette voie. L'Allemagne, plus réticente à l'intervention communautaire en matière culturelle et notamment aux quotas audiovisuels, adopte une position contrastée liée au fait que la culture et l'audiovisuel relèvent de la compétence des Länder. Les pays nordiques, très actifs en matière culturelle sur le plan interne, ne s'en sont pas moins durablement opposés à la mise en place de quotas européens dans le domaine audiovisuel. Le Royaume-Uni n'a pas soutenu l'intervention européenne en matière audiovisuelle soucieux de prendre en compte les liens qui unissent son industrie aux studios hollywoodiens.
L'introduction dans le traité de Maastricht de nouvelles dispositions relatives à la culture a permis de consacrer les mesures de soutien et de régulation de l'audiovisuel. Du fait de l'extension des compétences de l'Union européenne à la culture [4], le traité affirme le rôle de l'Union, chargée de contribuer "à l'épanouissement des cultures des Etats membres" [5]. Conformément au principe de subsidiarité, l'action européenne ne se substitue pas à celle des Etats mais est destinée à la compléter afin d'encourager la coopération culturelle. Ces dispositions ont été complétées par le traité d'Amsterdam, qui introduit une clause culturelle transversale [6] et consacre le service public audiovisuel [7]. La Charte des droits fondamentaux prévoit enfin que "l'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique" [8].
En dépit de ce rééquilibrage favorable aux objectifs culturels, la question de la conciliation des principes du marché intérieur et des politiques audiovisuelles demeure, et l'on peut s'interroger sur l'influence d'une philosophie communautaire libérale sur le secteur audiovisuel. La question du réexamen par la Commission des régimes d'aides publiques nationaux au regard des règles de la concurrence entretient ainsi une certaine défiance de la part des professionnels de l'audiovisuel [9]. Pourtant, malgré ce désamour apparent entre les acteurs communautaires et le monde de l'audiovisuel, l'approche actuelle de la Commission reste mesurée et la prise en compte des objectifs culturels est indéniable.
L'Union européenne, forte de son credo "la culture n'est pas une marchandise comme les autres", a en particulier joué un rôle central dans le processus d'adoption d'une convention internationale sur la diversité culturelle [10], susceptible de préserver la marge de manœuvre des Etats en matière culturelle et audiovisuelle et conçue pour contrebalancer la fragilité du dispositif européen de protection de ces politiques publiques – l'"exception culturelle" – négocié dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
La politique audiovisuelle communautaire : quelles mesures de soutien ?
Une des questions au cœur des divergences entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur le dossier audiovisuel est celle de la nature des biens et services culturels. Cette production culturelle doit-elle être considérée comme semblable aux autres produits ? Une majorité de pays dans le monde ne se range pas sur cette ligne, dans la mesure où ces biens et services sont tout à la fois objets de commerce et vecteurs de valeurs. Les produits culturels véhiculent des valeurs, des idées, du sens, et apparaissent comme "des instruments de communication symbolique qui façonnent l'identité culturelle d'une collectivité et sont essentiels à son fonctionnement démocratique" [11]. Les Etats-Unis, premier exportateur de produits culturels, estiment à l'inverse que le fruit des industries culturelles n'est rien d'autre qu'une offre de divertissement (entertainment) et n'a rien à voir avec la culture. Dès lors, les produits culturels ne sauraient bénéficier d'une quelconque spécificité de traitement et la diversité culturelle n'est pas considérée comme étant menacée.
Parmi les différents secteurs des industries culturelles, l'audiovisuel représente la première activité culturelle en Europe. Le secteur audiovisuel (hors musique et jeux vidéo) représente plus d'un million d'emplois, pour un chiffre d'affaires de 88 milliards d'euro en 2003, dont 81% pour le secteur de la télévision et 19% pour celui du cinéma (y compris la vidéo). Le secteur de la production européenne pèse à lui seul quelques 17 milliards d'euro. Au delà de son impact en matière économique et d'emploi, "le secteur audiovisuel exerce une influence considérable sur les connaissances, les croyances et les sentiments des citoyens ; il joue un rôle crucial dans la transmission, l'évolution et même la construction de l'identité culturelle" [12].
