Union économique et monétaire
Emile-Robert Perrin
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Emile-Robert Perrin
L'Union européenne est une puissance économique mondiale : par sa démographie (6% de la population mondiale), son marché (PIB supérieur à celui des Etats-Unis), son commerce (20% des échanges mondiaux, hors commerce intracommunautaire), ses investissements, ses capacités financières, également par son aide au développement (l'Union et ses Etats membres fournissent 55% de l'aide publique mondiale). Pourtant, en dehors des questions commerciales, où elle parle d'une seule voix, et de concurrence, par laquelle, à travers le contrôle des positions dominantes, elle influe sur la restructuration mondiale des entreprises, l'Union européenne en tant que telle n'existe pratiquement pas dans les enceintes et institutions internationales qui traitent des questions économiques et financières et de développement, en particulier à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international.
Cette situation est paradoxale s'agissant d'enjeux majeurs pour la maîtrise de la globalisation, pour rendre celle-ci plus efficace et plus équitable. L'Union a plusieurs fois affirmé, dernièrement encore à l'occasion du 60ème anniversaire de l'ONU et du sommet du Millénaire + 5, sa volonté de promouvoir le multilatéralisme et d'améliorer la représentation de l'Europe dans les organisations internationales. Mais elle n'est pas présente ès qualité dans lesdites enceintes, sauf, éventuellement, comme "invitée".
Il existe maintenant une fenêtre d'opportunité, de nécessité même, pour avancer vers une véritable représentation extérieure de l'Union. D'une part, l'évolution de la globalisation et des risques (contagion des crises affectant les Etats comme le secteur privé, marginalisation des pays pauvres, distorsion des règles de l'économie de marché comme la concurrence ou le libre-échange, mise en cause de certains intérêts publics comme la santé, etc.) qui y sont associés justifie d'autant plus la présence active de l'Union dans les instances qui s'efforcent d'en traiter que le renforcement de la construction européenne, nonobstant l'échec des référendums français et néerlandais, lui donne différents titres pour intervenir. D'autre part, les institutions de Bretton Woods sont confrontées de manière de plus en plus pressante à la nécessité de se réformer et, notamment, de faire une plus grande place aux pays émergents et en développement. Ils sont sous-représentés tandis que l'Union européenne y est manifestement sur-représentée.
Cette question a été abordée lors du sommet du G20 - créé en 1999, il regroupe le G7, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), l'Afrique du Sud, l'Australie, la Turquie, la Corée du Sud et l'Arabie Saoudite - qui s'est réuni à Dalian (Chine) en septembre 2005. Comme l'a déclaré avec insistance M.Timothy Adams, sous-secrétaire américain au Trésor chargé des affaires internationales, la composition des conseils d'administration sera évoquée lors des réunions des institutions de Bretton Woods qui auront lieu en septembre 2006 à Singapour. De leur côté, les puissances émergentes d'Asie exercent également une forte pression dans le même sens. Cette perspective ne saurait être sous-estimée : il y va de la légitimité des institutions de Bretton Woods, en particulier du FMI. Elle commence à être mise en cause par les pays en développement et émergents. C'est le cas, en particulier, de ceux d'Asie, qui ont envisagé à plusieurs reprises la création d'un fonds monétaire asiatique et dont les réserves de change atteignent des niveaux de nature à les dispenser de recourir au FMI en cas de difficultés de balance des paiements. Tandis que les Etats-Unis, de leur côté, font tout pour préserver le caractère universel du FMI, sur lequel ils exercent une influence prépondérante, contrairement aux Européens. Le maintien de l'actuelle représentation de ces derniers - 6 et 7 sièges d'administrateur sur les 24 que compte chacun des conseils d'administration des deux institutions - n'est donc pas viable.
Mieux vaut donc anticiper et préparer une réforme qui interviendra inévitablement et probablement plus tôt qu'on ne le pense. La montée en puissance des institutions de Bretton Woods comme de l'Union européenne exige une réforme de la représentation de celle-ci dans celles-là. Elle est possible nonobstant les difficultés et les obstacles.
