Union européenne et pétrole

Climat et énergie

Christophe-Alexandre Paillard

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2 novembre 2004

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Paillard Christophe-Alexandre

Christophe-Alexandre Paillard

Administrateur civil au ministère de la Défense (délégation aux affaires stratégiques) et maître de conférences à Sciences Po Paris.

L'Union européenne s'est attachée à définir une politique pétrolière limitée dans son champ d'action

Le livre vert de la commission européenne du 29 novembre 2000 ("vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement énergétique") a posé d'importants jalons pour préparer la future politique européenne vis-à-vis de l'énergie et du pétrole

Le livre vert fait le point sur l'ensemble des besoins énergétiques de l'Union européenne, les sources de dépendance et les risques stratégiques encourus par l'Union. Sans pour autant trancher sur les choix qui devront être faits par les Etats de l'Union pour assurer leur indépendance énergétique des 30 prochaines années, il propose des orientations. Le livre vert montre en effet que la dépendance à l'égard de sources extérieures d'énergie va s'accroître. Or, "la stratégie à long terme de sécurité des approvisionnements énergétiques de l'Union européenne doit viser à assurer, pour le bien être des citoyens et le bon fonctionnement de l'économie, la disponibilité physique et continue des produits énergétiques sur le marché".

La stratégie européenne doit donc s'orienter autour de trois axes : rééquilibrer sa politique d'offre par une plus grande diversité géographique de ses sources d'approvisionnement et une réduction de la dépendance par rapport à un produit particulier (gaz, pétrole, charbon ou autre); organiser un véritable changement des comportements des consommateurs (par des économies d'énergie, par la construction d'immeubles économes, etc); donner priorité à la lutte contre le réchauffement climatique en favorisant le développement des sources d'énergie renouvelable.

Le livre vert aborde également la question des risques écologiques et sécuritaires. Or, dans ces deux domaines, l'Union européenne s'est récemment engagée dans une politique volontariste destinée à faire face aux menaces réunies par la problématique du transport maritime des hydrocarbures.

Transport maritime, pollution et sécurité

Le développement du commerce maritime et du transport d'hydrocarbures présente des risques importants pour l'environnement. Les tankers sont souvent des navires dangereux, car trop anciens, et les accidents se multiplient. Plus nombreux et plus massifs, ils sont une menace sérieuse pour le milieu marin. Particulièrement médiatisées, les catastrophes pétrolières maritimes mobilisent l'attention des opinions publiques européennes.

L'Union européenne cherche à répondre à ce défi environnemental et s'interroge aujourd'hui sur la mise en place de moyens comparables à ceux déployés aux Etats-Unis comme un corps de garde-côtes chargé de contrôler les pétroliers. Des gouvernement européens ont écarté cette idée en 2001, même si des voix se sont élevées pour promouvoir ce système, car cette solution se heurte à des problèmes de souveraineté nationale.

La législation américaine, consécutive à l'échouement de l'Exxon Valdez sur les côtes de l'Alaska, est pour sa part très contraignante et interdit l'accès aux ports américains des pétroliers ne répondant pas à des critères de sécurité renforcés. Les pétroliers non homologués ont d'ailleurs reflué vers les eaux européennes après 1994, impliquant des risques de pollution accrus.

La plupart des pays européens ont signé le Mémorandum de Paris, s'engageant à contrôler au moins 25% des navires de passage dans leurs ports. Chaque année, le Mémorandum publie des listes noires de navires, mais cette liste n'a qu'une efficacité relative. Après le naufrage de l'Erika, certains pays ont demandé la création d'une « Agence maritime européenne opérationnelle » dotée d'un réel pouvoir de sanction. L'obligation des pétroliers à double coque a été adoptée le 21 octobre 2003 dans l'Union européenne pour répondre à cette demande, mais ce système ne peut être la solution à tous les problèmes environnementaux et maritimes existants car il n'empêche pas les pétroliers russes à simple coque de traverser la Baltique et la mer du Nord, même s'il leur est interdit de se ravitailler ou de livrer leur cargaison en Europe.

