Relations entre la Russie et l'Union européenne : hier, aujourd'hui, demain [1]

Multilatéralisme

Mark Entin

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15 octobre 2007

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Entin Mark

Mark Entin

Docteur en droit, professeur et directeur de l'Institut européen de Moscou.

Relations entre la Russie et l'Union européenne : hier, aujourd'hui, demain [1]

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Introduction

Les relations entre la Russie et l'Union européenne sont à la croisée des chemins. Elles n'ont jamais été stables. Il y a toujours eu des hauts et des bas. Des périodes de déception faisaient suite à des moments d'attente et d'espoir. Actuellement, les relations accumulent de nombreux problèmes, dont le poids atteint un seuil critique. La situation est aggravée par l'intérêt que portent plusieurs forces politiques aux difficultés de coopération entre Moscou et Bruxelles. De nombreuses personnes essaient d'en tirer profit. Ainsi, les difficultés subies deviennent de plus en plus souvent l'objet de spéculations politiques. Des préjugés, des clichés et des stéréotypes solides se sont ancrés dans la conscience commune, empêchant d'avoir une image impartiale de la Russie et de l'Union européenne. Cette distorsion de la réalité commence à se traduire dans les pratiques politiques qui ont fait naître un cercle vicieux. Pour rompre ce cercle, de grands efforts sont nécessaires. Nous avons besoin d'une volonté politique, d'une vision stratégique de l'avenir, d'une compréhension des liens entre la Russie et l'Union européenne. Nous devons comprendre dans quelle mesure ces deux entités sont inséparables et ont des intérêts réciproques. Pour le moment, toutes ces conditions ne sont malheureusement pas réunies. Ce cercle vicieux doit être rompu. Cela est nécessaire pour les deux parties. Les relations actuelles sont fondées sur un partenariat stratégique, et seule la perspective lointaine de relations d'alliés entre Moscou et Bruxelles est capable d'assurer la sécurité, la stabilité, la prospérité et la compétitivité sur tout le continent. Tous les autres scénarios sont lourds de conséquences, tant pour la Russie que pour l'Union européenne. Leur coût est considérable. Il est tellement élevé qu'il commence à être prohibitif. Un travail long et méticuleux de reconstruction des relations entre la Russie et l'Union européenne et l'élaboration d'une nouvelle base juridique appropriée tenant compte de cette réalité sont à mettre en oeuvre.

Appartenance à la même civilisation et leçons de l'histoire

Assommées par une multitude d'informations répétitives, embrouillées par des interventions qui n'expliquent rien et par des leaders d'opinion dont les points de vue sont reproduits dans des millions de journaux, les populations russes et européennes oublient les éléments fondamentaux. La langue russe est, en grande partie, dérivée de l'allemand, du français, de l'anglais et d'autres langues dont les origines remontent au patrimoine commun de l'Empire romain, composé de son art, de son droit, de ses traditions et représentations. La langue russe a offert plusieurs images, mots et notions aux autres langues. Durant des siècles, nos peuples vivaient les uns à côté des autres, en faisant face, ensemble ou séparément, aux maux communs que constituaient les pandémies, les invasions, les cataclysmes naturels, en partageant les victoires et de grandes réalisations. Les destins historiques des Russes et des Européens se sont étroitement mêlés, de manière complexe. La culture qui s'est créée les a enrichis en rendant inséparables les composantes spirituelle, morale, humanitaire et civilisationnelle. Plusieurs écrivains, poètes, peintres, compositeurs, architectes ou savants sont considérés de fait comme Européens et constituent la gloire de la civilisation européenne. Il suffi t d'en nommer quelques noms : Tchekhov, Dostoïevski, Soljenitsyne, Tolstoï, Tchaïkovski, Rachmaninov, Stravinski, Kandinsky, Brodsky, Pasternak, Eisenstein, Tarkovski, Oulanova, Plissetskaïa, Oïstrakh, Rostropovitch, Lobatchevski, Gagarine. Parallèlement, la culture russe est inconcevable en l'absence de centaines de noms offerts au monde par les Français, les Allemands, les Espagnols et d'autres peuples européens et que les Russes ont fait leurs : de Cervantès, Shakespeare et Goethe jusqu'aux postmodernistes contemporains. À la fi n du premier millénaire après J.-C., la Russie kiévienne a partiellement absorbé la civilisation byzantine. Quelques siècles plus tard, c'est l'État moscovite qui s'est emparé des attributs russes, tombés des mains de l'Empire qui s'affaiblissait, et qui est devenu formellement son successeur, le continuateur de ses traditions religieuse et politique. Au début du Moyen-Âge, la Russie kiévienne a généreusement partagé avec ses alliés européens ses connaissances et sa puissance. L'histoire raconte qu'une princesse russe, qui avait accédé au trône français, a introduit la tradition de patronner les arts et l'instruction. N'étant pas seulement instruite mais savante, elle avait construit des monastères et ouvert des écoles et des bibliothèques pendant que son conjoint faisait la guerre et s'occupait d'affaires d'État plus masculines. La Russie a accepté l'invasion des Tatars. Ayant protégé l'Europe centrale et occidentale, elle leur a donné une possibilité, dont elle était privée, d'avancer, de se développer rapidement et librement. Quelques siècles plus tard, ils lui ont rendu au centuple, en partageant généreusement avec la Russie les fruits de la Renaissance et des Lumières. Des chefs d'oeuvre de l'architecture russe ont été créés par des maîtres français et italiens. L'Académie des sciences de Russie a été fondée par des Allemands. Après les réformes de Pierre le Grand, ses campagnes militaires et le déplacement de la capitale à Saint-Pétersbourg, la Russie est devenue l'un des principaux acteurs européens. Plusieurs faits témoignent de son influence et de sa "banalité". Voyant avec circonspection le déploiement de la flotte russe, la Grande-Bretagne n'a pas envoyé son corps expéditionnaire pour rétablir l'ordre dans sa colonie d'outre-Atlantique, en révolte, entrée dans l'histoire sous le nom d'États-Unis d'Amérique. Pendant la Révolution française, 300 000 Français ont trouvé refuge en Russie et y ont commencé une nouvelle vie. Avant les guerres napoléoniennes, mais aussi après sa défaite et la création de la Sainte-Alliance, dont elle constitue l'un des principaux pays, la Russie participe activement au concert européen. La cour des tsars établit de multiples liens parentaux avec des familles régnantes d'Europe. Un peu plus tard, la France, la Grande-Bretagne et la Russie sont unies au sein de l'Entente cordiale et combattent dans le même camp pendant la Première Guerre mondiale jusqu'en 1917. De la même manière, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Russie s'est trouvée dans le même camp que tous les peuples démocratiques libérés. Elle a souffert de la majorité des pertes humaines qui ont été nécessaires pour la victoire de la coalition antinazie. Et maintenant que les années du totalitarisme et de la Guerre froide sont derrière elle, la Russie lutte aux côtés d'autres pays contre le terrorisme. La leçon à tirer est assez évidente. La Russie et l'Union européenne ne sont pas seulement des voisins géographiques. Ils font partie de la famille des peuples européens. Ils ont les mêmes racines, une culture et une vision du monde communes, un passé et un futur communs. Ils ont besoin d'être ensemble. Et il est important qu'ils soient de connivence. Quand ils s'opposent, ils se condamnent eux-mêmes, ainsi que tous les autres pays, aux malheurs et aux privations. Quand ils unissent leurs ressources et leurs forces, ils sont capables de surmonter toutes les infortunes. On le voit à travers le prisme de l'histoire, mais cela vaut aussi à l'heure actuelle. Quels que soient les problèmes, il est plus facile de les résoudre quand les deux parties agissent de concert.