L'action de l'Union européenne en matière audiovisuelle repose pour l'essentiel sur deux piliers : un pilier législatif visant à organiser la circulation des émissions de télévision dans l'espace européen (directive TSF) et un pilier financier consacré au soutien du secteur audiovisuel et conçu pour faciliter la circulation des créations européennes (programme MEDIA) [13]. Ces deux modes d'action, normatif et incitatif, poursuivent les mêmes objectifs que sont la défense des créations cinématographique et audiovisuelle européennes ainsi que la promotion de la circulation de ces œuvres au sein de l'Union comme à l'extérieur.
Directive TSF
La directive TSFSF [14], adoptée le 3 octobre 1989 et entrée en vigueur deux ans plus tard, repose sur un compromis cherchant à concilier libre circulation des programmes et quotas de diffusion. D'un côté, elle organise la libre circulation des images dans la Communauté en harmonisant les réglementations nationales, afin de permettre l'accès des citoyens à une diversité de programmes européens. De l'autre, la directive intègre des aspects de promotion du cinéma européen, au moyen de quotas de diffusion incitant les chaînes à réserver aux œuvres européennes une proportion majoritaire de leur temps de diffusion [15], du moins "chaque fois que cela est réalisable". Par ailleurs, les organismes de radiodiffusion télévisuelle sont tenus de réserver au moins 10% de leurs temps d'antenne ou 10% de leur budget de programmation à des œuvres européennes de producteurs indépendants. Il appartient à la Commission de veiller au respect de ces deux dispositions relatives aux quotas de diffusion et de production [16].
Outre ces aspects de libre circulation des services de radiodiffusion au sein du marché intérieur et de promotion des programmes audiovisuels européens, la directive, véritable socle des réglementations nationales en matière télévisuelle, vise à préserver certains objectifs d'intérêt public en définissant des règles relatives à la diversité culturelle, la publicité, la protection des mineurs, le droit de réponse. Imposant des règles minimales susceptibles d'être rendues plus strictes ou détaillées par les Etats membres, elle se fonde sur le principe du pays d'origine en vertu duquel une chaîne autorisée dans un Etat membre doit pouvoir être librement diffusée dans les autres Etats.
Modifiée une première fois le 30 juin 1997, la directive fait actuellement l'objet d'une procédure de révision sur la base d'une proposition de la Commission du 13 décembre 2005 [17]. Compte tenu des évolutions technologiques [18] et commerciales qui bouleversent le paysage audiovisuel et pour améliorer la compétitivité des entreprises européennes du secteur des médias et des technologies de l'information et de la communication, il est apparu nécessaire de modifier le texte en vigueur et d'élargir son champ d'application aux nouveaux contenus en ligne, dits services non linéaires. La procédure de codécision est en cours, entre le Parlement et le Conseil, la phase de première lecture devant s'achever mi décembre 2006.
La proposition de directive introduit une nouvelle définition du service de média audiovisuel, tenant compte des évolutions technologiques et opérant une distinction entre services linéaires (i.e. la télévision, quel que soit son support de diffusion) et services non linéaires (i.e. à la demande). La proposition répartit les obligations des diffuseurs sur un double niveau : le premier niveau correspond à un socle d'obligations fondamentales qui, ainsi que la directive actuelle le prévoit, devront être respectés par l'ensemble des services de contenu audiovisuel ; les services audiovisuels linéaires seront en plus soumis à des obligations dites de deuxième niveau, semblables à celles qui figurent dans la directive TSF, en matière de quotas et de soutien à la production notamment. La Commission propose par ailleurs d'assouplir certaines règles en matière de publicité.
Programme MEDIA
Deuxième pilier de la politique audiovisuelle européenne, le programme MEDIA vise à soutenir l'industrie cinématographique européenne tout en décloisonnant les marchés nationaux. Il intervient de façon complémentaire avec les systèmes de soutien nationaux. .
Les premières générations du programme, MEDIA I et II, ont respectivement couvert les périodes 1990-1995 et 1996-2000 [19]. En dépit de moyens d'intervention relativement modestes, le bilan de ces mesures a été considéré comme positif et les Etats ont décidé de reconduire l'action européenne. La nouvelle version de MEDIA, programme structuré autour de MEDIA Plus et MEDIA Formation doté de 513 millions d'euro, a couvert la période 2001-2005 et a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2006 [20].
