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Paul Gogo
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Paul Gogo
Journaliste
Après l'échec de la reprise des négociations sur l'Ukraine, l'attitude du Kremlin doit être étudiée sous le prisme de ses peurs et de ses obsessions. « Je considère les Russes et les Ukrainiens comme un seul peuple. Dans ce sens, toute l’Ukraine est nôtre » déclarait Vladimir Poutine le 20 juin dernier depuis le forum économique de Saint-Pétersbourg. Cette déclaration venait signer la fin d'une séquence qui avait débuté avec l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Ce moment avait représenté une perspective de paix plus qu'attendue par les Ukrainiens, les Européens et même une partie de la population russe.
Beaucoup d'espoirs ont été exprimés par les populations, de grands mots ont été prononcés dans les médias : « trêve », « paix durable », « cessez-le-feu » et « négociations ». Le tout pour finalement voir les attentes anéanties par le désintérêt d'un Donald Trump impatient, l'intensification des bombardements russes en Ukraine, le détournement des regards vers le Moyen-Orient et, surtout, la mauvaise volonté évidente de Moscou.
Dans un premier temps, il convient de rappeler que le président américain n'a pas réellement créé cette séquence, il a seulement accompagné un mouvement apparu à l'été 2024. A l'époque, alors que les diverses offensives ne menaient à aucune avancée chez les uns comme chez les autres, les diplomates et services de renseignement ont relancé l'idée d'une reprise des discussions. La Russie était convaincue d'avoir l'avantage sur le front mais elle peinait à cacher les difficultés auxquelles elle faisait face. Elle s'est ensuite montrée de plus en plus ouverte à la discussion, par opportunisme, jusqu'à l'arrivée de Donald Trump. Par ses mots et ses actes, celui-ci a convaincu le Kremlin de rendre les discussions publiques après des mois de communications privées. Cette séquence aurait existé avec ou sans Donald Trump, même si son issue n'aurait peut-être pas été la même avec des démocrates au pouvoir à Washington.
Il faut aussi garder à l'esprit que, dans la logique du Kremlin, l'Europe n'est qu'un « passe-plat » des Américains et que les Ukrainiens sont « pris en otage par un gouvernement manipulé par Washington pour affaiblir la Russie ». Cette vision de la situation avait été confortée - aux yeux du Kremlin - au lendemain de l'échec de l'application des accords de Minsk 2. Il faut rappeler que, contrairement à une idée reçue, la Russie n'avait pas plus appliqué ces accords que l'Ukraine, ce qui ne l'avait pas empêchée d'en conclure que la clé de la capitulation ukrainienne se trouvait à Washington et non à Berlin ou Paris.
Pour comprendre la séquence de ce printemps, mélange de bonne foi affichée et de mauvaise foi appliquée de la part de la Russie, il faut se pencher sur les objectifs réels du Kremlin au regard de l'organisation et la gestion des séquences politiques et géopolitiques voulues ou imposées de l'extérieur, par le président russe au quotidien.
Des objectifs énoncés mais fluctuants
La déclaration du 20 juin dernier est un excellent rappel que, malgré toutes ces tentatives de reprises des négociations, le président russe - qui refuse la moindre concession - est engagé dans une logique qui ne peut que le pousser à toujours dégrader davantage les termes de cette capitulation ukrainienne qu'il réclame. L'objectif principal appartient à une logique inscrite dans l'histoire de ce pays : il s'agit de reprendre la main sur le voisin ukrainien pour travailler à la stabilisation de son « étranger proche », condition d'un pouvoir moscovite protégé de son peuple. Car la réaction à la révolution de Maidan de 2014, la déstabilisation du Donbass dans les mois qui ont suivi, puis l'accompagnement du pouvoir biélorusse dans la répression face aux manifestations de 2020-2021 avaient pour objectifs principaux de punir les Ukrainiens et les Biélorusses d'un côté et de vacciner les Russes contre toute velléité de rébellion de l'autre. La stratégie semble avoir fonctionné : il m'est souvent arrivé lors de reportages en Russie (avant 2022), de rencontrer des opposants qui expliquaient vouloir faire tomber Vladimir Poutine par la politique et non par la rue, par peur d'une « guerre civile qui serait forcément sanglante » selon leurs mots.
