Peut-on sauver l'aide publique au développement ? La baisse générale des crédits nécessite de redéfinir ses objectifs

Afrique et Moyen Orient

Louis Caudron

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13 octobre 2025
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Louis Caudron

Ancien sous-directeur au ministère français de la Coopération

Peut-on sauver l'aide publique au développement ? La baisse générale des crédits...

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L’aide publique au développement (APD) va mal. Elle est en crise. Aux Etats-Unis, Donald Trump a décidé, un mois après son retour à la Maison Blanche, de supprimer le programme USAID qui gérait l’APD américaine d’un montant de 64 milliards $ en 2023. Si l’Union européenne et ses États membres restent les principaux fournisseurs d’aide publique au développement dans le monde, la Commission européenne prévoit de réduire de 35 % les crédits accordés aux pays les moins avancés pour la période 2025-2027, par rapport à la période 2021-2024. Rien ne dit que la situation s’améliorera dans le nouveau cadre financier pluriannuel 2028-2034 en préparation. 

Une grande part de ces fonds a été réorientée vers l’Ukraine depuis trois ans. Certains Etats membres, comme les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique et la Suède, ont également diminué leur budget consacré à cette aide. En France, le président Emmanuel Macron, qui s’était engagé en 2017 à l’augmenter jusqu’à 0,55 % du PIB, a laissé son budget être réduit d’un tiers en 2025. 

Il y a plus de quarante ans, tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’engageaient à consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide publique eu développement. C’était alors considéré comme un devoir de solidarité et un moyen de réduire l’écart entre les pays développés et ceux en développement. L’engagement de 0,7 % du PIB n’a été respecté que par quelques pays, mais les donateurs essayaient au moins de maintenir leur aide. Les diminutions récentes montrent qu’ils n’y croient plus.

Le plus inquiétant, c’est que ces baisses de crédits ne suscitent guère de réactions dans l’opinion publique. Perçue comme un simple « cadeau » aux pays en développement, l’aide publique au développement est désormais reléguée au second plan, derrière des financements nouveaux ou considérés comme plus urgents : défense européenne, innovation, transition climatique, etc. Cette indifférence pourrait être mortelle pour l’aide publique au développement alors que sa suppression dégraderait fortement nos relations avec le reste du monde. C’est particulièrement le cas pour nos relations avec l’Afrique, si importantes pour notre avenir. 

Quelle efficacité ?  

Depuis 1960, l’aide au développement s’est largement concentrée sur l’Afrique. Pourtant, force est de constater qu’elle n’a pas été le moteur espéré pour le développement de ce continent. L’Afrique concentre la majorité des personnes les plus pauvres au monde et n’a pas encore réussi son décollage économique. Pour une partie des responsables politiques, l’APD a été inefficace et inutile. Pour d’autres, elle n’a pas atteint ses objectifs faute de moyens suffisants. En 2016, par exemple, le président français Nicolas Sarkozy proposait de l’augmenter pour financer un « gigantesque plan Marshall » de développement de l’Afrique, référence au plan Marshall qui avait entrainé le redémarrage de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale en apportant 13 milliards $ de crédits de 1948 à 1952. C’est l’équivalent de 173 milliards $ actuels en quatre ans, soit 43 milliards $ par an. 

L’Afrique a reçu en moyenne 50 milliards $ par an, c’est-à-dire qu’elle a bénéficié d’un plan Marshall continu depuis soixante ans. On peut difficilement dire que c’est insuffisant.

L’APD ne peut pas tout 

Il faut relativiser l’importance de l’aide publique eu développement dans le financement de l’Afrique. En 2021, les investissements étrangers en Afrique ont atteint 83 milliards $ et les transferts des Africains établis à l’étranger 65 milliards $. Avec 50 milliards $ d’APD, c’est environ 200 milliards $ qui ont été injectés sur le continent africain.