Prémices objectives du rapprochement

Moscou et Bruxelles s'accordent sur de nombreux éléments concernant le système contemporain des relations internationales, ainsi que sur les méthodes et les moyens de les gérer. Elles sont favorables au renforcement du rôle de l'ONU, considérée comme le principal garant du maintien de la paix et de la sécurité. Les deux parties estiment que l'instrument essentiel des relations internationales est le droit et non la force. Elles sont d'avis qu'il n'y a pas d'alternative au droit, que tous les centres de puissance doivent contribuer à la gestion des transformations mondiales et que les actions unilatérales sont inadmissibles. Cette affinité crée de bonnes bases pour la coordination de positions communes, la défense d'intérêts et la réalisation d'actions communes. Moscou et Bruxelles ont intérêt à conjuguer leurs efforts pour résoudre les multiples problèmes mondiaux. Tout d'abord, elles doivent empêcher la prolifération des armes de destruction massive et des technologies pour la construction de roquettes. La Russie et certains pays européens font partie du club nucléaire. Ils maîtrisent les technologies de conquête de l'espace. Ils déterminent l'évolution future de ce domaine. Le régime de la non-prolifération dépend des efforts conjoints de la Russie et de l'Union européenne. Le sommet UE-Russie de Samara (17-18 mai 2007) peut à ce titre constituer un exemple. Les médias internationaux parlent sans cesse des divergences euro-russes sur le dossier iranien. En réalité, il en va autrement. Les leaders russe et européens ont demandé au haut représentant européen pour la politique étrangère, Javier Solana, de parler en leur nom lors des négociations sur l'Iran qui ont eu lieu après le sommet. Les positions de la Russie et de l'Union européenne sont également proches sur les questions du changement climatique, de la lutte contre la pauvreté et de l'aide au développement. Après la signature du protocole de Kyoto, Bruxelles a lancé une vaste campagne dans le monde entier, faisant du lobbying pour accélérer sa ratification et son entrée en vigueur. Cependant, parmi les plus grands centres industriels émettant du CO2, au nombre desquels on compte les États-Unis et la Chine, seule la Russie a soutenu l'Union européenne. Actuellement, la Russie est en train de devenir l'un des marchés les plus porteurs en matière d'échange de quotas d'émission de CO2. Il ne fait aucun doute que l'Union européenne est la principale pourvoyeuse d'aides au développement, elle octroie d'importantes sommes qui dépassent de loin celles de la Russie. Toutefois, il ne faut pas oublier le nombre de sites industriels que la Russie avait construit dans les pays en voie de développement, ni sa contribution à la formation des cadres de ces pays. Ces dernières années, grâce à son rebond économique, elle a également effacé les dettes de ces pays dont les montants s'élevaient à des dizaines de milliards d'euro. Les approches de Moscou et de Bruxelles concernant l'aide au développement impliquent qu'il ne suffi t pas de fournir des aides financières et humanitaires, mais qu'il faut aussi contribuer au développement interne de ces pays et construire un système de relations économiques internationales plus équitable. Sans une étroite coopération entre la Russie et l'Union européenne, il paraît difficile de conjurer et de régler les conflits internationaux. La Guerre froide est fi nie. Cependant, sa fi n n'a pas permis aux puissances mondiales de bénéficier de ses opportunités. Le monde n'est pas devenu plus stable en termes de sécurité. De nouveaux conflits dévastateurs se sont ajoutés aux conflits du passé. Certains conflits ont montré qu'ils n'étaient que gelés. D'autres continuent à surgir sur la planète et leur "explosion" n'est plus qu'une question de temps. Le maintien de la paix et de la sécurité internationale est, sans doute, plus délicat que jamais. Des dizaines d'États sont instables, de l'Asie jusqu'à l'Amérique latine en passant par l'Afrique comme, par exemple, le conflit autour de Taiwan, la partition de la péninsule coréenne, les conflits au Pakistan, en Afghanistan, en Asie centrale, l'occupation de l'Irak, la question kurde, les frappes préventives contre l'Iran, la situation au Liban, en Palestine, en Somalie, au Darfour, dans la région des Grands Lacs africains, au Nord-Sahara, ou les rébellions dans certains pays latino-américains. Les guerres civiles, interétatiques et interethniques, tuent des milliers de personnes, engendrent des flux de réfugiés et sapent les fondements du développement. Elles sont affreuses en soi, d'autant plus qu'elles constituent une menace permanente pour la paix et la stabilité intérieure des pays. Une coopération plus étroite entre la Russie et l'Union européenne constitue donc un impératif international. Il est à noter qu'au sein de l'Union européenne et de la Russie, tout n'est pas parfait. La pauvreté, le chômage, l'isolement social touchent différentes catégories sociales et régions, nourrissent des protestations et engendrent un radicalisme extrémiste ou nationaliste. L'immigration clandestine et massive augmente les tensions dans nos sociétés, engendre des phobies diverses et variées, l'aversion et l'intolérance. Tout cela se passe parallèlement à la lutte contre le crime organisé, les réseaux terroristes, le trafic de personnes, de drogue, le blanchiment d'argent, les abus de bien social et la dégradation morale. Pour l'instant, cette lutte est loin d'être gagnée. Le nombre de personnes droguées augmente. Le crime organisé devient plus mobile et convoite de nouveaux domaines. De plus en plus de ressources financières sont accordées pour combattre le terrorisme. Or, elles auraient pu être utilisées à des fi ns civiles. Les moyens nationaux pour faire face à ces tendances néfastes sont insuffisants. La coopération traditionnelle entre les services de sécurité ne suffi t plus. Pour faire face à ces tendances, la Russie et l'Union européenne doivent aller au-delà de la simple coopération, car le crime organisé, le terrorisme, le trafic de drogues et le blanchiment d'argent ne connaissent pas les frontières. De la même manière, la Russie et l'Union européenne ont objectivement intérêt à coopérer sur le plan économique. Les industries et les services européens bénéficieraient beaucoup d'un marché unique transcontinental. Celui-ci augmenterait l'efficacité des activités économiques, permettrait aux participants de bénéficier davantage de la production de masse, de la division du travail et de la croissance de la capitalisation. Cela serait aussi avantageux pour les Russes que pour les Européens. Au sein de l'Union, il existe un marché unique. Le marché russe est plus petit. Cependant, il augmente rapidement grâce à l'arrivée de pétrodollars. Le taux de croissance est plus élevé en Russie que dans l'Union. Le citoyen profiterait de l'intégration économique dans la mesure où il pourrait planifier sa vie à l'échelle du continent. Il est important de pouvoir choisir le lieu de ses études, ainsi que sa carrière professionnelle. Outre une liberté économique plus grande, cette intégration permettra à un grand nombre de personnes d'accéder à la prospérité et à une meilleure qualité de vie. Pour l'Union européenne et la Russie, c'est une stratégie "gagnant-gagnant". Leurs économies sont complémentaires. La Russie abonde en matières premières, vitales pour le fonctionnement d'une économie. L'Union européenne peut offrir tout ce dont la Russie a besoin pour moderniser son système économique et diversifier ses branches (minimisation des risques, investissements, technologies de pointe, infrastructures, chaînes de production). Il serait souhaitable que la Russie et l'Union européenne s'engagent dans des projets communs dans les domaines de la science, de l'industrie et des infrastructures. Il ne s'agit pas uniquement de projets qui garantiraient pour plusieurs décennies la sécurité énergétique de l'Union – comme, par exemple, l'exploitation commune des gisements pétrolifères de Stokhman et Kovyktinski ou la mise en place d'oléoducs –, mais aussi de projets de pointe dans les domaines de l'espace, des nanotechnologies, de l'aviation, du nucléaire, de la pétrochimie. La concurrence accrue sur les marchés nationaux et mondiaux comme, par exemple, l'émergence de nouveaux États industriels, à commencer par les "jeunes tigres" de l'Asie du Sud-Est, pousse inévitablement la Russie et l'Union européenne vers une intégration économique. S'ils unissent leurs efforts et leurs ressources, Moscou et Bruxelles pourront non seulement préserver les modèles de développement auxquels elles sont attachées, mais aussi relever ces nouveaux défis. Ainsi, tout concourt à ce que la Russie et l'Union européenne accélèrent leur rapprochement. Actuellement, ce n'est pas le cas. Les relations de partenariat, voire le partenariat stratégique, n'existent que sur le papier. Chaque avancée sur le chemin de l'intégration est freinée par des reculs et des crises récurrentes.