La leçon ayant été donnée, le Kremlin a poursuivi sa fuite en avant, utilisant la nostalgie de l'URSS pour construire un ultra-nationalisme dont le conservatisme radical repose sur des valeurs qui étaient jugées comme importantes à l'époque soviétique. Ce mélange de deux idéologies radicales permet au Kremlin de transformer la notion de nationalisme – notion réservée aux ennemis ukrainiens - en patriotisme vertueux. Les Russes sont un peuple aux valeurs ultranationalistes mais qui l'ignorent. Il s'agit de convaincre la population qu'elle est « du bon côté de l'histoire ». L'objectif d'autoprotection du pouvoir russe a donc évolué pour continuer d'utiliser l'Ukraine et le conflit en cours, en présentant le pays comme le cheval de Troie de « valeurs décadentes » venues d'Occident et dont les Slaves seraient contraints de se protéger. À écouter régulièrement les télévisions russes, l'armée du pays se battrait désormais en Ukraine par destination contre les féministes et la communauté LGBT, qualifiées de représentantes de ces valeurs décadentes. Ces idées prennent très bien au sein de la population, naturellement peu sensible au sort des minorités. Résultat, ces questions sont sur-représentées dans les propos des Russes interviewés au quotidien. Ils sont très nombreux à adhérer en l'assumant pleinement aux idées masculinistes, homophobes et, de manière générale, de rejet des minorités. La loi russe interdit par exemple le « mouvement LGBT » sans que personne ne se rende compte que ce mouvement n'existe pas !
Cette guerre, désormais idéologique, permet aussi à Vladimir Poutine de prendre toujours plus le contrôle sur sa population. La question d'une cinquième colonne, d'un ennemi de l'intérieur n'a jamais été aussi présente en Russie depuis l'URSS. Elle entraîne notamment une multiplication des actes de délation dans le pays.
Voilà donc un combat qui n'a plus de fin, qui se mène difficilement par les bombes et qui semble de facto éloigner les perspectives de trêve. Ce combat est également mené par la désinformation et les ingérences, les attaques russes en Europe s'expliquant par un mélange d'enjeux liés à la guerre - pour limiter le soutien à l'Ukraine - et d'une volonté d'imposer une vision du monde nationaliste et conservatrice à l'Occident.
L'héritage en obsession
La guerre en Ukraine a désormais un objectif à terme « historique ». C'est une autre obsession du président russe, commune à de nombreux dirigeants, qui ne cherche plus tant à remporter une guerre qu'à marquer définitivement l'histoire de son pays. Il veut s'inscrire dans une lignée de « grands hommes » en tentant de rendre impossible toute réécriture ou rectification de son histoire après sa mort. La réhabilitation de Joseph Staline voulue par le chef du Kremlin s'explique aussi de cette façon. Il ne peut y avoir de mauvais personnages dans le récit national russe si l'on souhaite s'y inscrire en s'appuyant sur une exacerbation du patriotisme et de la fierté nationale. Alors le Kremlin gomme les imperfections de l'histoire par la réécriture des livres destinés aux écoles, par des discours fondateurs truffés d'incohérences et de fantasmes historiques et prépare l'avenir en réécrivant l'histoire en direct par la propagande. Les crimes de guerre perpétrés en Ukraine sont systématiquement présentés aux Russes en miroir inversé. Cette réécriture instantanée des faits doit conforter la population dans une vision fantasmagorique et faussée de la réalité pour qu'elle s'imprime à jamais dans ce « temps-T » et complique toute remise en question de cette « vérité » par la suite.
C'est de cette façon qu'est apparu un premier objectif de guerre en 2014 : la « Novorossiya ». Ce projet politique hérité de l'empire russe était certainement inconnu de la majorité des habitants du Donbass à l'époque. Rares étaient les Ukrainiens qui y adhéraient mais ce projet visait surtout les Russes. Il leur donnait un cadre idéologique fondé sur la nostalgie d'un empire fantasmé et a permis la mobilisation rapide de milliers de mercenaires et volontaires lorsqu'il a s'agit de déstabiliser les régions de Donetsk et Lougansk et de tenter ces mêmes actions dans les régions de Zaporijjia, Kherson et Odessa, territoires historiques de la « Novorossiya ».
Dès 2014, face à la réalité du front, Vladimir Poutine a rapidement, mais temporairement, cantonné ses ambitions militaires au Donbass, les régions de Donetsk et Lougansk, toujours objectifs principaux de l'armée russe. Il est intéressant de remarquer que ce terme est réapparu en Russie ces dernières semaines à l'occasion de l'échec des discussions avec Donald Trump.