En sens inverse, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) évaluait à 90 milliards $ en 2020 le montant de l’évasion fiscale et les flux financiers illicites. Les fonds de retraite africains ou les banques africaines placent une grande partie de leurs fonds hors du continent. Si l’on ajoute la faiblesse des recettes fiscales en Afrique, qui ne représentent que 16 % du PIB, contre 34 % dans les pays de l’OCDE (et même 45 % en France), on imagine les difficultés de financement des pays africains. 

L’aide publique du développement ne peut pas compenser le déficit de ressources financières dû aux errements des politiques économiques. En revanche, elle peut au moins servir à inciter les gouvernements africains à engager des politiques économiques plus efficaces et bénéfiques pour toute leur population et pas seulement pour une élite privilégiée.

La Chine a montré une autre voie

Une autre cause d’incertitude a été, depuis 2000, la stratégie de la Chine, qui ne verse pas d’aide mais investit directement dans des infrastructures importantes, souvent en contrepartie de l’accès à des ressources naturelles minérales. Cette modalité d’action est jugée efficace et appréciée par les Africains. 

La plupart des agences européennes qui gèrent l’APD déclarent agir pour atteindre les dix-sept Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’ONU.  La multiplicité de ces objectifs rend le résultat illisible pour l’opinion publique : financer un projet pour atteindre l’ODD n° 5 « Egalité entre les sexes » peut sembler moins concret, à tort, que la construction d’une ligne de chemin de fer. 

La transition climatique doit être financée par d’autres fonds 

Le continent africain émet très peu de gaz à effet de serre et n’a pratiquement aucune responsabilité dans l’accélération du changement climatique, mais il est largement affecté par ses effets. Pour compenser ces injustices, les pays développés ont créé le Fonds Vert pour le Climat, doté en principe de 100 milliards $ par an. En 2022, la Conférence des Parties (COP) 27 a ajouté un Fonds Pertes et Dommages. L’aide publique au développement n’a plus à financer la transition climatique.

Redéfinir des objectifs

Les relations internationales sont marquées actuellement par une contestation de l’Occident et de ses valeurs. Les pays dits BRICS, ou ce qu’on appelle le « Sud global », affichent clairement leur intention de remettre en cause l’ordre international mis en place en 1945 par les États-Unis et l’Europe. En Chine et en Afrique, le rappel des traumatismes causés par la colonisation au XIXe siècle alimente la critique des Occidentaux. Dans ce contexte, la suppression de l’aide publique au développement apparaîtrait comme une marque d’égoïsme des pays occidentaux qui nourrirait l’hostilité contre les pays développés. En Afrique, où l’Occident en général et la France en particulier sont victimes d’une campagne de dénigrement, la suppression de l’APD dégraderait encore plus nos relations avec ce continent.

Pour conserver l’APD, il faut la réformer pour que les Européens en comprennent les objectifs. Cela suppose de redéfinir ses priorités et ne pas considérer qu’elle peut, à elle seule, susciter le développement des pays moins avancés. Les pays européens ne devraient plus y inclure des dépenses pour l’accueil des migrants ou pour soutenir des projets… en Chine. La priorité doit être d’aider les pays africains, car l’explosion démographique de ce continent aura des conséquences en Europe ; et intervenir dans les deux domaines qui peuvent permettre aux Africains de mieux maîtriser leur avenir : la formation des jeunes et le soutien à l’agriculture.

Premier objectif : la formation des jeunes en Afrique

La formation des jeunes est un problème crucial en Afrique. Vingt millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. Ils trouvent difficilement un emploi, car beaucoup manquent de formation. Les systèmes de formation n’arrivent pas à suivre la croissance démographique. Dans le primaire, les classes de cent élèves sont monnaie courante, et la situation n’est pas meilleure pour le secondaire ou pour l’université. Une masse de jeunes mal formés et sans emploi présente un grand danger pour l’avenir. Les mouvements terroristes ou les trafiquants de toute sorte cherchent à les recruter et ils sont aussi des candidats potentiels à l’émigration.