MEDIA Plus constitue un soutien financier ciblé sur des actions de développement, de distribution et de promotion. En matière de développement de projets de production [21], un financement est prévu pour les sociétés de production indépendantes, pour la plupart des PME. Le soutien à la distribution et à la diffusion vise à encourager la circulation des œuvres et des programmes et inclus en particulier une aide à la mise en place d'un réseau de salles actives dans la programmation de films européens. Le troisième volet soutient les actions de promotion permettant l'accès des producteurs et des distributeurs indépendants aux marchés et festivals internationaux. MEDIA Plus prévoit également un soutien à des projets pilotes, liés à l'utilisation des nouvelles technologies.
MEDIA Formation vise pour sa part au renforcement de la formation dans les domaines de l'écriture, de la gestion financière et commerciale, et des nouvelles technologies. Cet aspect du programme a pour objet d'apporter aux professionnels de l'audiovisuel les compétences nécessaires pour leur permettre de bénéficier de la dimension européenne du marché et de l'utilisation des nouvelles technologies.
Le programme MEDIA Plus arrivant à échéance fin 2006, une proposition adoptée par la Commission en juillet 2004 prévoit un nouveau programme de soutien. MEDIA 2007, conçu comme un programme unique regroupant les deux volets existants (i.e. le volet concernant le développement, la distribution et la promotion, et celui relatif à la formation), débutera en 2007 et s'achèvera en 2013. Les objectifs poursuivis sont la préservation et la mise en valeur de la diversité culturelle et du patrimoine audiovisuel européens, l'accroissement de la circulation des œuvres audiovisuelles, le renforcement de la compétitivité de l'audiovisuel européen dans le cadre d'un marché ouvert et concurrentiel. La Commission a proposé une enveloppe budgétaire de 1055 millions d'euro [22]. Le Conseil et le Parlement ont décidé de doter le programme d'un montant d'environ 755 millions d'euro [23].
La politique audiovisuelle communautaire : quel bilan ?
L'Union européenne a su exercer une influence positive, aussi bien en termes d'encadrement que de développement de son secteur audiovisuel : la directive TSF définit les conditions d'existence d'un espace audiovisuel européen dynamique, tout en contribuant, conjointement avec MEDIA, au renforcement des industries européennes de production de contenus. Mais le bilan de la politique audiovisuelle européenne apparaît contrasté, ainsi qu'en attestent la faible circulation des œuvres au sein de l'Union, ainsi que le déficit persistant et considérable du cinéma européen par rapport au cinéma nord-américain, de l'ordre de huit milliards d'euro par an.
Pendant plus de quinze ans, la directive TSF a été l'instrument de référence en matière de règlementation de la télévision en Europe, contribuant à la diversité et à la croissance de ce secteur [24], tout en parvenant à réconcilier objectifs culturels et économiques. L'ère du numérique et de la convergence, ainsi que l'apparition des nouveaux services de médias audiovisuels ont cependant fait resurgir un besoin urgent de redéfinir le cadre règlementaire européen. La nouvelle directive proposée, renommée "Services de médias audiovisuels", reflète la nécessité d'étendre le champ d'application de la réglementation en vigueur à l'ensemble des services de contenu audiovisuel, indépendamment de la technologie ou de la plateforme de distribution utilisée.
La dernière Communication de la Commission européenne sur l'application de la directive TSF [25] dresse un bilan satisfaisant de la diffusion des programmes européens par les télévisions : la programmation des oeuvres européennes représente en moyenne deux tiers du temps total de diffusion, et la diffusion des œuvres de producteurs indépendants sur les chaînes européennes un tiers de ce temps.
Il est important de relativiser la dimension protectionniste de la directive qui se traduit par le mécanisme des quotas de diffusion, en particulier du fait de la clause "chaque fois que cela est réalisable" qui a pour objet de ménager pour les Etats et les chaînes une certaine flexibilité dans la mise en œuvre de ces quotas. L'efficacité du système de quotas doit par ailleurs être nuancée dans la mesure où la définition retenue par la directive conduit à calculer la proportion d'œuvres européennes au regard d'une plage de diffusion incluant non seulement les programmes dits de "stock" (films, téléfilms, séries, documentaires, animations) mais également certains programmes dits de "flux" (talk-shows). Il en ressort que la programmation reste essentiellement tournée vers une expression nationale, avec une moyenne de programmes européens non nationaux de l'ordre de 11% [26].
