Démocratie et citoyenneté
Florent Parmentier
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Florent Parmentier
Secrétaire général du CEVIPOF – Sciences Po et chercheur-associé à HEC Paris
Devant l’hémicycle européen de Strasbourg, le 9 septembre dernier, la présidente moldave Maia Sandu a livré un véritable plaidoyer existentiel. « Si notre démocratie ne peut pas être protégée, alors aucune démocratie en Europe n’est sûre » a-t-elle martelé. Au-delà des formules diplomatiques, c’est bien un appel au secours que lançait la présidente moldave, qualifiant les élections législatives du 28 septembre de « bataille finale » pour l’adhésion européenne et de scrutin « le plus crucial de l’histoire » de son pays.
Depuis son accession au pouvoir en 2020, Maia Sandu a fait de l’ancrage européen de la Moldavie son pari politique central, transformant un pays traditionnellement tiraillé entre Est et Ouest en candidat officiel à l’Union européenne. Mais ce pari, accéléré par la guerre en Ukraine et les opportunités géopolitiques qu’elle a ouvertes, arrive dorénavant à un moment de vérité électoral. « C’est une course contre la montre ; ancrer notre démocratie au sein de l’Union européenne, où elle sera protégée contre la plus grande menace à laquelle nous sommes confrontés : la Russie » a-t-elle résumé devant les députés européens, synthétisant cinq années d’un agenda européen désormais soumis au verdict des urnes.
Pour les partisans de Maia Sandu, une victoire du Parti Action et Solidarité (PAS) consoliderait définitivement le pari européen, ouvrant la voie à des négociations d’adhésion accélérées. Une défaite, en revanche, pourrait déboucher sur une période d’instabilité politique ou sur une coalition pro-russe, faisant de la Moldavie un « tremplin pour des attaques hybrides contre l’Union européenne », selon les mots de la présidente moldave.
Ce pari européen, qui définit l’identité politique de Maia Sandu et l’avenir géostratégique de son pays, soulève trois interrogations cruciales à l’approche du scrutin. Sur quelles fondations repose ce pari ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle rebattu les cartes ? Enfin, quel sera l’horizon de ce pari au lendemain du 28 septembre ?
Une offre politique européenne construite dans la durée
En novembre 2020, Maia Sandu l’emporte largement (57,7 % des voix) contre le président sortant Igor Dodon et accède à la présidence avec un programme de réformes internes se concentrant sur la lutte contre la corruption. Face à un électorat lassé des querelles géopolitiques stériles qui ont paralysé le pays durant la décennie précédente, la nouvelle présidente privilégie délibérément un discours pro-réforme. L’Europe n’apparaît alors que comme un horizon normatif lointain, une référence démocratique plutôt qu’un projet politique immédiat. Pourtant, en moins de cinq ans, cette aspiration diffuse va se muer en obsession stratégique, transformant les élections législatives de septembre 2025 en nouveau référendum, après celui d’octobre 2024, sur l’ancrage européen du pays.
Cette mutation s’opère d’abord par une révolution méthodologique. Forte de la majorité législative conquise en juillet 2021, avec 52,8% des suffrages et 63 députés sur 101, Maia Sandu dispose enfin des leviers institutionnels pour concrétiser son agenda réformateur. Mais plutôt que de présenter ces transformations comme de simples modernisations administratives, elle développe une stratégie de cadrage systématique : chaque réforme devient une « étape vers l’Europe ». La loi anticorruption ? Un prérequis à l’adhésion. La réforme de la justice ? Une harmonisation avec les standards européens. Les mesures de transparence ? Une préparation à l’acquis communautaire. Même si toutes ces réformes n’arrivent pas à leur terme, l’orientation est donnée.
Cette européanisation discursive des réformes intérieures produit un double effet politique. D’une part, elle donne une cohérence narrative à un agenda qui aurait pu paraître technocratique et dispersé. D’autre part, elle transforme progressivement l’aspiration européenne en nécessité politique concrète. Les Moldaves ne votent plus seulement pour ou contre des réformes spécifiques, mais pour ou contre l’Europe elle-même. La présidente moldave réussit ainsi la prouesse de politiser l’intégration européenne sans paraître imposer un choix idéologique externe.
La force politique de Maia Sandu réside donc dans sa capacité à articuler le pragmatisme réformateur avec la rhétorique de l’urgence. L’intégration européenne cesse d’être présentée comme un choix parmi d’autres pour devenir une « question de survie ». Cette dramatisation trouve sa formulation la plus aboutie dans son discours de septembre 2025 au Parlement européen : l’adhésion à l’Union européenne devient alors une « course contre la montre » pour ancrer définitivement la démocratie moldave face à la « plus grande menace : la Russie ».