Cependant, la formation n’intéresse guère les investisseurs étrangers et n’attire pas beaucoup de financements. L’APD pourrait facilement soutenir des centres de formation existants ou en créer de nouveaux. Elle pourrait également fournir des formateurs. Donner la priorité à la formation serait le meilleur moyen de développer l’emploi en Afrique et de diminuer l’immigration en Europe.

Deuxième objectif : soutenir les agriculteurs africains

La moitié des Africains sont des agriculteurs, mais ils ont largement été les oubliés des politiques économiques. L’agriculture a été considérée comme moins noble que l’industrie ou les services et n’a pas bénéficié de l’intérêt - et des moyens - qu’elle aurait pourtant dû avoir. Certains gouvernements ont même privilégié l’importation de céréales pour nourrir leurs villes, plutôt que de rémunérer au juste prix leurs agriculteurs. L’agriculture africaine n’arrive pas à nourrir sa population et l’Afrique importe des dizaines de millions de tonnes de céréales. La nécessité de développer leur agriculture est maintenant admise dans plusieurs pays africains, mais pas encore par tous.

Il est possible d’augmenter la production agricole en Afrique sans appliquer le modèle européen des grandes exploitations motorisées. Subventionner la consommation d’engrais[1] et encourager les pratiques agroécologiques proposées par les instituts de recherche permettrait d’augmenter les rendements, tout en créant des millions d’emplois agricoles et en préservant la qualité des sols.

Si l’aide publique au développement affichait une claire priorité au financement de l’amélioration de la situation des agriculteurs africains, cela profiterait grandement à l’image de l’agriculture dans les sociétés africaines, ce qui serait très positif pour l’avenir.

Autres objectifs à conserver

L’aide publique au développement est un instrument au service de la politique extérieure. Les pays européens ne doivent pas s’interdire de l’utiliser en fonction de leurs intérêts diplomatiques ou pour le soutien aux entreprises européennes. La priorité accordée à la formation des jeunes et à l’agriculture en Afrique ne doit pas empêcher de financer des projets intéressants dans tel ou tel pays. Ainsi, on doit toujours être capable d’apporter l’aide d’urgence nécessaire en cas de catastrophes – famines, crises humanitaires, etc. Il est important de pouvoir apporter rapidement une aide, notamment l’aide alimentaire, aux populations impactées.

Un autre objectif devrait être de soutenir efficacement les actions de coopération menées par les collectivités locales européennes. Ces actions ont l’énorme avantage de toucher directement les populations concernées sans passer par les gouvernements. Elles permettent de développer des liens d’amitié entre les Africains et les Européens. Pour financer les nombreux projets des collectivités locales, souvent d’un faible montant, les agences gestionnaires devraient faire confiance aux collectivités locales et financer à 50 % leurs projets de terrain, sans leur demander de justificatifs.

La santé est aussi un domaine dont l’APD ne peut se désintéresser. Les recherches et les programmes en cours ont permis de sauver des vies et doivent être poursuivis.

***

L’Afrique comptait 300 millions d’habitants en 1960. Elle en compte actuellement 1,4 milliard et l’ONU en prévoit 2,5 milliards en 2050. Cette évolution dans un continent proche ne doit pas nous laisser indifférents. L’intérêt des Européens est de l’aider à gérer sa croissance démographique, en y facilitant la création d’emplois. L’aide publique au développement doit devenir en priorité une « aide publique au développement de l’emploi » en Afrique. En contribuant à la formation des jeunes Africains et à la valorisation de l’agriculture africaine, elle retrouvera efficacité et lisibilité et contribuera à un meilleur avenir pour l’Afrique et l’Europe.


[1] D’après la Fondation FARM, la consommation d’engrais minéraux est de 15 kg par hectare en Afrique contre 120 kg dans le reste du monde.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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