L'évaluation des programmes MEDIA [27] met en lumière la contribution positive de ces actions en ce qui concerne le développement de l'industrie audiovisuelle européenne depuis le début des années 1990. Si la pertinence du programme est avérée et sa valeur ajoutée européenne indéniable, l'efficacité de MEDIA n'en reste pas moins proportionnelle à son enveloppe financière, bien souvent jugée insuffisante.
Les générations successives du programme communautaire ont contribué à dynamiser la production cinématographique du continent européen [28] et ont permis de faciliter la circulation des œuvres européennes. L'amélioration de la circulation intra et extra européenne des œuvres demeure néanmoins une priorité essentielle, et soulève la question de la nature même de la production européenne : peut-on parler de cinéma européen, ou plutôt de simple addition de cinémas nationaux ? Une meilleure circulation des films et oeuvres audiovisuelles constitue un enjeu de premier ordre pour l'Europe, en participant autant au dialogue interculturel qu'à la définition d'un sentiment d'appartenance à un espace de valeurs partagées.
Le programme MEDIA, et particulièrement son volet formation, a également été bénéfique à l'emploi et aux PME dans le secteur audiovisuel européen. Il a permis de favoriser l'émergence et la structuration des marchés des nouveaux Etats membres. En soutenant l'adaptation aux évolutions technologiques, le programme communautaire a facilité les mutations inhérentes à la révolution numérique.
La modestie des fonds alloués au programme MEDIA rend cependant difficile l'inversion d'une tendance qui au cours des dernières années n'a fait que s'aggraver : le déficit commercial entre l'Europe et les Etats-Unis en matière audiovisuelle est passé de 4,5 à près de 8 milliards d'euro en dix ans [29]. En dépit des efforts de la Commission européenne qui cherche à remédier à la faible compétitivité du cinéma européen et à améliorer la distribution et les résultats commerciaux des films européens en dehors du continent, et malgré des succès ponctuels, les parts de marché des films européens en dehors de l'Union européenne restent très faibles. Le cinéma européen représente moins de 2% de la diffusion cinématographique aux Etats-Unis, alors qu'à l'inverse le cinéma américain occupe en moyenne 70% du marché européen [30]. Certains professionnels de l'audiovisuel vont jusqu'à présenter le marché européen comme "un élément intégré de l'économie audiovisuelle américaine" [31] : à défaut d'une industrie européenne forte, l'espace audiovisuel européen semble être mieux exploité par les producteurs américains que par les Européens eux-mêmes.
L'action communautaire en matière audiovisuelle illustre une prise de conscience et une certaine mobilisation européenne autour des enjeux de l'audiovisuel. Selon les plus fervents partisans d'une démarche volontariste, la politique de l'Union européenne, indépendamment de ses mérites, demeure "embryonnaire, velléitaire, privée d'objectifs larges et clairs et de moyens budgétaires significatifs" [32] : un cadre réglementaire trop peu contraignant pour favoriser une véritable diversité des oeuvres, un programme de soutien dont le budget – par an, moins d'1/1000e du budget communautaire – ne peut qu'en limiter les effets, des effets structurants en termes de circulation des films et programmes qui tardent à se manifester.
Enjeux et perspectives de l'action européenne
Quels sont les enjeux liés aux industries de l'image et de l'imaginaire, et quelles sont les perspectives prochaines pour la politique audiovisuelle en Europe ? Dans un contexte de mondialisation marqué par une prédominance certaine de la production culturelle nord-américaine, l'objectif de diversité culturelle demeure l'un des axes fondateurs de la politique européenne. Sa mise en œuvre passe par un soutien public aux secteurs culturel et audiovisuel et par une régulation adaptée aux spécificités de ces activités, alors même que se développent les nouveaux services et les nouveaux modes de diffusion.ion.
Le paysage audiovisuel européen peut être divisé en trois groupes de pays distincts : les cinq grands pays que sont la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie ; les pays à faible capacité de production et/ou aire linguistique et géographique restreinte ; les nouveaux Etats membres. Au-delà des différences entre les marchés nationaux, les industries européennes de l'audiovisuel opèrent dans un contexte comparable et le marché européen de l'audiovisuel présente un ensemble de caractéristiques qui lui sont propres.