I. Dans le cadre d'une globalisation qui ne cesse de s'étendre, l'évolution du rôle des institutions de Bretton Woods (IBW) et de la construction européenne justifie que l'action de l'Union européenne se renforce aussi bien dans les questions économiques et financières internationales que de développement
A. Les champs d'intervention des IBW s'étendent tout en se rapprochant
Au départ limitées, les missions du FMI et de la Banque mondiale se sont étendues tout en devenant plus complémentaires.
1. Un rôle international de plus en plus important
A l'origine, lors de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944, le FMI et la Banque mondiale avaient été créés dans un double but : d'une part, renforcer la coopération monétaire internationale et financer des programmes économiques destinés à remédier aux difficultés de balances des paiements, d'autre part, assurer le développement économique à long terme au moyen de programmes sectoriels et de projets spécifiques. Cette création, qui n'impliquait alors qu'une vingtaine d'Etats, intervenait dans un contexte de faibles disponibilité et mobilité des capitaux privés et sous un régime de taux de change fixes et ajustables.
La situation a aujourd'hui singulièrement changé même si les missions d'origine sont toujours d'actualité. Avec 184 membres, les IBW sont devenues des organisations quasi universelles (elles ont seulement sept Etats de moins que l'ONU), avec des problèmes à traiter qui ont décuplé, notamment le risque de contagion des crises. Les financements qu'elles peuvent apporter sont sans commune mesure avec les flux financiers internationaux et les régimes de change fixes ont été remis en cause en 1976, à la suite de l'abandon du système de Bretton Woods au début des années 1970. Pour autant, on l'a vu au moment de la crise asiatique de 1997-2000, ces institutions mobilisent, directement ou indirectement, des ressources considérables - plus de 181 milliards de dollars en faveur de l'Indonésie, de la Corée, de la Thaïlande, de la Russie et du Brésil en 1997-1998 - pour assurer la stabilité financière internationale.
2. Des champs d'intervention plus étroitement imbriqués
Les deux institutions ont ainsi eu à traiter de nombreuses crises internationales majeures depuis trente ans. Elles ont aussi eu à accompagner d'abord le développement des pays anciennement colonisés puis la transition vers l'économie de marché des pays de l'ancien bloc communiste. Aujourd'hui, leur rôle est de prévenir et de résoudre les crises, d'accompagner le développement des pays par des financements autant, sinon plus, que par des conseils et de l'assistance technique, particulièrement pour les pays à faible revenu. A ces différents titres, les IBW ont émis et mis en œuvre des préconisations de politique économique déterminantes pour les Etats qui en ont bénéficié, dont beaucoup sont des partenaires de l'Union européenne, soit dans le cadre de l'aide au développement, soit dans le cadre de l'élargissement. D'ailleurs, aujourd'hui encore, les IBW apportent un soutien direct, politique et financier, à plusieurs Etats membres de l'Union.
Ces activités des IBW s'inscrivent dans un cadre international renouvelé depuis septembre 2000 : déclaration du millénaire adoptée sous les auspices de l'ONU, qui fixe des objectifs du millénaire pour le développement - la réduction de moitié de la pauvreté - à atteindre en 2015, des moyens avec l'accroissement des financements en faveur du développement, une stratégie avec les "cadres stratégiques de réduction de la pauvreté". Les deux institutions y sont impliquées simultanément à travers la lutte contre la pauvreté, le traitement de la dette, la coordination de leurs programmes, leurs activités d'évaluation des secteurs financiers nationaux, la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l'argent sale, la prévention et la résolution des crises, la surveillance macroéconomique des pays membres et des marchés de capitaux.
Aucune de ces questions n'est véritablement étrangère à l'Union européenne, bien au contraire.