Péripéties compliquées des relations bilatérales

Au temps de l'URSS, Moscou avait une vision essentiellement négative de la Communauté européenne qui était perçue à travers le prisme de l'affrontement politique et militaire avec les États-Unis et l'OTAN, c'est-à-dire les forces du progrès social dans le monde versus l'impérialisme de la politique américaine. L'Union européenne était analysée d'après le paradigme marxiste-léniniste selon lequel les États-Unis d'Europe étaient soit impossibles soit intrinsèquement réactionnaires. Par conséquent, l'Union européenne était considérée comme le moyen de relayer les intérêts des États- Unis et de l'OTAN sur le continent et comme l'association du grand capital pour une exploitation toujours plus impitoyable de la classe ouvrière. Les pays du bloc socialiste avaient des relations bilatérales avec chaque État membre de l'Union européenne, mais pas avec les institutions communautaires. Ni le dégel politique sous Khrouchtchev, ni la politique de coexistence pacifique sous Brejnev n'ont suffi à changer cette perception idéologique de l'ennemi. Sous l'impulsion de la perestroïka et de la glasnost initiées par Gorbatchev, les idées de valeurs universelles et de maison commune ont vu le jour. Le premier et unique président de l'URSS est venu à Strasbourg pour prononcer un discours devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Sous Gorbatchev, Moscou a reconnu que l'Union européenne était un sujet de droit international. L'URSS avait autorisé ses alliés à conclure des accords commerciaux et de coopération et avait procédé de la même façon. Or, malgré la meilleure volonté dont ont fait preuve Gorbatchev et le PCUS qu'il dirigeait, l'URSS n'a jamais pu sortir d'un schéma binaire qui opposait des systèmes économiques, politiques et sociaux irréconciliablement adverses : d'un côté, un régime socialiste défendu par l'URSS et ses satellites du pacte de Varsovie, de l'autre un régime capitaliste incarné par les États-Unis, l'Union européenne et l'OTAN. Après que la Russie a été libérée des préceptes de l'URSS par Elstine et a mis un terme au régime communiste totalitaire, une situation fondamentalement différente est apparue. La victoire de la révolution anticommuniste et l'accession au pouvoir de démocrates pro-occidentaux ont supprimé le différend de principe dans les relations entre la Russie et l'Union européenne. Théoriquement, tous les scénarios favorables étaient plausibles, à commencer par la dissolution de l'OTAN, la proclamation de l'Europe centrale et orientale comme zone neutre et non-alignée et même l'inclusion de la jeune démocratie russe dans les structures euro-atlantiques. Cependant, les responsables européens n'étaient pas prêts à la tournure qu'ont pris les événements. De plus, la Russie n'a pas reçu l'aide économique nécessaire pour conduire ses réformes postrévolutionnaires. Ainsi s'acheva la lune de miel euro-russe. La Russie a alors renoué avec les crises provoquées par la désintégration de son espace politique, économique et social. Les branches du pouvoir sont entrées en collision. La présidence, soutenue par les puissances occidentales, a opté pour la force militaire pour dissoudre le Parlement démocratiquement élu. Pourtant, à l'issue des élections législatives de décembre 1993, les forces démocratiques soutenant Eltsine ont échoué. Si la nouvelle Constitution a été spécialement rédigée en vue d'une victoire des forces démocratiques, celles-ci n'ont pas obtenu de majorité à la Douma. Une partie des électeurs a soutenu le parti nationaliste de Vladimir Jirinovsky. La politique intérieure et extérieure du Kremlin s'est conformée au vote de l'électorat. Les chefs d'État et de gouvernement des pays d'Europe occidentale ont vite pris leurs distances par rapport à ce qui se passait en Russie. D'abord, ils ont été occupés par la construction européenne, leur priorité étant l'intégration politique et économique des pays d'Europe centrale et orientale. Ensuite, ils sont devenus otages de la décroissance économique et de la discipline budgétaire stricte. Au cours de cette période a été signé l'accord de partenariat et de coopération entre Moscou et Bruxelles qui a couronné deux ans d'âpres négociations. En termes de contenu, cet accord reproduisait l'accord d'association. Aussitôt après, le prétexte d'une querelle a conduit l'Union européenne et la Russie à se fâcher complètement. Afi n de mettre un terme au processus avancé de décentralisation, le pouvoir central russe affaibli a choisi de mener une "petite guerre victorieuse" en Tchétchénie. Cette campagne a eu pour le pays de lourdes conséquences sur la politique intérieure et extérieure. Les liens amicaux nouvellement formés par la Russie avec le reste du monde ont été fragilisés. Ce sont les relations avec l'Union européenne qui en ont le plus souffert. Presque tout le capital de confiance accumulé jusqu'alors a été perdu. L'ordre du jour positif dans les relations bilatérales avec Bruxelles a été réduit à néant. La Russie est devenue l'objet d'une