L'audiovisuel européen, marqué par la coexistence d'un secteur public fort et d'un secteur privé dynamique (en dépit d'une crise du financement du cinéma par les chaînes de télévision), se caractérise par une double fragmentation : fragmentation en groupes de dimension encore essentiellement nationale, même si les sociétés européennes participent au mouvement d'internationalisation et de concentration associant à l'audiovisuel les secteurs de l'informatique et des télécommunications ; fragmentation en micro entreprises, souvent regroupées en réseaux de producteurs, de distributeurs et d'exploitants indépendants.
Le rôle de l'Union est ainsi à la fois d'accompagner l'évolution du contexte dans lequel les groupes européens conduisent leurs activités afin d'en améliorer la compétitivité et de permettre l'émergence de champions européens, tout en créant un environnement adapté aux PME et en soutenant les réseaux de production et de distribution, gages de diversité et de renouvellement créatif. Compte tenu de la fragmentation du marché intérieur de l'audiovisuel, l'intervention communautaire est nécessaire pour permettre aux professionnels du secteur de profiter pleinement des potentialités du marché européen. Dans ce contexte, quatre enjeux essentiels se dégagent.
Il est en premier lieu impératif pour l'Union européenne et ses Etats membres de préserver leur marge de manœuvre dans les secteurs culturel et audiovisuel : cette "exception culturelle" négociée dans le cadre commercial international (OMC/AGCS) constitue le volet externe de la politique audiovisuelle européenne.
Un deuxième enjeu concerne la modernisation du cadre européen de régulation des services audiovisuels et la mise en place d'un véritable marché audiovisuel européen. Compte tenu de la nature très évolutive de l'environnement dans lequel opèrent les professionnels de l'audiovisuel, la redéfinition du cadre réglementaire constitue une étape déterminante pour assurer la compétitivité des entreprises européennes dans le domaine des médias et des technologies de l'information et de la communication.
Un troisième enjeu est celui du renforcement du soutien européen au secteur de l'audiovisuel : il s'agit d'adapter les systèmes de soutien à la nouvelle donne mondiale (diversité culturelle, ère numérique), d'améliorer la circulation transnationale des programmes européens en intensifiant le soutien à la distribution et la promotion des films, de renforcer les actions communes en faveur de la promotion du cinéma européen, etc.
L'informatique et les communications numériques, enfin, sont en train de révolutionner les modes de diffusion des programmes audiovisuels. La numérisation ne se traduit pas seulement par la multiplication des informations et/ou des contenus audiovisuels, mais permet également à de nouveaux opérateurs de participer à la production et à la distribution de ces informations [33]. S'il est difficile de nier les potentialités du développement du numérique pour la culture et l'audiovisuel, l'incertitude règne cependant quant aux futurs modèles en matière de pratiques commerciales et le risque est bien celui d'une instrumentalisation idéologique de ces évolutions. Il appartient donc à l'Union européenne d'adopter une posture de vigilance critique dans la mesure où "il n'est pas certain que l'expansion plus générale des marchés de la société de l'information joue dans le sens d'un meilleur équilibre" [34]. L'enjeu attaché à l'impact des nouvelles technologies sur la diversité culturelle est bien de savoir si celles-ci vont aggraver l'asymétrie des échanges culturels ou, au contraire, sont susceptibles de la ramener à un niveau politiquement et culturellement acceptable.
Les autorités publiques ont clairement un rôle à jouer aux côtés d'un marché qui ne peut garantir à lui seul un développement optimal. L'Union européenne et ses Etats membres doivent ainsi être en mesure - et en faire le choix politique - de renforcer un cadre et des modalités d'intervention permettant le développement de l'industrie audiovisuelle européenne. Le défi à relever par l'Union est double : il s'agit à la fois d'éliminer les obstacles qui empêchent les oeuvres audiovisuelles européennes de circuler en dehors de leurs territoires d'origine, tout en surmontant la fragmentation des marchés.
La définition d'un véritable espace cinématographique européen et une circulation accrue des programmes européens au sein de l'Union apparaissent comme des facteurs clés à une meilleure compréhension entre Européens, particulièrement dans le contexte d'un espace commun en expansion. Il s'agit moins de défendre un hypothétique cinéma européen que de promouvoir la diversité des cinémas d'Europe : l'audiovisuel peut favoriser l'émergence d'une conscience européenne et renforcer la cohésion à l'échelle du continent. C'est en ce sens que "l'Europe a plus besoin de son cinéma que le cinéma de l'Europe" [35] : une meilleure circulation des films et oeuvres audiovisuelles est gage de connaissance et de reconnaissance des cultures européennes et constitue une des clés du dialogue interculturel.
