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L'accélération de l'intégration différenciée et de la coopération renforcée

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Jean-Claude Piris

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13 octobre 2014
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Piris Jean-Claude

Jean-Claude Piris

ancien directeur général du Service juridique du Conseil, membre du comité scientifique de la fondation Robert Schuman

L'accélération de l'intégration différenciée et de la coopération renforcée

PDF | 213 koEn français

Le respect du dogme unitaire, depuis le milieu des années 1950 jusqu'au milieu des années 1980, était justifié par la nécessité de construire le marché commun. Des règles du jeu communes devaient être établies :

- Les mêmes dispositions devaient s'appliquer à tous les Etats membres ;

- elles devaient être interprétées de la même manière par tous ;

- un arbitre indépendant devait vérifier leur mise en œuvre ;

- les manquements devaient pouvoir être sanctionnés par un juge.

Par ailleurs, pendant des années, ces dispositions se sont voulues aussi complètes que possible, visant à une harmonisation totale des lois nationales. Des directives détaillées ne laissaient que très peu de marge aux Etats membres. Cette tendance s'expliquait par le manque de confiance des Etats membres entre eux, et par le manque de confiance de la Commission à l'égard de tous les Etats membres ! Il est vrai que, comme le précise Studia Diplomatica, il existait quelques exceptions. Toutefois, aucune de ces exceptions n'était fondamentale. Les nouveaux Etats membres bénéficiaient bien de quelques dérogations, mais temporaires ou peu significatives.

Entre 1957 et 1986, le nombre d'Etats membres a doublé. L'adhésion du Royaume-Uni a eu des conséquences importantes. Son opposition à la liberté de circulation des personnes a poussé certains Etats membres à conclure un accord international hors du cadre du Traité de l'UE : l'espace Schengen était né. En 1986, l'Acte unique européen a permis de franchir une étape importante en permettant qu'une majorité qualifiée prenne les décisions destinées à créer le marché unique, et a également autorisé certains Etats membres à conserver ou à adopter des mesures plus protectrices à l'égard de l'environnement ou des consommateurs. Cette autorisation a été considérée par la plupart des observateurs comme un pas dans la bonne direction, mais certains, comme Pierre Pescatore, la dénonceront comme une catastrophe susceptible de détruire le marché unique !

Durant la deuxième période, allant du milieu des années 1980 jusqu'au milieu des années 2010, on a adopté une partie significative de la législation nécessaire à l'établissement du marché unique a été adopté. L'Union européenne s'est en outre tournée vers d'autres champs d'action, lesquels n'exigaient pas nécessairement le respect d'une loi unique ou d'un rythme unique pour tous. Malgré cela, il a été difficile d'abandonner le dogme unitaire, à cause d'une culture administrative dominante profondément ancrée dans les institutions.

Le traité de Maastricht a institué une intégration différenciée permanente et substantielle. Durant les négociations qui ont précédé le traité, le Royaume-Uni s'est opposé aux 11 autres Etats membres. En effet, les Britanniques refusaient d'accepter les dispositions concernant la politique sociale ainsi que les engagements devant mener, à terme, à la monnaie unique. Afin de ne pas bloquer les négociations, les autres Etats membres ont été contraints de concéder au Royaume-Uni une dérogation permanente dans ces deux domaines, ainsi que sur certains aspects de la coopération judiciaire et policière.

Pendant cette deuxième période, le nombre des Etats membres a plus que doublé, passant de 12 à 28. L'hétérogénéité entre les pays de l'Union européenne s'est accrue. En 2013, le PNB par habitant, calculé par rapport à une base moyenne de 100 pour l'Union européenne, allait de 45 à 129 selon les pays. La même année, dans 10 des Etats membres, le salaire mensuel minimum était inférieur à 500 €, tandis qu'il était supérieur à 1 000 € dans 6 autres pays.