campagne de dénigrement sophistiquée. D'abord justifiée car elle reprenait les informations des médias russes, cette critique devenait de plus en plus aveugle, préconçue, acquise. Cette critique n'a véritablement jamais faibli depuis, à l'exception de la période qui a suivi le 11 septembre 2001. L'Occident s'est positionné comme un professeur exigeant vis-à-vis de Moscou, toujours mécontent de son élève, mais ne faisant rien pour l'aider. L'impuissance du Kremlin a été exacerbée par plusieurs facteurs. Personne ne voyait de solution pertinente à l'affaire tchétchène. L'économie et les finances n'étaient pas dans une situation enviable. La production était en baisse spectaculaire. Les usines ne fonctionnaient plus. En fait, le pays se trouvait dans une phase de désindustrialisation. La ségrégation sociale était forte. L'État perdait le contrôle de l'économie. L'espace économique intérieur s'effondrait. Les impôts n'étaient pas ou peu payées. Le budget fédéral était devenu dérisoire, la dette extérieure un véritable gouffre, le pays tout simplement défaillant. Les autorités n'avaient ni les moyens, ni la volonté de payer les salariés et les retraités. Selon les sondages de l'époque, le taux de confiance du président a baissé jusqu'à 2 %, malgré ses mérites. Eltsine n'avait aucune chance d'être réélu. L'Occident semblait satisfait de cette situation, à en juger par sa politique à l'égard de la Russie. En effet, dans cette situation, l'élargissement de l'Union européenne à l'est se concrétisait, les pays occidentaux bénéficiaient de la fuite des cerveaux et des capitaux russes et des importations de matières premières à des prix très avantageux. Le Kremlin était obligé de faire des concessions, parfois humiliantes. L'Occident faisait tout pour que cette situation persiste, que le président gravement malade soit réélu en 1996 et que le chaos qui avait abouti au krach financier du pays continue. Dans le même temps, en Russie, la gouvernance oligarchique consolidait ses positions. Pour la population, cette gouvernance est connue sous le nom de "gouvernement des boyards" comme avant Pierre le Grand. Le changement de cap après le krach économique de 1998 par le biais du redressement économique, de la modernisation rapide des bases juridiques et de la restauration de la constitutionnalité en Tchétchénie, a profondément modifié la donne. Bien que la Russie soit toujours dans une position de dépendance, son retour sur la scène politique mondiale en tant qu'acteur majeur est devenu envisageable. Une nouvelle période s'est ouverte pour les relations entre la Russie et l'Union européenne. Le dialogue politique est devenu substantiel. Des dialogues ciblés sur les questions économiques ont été établis. La circulation des marchandises et des investissements a augmenté. Des relations de confiance se sont instaurées entre les responsables russes et européens. Avant l'intervention risquée en Irak, lorsque certains pays européens ont essayé d'empêcher les États-Unis de le faire, les médias ont parlé d'un axe Paris-Berlin-Moscou. Bruxelles voulait mener le dialogue selon ses conditions. L'Union européenne ne voulait pas renoncer à critiquer et à faire la morale à Moscou pour les actions qui n'étaient pas conformes à ses attentes. Le rapport de forces à son avantage l'incitait à agir ainsi. De surcroît, les parties n'avaient pas l'expérience de la promotion réciproque des intérêts. Dès lors qu'il fallait passer aux actions, les objectifs poursuivis par les parties n'étaient plus les mêmes et il fallait donc chercher des compromis. L'accord de partenariat et de coopération, entré en vigueur tardivement, ne pouvait pas être d'une grande aide. Il n'a pas fonctionné correctement, car il ne prévoyait pas les outils permettant de résoudre les différends, d'instaurer une culture de compromis, de prévenir les actions unilatérales et les crises. Chaque amélioration s'est accompagnée d'une dégradation. Un recul suivait chaque avancée. Les incompréhensions étaient fréquentes. Les sommets n'aboutissaient souvent à rien de concret ou étaient annulés au motif que les actions de Moscou en Tchétchénie étaient critiquées ou pour des raisons comme l'absence de liberté de la presse, le renforcement excessif du pouvoir du Kremlin, les ambitions impérialistes de la Russie sur l'espace postsoviétique, l'opposition de Moscou à l'élargissement de l'OTAN. De graves divergences ont également vu le jour au sujet de Kaliningrad. Les tensions ont atteint leur apogée fi n 2003. L'Union européenne, en intégrant les pays d'Europe centrale et orientale, a ignoré les intérêts russes. Pour s'adapter aux directives communautaires, ces pays ont abrogé leurs accords bilatéraux avec la Russie. En réponse, Moscou a refusé d'inclure la "nouvelle Europe" dans le champ d'application de l'accord de partenariat et de coopération. La rupture diplomatique était proche. La situation a été résolue in extremis avant la cérémonie officielle de l'élargissement, lors de la signature du protocole incluant ces pays dans l'accord.