Dans une interview récente au magazine français L'Express, Vladislav Sourkov, tête pensante du Kremlin, a rappelé sa vision des choses : l'Ukraine est « un quasi-état artificiel » et « doit être partagée en fragments ». Une référence à l'Ukraine de l'Ouest, considérée par Moscou comme polonaise et à la « Novorossiya », considérée comme russe. C'est anecdotique mais les autorités russes travaillent à la création d'une ligne de chemin de fer qui rejoindra la Crimée par les territoires occupés, déjà nommée « chemins de fer de Novorossiya ».
Ce projet idéologique nous porte à la frontière entre les objectifs « historiques » du président russe, et ceux, à court et moyen terme, qui ne cessent de fluctuer en fonction des opportunités et difficultés. La « Novorossiya » en est un exemple. Elle ne peut être reconstituée sans prendre le contrôle de la ville d'Odessa. La cité portuaire est citée par les responsables russes, les bombardements y sont nombreux mais elle est pour l'instant hors de portée du Kremlin.
Modeler la population et résister aux pressions extérieures
Contrairement à une expression répandue, Vladimir Poutine n'est pas un joueur d'échecs. Il est guidé par des objectifs généraux mais agit au quotidien par opportunisme. Il a bien l'avantage de la montre, car la question du mandat n'en est plus une, il jouit également d'une population sous contrôle total. Mais de nombreux facteurs sociaux, économiques, militaires et géopolitiques viennent quotidiennement entraver ses objectifs.
La Russie n'ayant pas réellement d'opinion publique « vivante », la population doit être en permanence animée par des séquences politiques artificielles créées par les technocrates du Kremlin. Le risque étant qu'un vide communicationnel puisse pousser la population à se poser des questions potentiellement mortelles pour le pouvoir. Au quotidien, la propagande doit donc faire croire au Russe de Vladivostok que celui de Kaliningrad soutient le président Poutine et sa guerre sans concession. Et inversement.
Pour y parvenir, le Kremlin multiplie les séquences politiques à court terme avec pour objectif de modeler sa population, de limiter les risques sociaux parfois impliqués par des séquences imposées de l'extérieur et, au bout du compte, de se diriger vers les « objectifs historiques » décrits précédemment.
Les nuances et le risque se trouvent dans ces séquences politiques qui sont parfois imposées. Le dernier exemple en date est saisissant : le 10 mai dernier, Vladimir Poutine a été contraint d'agir en réaction à une pression extérieure alors qu'Américains, Ukrainiens et Européens dénonçaient publiquement la mauvaise volonté de la Russie dans la quête d'une trêve en Ukraine. Au quotidien, le chef du Kremlin met un point d'honneur à résister à tout ce qu'il considère comme étant des pressions : la presse, la population, les leaders étrangers. Mais cette fois-ci, il en a été réduit à devoir faire une intervention surprise en pleine nuit pour annoncer des discussions - une nouvelle fois dénuées de bonne volonté - en Turquie. Il s'est exprimé en prétextant faire le bilan de sa journée de travail lors d'une fausse conférence de presse, pour ne pas donner à sa population l’impression d'une intervention officielle grave. Il lui était nécessaire de prouver qu'il recherche la paix plus que quiconque.
Sans médias libres ni politiciens indépendants, la Russie n'est pas animée (ou rarement) par des débats publics. La population semble souvent apathique, anesthésiée ou, au contraire, en soutien radical à son président. Vue de l'extérieur, elle paraît difficile à lire dans la nuance. En observant les séquences politiques du Kremlin comparées à ce que l'on entend sur le terrain, on se rend pourtant compte que ces séquences répondent souvent, presque comme dans une démocratie, à des frustrations ou colères venues de la population.
Alors qu'exprimer publiquement son mécontentement est souvent non seulement illégal mais aussi peu accepté socialement, dans certains contextes, généralement hyperlocaux, les Russes sont maîtres dans l'art de critiquer en utilisant les bons termes et en ne ciblant jamais le pouvoir. Le média russe Novaya Gazeta a comptabilisé l'équivalent de trente manifestations par jour en Russie, qui concernent rarement la guerre et la politique fédérale. Les critiques plus générales sont très visibles au quotidien sur les réseaux sociaux, et s'expriment plus facilement en privé ou dans les trains de nuit (qui remplacent les célèbres discussions de cuisine de l'époque soviétique). Et même si le Kremlin ne dispose plus d'un grand nombre de baromètres de la société en réprimant les voix dissidentes en masse, le FSB semble encore capable de détecter certaines tendances, qu'elles viennent de la population des villes, des campagnes, ou de l'élite politique et économique qui bénéficie, elle, de leviers influents pour faire passer ses messages.