Le transport de produits pétroliers peut aussi conduire à relier deux problématiques a priori éloignées l'une de l'autre : le terrorisme et la pollution. Loin de l'hypothèse du pétrolier "bombe flottante", des dégâts occasionnés à un navire pétrolier peuvent conduire à une marée noire. L'impact serait moins spectaculaire qu'en cas d'explosion d'un navire dans un port, mais son coût financier serait loin d'être négligeable lorsqu'on regarde le coût du naufrage du Prestige (1 milliard d'euros) pour l'Espagne.

Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, ceux contre le pétrolier Limburg au Yémen et le navire de guerre américain Cole, ont aussi révélé l'ampleur du phénomène terroriste. Les attaques multiples contre des intérêts pétroliers en Irak et en Arabie saoudite au cours du premier semestre 2004 ont montré que le pétrole était une cible privilégiée pour les terroristes du Moyen Orient qui ont trouvé là un moyen de gravement perturber les équilibres des marchés de l'énergie et, par ricochet, l'ensemble des économies mondiales.

L'Union européenne a donc adopté un règlement communautaire le 24 avril 2004, entré en vigueur le 1er juillet 2004, rendant obligatoire la mise en œuvre de plans de sûreté dans les terminaux portuaires et à bord des navires.

Tous les ports européens sont tenus d'appliquer la nouvelle réglementation sur les installations portuaires et la sûreté des navires. Ce code de sûreté, connu sous le nom d'ISPS ou International Ship and port Facility Security, s'inspire des mesures prises aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001 (pour les pétroliers européens, le coût de mise en place de l'ISPS à l'échelle européenne est estimé à 1,7 milliard d'euros).

L'ISPS oblige à s'assurer du contrôle des marchandises et des passagers (ferries, paquebots, etc.) et s'ajoute aux dispositions unilatérales prises par les Etats-Unis fin 2001 dites Container Security Initiative pour contrôler les conteneurs à risque, y compris des ports européens comme Anvers, Rotterdam ou le Havre. Les Etats-Unis ont imposé depuis le 2 décembre 2001 à leurs partenaires européens la présence de douaniers américains déployés dans les ports de containers comme le Havre, Marseille et Rotterdam pour veiller à l'application de leurs mesures de contrôle.

Européens et Américains ont aussi essayé de mettre en place un dispositif renforcé de protection des voies maritimes mais ce projet s'est heurté à la règle qui veut que leurs marines ne pourraient pénétrer dans les eaux territoriales d'un état riverain sans autorisation préalable de sa part. La protection ne s'appliquerait en réalité qu'à la haute mer, zone a priori la plus libre du risque terroriste.

L'Union européenne doit donc envisager de nouvelles mesures, comme celle des "garde-côtes européens", afin d'assurer la sécurité de ses navires et de ses ports. Une attaque terroriste dans un port pétrolier majeur (Fos, Rotterdam ou d'autres) aurait un coût psychologique et financier très supérieur au coût de mesures préalablement prises pour renforcer la sécurité de l'espace maritime européen.

Un risque majeur pour l'Union européenne : la rupture de ses approvisionnements énergétiques.

L'Union européenne peut-elle être la victime d'un troisième choc pétrolier né d'une crise au Moyen Orient ?

Le Moyen Orient joue un rôle clef dans les questions pétrolières et gazières européennes : il concentre 63% des réserves mondiales de pétrole et 35% des réserves de gaz (estimations 2003). L'Europe importe environ 3 millions de barils par jour en provenance du Golfe Persique, soit 45% de ses importations pétrolières. L'Union Européenne est le premier acheteur de pétrole et le premier fournisseur de l'Arabie Saoudite (38% des importations saoudiennes) et de l'Iran. Les pays de l'Union Européenne sont aussi le principal partenaire commercial des pays du Golfe persique. Elle est le premier fournisseur du Koweït et des Emirats Arabes Unis avec 30 à 40% de leurs importations.

Tout débat sur la politique énergétique européenne doit donc tenir compte de ces données et du rôle de l'Arabie saoudite comme "banque centrale du pétrole mondial". Si la stabilité de l'Arabie saoudite est menacée, alors qu'elle seule peut peser sur les cours du brut en cas de crise, c'est l'ensemble des équilibres énergétiques européens qui seront menacés.

