L’Europe à plusieurs vitesses
Jean-Dominique Giuliani
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Jean-Dominique Giuliani
Depuis plusieurs années, l’Europe communautaire patinait. Non pas qu’elle n’ait rien entrepris. Non ! Elle a développé un corpus de règles particulièrement important, au point qu’elle est parfois aller trop loin. Elle a initié de nouvelles politiques, industrielles, financières jusqu’à mettre un pied dans les questions de défense.
Mais l’Union politique n’a pas vraiment progressé et malgré l’énergie et la constance du président de la République française, malgré les nuages qui se sont amoncelés dans le paysage géopolitique, les questions de sécurité et de défense de l’Europe n’ont pas trouvé de vraies réponses au sein de l’Europe communautaire et la défense de l’Europe en a pâti.
Il a fallu deux invasions russes en Ukraine, une guerre informationnelle et informatique déclenchée par le dictateur du Kremlin et l’élection d’un président américain atypique, pour lui permettre d’envisager des avancées inédites.
Cette accélération est due à cette conjonction de facteurs mais surtout à la méthode qu’elle a imposée.
Les problématiques de sécurité et de défense ne sauraient facilement progresser par des initiatives de la Commission ou du Parlement européen.
Elles ne peuvent véritablement avancer qu’à partir de la volonté des États membres quand ceux-ci sont convaincus d’un besoin ou mieux d’une urgente nécessité, car, dans ces domaines, les initiatives venues des institutions communes suscitent la plupart du temps crispations et rejet au sein des administrations nationales.
La crise sanitaire de Covid-19 et la guerre russe en Ukraine ont poussé les États membres à rechercher des solutions communes à des situations qu’ils estimaient ne pas pouvoir affronter seuls. Ces décisions ont pris la forme d’actions coordonnées ou de politiques européennes dont la gestion était souvent déléguée aux institutions communes devenues alors indispensables.
75 ans après la déclaration Schuman du 9 mai 1950, la méthode reste la même : « … Par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait… »
Et que dire du contexte ?
Les historiens ont montré que l’insistance et l’audace de Jean Monnet et de Robert Schuman trouvaient leur source dans la crainte de voir la guerre froide dégénérer rapidement en conflit ouvert. En sommes-nous aujourd’hui si loin ?
Comme nous l’avons souvent démontré, en Europe, nous avons dépassé depuis longtemps les termes des vieux débats sur la forme et la finalité de l’intégration européenne.
L’Union européenne est plus fédérale que rêvée par les plus fédéralistes pour les politiques qui lui ont été confiées ; elle est plus intergouvernementale que rêvée par les plus souverainistes pour les compétences qui ne lui ont pas été données.
Coopérer dans les domaines de la défense et de la sécurité pour préserver la paix menacée est donc aujourd’hui une avancée considérable qui permet aux Européens de se réconcilier, de se renforcer et de s’exprimer unis. Face au retour de la guerre sur le continent, le Royaume-Uni les a rejoints, les États ont décidé de se réarmer, les chefs d’État et de gouvernement s’expriment fortement aux côtés de l’Ukraine et confient même à leurs chefs d’état-major le soin de donner des suites concrètes à leurs décisions.
Confrontés au défi russe et à l’abandon américain, les Européens se retrouvent quasi-naturellement dans un combat commun : il est culturel autant que politique.
Pour l’État de droit, la pratique démocratique et sociale, l’ouverture au monde, la place de la culture et de l’éducation, un modèle européen existe qui doit s’assumer par la fierté d’appartenance et la volonté de le promouvoir.
Nous ne sommes pas l’Amérique, certainement pas celle de Donald Trump.
Nous ne sommes pas la Russie, certainement pas celle de Vladimir Poutine.
Le fossé qui existe entre nous et ces deux ensembles qui se veulent des empires, est très profond. Il porte sur la conviction, traduite en lois, que le respect de la personne humaine est au centre de tout et doit être la valeur principale autour de laquelle s’organise la société.
Et les troubles qui peuvent nous affecter par la libre contestation interne ou les manipulations venues de l’extérieur, ne semblent pas affaiblir le soutien des citoyens européens à ce postulat auquel adhère bien des peuples loin de nos frontières.
Le temps long est le seul juge des civilisations.
Ce ne sont pas les dangers du moment qui doivent occulter ce que les Européens ont réussi à construire depuis des millénaires avec, il est vrai, tant de soubresauts et de doutes. Ils doivent au contraire les fortifier dans un sursaut nécessaire pour éviter de revoir les pires moments de leur histoire.
Pour surmonter les difficultés présentes, l’Europe n’a pas d’autre choix que de se réformer, de se fortifier et de s’affirmer. Elle semble en avoir pris conscience dans l’urgence. Une véritable accélération est à l’oeuvre, de l’histoire, mais aussi de l’Europe et de son intégration.
Les contributions contenues dans cet ouvrage offrent nombre de réflexions et de pistes concrètes pour y parvenir.
Le Rapport Schuman sur l'Europe, l'état de l'Union 2025, dont ce texte figure en tant que préface, sera disponible sur le site de la Fondation le 3 juin et en librairie le 12 juin. Cet ouvrage a été réalisé sous la direction de Pascale Joannin et est publié aux éditions Hémisphères.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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