L'état actuel des choses

Après cela, les relations entre la Russie et l'Union européenne ont connu un tournant. Les parties se mettent d'accord sur le concept d'espace économique commun. Celui-ci défi nit les perspectives qui permettent de concevoir un marché commun sur tout le continent, fondé sur les libertés de circulation des travailleurs, des biens, des services et des capitaux. La restructuration du système de gouvernance du partenariat est lancée. Celui-ci est géré par le Conseil permanent de coopération. La Représentation permanente de la Russie à Bruxelles devient la plus grande mission diplomatique russe à l'étranger. Elle comprend des spécialistes des structures d'État, des ministres et des agents fédéraux, ce qui lui permet de mener les négociations sur un large éventail de questions. Un détail important mérite d'être noté : l'ancien chef de la Représentation permanente est devenu le Premier ministre. Moscou et Bruxelles se mettent d'accord sur des feuilles de route portant sur la création de quatre espaces : économie, sécurité extérieure, sécurité intérieure et sciences et formation. Ces feuilles de route constituent le premier document stratégique. Cependant, le langage utilisé est ambigu. Le document comporte de nombreuses répétitions. Son statut juridique n'est pas clair. Mais ces remarques sont secondaires car l'essentiel est qu'il défi nit le plan concret devant contribuer à rapprocher la Russie et l'Union européenne, harmoniser leurs systèmes législatifs, élaborer les approches communes et créer des structures de coopération conjointes. Dès 2005, les parties mettent en oeuvre ces feuilles de route. Le processus est lent et n'apporte pas de résultats tangibles immédiats. L'essentiel est que la Russie et l'Union européenne commencent à travailler ensemble, de manière concrète. À cette fi n, un mécanisme souple est créé. À l'automne 2005, les parties font un nouveau pas en avant. Bruxelles approuve la nécessité de remplacer l'accord de partenariat et de coopération par un outil de coopération plus pertinent. Le président russe et les représentants de l'Union européenne se mettent d'accord pour organiser des rencontres d'experts et lancer des négociations. Au printemps 2006, les parties estiment qu'un nouveau document juridiquement contraignant doit remplacer l'accord de partenariat et de coopération. Le Kremlin l'a immédiatement qualifié de traité de coopération stratégique. Cependant, des ombres viennent ternir le tableau. Ce sont, par exemple, à la veille du sommet UE-Russie de mai 2007, les déclarations de fonctionnaires ou journalistes européens selon lesquelles les relations entre la Russie et l'Union européenne sont au plus mal. La polémique sur les droits de l'homme, pendant la conférence de presse, l'a prouvé. Dans le cadre de la coalition antiterroriste, la participation de la Russie a été considérable. Le soutien de Moscou a contribué à la défaite des talibans. Le Kremlin a permis aux États-Unis d'utiliser ses bases militaires en Asie centrale pour mener des opérations en Afghanistan. La Russie a initié une étroite coopération entre les services de renseignement. Le Kremlin a refusé de critiquer l'Occident pour l'échec des négociations sur le contrôle des armes stratégiques. Tout cela a été vain. Les médias internationaux et les hommes politiques ont, de nouveau, discrédité le régime du président Poutine. Sont critiqués l'abandon imaginaire du libéralisme politique et économique, qui a pris, pour la population, des formes effroyables, le "rollback démocratique", la suppression des libertés politiques, l'affaire Ioukos (présentée comme la nationalisation, voire la réquisition des actifs de la plus grande entreprise pétrolière pour des motifs politiques), la concentration du pouvoir. L'accusation générale porte sur l'instauration d'un régime autoritaire en Russie. Il ne faut donc pas s'étonner du mauvais calcul des responsables russes, qui ont essayé de faire accepter aux pays de la CEI les prix du marché pour les hydrocarbures. Le Kremlin a non seulement sous-estimé les sentiments antirusses de l'élite politique occidentale, mais il a aussi agi sans nuances. Ses ambitions politiques et ses intérêts économiques en ont considérablement souffert. Jusqu'à présent, Gazprom, la plus grande compagnie énergétique russe dont la capitalisation dépasse plusieurs centaines de milliards de dollars, vendait le gaz aux importateurs européens pour un tiers du prix payé par le consommateur dans les pays d'Europe occidentale. La plupart des profits étaient conservés par ces importateurs. Gazprom, soutenu par le Kremlin, a essayé de rendre plus juste le jeu de l'économie de marché, d'obtenir une part de marché dans les réseaux de distribution du gaz et de percer directement sur les marchés européens. Gazprom a également pris la décision stratégique de ne pas fournir le gaz au "prix politique". Cette décision couvait depuis longtemps. Les actionnaires minoritaires y étaient favorables. De façon indirecte, la Commission européenne le demandait. L'Ukraine a donné l'impulsion. Ses représentants ont proposé à Gazprom de vendre désormais le gaz au prix du marché. En mars 2005, Gazprom a proposé à l'Ukraine de passer au prix du marché. Les accords de cette époque ne faisaient pas la distinction entre le transit et la fourniture. Les propositions de Gazprom prévoyaient l'achat du gaz au prix du marché. L'attente de la réponse et les négociations sans résultats ont posé un dilemme à Moscou : soit la Russie continuait les livraisons au "prix politique", et ce, en l'absence de contrat, soit elle les arrêtait. En cas de cessation des livraisons, Gazprom ne violait aucun accord. L'Ukraine, à son tour, était obligée de fournir du gaz à l'Occident en le faisant transiter sur son territoire, en application de l'accord bilatéral et des exigences de la charte énergétique qu'elle a signée. Croyant que leurs actions seraient comprises par les entreprises énergétiques européennes et par 48 Mark ENTIN les pays comme l'Allemagne et l'Italie, le Kremlin et Gazprom ont d'abord prévenu l'Ukraine, puis ont adressé l'ultimatum et, finalement, cessé les livraisons. L'Ukraine a réagi étrangement. Comme c'était le cas auparavant, elle a commencé à vider le gaz des principaux gazoducs transeuropéens en satisfaisant ses besoins en gaz. Gazprom et les observateurs indépendants l'ont constaté. Sans attendre que cela mette en danger les engagements de Gazprom auprès de ses partenaires européens, la Russie a recommencé ses livraisons. Pas une seule fois les engagements juridiques de la Russie n'ont été rompus. Quelques jours après, la Russie et l'Ukraine ont signé des accords sur les prix et le transit. Le confl it était résolu. Cependant en Europe et aux États-Unis, ce conflit a été interprété de façon biaisée pour ternir l'image de la Russie. Le Kremlin et Gazprom ont été accusés de ne pas avoir respecté leurs engagements, d'avoir utilisé l'arme énergétique pour dicter et imposer leurs conditions et d'avoir eu recours à des sanctions économiques contre l'Ukraine pour sa politique indépendante de rapprochement avec l'Ouest. La Russie a été considérée comme un mauvais partenaire. Ces accusations ont été fortement exploitées et sont désormais bien ancrées dans l'opinion publique. Certains faits en contradiction avec ces interprétations n'ont pas été révélés. Cette année-là, l'hiver était extrêmement froid. La consommation d'énergie en Europe avait considérablement augmenté. Il fallait donc augmenter les livraisons. Gazprom ne pouvait pas le faire. C'est un fait connu que, du point de vue technologique, la production et le transport de gaz obéissent à des logiques différentes de celles du pétrole. S'il y a des excédents de gaz, ils sont mis dans les gazoducs. On ne peut pas lancer de nouvelles productions de gaz juste pour une seule fois. Il faut d'abord obtenir des garanties d'investissements. Pour cela, il faut signer des contrats à long terme. Gazprom ne pouvait pas le faire, mais n'a pas violé un seul contrat. Les contrats comportent une "fourchette" pour la quantité de livraisons. Les experts et les compagnies énergétiques le savent. Cependant, au niveau politique, on l'a oublié. Il s'est trouvé que, sur le plan politique, en suivant la logique de "contention" de la Russie, il valait mieux déclarer que les fluctuations météorologiques et saisonnières étaient la preuve de la précarité de Gazprom. Il en est de même avec le conflit gazier entre la Russie et la Biélorussie début 2007. L'Europe et les États-Unis ont défendu le régime totalitaire de la Biélorussie en le sauvant des ambitions dites impérialistes de Moscou. À la différence du cas de l'Ukraine où la "révolution orange" n'était pas encore discréditée, le soutien apporté à Minsk était inexplicable. Cette position critique inébranlable de l'Union européenne à l'égard de Gazprom et du Kremlin, qui s'explique par le diktat énergétique et la menace qu'ils représentaient, est ainsi à la base de la dégradation ultérieure des relations bilatérales. Bruxelles a demandé à Moscou de ratifier le traité sur la charte de l'énergie et s'est rapidement mise à élaborer sa politique énergétique. La diversification des livraisons de carburants, la libéralisation et la liberté de concurrence, essentiellement des grandes compagnies énergétiques verticalement intégrées, en constituent les éléments clés. En d'autres termes, cette politique ne concernait pas le partenariat et la coopération avec la Russie, considérée comme le fournisseur des ressources, mais constituait l'assurance de la sécurité d'approvisionnement interprétée de manière unilatérale. Ces manifestations, et notamment la pénétration des marchés de l'Asie centrale et du Caucase, ainsi que la construction de gazoducs contournant la Russie, avaient un caractère antirusse.