Les disparités entre les Etats membres de l'Union européenne sont à présent plus importantes que celles qui existent entre les différents Etats des Etats-Unis.

L'objectif d'une harmonisation totale des lois nationales a été progressivement abandonné. De plus, le traité d'Amsterdam a intégré les accords de Schengen aux Traités fondateurs de l'UE et a instauré des dispositions autorisant une coopération renforcée au cas-par-cas. Ces dispositions ont rencontré une forte résistance de la part de la Commission européenne, mais aussi de la part de certains Etats membres préoccupés par le risque de créer une première classe à laquelle ils n'auraient pas les moyens d'accéder. Cette résistance peut-être illustrée par le fait que la première proposition formulée à ce sujet est un document officieux rédigé par mes soins et remis au secrétariat du CIG d'Amsterdam car, en effet, aucun Etat membre ne voulait prendre la responsabilité d'un tel document ! Cependant, les premières dispositions du traité imposaient de telles conditions qu'elles rendaient impossible leur application, même après avoir été légèrement assouplies par le traité de Nice.

Plus tard, le traité de Lisbonne a apporté une plus grande souplesse. Depuis son entrée en vigueur, les dispositions relatives à la coopération renforcée ont été utilisées à deux reprises : dans le domaine des divorces transfrontaliers et pour la création d'un système européen de brevets. Elles pourraient être également utilisées une troisième fois, dans le futur, pour la création d'une taxe sur les transactions financières internationales.

Quelles évolutions pour l'avenir ?

L'évolution de la différentiation au sein de l'Union européenne au cours des 10 ou 15 prochaines années sera influencée par deux questions principales :

- les conséquences de la crise de la zone euro ;

- les relations qui s'établiront entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

D'abord, l'avenir de la zone euro.

Les déséquilibres existant entre les deux pôles de l'UEM (l'économique et le monétaire) sont connus depuis le début. Il n'a pas été possible de les corriger, car certains Etats membres ont refusé le partage des compétences concernant leurs politiques économiques et budgétaires. A tort ou à raison, les dirigeants politiques européens ont décidé d'aller de l'avant malgré tout. En dépit des progrès significatifs de ces dernières années (le traité de 2012, connu sous le nom de " Pacte budgétaire ", le Six-pack, le Two-pack, le Semestre européen, etc.), le fait est que les pouvoirs réels dans le domaine des politiques budgétaires, économiques et sociales sont toujours détenus par les Etats. Les déséquilibres qui en résultent ne peuvent être facilement corrigés. Il existe en effet un lien direct entre ces pouvoirs et la légitimité politique : le lien entre les électeurs et les décideurs. Corriger cette asymétrie en conservant l'architecture politique actuelle de l'Union européenne semble une tâche impossible. Toutefois, à long terme, une union monétaire basée sur des règles de gouvernance budgétaire, fiscale et économique insuffisamment contraignantes demeurera incomplète, fragile et probablement non viable. Dès lors, il n'est pas certain que l'on puisse continuer à "se débrouiller dans le cadre constitutionnel" actuel sur le long terme.

Cet état de fait a été reconnu par le Conseil européen de décembre 2012 à travers le " rapport Van Rompuy ", qui préconise une intégration accrue de la zone euro grâce à des politiques financières, budgétaires et économiques appropriées, mais qui prévoit en outre un renforcement de la légitimité et de la responsabilité démocratiques. Même si nos dirigeants admettent que c'est bien la voie à suivre pour l'avenir, la plupart d'entre eux savent que leurs concitoyens sont loin d'en être convaincus, et encore moins dans la situation économique actuelle. Je pense que même un retour de la croissance économique ne suffirait pas à permettre une avancée significative. Les progrès consisteraient, par exemple, à conférer à la Commission des pouvoirs réels sur les budgets nationaux, comparables à ceux qu'elle exerce déjà dans le domaine de la concurrence. Une avancée de ce type impliquerait que l'on accepte, à terme, l'existence de responsabilités mutuelles entre les économies les plus riches et les plus pauvres de la zone euro. A l'évidence, ce pas de géant ne pourrait être franchi qu'avec l'approbation des peuples concernés.