Cette rhétorique existentielle s’appuie sur des résultats diplomatiques spectaculaires, qui constituent le cœur de l’argumentaire électoral de Maia Sandu. Candidature officielle déposée en mars 2022, statut de candidat obtenu en juin 2023, ouverture des négociations d’adhésion en décembre 2023 et premier sommet UE-Moldavie le 4 juillet dernier : en moins de trois ans, la Moldavie est devenue l’un des candidats les plus avancés de l’élargissement. Performance d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, faisant de la Moldavie une priorité stratégique européenne. Le déplacement conjoint d’Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Donald Tusk à Chisinau à l’occasion de la fête de l’indépendance le 27 août 2025, afin de soutenir Maia Sandu, en est la parfaite illustration.
Face aux sceptiques qui doutent de la capacité du pays à rejoindre rapidement l’Union européenne, la présidente moldave développe une approche résolument pragmatique. Elle plaide pour un processus « basé sur les mérites », soulignant que l’Union européenne « n’a jamais été une question de perfection, mais de protection des démocraties fragiles jusqu’à leur consolidation ». Cette approche, qui positionne explicitement la Moldavie aux côtés de l’Ukraine dans une « trajectoire parallèle », répond aux inquiétudes intérieures tout en flattant l’orgueil national moldave.
Cette stratégie discursive vise à désamorcer l’argument de l’opposition selon lequel la Moldavie ne serait « pas prête » pour l’Europe. En inversant la charge de la preuve (ce n’est plus la Moldavie qui doit mériter l’Europe, mais l’Europe qui doit protéger la Moldavie), Maia Sandu transforme les faiblesses de son pays en arguments pour une intégration accélérée.
À l’approche du scrutin législatif, l’enjeu central pour la présidente consiste à transformer cette performance diplomatique en mobilisation électorale, notamment auprès d’une diaspora très nombreuse parmi les États européens. Si l’offre politique européenne a prouvé son efficacité sur la scène internationale, sa traduction en soutien populaire demeure incertaine. Les sondages révèlent un écart persistant entre l’adhésion de principe à l’intégration européenne et l’enthousiasme pour les réformes concrètes qu’elle implique, comme l’a montré le résultat contrasté du référendum d’octobre 2024 : par 50,35% des suffrages, les Moldaves avaient voté pour l’inscription dans la Constitution de l’objectif de l’adhésion à l’Union européenne.
Quand la guerre en Ukraine redéfinit le pari européen
Le contraste saisit par sa brutalité. En novembre 2020, Maia Sandu promettait de se concentrer sur les réformes intérieures, fidèle à son passé d’économiste. Cinq ans plus tard, dans l’hémicycle strasbourgeois, elle fait de la guerre en Ukraine l’argument central de sa campagne électorale : « L’objectif du Kremlin est clair : capturer la Moldavie par les urnes, nous utiliser contre l’Ukraine et nous transformer en tremplin pour des attaques hybrides contre l’Union européenne. » Cette métamorphose révèle comment l’invasion russe du 24 février 2022 a bouleversé l’équation politique moldave, transformant ce qui était conçu comme un agenda de modernisation interne en question de survie géopolitique.
L’invasion russe de l’Ukraine produit immédiatement un effet de clarification politique en Moldavie. Loin des hésitations passées, Maia Sandu a condamné sans ambiguïté l’agression russe dès les premières heures du conflit et a mis les partis traditionnellement pro-russes sur la défensive. Cette prise de position tranche avec la tradition de neutralité constitutionnelle moldave, l’hostilité de fond de la population à une adhésion à l’OTAN, et marque un tournant définitif vers l’alignement occidental. En quelques semaines, la Moldavie devient un acteur direct du conflit : accueil dans l’urgence de près d’un million de réfugiés ukrainiens (environ 110 000 seraient encore présents), coopération renforcée sur les infrastructures énergétiques et douanières, coordination sécuritaire avec Kiev.