Comment ces deux tendances sont-elles mises en corrélation ?

Après la forte vague émotionnelle liée à l'élargissement le plus important de toute l'histoire de l'Union européenne, l'intégration est entrée dans une période de défiance et de confusion. L'élargissement a été un peu hâtif. Il a été conditionné, avant tout, par des motifs politiques. L'Union européenne n'y était prête ni du point de vue psychologique, ni du point de vue institutionnel. La prise de décision de l'Union a commencé à faire du surplace. La discipline juridique s'est affaiblie. L'Union s'est en quelque sorte désagrégée en plusieurs blocs d'intérêts, et pas seulement par rapport à la guerre en Irak. Les problèmes d'immigration se sont aggravés. Les tensions sociales ont augmenté. Des doutes par rapport à l'identité européenne ont commencé à apparaître. Le mécontentement et la méfi ance se sont fortement manifestés lors des référendums sur le projet de Constitution, en France et aux Pays-Bas. La presse a alors accusé l'Union européenne de souffrir d'une crise systémique. Le dynamisme, si propre à l'Union, s'est également perdu à cause du changement de génération aux postes politiques les plus élevés dans la hiérarchie des États membres. La politique européenne, souvent incohérente, est devenue confuse sur plusieurs questions. Des phénomènes négatifs provoqués par une période de transition dans le développement de l'Union européenne ont eu des effets importants sur les relations avec la Russie. Il est apparu clairement que la consolidation interne de l'Union nécessitait une menace externe, comme c'était le cas à l'époque de la Guerre froide. La Russie, perçue comme autoritaire, mal gouvernée et jouant de son arme énergétique, est le meilleur candidat pour ce rôle. Certaines des anciennes républiques soviétiques et anciens États du camp socialiste ont essayé d'améliorer cette perception de Moscou. Cela leur était profitable du point de vue de la politique intérieure et du renforcement de leur position au sein de l'Union. La perception défavorable de la Russie de Poutine peut aussi s'expliquer par une incompréhension profonde des changements passés et des évolutions en cours dans le pays. Les années du gouvernement de Poutine ont mis fi n à la liberté illimitée, sans réserve et irresponsable de l'époque d'Eltsine. Des opposants politiques ont été écrasés ou rejetés en marge de la vie politique. Des oligarques et leurs complices ont été privés du pouvoir politique et médiatique. La féodalisation du pays a été arrêtée. Le paravent des institutions pseudodémocratiques a été enlevé car devenu inutile. Le régime politique s'est présenté comme il était en réalité. Certes l'image reçue n'était pas très rassurante, mais contrairement aux années précédentes, elle était réelle. Le pouvoir s'est fortement concentré entre les mains du Kremlin. L'appareil administratif est devenu un appui fidèle du régime. Des branches différentes du pouvoir ont appris à agir conjointement. Les relations fédérales, le système des partis, le mécanisme de prise de décisions politiques sont construits de telle manière que les objectifs déterminés par le Centre puissent être atteints. Du point de vue historique, ce sont les dispositions contrerévolutionnaires, postcommunistes qui l'ont emporté. La transmission du pouvoir et la continuité dans l'exercice du programme politique et économique sont devenues la devise du jour. Cependant, des conditions plus favorables au retour à un agenda démocratique ont été créées. La Russie s'est stabilisée sur le plan économique, avec un taux de croissance proche de 7 %. L'inflation a été contrôlée. rouble est devenu une monnaie fi able. L'excédent de la balance commerciale extérieure a permis de constituer d'importantes réserves en or. Pendant l'été 2007, elles dépassaient 500 milliards de dollars. La Russie s'est acquittée de sa dette extérieure. Elle est devenue indépendante sur les plans économique et financier. Le taux de chômage a baissé. Les revenus de toutes les catégories sociales ont augmenté. L'activité politique a cédé sa place à l'activité économique (gagner de l'argent) et consommatrice. Cela s'explique par le fait que l'État a pris le contrôle de l'économie, a réinstauré le paiement des impôts, a modernisé la législation et a recommencé à redistribuer les profits des revenus. La dévaluation du rouble a rendu les produits nationaux moins chers et plus compétitifs. Au cours des premières années de ce millénaire, ce sont les prix élevés des carburants qui ont engendré la croissance. L'augmentation des revenus et la croissance économique ont provoqué la croissance spectaculaire de la consommation et de la demande de nouveaux équipements. Cependant, après l'effondrement de l'URSS, la crise n'a pas été complètement surmontée. L'écart très important entre les riches et les pauvres demeure. La compétitivité de certaines industries est faible. La structure du commerce extérieur est toujours déséquilibrée. La dépendance à la conjoncture des prix des carburants est excessive. La mobilité sociale n'est pas assez forte. Les réformes structurelles restent inachevées. Parallèlement, Moscou a pu lancer de vastes projets nationaux et élaborer des politiques industrielles, d'infrastructure, d'innovation