En définitive, cette première question engendre un dilemme. Je dois avouer que je n'imagine pas la façon de résoudre ce dilemme sans que des événements exceptionnels, de nature financière, économique, juridique ou politique ne viennent précipiter les décisions.

Si, malgré tout, l'intégration de la zone euro se poursuit, elle se fera probablement par le biais d'accords, conclus principalement entre les membres de la zone euro, et souvent réunis sous le terme d'" accords intergouvernementaux ", tels que le Fonds européen de stabilité financière (FESF), le mécanisme européen de stabilité (MES), le Pacte budgétaire, ou le Fonds de résolution unique. Ces instruments sont étroitement liés à l'Union européenne et utilisent ses institutions, comme l'autorise, sous certaines conditions, l'arrêt de la Cour européenne rendu à l'issue de l'affaire Thomas Pringle. Mais, si l'intégration se poursuit, l'Union européenne devra réorganiser les relations entre "l'UE à 28" et la zone euro. D'après moi, les décisions devant être mises en œuvre dans la zone euro uniquement doivent être adoptées uniquement par les représentants de la zone euro, au sein du Conseil (comme le prévoit le Traité) et du Parlement européen, qui semble à présent plus disposé à imaginer une solution appropriée, pour ce qui est des pouvoirs conférés au Parlement européen par les Traités. Pour les compétences qui appartiennent aux Etats membres (article 5 § 2 TUE), les Parlements nationaux doivent continuer à les exercer, par exemple dans un organe dont les membres seraient leurs représentants. C'est la seule solution juridiquement correcte (voir les articles 5 § 1 et 2 et 13 § 2 TUE, et c'est également la seule solution permettant d'assurer la légitimité politique nécessaire. Quant à la Commission et à la Cour de justice, elles devraient continuer d'exercer leurs fonctions dans tous les cas dans leur composition normale. Afin de préserver la cohésion de l'Union européenne, les droits et les intérêts de Etats membres extérieurs à la zone euro devraient être protégés, sous le contrôle de la Cour de justice, par des règles telles que : respecter la primauté des Traités de l'UE sur tous les accords intergouvernementaux, respecter la priorité des propositions législatives de la Commission, préserver l'intégrité du marché unique, accepter la transparence des activités de la zone euro et offrir aux Etats membres capables et désireux de rejoindre bientôt la zone euro le droit de participer aux réunions (et peut-être celui de prendre part à certaines décisions ?).

Ensuite, la question du Royaume-Uni.

L'histoire des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne a été marquée par des malentendus, un manque d'enthousiasme et un nombre croissant de dérogations. Quarante ans après leur adhésion, les Britanniques pourraient bientôt avoir le choix de rester dans l'Union européenne ou d'en sortir. Paradoxalement, la question se pose précisément au moment où le Royaume-Uni a atteint la plupart de ses objectifs en matière de politique européenne :

- élargir l'Union européenne, sans la renforcer et sans changer ses institutions ;

- bénéficier pleinement des avantages du marché intérieur en dépit de nombreuses dérogations dans d'autres domaines ;

- garder un contrôle strict de sa défense et de sa politique étrangère, tout en libéralisant le commerce extérieur ;

- se débarrasser de tout symbole de fédéralisme, etc.

Les autorités du Royaume-Uni devront choisir parmi trois scénarios possibles avant de tenter d'orienter le peuple britannique vers l'un d'entre eux.

- Le premier scénario consisterait à demeurer au sein de l'Union européenne avec un statut spécial.