Malgré tout, cette solidarité a un prix. Les chocs énergétiques et inflationnistes frappent durement une économie moldave déjà très fragile. L’inflation dépasse 30% en octobre 2022, les coupures d’électricité se multiplient après les bombardements russes des infrastructures ukrainiennes. Après un recul net du PIB en 2022 (4,6%), la croissance connaît une légère reprise en 2023 (1,2%) et reste atone en 2024 (0,1%). Le plan de soutien de 1,8 milliard € proposé par Ursula von der Leyen en octobre 2024, que les colégislateurs ont approuvé en février 2025, n’a pas encore produit d’effets tangibles en six mois. Pour Maia Sandu, ces épreuves deviennent paradoxalement des arguments : elles démontrent la vulnérabilité moldave et la nécessité d’un ancrage européen rapide. « Sans l’Union européenne, nous risquons de devenir une base hybride russe », martèle-t-elle, transformant les difficultés immédiates en justification de l’urgence européenne. La stratégie fonctionne : en deux ans, la Moldavie rattrape l’Ukraine dans la course à l’adhésion, avec même une légère avance due à l’absence de guerre active sur son territoire.
Cette performance diplomatique crée un paradoxe que Maia Sandu exploite habilement dans sa campagne. D’un côté, elle met en avant la « trajectoire parallèle » avec l’Ukraine pour rassurer sur la faisabilité de l’adhésion. De l’autre, elle souligne que la Moldavie, n’étant pas en guerre ouverte, peut progresser plus rapidement dans les négociations. Cette argumentation vise à répondre aux sceptiques qui doutent de la capacité moldave à rejoindre l’Union européenne dans des délais raisonnables. Toutefois, le parallèle ukrainien révèle aussi les faiblesses du pari de Maia Sandu. Si l’Ukraine bénéficie d’une solidarité européenne renforcée par son statut de victime héroïque, la Moldavie doit justifier son adhésion par ses seuls mérites démocratiques et économiques. Plus préoccupant encore, la guerre ukrainienne expose la Moldavie aux représailles russes sans lui offrir les garanties de sécurité dont bénéficie Kiev. Cette asymétrie crée une vulnérabilité que l’opposition ne manque pas d’exploiter.
L’évolution de la perception électorale de l’intégration européenne illustre parfaitement cette ambivalence. En 2022, au moment de la candidature, l’Europe apparaissait comme une promesse de sécurité et de prospérité face au chaos ukrainien. Trois ans plus tard, à l’approche du scrutin législatif, cette promesse s’est muée en contrainte quotidienne : réformes douloureuses, conditionnalités européennes, pressions géopolitiques accrues.
L’opposition pro-russe exploite cette lassitude en présentant l’agenda européen comme une « soumission aux intérêts occidentaux » qui expose inutilement la Moldavie aux représailles russes. A l’image de l’ancien président Igor Dodon sur son compte Facebook, elle se félicite notamment des évolutions de la politique américaine qui, selon elle, préfigurent une entente russo-américaine et laissent présager un retour à une approche plus « réaliste » des relations avec Moscou. Cette argumentation vise les électeurs fatigués par cinq années de tensions géopolitiques.
Le défi central, pour Maia Sandu, consiste à convaincre que l’Europe protège plus qu’elle n’expose. Son argument principal repose sur l’urgence temporelle : il faut aller vite. Cette rhétorique de l’urgence s’appuie sur l’analyse des intentions russes, présentées comme visant à « capturer la Moldavie par les urnes » avant que l’adhésion européenne ne la mette, peut-être définitivement, hors d’atteinte. Cependant, cette stratégie de la peur comporte des risques électoraux évidents : en dramatisant les enjeux géopolitiques, Maia Sandu risque d’alimenter l’angoisse d’un électorat déjà éprouvé par les crises successives. L’opposition peut facilement retourner l’argument : c’est précisément l’orientation pro-européenne qui expose la Moldavie aux menaces russes.
Les forces anti-européennes à l’offensive électorale
Dans son discours du 9 septembre 2025, Maia Sandu livre un diagnostic saisissant de la bataille électorale qui se joue en Moldavie : « Une guerre hybride illimitée menée par le Kremlin, à une échelle inédite avant l’invasion totale de l’Ukraine. » Cette escalade dans l’ingérence russe transforme les élections législatives moldaves en laboratoire de la déstabilisation démocratique, où se testent les nouvelles armes de la guerre hybride. Selon la présidente, l’objectif géopolitique de la Russie est clair : « capturer la Moldavie par l’urne, nous utiliser contre l’Ukraine, et nous transformer en base de lancement pour des attaques hybrides contre l’Union européenne ». Face à cette offensive, les forces anti-européennes disposent d’atouts redoutables que le pari européen de Maia Sandu peine à contrer.
