La relation du Royaume-Uni avec l'Union européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille. Deux ans à peine après l'adhésion, en 1975, le gouvernement travailliste d'Harold Wilson consultait les Britanniques par référendum pour leur demander s'ils souhaitaient rester dans la Communauté européenne. La réponse fut alors oui à 67%. Tout au long des 42 ans d'adhésion, la participation à l'Europe a consisté pour les gouvernements britanniques à éviter que les institutions européennes n'aient trop de pouvoirs et à négocier des exemptions ou des dérogations préservant la souveraineté nationale. Le résultat est en 2015 un Royaume-Uni qui échappe à la fois à la monnaie unique et aux accords de Schengen sur la libre circulation des personnes. Il y a trois domaines dans lesquels il a apporté une contribution forte et sans joker à l'Union européenne : la création du marché intérieur, l'élargissement et la défense. Les Britanniques ont toujours été à l'aise avec une Union européenne définie comme un vaste marché, mais beaucoup moins avec celle d'une union politique. Comme un marché n'existe jamais sans régulation, les gouvernements de Londres ont accepté cependant, bon gré mal gré, que l'Union européenne réglemente les échanges, les services financiers et les capitaux. Les élargissements ont de ce fait souvent été vus comme des extensions positives du marché. Disposant, avec la France, de la seule armée capable de se projeter à l'extérieur de l'Union européenne, le Royaume-Uni a également apporté une contribution non négligeable à la défense européenne sans s'engager fortement dans l'institutionnalisation d'une politique européenne de défense qui aurait pu concurrencer l'OTAN.
En 2015, la vie politique britannique est marquée par une vague d'euroscepticisme dont le pays n'a pas le monopole. La plupart des Etats européens connaissent la même tendance. Le Royaume-Uni possède cependant depuis plusieurs années un parti europhobe, l'UKIP, faisant ouvertement campagne pour une sortie de l'Union européenne
[1] . Cette perspective est partagée par une part non négligeable des élus du Parti conservateur actuellement au pouvoir. Le Premier ministre, David Cameron, est pour sa part convaincu qu'une sortie de l'Union européenne ne serait pas une bonne option pour le Royaume-Uni. Sous la pression des eurosceptiques de son parti, il s'est engagé néanmoins à tenir un référendum sur le sujet avant la fin de 2017. La question suggérée par la commission électorale indépendante au parlement de Westminster, en septembre 2015, a le mérite de la clarté : " Pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester ou quitter l'Union européenne ?".
David Cameron doit gagner ce référendum en ralliant l'opinion britannique au statu quo. Pour cela, il lui faut apporter préalablement des gages en renégociant les conditions du statut déjà très particulier du Royaume-Uni avec ses partenaires de l'Union européenne. Cette renégociation est un jeu complexe qui nécessite de convaincre vingt-sept capitales. Si les Etats membres de l'Union européenne sont ouverts à cette renégociation pour ne pas voir le Royaume-Uni les quitter, tous ont aussi fixé des lignes rouges à ne pas dépasser. Au Royaume-Uni même, l'Ecosse très attachée à l'Union européenne est une contrainte dont David Cameron doit tenir compte : aux mains des indépendantistes, le parlement d'Edimbourg réactivera l'indépendance si les Anglais (et non plus les Britanniques) décident de quitter l'Union européenne. Pris en étau entre les eurosceptiques de l'UKIP et de son parti, les indépendantistes écossais et les autres Etats membres, David Cameron doit donc jouer subtilement pour conduire cette renégociation capable de lui faire gagner l'inévitable référendum.
Dans cette note, un panel d'experts européens réuni par le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) et la Fondation Robert Schuman
[2] s'interroge sur l'ensemble des jeux qui vont marquer, dans les mois à venir, le devenir britannique au sein de l'Union européenne : que veut le gouvernement britannique ? La réforme voulue par Londres est-elle acceptable ou non ? Quelles sont ses exigences ? Jusqu'où ses partenaires sont-ils prêts à aller pour garder le Royaume-Uni dans l'UE ? Un compromis est-il envisageable et acceptable par l'ensemble des acteurs concernés ? Le cas échéant, quelles en seraient les principales lignes possibles ? L'issue du référendum dépendra en partie des négociations qui s'engagent entre Londres et ses partenaires européens et des réponses apportées à ces questions.
Une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne changerait sans le moindre doute le destin de l'intégration européenne en actant une véritable désunion politique d'une expérience régionale sans équivalent dans le monde.