L'Union européenne va rester dépendante du pétrole provenant du Moyen-Orient alors que son approvisionnement en gaz sera couvert par de multiples fournisseurs comme la Russie. La part du Moyen Orient dans les échanges énergétiques mondiaux va repartir à la hausse dans les prochaines années du fait de l'affaiblissement d'autres zones d'extraction comme la mer du Nord. On va donc assister à une "reconcentration" de l'offre énergétique mondiale après la diversification des années 70 et 80 et l'Union européenne devra développer une politique cohérente à l'égard de cette région, très éloignée des divisions politiques du printemps 2003.

Réduire la dépendance à l'égard du Moyen-Orient est donc essentiel, car le développement de la production pétrolière et gazière de mer du Nord, consécutif aux chocs pétroliers de 1973 et 1979, a atteint ses limites, même s'il a permis de réduire substantiellement la dépendance pétrolière extérieure des pays de l'Union européenne passée de 97% en 1973 à 55% en 2000 (pour les 15). Le taux de dépendance vis-à-vis du pétrole produit à l'extérieur de l'Union pourrait faire un bond à 85% dès 2010 et à 90% en 2020 selon la Commission européenne.

L'Union européenne doit s'attendre à un regain de ses préoccupations de sécurité d'approvisionnement. Le passage d'une situation de dépendance limitée à une situation de dépendance extérieure massive va en effet contribuer à modifier les conceptions géostratégiques de l'Europe.

L'Union européenne va être confrontée à deux choix structurels majeurs avant 2010. Elle va devoir relancer la diversification de son offre énergétique; ce qui implique inévitablement de relancer la construction d'un parc de centrales nucléaires, seule solution possible pour les 30 prochaines années en l'absence de percée significative des énergies alternatives ou renouvelables, à l'exemple de ce qui est en train de se réaliser en Finlande et en France avec le choix d'une nouvelle génération de réacteurs.

Elle va devoir réfléchir à l'utilisation de l'instrument militaire de ses états membres. La préoccupation maritime va redevenir prioritaire en Europe pour partager le fardeau de la sécurisation des voies d'approvisionnement en pétrole et en gaz du monde aux côtés des Etats-Unis. De toute façon, si l'Europe ne trouve pas sa place, elle sera très rapidement occupée par des pays comme l'Inde ou la Chine qui ont d'ores et déjà compris qu'ils ne pouvaient faire l'économie d'une politique navale ambitieuse pour sécuriser par eux-mêmes leurs voies d'approvisionnement en énergie.

L'Europe doit-elle se doter de stocks stratégiques pour parer à une rupture de ses approvisionnements pétroliers ?

Considérés comme un outil privilégié de la gestion des crises énergétiques, leur actualité a été relancée par les incertitudes pétrolières actuelles. La Commission européenne et son commissaire chargé de l'énergie, Loyola de Palacio, ont exprimé la volonté en septembre 2002 de créer des stocks stratégiques européens pour compléter le dispositif existant.

Ce dispositif s'articule autour de la directive européenne n° 68/414 du 20 décembre 1968 qui obligeait les six membres de la CEE à maintenir un niveau minimum de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers. Ce niveau représentait l'équivalent de 65 jours de consommation intérieure. Ce dispositif fut renforcé en 1972 et l'obligation passa à 90 jours.

En 1973, les pays de l'OPEP triplèrent le prix du brut en quelques jours. En réaction à ce premier choc pétrolier, les pays importateurs de pétrole créèrent l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et mirent au point un programme international de l'énergie (PIE). Ses objectifs étaient la sécurité des approvisionnements et l'indépendance énergétique. Les pays membres de l'Agence sont tenus de conserver des stocks équivalents à 90 jours minimum d'importations nettes. Dans le cadre des mesures d'urgence, le PIE définit un plan international de répartition des approvisionnements pétroliers. Aujourd'hui l'AIE regroupe 24 Etats, dont 15 de l'Union européenne.

En dépit de l'existence de l'AIE et du PIE, les crises successives du Moyen Orient montrent qu'il est nécessaire de repenser la politique énergétique et la sécurité d'approvisionnement des états membres de l'Union européenne. La proposition de la Commission faite en 2002 pose trois questions. Elle vise à réduire au maximum la dépendance énergétique vis-à-vis des pays producteurs, à éviter une rupture des approvisionnements énergétiques et à contribuer à réguler les cours du pétrole sur les marchés mondiaux.