L’ingérence russe en Moldavie révèle la sophistication croissante des techniques de déstabilisation démocratique. La présidente moldave détaille un arsenal impressionnant : financement massif de partis pro-Kremlin, corruption électorale directe par distribution de pots-de-vin, campagnes de désinformation utilisant deepfakes et faux sites d’information, manipulation des réseaux sociaux par des fermes à trolls. Cette panoplie dépasse largement les méthodes traditionnelles d’influence pour constituer une véritable agression contre l’intégrité du processus démocratique moldave, qui pourrait aussi se déployer contre d’autres démocraties européennes, y compris dans des démocraties consolidées comme l’Allemagne et la France.
Cette guerre hybride exploite habilement les faiblesses structurelles de la société moldave : pauvreté endémique facilitant la corruption électorale, fractures linguistiques et identitaires permettant la polarisation, dépendance énergétique créant des vulnérabilités économiques. En s’appuyant sur ces fragilités, l’offensive russe transforme chaque difficulté sociale en argument contre l’intégration européenne. Or, les sondages montrent que les sujets socio-économiques dominent dans les préoccupations de l’opinion publique moldave, avec en tête la corruption et la pauvreté, les petits revenus ou encore la démographie, largement devant les sujets internationaux. Dans le même sondage, une majorité de la population estime que le pays va dans la mauvaise direction (52,7 % contre 38,1%), ce qui peut être une source d’inquiétude pour le pouvoir en place.
Dans ce contexte, l’efficacité de l’offensive anti-européenne repose largement sur l’exploitation de la fatigue sociale accumulée après cinq années de réformes intensives. Les promesses de prospérité européenne se heurtent à une réalité économique toujours difficile : salaires stagnants, émigration massive, corruption persistante malgré les réformes. Cette déception permet à l’opposition de présenter l’agenda européen comme un mirage coûteux qui détourne la Moldavie de ses vrais intérêts.
Les partis pro-russes, notamment le bloc patriotique[1], exploitent particulièrement la lassitude face aux conditionnalités européennes. Chaque exigence de réforme devient une preuve de « soumission à Bruxelles », chaque critique européenne sur les progrès moldaves alimente le discours souverainiste. Cette stratégie transforme les standards européens, présentés par Maia Sandu comme des garanties démocratiques, en contraintes externes imposées à la souveraineté moldave.
Plus subtile encore, l’opposition joue sur l’angoisse sécuritaire créée par l’orientation pro-occidentale. Alors que Maia Sandu présente l’intégration européenne comme une protection, ses adversaires la dépeignent comme une provocation dangereuse qui expose inutilement la Moldavie aux représailles russes. Pour eux, la politique de Maia Sandu ne garantit pas la paix, et risque au contraire d’entraîner le pays vers la guerre avec la Russie. La déstabilisation potentielle de la Transnistrie, territoire séparatiste à l’Est de la Moldavie, augmente le niveau d’incertitude du pays.
Face à cette offensive multiforme, le défi central pour la présidente consiste à réinventer son discours européen pour surmonter la fatigue démocratique. Sa stratégie repose sur la dramatisation : transformer les élections en choix existentiel entre « démocratie » et « dictature », entre « Europe » et « Russie ». Mais cette polarisation comporte des risques évidents en alimentant précisément les tensions que ses adversaires dénoncent. De fait, l’enjeu pour Maia Sandu est de réussir à incarner encore l’espoir plutôt que la contrainte. Cela suppose de dépasser le discours de l’urgence sécuritaire pour retrouver une vision positive de l’avenir européen. Mais après cinq années de crises successives, l’électorat moldave est-il encore réceptif à un message d’espoir ? Ou la fatigue démocratique a-t-elle créé une demande de stabilité que seule l’opposition peut satisfaire ?
Cette question révèle le paradoxe central du pari européen de Maia Sandu : plus elle insiste sur les menaces russes pour justifier l’urgence européenne, plus elle alimente l’angoisse sociale que l’opposition exploite pour proposer une « réconciliation » avec Moscou. Plus elle dramatise les enjeux géopolitiques, plus elle risque de lasser un électorat en quête de normalité. A ce titre, la percée du Bloc Alternativa, qui se revendique comme centriste (pro-européen, mais voulant à terme normaliser des relations avec la Russie), sera probablement l’une des clés du scrutin. Pour l’Europe, l’enjeu dépasse la seule Moldavie : une victoire des forces pro-russes confirmerait l’efficacité des nouvelles armes hybrides et encouragerait leur déploiement contre d’autres démocraties européennes. Une victoire de Maia Sandu, en revanche, démontrerait que la résilience démocratique peut triompher de la déstabilisation, ouvrant la voie à une consolidation de l’architecture sécuritaire européenne.