La plupart du temps, rien de tout cela n'empêche le Kremlin de rester sur sa ligne ou parfois même de la durcir, motivé par une paranoïa caractéristique des dirigeants autoritaires. Mais il est toujours important d'observer comment ces remontées du terrain sont prises en compte dans la conception de ces séquences, et en quoi elles influencent pour le meilleur, mais plus souvent pour le pire, les ingénieurs de la propagande. En mars 2024, Vladimir Poutine avait monté une séquence politique complexe qui devait faire accepter sa réélection pour la première fois depuis la réécriture de la Constitution. Elle devait aussi faire accepter l'absence de tout opposant dans le scrutin. Point d'autant plus difficile à gérer que la mort de l'opposant Alexeï Navalny en prison avait réveillé les derniers opposants encore à Moscou quelques jours avant l'élection.
La séquence ne devait pas seulement faire office de contre-feu, elle devait aussi modeler l'opinion. Il est apparu dès l'annonce de sa candidature, en décembre 2023, que sa « campagne » présidentielle aurait pour objectif de sortir la population de son apathie et de rendre presque illégale l'idée de « faire l'autruche » en attendant la fin des hostilités. En somme, la réélection frauduleuse, mais officiellement quasi unanime, du président russe devait réunir son peuple autour de lui, le convaincre de continuer la guerre contre l'Ukraine et contre l'Occident et, au passage, renvoyer à l'étranger l'image (erronée) d'un président russe totalement soutenu par sa population.
Mais un régime autoritaire n'échappe jamais totalement aux imprévus : quatre jours après la réélection de Vladimir Poutine, un attentat dans une salle de concert de Moscou a fait 145 morts. La séquence présidentielle se fermait ; une autre crise, en réaction, s'ouvrait. Elle semblait risquée car les Américains avaient prévenu le président Poutine de l’imminence de cet acte de terrorisme islamiste et le chef du Kremlin avait refusé d'agir, criant à la tentative de déstabilisation. Il aura fallu 48h d'anarchie, durant lesquelles les terroristes se seront enfuis de la capitale avant d’être torturés quasi publiquement par la milice néonazie russe « Russisch ». Pendant ce temps, les médias d’État n'auront été que factuels, avant que le Kremlin ne construise puis ne diffuse son narratif. En accusant les Ukrainiens d'être d'une façon ou d'une autre derrière cette attaque, le président russe a subtilement créé un brouillard dans la terreur, qui est finalement venu servir sa séquence précédente. Peu de Russes ont compris les raisons de cet attentat, mais ils ont bien été saisis par la peur d'un ennemi intérieur et la crainte d'une citadelle assiégée. Assez pour les pousser dans les bras du président russe et faire un lien irrationnel avec la guerre en Ukraine.
Fatigue générale
La façon dont Donald Trump a mené ses tentatives de discussions sur le règlement du conflit en Ukraine a contraint le président russe à adapter ses séquences politiques internes. Car l'équilibre était instable avec un président américain représentant l’éternel ennemi commun mais ayant tous les atouts pour plaire aux Russes. Le Kremlin voulait faire traîner les discussions pour ne pas perdre le nouveau lien avec Washington sans prendre le risque d'un arrêt de la guerre. Il s'agissait aussi et surtout de se positionner en tant que victime d'une mauvaise foi ukrainienne en l'accusant de ne pas œuvrer pour la paix en refusant la soumission. Continuant au passage son entreprise destructrice d'invasion de l'Ukraine, la Russie s'est contentée, tous les soirs, d'annoncer la prise de nouveaux villages du Donbass inconnus de la population tout en agitant autant que possible la menace des ennemis communs (Etats-Unis, OTAN, nazis, valeurs occidentales, etc.)