et de diversification. De grands groupes financiers et industriels ont vu le jour et sont capables d'exercer leurs activités sur les marchés extérieurs. Sur la scène internationale, la Russie est devenue plus sûre, ses outils de politique étrangère étant plus diversifiés. Dans ses relations avec Bruxelles, Moscou insiste sur le respect de ses intérêts nationaux et le dialogue est fondé sur les principes d'égalité. La volonté de Moscou d'être plus présente dans les affaires mondiales et européennes provoque la méfiance de l'Union européenne. Mais Moscou ne veut plus être limitée. Telle est la situation actuelle des relations. La méfiance réciproque, l'incompréhension de ce qui ce passe réellement et le refus de le prendre en compte, les clichés et stéréotypes exercent un impact néfaste sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. En fait, le résultat est à l'opposé de ce qui est recherché. Malgré les besoins de rapprochement et d'unification des efforts, Moscou et Bruxelles divergent. Le populisme l'emporte sur le pragmatisme. Le "jeu à somme nulle" évince les concessions et les compromis. La coopération économique est l'otage de l'affrontement politique. Ce n'est pas raisonnable. Cela nuit à l'avenir des relations. Cela est contraire aux intérêts de la Russie et de l'Union européenne, des élites politiques, de la population et de l'ensemble du continent. Pour relancer ces relations, volonté politique, détermination et vision stratégique de l'avenir sont nécessaires.

Que faire ?

Le programme de l'amélioration des relations entre la Russie et l'Union européenne se compose de quatre blocs. Tout d'abord, ceux qui prennent des décisions politiques et leurs conseillers doivent comprendre ce qui se passe en Europe, ce qui correspond à l'intérêt de la Russie et, partant de ce constat, faire un bon choix. Ce point a été initialement conçu comme la première étape à l'accomplissement de cette tâche. Pour améliorer les relations, il faudrait augmenter le nombre de rencontres, de conférences et de discussions, lancer des dialogues informels entre les hommes politiques, les parlementaires, les diplomates, les hommes d'affaires, les représentants de la société civile et les rendre plus intensifs et permanents. Il faudrait également se mettre d'accord sur la retenue et la discrétion politique et ne pas diffuser d'information biaisée. Le second bloc consiste à ce que les médias informent la population, mais sans faire circuler de rumeurs. Les relations entre la Russie et l'Union européenne doivent être libérées des dogmes et préjugés. Alors, les médias parleront de façon objective et non biaisée de ce qui ce passe sur les plans interne et externe. Cette tâche est particulièrement difficile puisque les médias préfèrent le sensationnel aux analyses détaillées. Cependant, cela est nécessaire. La promotion des relations économiques et la coopération des hommes d'affaires, sans pression politique, ni limitations législatives et administratives, sont également cruciales. La circulation des marchandises entre la Russie et l'Union européenne augmente de 20 % par an. La Russie est devenue le troisième partenaire commercial de l'Union. Cependant, le potentiel de la coopération économique est dix, voire cent fois supérieur. En ce qui concerne le quatrième bloc, celui de la modernisation de la base législative des relations, Moscou essaie depuis plusieurs années de commencer ce travail avec Bruxelles.

La signification potentielle de l'accord de partenariat et de coopération pour la Russie

La Russie, jeune État souverain apparu sur le territoire de l'ancienne URSS au début des années 1990, s'est fi xée comme objectif de construire une société démocratique moderne. Elle a opté pour l'économie de marché et l'intégration à l'économie mondiale. Sur le plan international, l'accord de partenariat et de coopération en est le principal témoin. L'affirmation d'un socle de valeurs communes reposant sur la démocratie, le pluralisme et le respect des droits de l'homme est inscrite dans ce traité bilatéral spécifique. Il s'agit de mettre les normes russes en conformité avec les normes européennes dans les domaines du droit, de la politique, de l'économie et de la société. L'objectif principal consiste à renforcer la coopération avec l'Union européenne. L'accord comporte un programme assez concret des actions nécessaires pour réaliser ces objectifs ainsi que des instruments pour y parvenir. Les relations entre la Russie et l'Union européenne étaient renforcées par les normes juridiques de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et de l'OMC. Les libertés fondamentales des entrepreneurs, la garantie des droits des travailleurs et les autres domaines de coopération constituent des prémices à l'intégration économique. Il était prévu de lancer un projet sur l'harmonisation de la législation russe avec celle de l'Europe. La création d'organismes de gestion de l'intégration, et notamment d'organes intergouvernementaux et interparlementaires de partenariat et de coopération, était envisagée. Ainsi, l'accord de partenariat et de coopération pouvait devenir une partie de l'ordre constitutionnel de la Russie. Mais il n'y est pas parvenu, le potentiel positif du traité n'étant pas réalisé.