Selon le gouvernement britannique actuel, le choix de rester membre de l'UE ne serait acceptable que si un statut spécial était créé par une révision des Traités de l'UE. D'aucuns pensent que ce statut pourrait permettre au Royaume-Uni d'accéder au marché intérieur et de participer aux décisions concernant ce dernier, tout en restant à l'écart des autres politiques de l'Union européenne, telles que l'agriculture, la pêche, la cohésion économique et sociale, la justice et la sécurité, l'immigration ou la politique étrangère.

Avant de donner mon avis sur le fond de ce scénario, je me permettrai un commentaire au sujet du calendrier de cette éventuelle procédure. L'objectif serait donc de proposer aux citoyens britanniques d'accepter par référendum un nouveau statut défini par une révision des Traités européens. Or, cette révision des Traités devrait être ratifiée par l'ensemble des Etats membres avant le déroulement du référendum, car les citoyens britanniques seraient en droit de savoir exactement pour quoi ils vont voter. Dès lors, on peut se demander comment il serait possible de convaincre tous les autres Etats membres de se lancer dans une procédure politiquement très sensible avant même de savoir si les Britanniques l'accepteront par référendum. Il n'y a pas de réponse à cette question : les Britanniques appellent cela " a catch-22 question", qui peut se traduire par " une impasse[4] " ! En outre, il serait impossible de négocier une révision des Traités de l'UE, puis de procéder à leur ratification dans le laps de temps allant des élections législatives britanniques de 2015 à la fin de l'année 2017.

Le fond de la question est sérieux et mérite d'être discuté. Selon certains, il serait inconcevable que le Royaume-Uni soit considéré par l'Union européenne de la même manière que la Norvège ou la Suisse. Ils pensent que l'intérêt de l'Union européenne est de conserver des liens étroits avec le Royaume-Uni, un grand pays, au point que l'Europe accepterait de lui accorder un statut de membre spécial, qui ne participerait que dans le domaine du marché intérieur.

A mon avis, ce point de vue est excessivement optimiste. Les autres Etats membres et les institutions européennes auraient trois raisons catégoriques de refuser une telle "Europe à la carte " [5] :

- premièrement, l'autonomie de l'Union européenne en matière de prise de décisions en serait affectée ;

- deuxièmement, un tel statut, s'il était finalement accepté pour le Royaume Uni, serait extrêmement attrayant pour d'autres Etats, et pourrait ouvrir la porte à des demandes de la part de pays extérieurs à l'Union européenne, tels que la Norvège ou la Suisse, mais aussi de la part d'Etats membres, tels que le Danemark ou la Suède, ce qui pourrait remettre en question l'existence même de l'Union européenne;

- troisièmement, le poids du Royaume-Uni dans une telle négociation serait plus faible que certains ne le pensent : la moitié des exportations britanniques se font vers l'Union européenne, tandis que les exportations des autres pays de l'Union européenne vers le Royaume-Uni ne représentent que 10%. De plus, la moitié de l'excédent commercial de l'Union européenne vis-à-vis du Royaume-Uni est imputable à deux pays seulement (l'Allemagne et les Pays-Bas), alors qu'une révision du Traité requerrait le vote positif des 25 autres Etats membres, dont certains sont en déficit commercial à l'égard du Royaume-Uni.

- Le deuxième scénario : "brexit", sortie de l'Union européenne.

Si le Royaume-Uni décide de quitter l'Union européenne, il est possible d'imaginer sept façons différentes pour que le Royaume Uni organise ensuite ses relations commerciales avec l'UE:

1) en négociant avec l'Union européenne des accords ad hoc, dans le cadre d'un traité de retrait décrit par l'article 50 du TUE ;

2) rejoindre les pays de l'EEE, dont font partie l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège, et respecter les même règles qu'eux ;

3) comme la Suisse, conclure des accords sectoriels avec l'Union européenne ;

4) rejoindre uniquement l'AELE, mais cette organisation n'a plus beaucoup de poids ;

5)conclure avec l'Union européenne, comme beaucoup de pays tiers, des accords de libre-échange ou d'association ;

6) comme la Turquie, conclure avec l'Union européenne un accord d'union douanière ;

7) devenir à l'égard de l'Union européenne un simple pays tiers, comme la Chine, les Etats-Unis ou d'autres.