Une nouvelle séquence inattendue s'est alors mise en place. Elle semble avoir été impulsée par la population, en demande de paix et d'une fin de conflit. Si les plus radicaux ont appelé à continuer l'offensive, le Russe, lui, a fait part de sa fatigue face aux horreurs de la guerre, au retour des corps dans les villages, à l'inflation et au manque de perspectives. Inattendu alors que les Russes, qui réclament la fin de la guerre dans les discussions du quotidien, ne la conçoivent qu'avec une victoire nette. Le Kremlin a accompagné cette demande en allant jusqu'à appeler certaines sociétés étrangères à revenir en Russie. Il a été dit clairement que les États-Unis seraient invités à investir de nouveau dans le pays. Et des rumeurs sont apparues dans certains cercles, mises en avant par la presse russe en exil, d'un plan de normalisation qui serait dans les tiroirs du Kremlin.
Vladimir Poutine a laissé s'exprimer la fatigue sachant qu'une séquence forte s'annonçait : le 9 mai et l'anniversaire des 80 ans de la fin de la « Grande guerre patriotique ». Pendant dix jours, le président russe a totalement décroché de la séquence « négociations » de Donald Trump pour se consacrer à la piqûre de rappel annuelle de patriotisme et de fierté nationale. Cette séquence, plus subtile qu'elle en avait l'air, s'est appuyée sur l'émotion sincère de cette période pour les Russes, pour leur expliquer que les négociations n'auraient pas lieu et que la guerre allait continuer. En somme, il fallait briser habilement les espoirs exprimés lors de la précédente séquence. L'armée russe a annoncé la libération de la région de Koursk, partiellement occupée par l'Ukraine, pour donner la sensation d'une situation de force. Vladimir Poutine s'est illustré, dans un rare documentaire le montrant chez lui, en affirmant qu'il réfléchissait à un successeur pour ne pas briser les désirs de perspectives. Il s'est ensuite montré bien entouré sur la place Rouge pour prouver aux Russes que le pays n'était pas isolé mais qu'il était, au contraire, à l'avant-garde d'un nouvel ordre mondial. Il ne faut pas non plus négliger les milliers d'initiatives locales patriotiques qui ont permis de toucher une grande partie de la population. L'objectif était clair : convaincre les Russes que la paix n'est pas pour tout de suite et que la guerre doit continuer même si cela doit entraîner des sacrifices pour la patrie.
Guerre éternelle
Vladimir Poutine a récemment justifié la poursuite des combats et même leur intensification, par une « menace existentielle ». Ces propos ne sont pas nouveaux mais ils sont réapparus en réponse à un événement extérieur. Le fait que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, ait justifié son attaque contre l'Iran, en dehors du droit international par une lutte nécessaire contre un « risque existentiel » pourrait inspirer le chef du Kremlin dans ses actions d'influence à venir.
La Russie a toujours été maîtresse dans l'art de placer l'Occident face à ses contradictions mais les actions combinées d'Israël et des États-Unis lui offrent de nouvelles opportunités d'appuyer sa rhétorique d'une « guerre juste » en Ukraine. Le Kremlin a désormais des interlocuteurs et des peuples dans le monde entier capables d'entendre l'argument russe de la « guerre préventive » contre l'OTAN et les valeurs occidentales.
Il ne faut donc jamais oublier de rappeler que la guerre en Ukraine n'est factuellement existentielle que pour l'Ukraine et le pouvoir russe, mais pas pour la Russie et sa population. Cette justification ne sert qu'à guider des objectifs à long terme du pouvoir. Objectifs qui sont loin d'être atteints d'avance. La gestion d'un pays par l'éducation des jeunes générations à la guerre, l'exacerbation permanente de la fierté nationale, la terreur et un maintien calculé dans la misère n'est pas dénuée de risques. Les échos qui viennent du Kremlin montrent que même l'économie - provisoirement nourrie par le complexe militaro-industriel - passe après la guerre dans les priorités du président. L'inflation est forte, son taux directeur est élevé et l'économie russe semble survivre grâce au savoir-faire d'Elvira Nabioullina, responsable de la Banque centrale russe. Mais le Kremlin manque d'hommes à envoyer au front et pourrait être tenté d'abaisser le niveau de vie de la population pour pousser les hommes des campagnes à s'engager d'eux-mêmes, motivés par l'argent. La stratégie a fonctionné jusqu'ici mais les réserves d'hommes volontaires sont épuisées. En ayant lié son destin à ce conflit, en jouant avec le risque social que représente la crainte du frigo vide et en se mettant en situation de devoir mobiliser des hommes de façon de plus en plus ouverte, Vladimir Poutine pourrait progressivement s'engager dans une fuite en avant potentiellement mortelle pour son régime.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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