L'échec de l'accord

À cause d'une série de raisons à la fois objectives et subjectives l'accord de partenariat et de coopération est devenu, dès sa signature, l'objet de nombreuses frustrations et incompréhensions. L'Union européenne a passé plusieurs années à essayer de ratifi er l'accord et de le faire entrer en vigueur. Pendant les réformes de l'époque postrévolutionnaire que traversait la Russie, le temps était trop précieux pour qu'un tel retard puisse être pardonné. Dès le début, Bruxelles a tenté d'utiliser l'accord de partenariat et de coopération dans son propre intérêt, transformant cet outil en un instrument de pression. L'élite gouvernante avait des préjugés envers cet accord. Ce dernier n'a jamais été utilisé intégralement. Les deux tiers de ses dispositions ne sont pas appliquées et restent des normes inutilisées. Le système national judiciaire n'a jamais été réellement impliqué dans leur mise en oeuvre. Les dispositions prévoyant la formation d'un système supplémentaire de droit, ainsi qu'un système administratif des accords, qui contribueraient à leur renforcement, ne sont pas non plus appliquées. Le travail effectué dans la pratique n'a pas servi. Les institutions de gestion n'ont jamais été efficaces. Sur le plan théorique, le système est bon. Pratiquement tous les échelons de pouvoir sont impliqués. Toutefois, dans la pratique, le formalisme des rencontres, qui ne s'appuient pas sur des structures expertes compétentes, est dénoncé. Il apparaît que cet accord est privé de mécanismes capables de régler les différends et de gérer les difficultés. Il s'ensuit que les contradictions relatives au caractère conjoncturel inhérent aux relations internationales ont affecté directement la confiance, la compréhension mutuelle ainsi que la culture de concession et de recherche de compromis. L'accord ne constitue pas une garantie de la distinction entre la politique et la coopération économique. De ce fait, les difficultés purement politiques ont commencé à freiner le dialogue au niveau de la société. Enfin, la forme de coopération économique entre la Russie et l'Union européenne, qui reste l'élément le plus important, est restée très ambiguë. Elle se limite à une perspective de création, à terme, d'une zone de libre-échange. Il faut tenir compte de cette expérience négative, des défauts fonctionnels de l'accord pour élaborer le futur accord-cadre entre la Russie et l'Union européenne qui incarnera les idées de la nouvelle génération.

Une nouvelle tentative

L'élaboration d'un tel accord signifiera pour Moscou une deuxième tentative de rester fidèle à son engagement de poursuivre son chemin vers l'Union européenne. L'accord de partenariat et de coopération N°2 peut être construit de manière à accorder à la Russie une possibilité réelle d'adopter le modèle européen de développement social et économique, d'intégrer ses meilleures caractéristiques, sans perdre son identité nationale. Pour y parvenir, il suffi t de trouver les défauts fonctionnels de l'accord en vigueur et de les éliminer. Dans un nouvel accord-cadre, il faut préciser clairement quelles sont les attentes des parties et quels sont les scénarios de coopération à long terme (cinq, dix, quinze ou vingt-cinq ans ?). Aucune possibilité ne doit être exclue. L'accord doit être équitable. Aucune partie ne doit être capable de s'imposer à l'autre. Il est extrêmement important de soutenir la coopération régionale et subrégionale, les processus d'intégration sur le territoire de l'ex-URSS, la formation du marché commun continental, ainsi que de l'espace juridique, économique, politique et social commun. Le nouvel accord ne doit pas se limiter à la régulation des relations intergouvernementales. Il est tout à fait nécessaire qu'il établisse les régimes juridiques ne dépendant pas du pouvoir politique, qu'il donne des droits concrets aux citoyens et aux entrepreneurs et leur prévoit une protection judiciaire. Le nouvel accord doit disposer de nombreuses dispositions d'action directe et de mécanismes juridiques les garantissant. Il doit orienter les organismes vers un programme concret d'actions. Il est donc important de définir dans ce traité des étapes progressives de passage vers des formes d'intégration plus avancées. Il est souhaitable de rapprocher différemment la législation et la pratique d'application. L'une des options proposées serait de créer un organisme d'influence, un conseil ou un comité sur le rapprochement des systèmes juridiques. En dehors d'un tel organisme, les milieux parlementaires des deux parties pourraient apporter leur contribution. Cela deviendra possible si on réussit à créer un mécanisme de notification des programmes de l'activité législative et des souhaits mutuels de modification des projets de lois. Les organismes de coopération interparlementaire pourraient être réorganisés, afi n de s'occuper, en premier lieu, du processus législatif, de l'harmonisation de la législation et de la mise en application. Pour que le système des organismes de gestion de l'espace commun économique et juridique soit efficace, il est important d'y ajouter des éléments d'exécution des décisions. De telles structures communes, qui permettraient de prévenir les crises dans ces relations bilatérales, en les transformant en difficultés techniques, sont nécessaires. Enfin, dans le nouvel accord, il faut absolument se référer à des valeurs communes qui sont inscrites dans la Charte de l'ONU, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans les actes de l'OSCE et qui sont interprétées de la même façon par les parties. Les négociations menées donnent à la Russie et l'Union européenne une deuxième chance, qu'il ne faut pas laisser passer. Cette fois-ci, il ne faut pas partir de schémas abstraits, mais des réalités qui rendent nécessaires la coopération et l'unité.

Traduit du russe par Eduard Trushkin

[1] Cet article est initialement publié dans la Revue trimestrielle de Géoconomie n°43 – Automne 2007, qui a pour thème "La Russie et l'Europe", publié en partenariat avec la Fondation Robert Schuman.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Relations entre la Russie et l'Union européenne : hier, aujourd'hui, demain [1]

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