Au-delà de l'espace européen, l'expression audiovisuelle représente un instrument d'influence et d'indépendance et la constitution d'un vaste marché audiovisuel européen, compte tenu des enjeux culturels, politiques et économiques propres à ce secteur, revêt une importance toute particulière pour l'avenir de l'Union et sa capacité de rayonnement sur la scène mondiale.
[1] La Cour, dans le cadre d'affaires impliquant divers opérateurs et mettant en cause des réglementations nationales, a défini la diffusion télévisée comme une prestation de service, couverte de ce fait par les règles du traité (arrêt Sacchi, 30 avril 1974) ; la CJCE s'est par la suite prononcée sur la compatibilité du monopole de diffusion des chaînes publiques au regard de ces mêmes règles (arrêt Debauve, 18 mars 1980).
[2] Jean-Michel Baer : L'exception culturelle, une règle en quête de contenu, En Temps Réels, oct. 2003.
[3] Ce soutien allait se concrétiser par la mise en place du programme MEDIA - Mesures pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle - lancé à titre expérimental en 1989 et confirmé en 1991.
[4] La compétence de l'UE est prévue dans un nouveau chapitre relatif à la culture (titre XII, art. 151 CE).
[5] Article 3q CE.
[6] Article 151.4 CE : "la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action (…) afin notamment de respecter et promouvoir la diversité de ses cultures".
[7] Protocole additionnel au traité d'Amsterdam : "considérant que le système de l'audiovisuel public dans les Etats membres est directement lié aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de toute société et au besoin de préserver le pluralisme des médias", les partenaires européens se sont entendus sur le fait que chaque Etat dispose de la compétence de décider du mode de financement de l'audiovisuel public, sous certaines conditions.
[8] Article 22 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne.
[9] Cf. par ex. David Kessler (actuel directeur de France culture et ancien directeur du CNC), selon qui ces dernières années, "l'Europe a été ressentie par les créateurs non pas comme le lieu d'un espoir, d'un mouvement commun, mais comme une menace pour les systèmes d'aides nationaux qui ont permis l'élaboration de politiques assurant le maintien d'un tissu national de création, de production".
[10] La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été adoptée le 20 octobre 2005, lors de la 33ème session de la Conférence générale de l'UNESCO, par 148 États (seuls 2 États ont voté contre et 4 se sont abstenus) à l'issue de 2 ans de négociations.
[11] Ivan Bernier, Dave Atkinson, Commerce international et diversité culturelle : la recherche d'un difficile équilibre, Centre canadien pour le développement de la politique étrangère, 2000.
[12] Communication de la Commission, La citoyenneté en action: favoriser la culture et la diversité européennes par les programmes en matière de jeunesse, de culture, d'audiovisuel et de participation civique, COM/2004/0154 final.
[13] Au-delà de l'action communautaire, une action paneuropéenne est menée par le Conseil de l'Europe (cf. la Convention sur la télévision transfrontière, le Fonds Eurimages, ou encore la formation d'Eureka audiovisuel).
[14] Directive du Conseil du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (89/552/CEE), modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997.
[15] Directive TSF, art. 4 : "(…) à l'exclusion du temps consacré aux informations, à des manifestations sportives, à des jeux, à la publicité et aux services de télétexte".
[16] À cette fin, les États membres sont chargés de communiquer à la Commission, tous les deux ans, un rapport comportant notamment un relevé statistique de la réalisation des proportions visées aux articles 4 et 5.
[17] La directive TSF fait l'objet d'un processus de révision depuis juin 2001. La Commission a adopté le 15 décembre 2003 une communication sur L'avenir de la politique de réglementation européenne dans le domaine de l'audiovisuel, suite à laquelle des groupes de réflexion ont été constitués pour discuter de certains thèmes de la directive, entre octobre 2004 et mai 2005. Les premières orientations retenues par la Commission ont été présentées les 30 et 31 mai 2005 lors d'un séminaire organisé par la présidence luxembourgeoise de l'Union, puis résumées dans six documents de synthèse publiés par la Commission le 12 juillet 2005. Ces documents ont servi de base à la préparation d'une conférence co-organisée avec la présidence britannique de l'Union, à Liverpool en septembre 2005.