Le Royaume-Uni, à l'évidence, choisirait une formule qui lui permettrait d'accéder le plus possible au marché unique. L'Union européenne imposerait sans doute des conditions strictes pour accepter une telle formule. Ces conditions ne seraient probablement pas très différentes de celles qui s'appliquent à l'EEE, même si le Royaume-Uni décidait de ne pas adhérer à cette organisation. Le mandat de négociation d'un accord avec la Suisse approuvé en mai dernier par l'Union européenne peut donner une idée de ce que pourraient être ces conditions : non-participation aux processus décisionnels du Parlement européen et du Conseil, acceptation du rôle de la Commission et de la Cour de justice, sans que l'un de ses ressortissants n'en fasse partie, et contribution financière substantielle.

Un tel modèle serait politiquement difficilement acceptable par le Royaume-Uni. Le problème est que l'on ne peut imaginer une formule capable de réconcilier, du point de vue britannique, la viabilité économique et son acceptation politique. Toute option pousserait le Royaume-Uni dans l'une de ces deux directions : la première consisterait à devenir un peu un " satellite " de l'Union européenne, acceptant l'obligation de transposer dans ses lois nationales toutes les règles et directives de l'UE relatives au marché unique. La seconde direction consisterait à engager avec l'Union européenne et le reste du monde des tractations commerciales à partir de zéro, et avec un pouvoir de négociation relativement faible.

- Le troisième et dernier scénario serait que le Royaume-Uni, " with a little help from its friends" [6], demeure un Etat membre sans rien changer dans les Traités de l'UE.

Certes, personne n'est en état de prédire le résultat d'un référendum britannique au sujet de l'Union européenne. Néanmoins, ce dernier scénario serait le plus raisonnable. Il est vrai qu'il impliquerait l'adoption de certaines réformes suggérées par les autorités britanniques. Mais bon nombre de ces réformes, à l'exception d'une " renationalisation de compétences ", semblent acceptables pour la plupart des dirigeants européens.

De fait, réformer l'Union européenne est davantage une affaire de volonté politique et de culture institutionnelle qu'une question de textes juridiques. Beaucoup de réformes pourraient être entreprises sans qu'il soit pour autant nécessaire de réviser les Traités. Il pourrait s'agir de mesures telles que l'adoption d'un calendrier pour l'achèvement du marché intérieur, en particulier dans le domaine des services, ou du lancement de politiques de coopération optionnelles, à propos de l'énergie, par exemple, ou de coopération industrielle dans le domaine des programmes d'équipements de défense. On pourrait également inclure des mesures destinées à améliorer le fonctionnement des institutions en réorganisant la Commission par équipes dirigées par des vice-présidents (ce qui a déjà été entrepris par Jean-Claude Juncker), et en contenant le Parlement dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés d'une façon limitative par les Traités. Ce dernier point est moins évident qu'il n'y paraît : un article récent émanant d'un think-tank de Bruxelles plaide pour que l'on confère au Parlement européen de nouveaux pouvoirs non prévus par les Traités, sans changer ces derniers, alors que le Royaume-Uni souhaiterait que, à l'avenir, les limites prévues par les Traités soient strictement respectées par toutes les institutions.

Le Conseil européen a déjà prouvé sa bonne volonté en affirmant, en juin dernier, que l'idée d'une " union toujours plus étroite " est un concept politique autorisant l'existence de plusieurs voies (acceptant ainsi d'aller plus loin que de simples vitesses) d'intégration. Des concessions ont été annoncées, ou pourraient l'être, sur des manières pratiques de réduire les réglementations excessives ("red tape"), pour un meilleur respect du principe de subsidiarité, afin de protéger les droits des Etats membres qui ne font pas partie de la zone euro, et pour impliquer davantage les parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, il reste à savoir si tout ceci serait suffisant et politiquement acceptable par le gouvernement et les citoyens britanniques.