Un test grandeur nature du soft power européen
Le scrutin du 28 septembre, visant à élire 101 députés, cristallise un moment de vérité pour l’Europe. Au-delà du destin personnel de Maia Sandu et de l’avenir géopolitique de la Moldavie, c’est l’efficacité même du modèle européen d’influence qui se trouve évaluée par les urnes. Cinq années après le début du pari européen de la présidente moldave, trois scénarios se dessinent, chacun porteur d’enseignements cruciaux pour la stratégie d’élargissement de l’Union.
Le premier scénario est celui d’une victoire nette du Parti Action et Solidarité (PAS), qui consacrerait définitivement l’ancrage européen moldave et validerait la stratégie de Maia Sandu. Ce scénario ouvrirait la voie à une accélération des négociations d’adhésion, avec un objectif d’intégration effective avant 2030. Pour l’Europe, cette victoire démontrerait que le soft power européen peut triompher de la guerre hybride russe, même dans les zones les plus exposées géopolitiquement. Cette consolidation renforcerait également la crédibilité de la politique d’élargissement européen, longtemps critiquée pour sa lenteur et ses conditionnalités excessives. Le message serait clair : l’Europe protège effectivement les démocraties qui s’ancrent dans ses institutions.
Le deuxième scénario est celui d’une incapacité du PAS à atteindre le total de 51 députés, suivie de la formation d’une coalition pro-russe, qui constituerait un scénario difficile pour Bruxelles. Cette configuration risquerait de bloquer durablement le processus d’adhésion moldave et transformerait le pays en « base hybride » pour la déstabilisation de l’Ukraine et de l’Europe orientale. Pour Moscou, ce succès validerait l’efficacité des nouvelles techniques de « capture démocratique », sur le modèle géorgien, et encouragerait leur déploiement ailleurs. Ce scénario révélerait les limites structurelles du soft power européen face à des régimes autoritaires déterminés à investir massivement dans la déstabilisation. Il poserait également la question de la réversibilité des processus d’intégration : une fois les négociations suspendues, l’élan européen peut-il être relancé ? L’Europe devrait alors repenser fondamentalement ses méthodes d’influence dans les zones contestées géopolitiquement.
Enfin, le troisième et dernier scénario aboutirait à un résultat serré, engendrant une cohabitation difficile ou une instabilité gouvernementale, ce qui plongerait la Moldavie dans l’incertitude politique pour plusieurs années. Ce scénario intermédiaire maintiendrait formellement le processus d’adhésion tout en le ralentissant considérablement. Le PAS a exclu ce scénario a priori en refusant toute forme d’alliance après le scrutin législatif, mais qui a pourtant une probabilité assez élevée. Pour l’Europe, cette situation créerait un précédent inquiétant : celui d’un pays candidat durablement paralysé par ses divisions internes. Cette paralysie moldave soulignerait les limites de la conditionnalité européenne : comment exiger des réformes démocratiques d’un pays dont les institutions sont bloquées par l’instabilité politique ? L’Europe devrait alors inventer de nouveaux outils pour accompagner des transitions démocratiques inachevées.
Quel que soit le scénario qui sortira des urnes, l’expérience moldave livre déjà des enseignements décisifs pour la politique d’élargissement. D’abord, elle incite à prendre en compte la nécessité de repenser les temporalités : dans un contexte de guerre hybride, la lenteur traditionnelle des négociations d’adhésion devient un facteur de vulnérabilité. L’Union européenne doit apprendre à accélérer ses processus sans sacrifier ses exigences démocratiques, à intégrer explicitement la protection contre les ingérences extérieures et la guerre hybride et à améliorer repenser ses politiques de pré-adhésion pour générer des bénéfices tangibles et immédiats, seuls capables de résister aux promesses démagogiques des forces anti-européennes. Tels sont bien les enjeux des prochaines élections législatives en Moldavie.
[1] Le « Bloc patriotique » est une alliance électorale construite autour d’Igor Dodon et Vladimir Voronine, réunissant les principaux partis de gauche pro-russes en Moldavie : le Parti des socialistes (PSRM), le Parti des communistes (PCRM), ainsi que Inima Moldovei (Irina Vlah) et Viitorul Moldovei (Vasile Tarlev). Officiellement enregistré début août, ce bloc vise à contrer l’agenda pro-européen du gouvernement en place lors des élections législatives du 28 septembre 2025. Les partis liés à Ilan Shor (figure sulfureuse de l’opposition) n’ont pas été autorisés à concourir, leur enregistrement ayant été refusé par la Commission électorale centrale pour non-conformité aux règles électorales.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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