[18] La convergence des technologies entre l'audiovisuel et les télécommunications, le passage des systèmes de radiodiffusion analogique au numérique, ont profondément modifié le mode de diffusion des programmes, avec le développement de la télévision sur Internet, des programmes à la demande, de la vidéo en ligne…
[19] MEDIA I comportait 19 programmes pour 200 millions d'écus ; MEDIA II, doté de 310 millions d'écus pour couvrir l'UE, a été recentré sur les trois secteurs de la formation, du développement et de la distribution, subdivisés en plusieurs possibilités d'aides sous forme de subventions ou d'avances.
[20] En vertu d'une décision du Conseil du 26 avril 2004, le budget de MEDIA Plus a été porté à 453,6 millions d'euro et celui de MEDIA Formation à 59,4 millions d'euro, pour tenir compte de cette année supplémentaire ainsi que de l'incidence de l'élargissement. Le budget initial de 400 millions était ventilé entre MEDIA Plus - 350 millions pour le développement, la distribution et la promotion - et MEDIA Formation - 50 millions.
[21] Le développement concerne l'ensemble des étapes initiales des projets cinématographiques et audiovisuels : écriture, recherche de partenaires, élaboration d'un plan de financement ou de marketing, etc.
[22] Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil du 14 juillet 2004 portant sur la mise en œuvre d'un programme de soutien au secteur audiovisuel européen (MEDIA 2007). COM(2004) 470 final.
[23] Décision n° 1718/2006/CE du Parlement Européen et du Conseil du 15 novembre 2006 portant sur la mise en œuvre d'un programme de soutien au secteur audiovisuel européen (MEDIA 2007).
[24] On dénombre aujourd'hui en Europe 1100 chaînes nationales ou transnationales et 1900 chaînes régionales ou locales, contre une centaine en 1990.
[25] Septième communication relative à l'application des articles 4 et 5 de la directive 89/552/CEE TSF, telle que modifiée par la directive 97/36/CE, pour la période 2003-2004 ; COM(2006) 459 final, du 14 août 2006.
[26] Les Etats membres peuvent toutefois introduire à l'échelon national des règles plus strictes et détaillées : en France, les quotas de diffusion sont ainsi fixés à un niveau plus élevé (60% pour les œuvres européennes, 40% pour les "œuvres d'expression originale française"), portent spécifiquement sur les films, téléfilms, documentaires de création et programmes d'animation, et doivent de surcroît être spécialement respectés aux heures de grande écoute.
[27] Cf. par ex. l'évaluation à mi-parcours des programmes MEDIA Plus et MEDIA Formation menée à la demande de la DG Education et Culture de la Commission Européenne par la société APRIL (novembre 2003).
[28] L'Union produit actuellement autant de films que les Etats-Unis, soit environ 700 par an. Lors du Festival de Cannes en mai 2006, la sélection finale comprenait 17 films européens qui ont tous bénéficié d'un financement dans le cadre du programme MEDIA.
[29] De 1994 à 2004, selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel.
[30] Selon Frédéric Sojcher, en 2005, la part américaine sur les écrans européens (salles, télévisions, vidéo) varie selon les pays, de 30% à 90%.
[31] Cf. Yvon Thiec, délégué général d'Eurocinéma.
[32] Jean-claude Batz, L'audiovisuel européen, un enjeu de civilisation, dans le cadre du Forum du Cinéma européen de Strasbourg (9-13 novembre 2001).
[33] La Commission a spécifié ses priorités pour les 5 années à venir dans une communication de décembre 1999 intitulée Principes et lignes directrices de la politique audiovisuelle à l'ère numérique : elle y expose les différents principes sur lesquels doit se baser la réglementation du contenu audiovisuel, notamment le principe de proportionnalité, le principe de la séparation de la réglementation du transport et du contenu, les objectifs relevant de l'intérêt général et de la reconnaissance du rôle des services publics.
[34] Laurent Burin des Roziers, Du cinéma au multimédia, une brève histoire de l'exception culturelle, IFRI, 1998.
[35] Wim Wenders, réalisateur.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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Liberté, sécurité, justice
Jean Mafart
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14 avril 2025

La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
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