Enfin, l'Union européenne doit également définir la nature des relations qu'elle pourrait établir à moyen et long terme avec les pays d'Europe qui ne font pas partie de l'Union, mais qui désirent accéder au marché unique : la Suisse, les trois membres de l'EEE-AELE et les trois " micro-Etats " (Andorre, Monaco et Saint-Marin). D'autres pays pourraient s'ajouter à cette liste dans l'avenir, pour des raisons économiques ou politiques. Comme pour le Royaume-Uni, il est nécessaire de répondre à la question des limites de l'intégration différenciée. Peut-on imaginer qu'un Etat non-membre puisse malgré tout accéder au marché unique et avoir le droit de participer aux décisions de l'Union ? Personnellement, je pense que la réponse négative que j'ai donnée en ce qui concerne le Royaume-Uni doit également s'appliquer aux autres cas, tout en reconnaissant qu'elle soulève de graves problèmes démocratiques et constitutionnels pour les Etats non membres de l'Union.

Conclusion

Une intégration asymétrique est inévitable. Je dirais même qu'elle est souhaitable. En effet, une Union européenne dont les Etats membres sont hétérogènes doit pouvoir s'adapter à la diversité de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs souhaits, pour éviter une stagnation pour l'ensemble de ses Etats membres.

Bien sûr, il existe une tension entre, d'une part, la différenciation et, d'autre part, l'unité et la cohérence. Pour cette raison, la différenciation doit comporter des limites, comme l'ont expliqué Marc Lepoivre et Stijn Verhelst dans "Studia Diplomatica", afin de réduire le risque d'une complexité excessive qui induirait un manque de visibilité pour les citoyens et pour éviter de saper l'unité du projet européen.

Pour atteindre cet objectif, quelques principes pourraient s'avérer utiles, tels que :

- exclure le marché unique de la "géométrie variable " et conserver l'autonomie du pouvoir de décision de l'Union européenne dans ce domaine ;

- conserver les caractères distinctifs du droit européen : primauté, effet direct, interprétation uniforme et absence de réciprocité ;

- poursuite de l'action de la Cour de justice et de la Commission dans chaque cas de différenciation ou de coopération renforcée ;

- préserver l'unité de l'Union européenne en tant qu'acteur unique à l'égard du reste du monde : politique commerciale, politique étrangère, politique de défense ;

- dernier point, mais pas le moindre, préserver une visibilité raisonnable pour les citoyens en évitant la création de nouveaux groupes d'Etats, en plus de la zone euro, de l'Union européenne et des Etats non membres participant au marché unique.

Si de tels principes étaient respectés, une intégration asymétrique ne porterait pas atteinte à la spécificité de l'Union européenne, et ne ferait pas obstacle à une intégration plus poussée pour ceux qui sont désireux et capables d'aller plus loin sur cette voie.

Toutefois, la priorité est, à l'évidence, de trouver dorénavant des solutions aux problèmes économiques. Dans le cas contraire, rien ne sera possible.


[1] http://www.egmontinstitute.be/publication_article/vol-lxvi-issue-3-2013-variable-geometry-union-how-differentiated-integration-is-shaping-the-eu/
[2] En français dans le texte original.
[3] Ce texte est issu d'une conférence prononcée le 30 septembre dernier à l'Institut Egmont à Bruxelles.
[4] Explicité par le traducteur, pour plus de clarté.
[5] En français dans le texte original.
[6] "...with a little help from its friends..." que je traduis littéralement, peut être aussi gardé tel quel, comme référence à la chanson bien connue des Beatles.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

L'accélération de l'intégration différenciée et de la coopération renforcée

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