La création de stocks stratégiques européens doit cependant tenir compte de l'état psychologique des membres de l'Union car le sentiment de dépendance fluctue avec les prix du pétrole. Quand ceux-ci sont bas, comme en 1986, il a tendance à s'atténuer; il reprend de l'acuité lorsque les prix flambent comme en 2004. Or, la dépendance pétrolière est par nature évolutive. Elle réside dans les substitutions possibles entre sources d'énergie et dans les gains d'efficacité énergétique réalisables. Il est donc logique qu'une politique européenne se préoccupe au premier chef d'agir sur la demande d'énergie.

Les stocks stratégiques ne sont qu'une solution partielle au risque de rupture des approvisionnements pétroliers. Ces réserves, limitées en volume, ne pourraient permettre de faire face à une rupture majeure et durable des approvisionnements énergétiques. La diversité des sources d'approvisionnement et le développement de modes de consommation énergétiques variés sont en fait les seules vraies réponses à la question de la dépendance énergétique et stratégique.

Ces réalités et l'absence de véritable modèle de stocks expliquent que les pays européens ont choisi des systèmes différents : gestion des stocks par des agences parapubliques spécialisées en Allemagne; opérateurs privés en Belgique; système mixte en Espagne ou en France.

Aux Etats-Unis, les réserves stratégiques sont utilisées en cas de crise majeure comme le 16 janvier 1991 (guerre du Golfe) où 33,75 millions de barils ont été vendus aux compagnies pétrolières; ce qui peut en faire un instrument politico-militaire au service de la politique étrangère américaine. C'est aussi un instrument de régulation des cours du pétrole en cas de hausse des prix. Le 22 septembre 2000, 30 millions de barils ont été vendus pour faire baisser les cours à la suite de hausses de prix liées aux réductions des productions des pays de l'OPEP.

Même la question des conditions objectives de stockage est importante (localisation, volume, gestionnaire, etc), la réflexion européenne sur les stocks stratégiques doit d'abord s'articuler autour de leur utilité : lutter contre la spéculation quand les cours flambent. Faut-il alors créer un complément de stocks à cet effet, dont le volume, dès lors connu des spéculateurs, leur laissera deviner la marge de manœuvre des autorités, et dont il faudra accepter le coût récurrent ? Comment gérer la variété des situations induites par l'existence de régimes nationaux différents auxquels les Etats sont attachés au titre de la subsidiarité ? Le manque d'unité des pays européens et la faiblesse de la PESC permettent-ils une telle approche ?

Toutes ces inconnues plaident pour une utilisation prudente de stocks stratégiques de produits pétroliers. Certes, les stocks confortent l'opinion de ceux qui pensent qu'un niveau élevé de produits finis localisés près des consommateurs est un signal rassurant pour les marchés, mais, en l'absence d'axe clair, l'actuel système de gestion des stocks dans les différents pays européens mérite d'être conservé car il est efficace et d'un coût acceptable. Une intégration future dans un système européen est par contre souhaitable pour donner une vraie lisibilité aux orientations stratégiques européennes en cas de menace sur la sécurité des approvisionnements énergétiques de l'Union.

Le débat sur les stocks stratégiques pose donc la question de la diversité des sources d'approvisionnement énergétiques de l'Europe et d'une vraie politique européenne de l'énergie reposant sur des produits variés (pétrole, gaz, nucléaire, charbon, etc.)

Conclusion

Les Etats membres de l'Union européenne sont dans l'obligation de préciser son rôle dans le domaine pétrolier.

La politique pétrolière européenne ne doit pas seulement relever du rôle des Etats membres ou de la seule direction générale de l'énergie. Les implications multiples de cette problématique décrites ci-dessus lient la politique pétrolière à la PESC par ses multiples aspects sécuritaires. L'Union européenne ne pourra se permettre de dépendre de manière permanente d'acteurs extérieurs (Etats-Unis, Russie, OPEP ou d'autres) pour garantir sa sécurité énergétique et préserver son bien-être.

Référence

:"Géopolitique du Pétrole" de Christophe-Alexandre Paillard, Cédric de Lestrange et Pierre Zelenko, éditions Technip, Paris - Parution : fin février 2005.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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