B. La construction européenne s'est renforcée dans des domaines voisins de ceux des IBW
Avec l'Union économique et monétaire, la construction européenne s'est renforcée dans les domaines économiques et financiers tandis qu'en matière d'aide au développement, sa politique se développe et l'Union joue un rôle international majeur, quoique peu reconnu [1].
1. Le renforcement du rôle de l'Union européenne dans les domaines économique et financier
Même si l'enchevêtrement des compétences demeure complexe, l'Union européenne a connu une extension de son rôle dans les domaines économique et financier avec l'Union économique et monétaire. La politique monétaire, et de change, de la zone euro est une compétence communautaire exercée par la Banque centrale européenne. La politique budgétaire reste de la compétence des Etats membres mais des règles communes s'y appliquent et une coordination est assurée par le conseil des ministres des finances (Ecofin). La Commission, qui ne dispose d'aucun pouvoir en la matière, assure néanmoins une mission de surveillance multilatérale des politiques économiques, avec un pouvoir de recommandation et de sanction confié au Conseil. Enfin, l'Eurogroupe, qui réunit les ministres des finances de la zone euro avant chaque Ecofin, constitue un cadre de coordination de la zone euro, mais sans pouvoir.
Ainsi, globalement, les institutions de l'Union sont intéressées aux questions économiques et financières et, par voie de conséquence, à leur dimension internationale en raison des interactions entre les marchés, des risques systémiques (phénomènes de contagion des crises) et des responsabilités internationales objectives de l'Union. L'Union européenne y a d'ailleurs intérêt. Si le commerce est aujourd'hui le seul domaine de politique économique extérieure où une compétence exclusive est reconnue à l'Union, l'activité commerciale ne peut se développer dans le sens des intérêts de l'ensemble de ses Etats membres que si dans les domaines des changes, des flux de capitaux, des marchés financiers, des moyens de règlement, des investissements, aucun obstacle, de quelque nature que ce soit, ne vient l'entraver. Or, il existe dans ces différents domaines de multiples problèmes que chaque Etat membre, pris isolément, n'est pas à même de résoudre de manière efficace.
Mutatis mutandis, il en va de même en ce qui concerne les questions de développement.
2. L'Union s'est également renforcée dans le domaine du développement
De par son poids financier dans l'aide publique au développement (APD) mondiale, l'Union européenne est un acteur majeur dans ce domaine. D'autant qu'elle a décidé, en mai 2005, d'accroître de manière très importante son effort d'aide : doublement de l'aide européenne sur les cinq années à venir - elle passera de 40 milliards de dollars actuellement à 80 milliards de dollars en 2010, soit 0,56% du PIB -, avec l'objectif d'atteindre dès 2006 un effort équivalent à 0,39% du PIB (0,25% en 2002) et 0,7% en 2015. Mais, au-delà, la Commission européenne a noué des partenariats internationaux multiples, aussi bien en termes de cofinancements de programmes ou de projets qu'en termes politiques et stratégiques. Ainsi, des partenariats ont été conclus, précisément, avec les deux institutions de Bretton Woods et l'Union participe au financement de huit initiatives globales dans lesquelles on retrouve parfois l'une ou l'autre de ces institutions : eau, énergie, dette (initiative en faveur des pays pauvres très endettés), initiative "éducation pour tous", fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, forêts (initiative FLEGT - Forest Law Enforcement, Governance and Trade). En dehors de la Commission, la Banque européenne d'investissement est aussi devenue un acteur financier important dans les pays en développement.
Outre que l'Union européenne est le principal partenaire commercial des pays en développement, elle apparaît ainsi non seulement comme un fournisseur d'aide mais aussi comme un coordinateur de programmes d'aide, et également comme un catalyseur d'aides d'autres provenances.
Au demeurant, sans aboutir à une véritable politique commune en matière de développement - la politique d'aide gérée par la Commission a même souvent été qualifiée de politique du 16ème, maintenant du 26ème, Etat membre - l'Union a su, dans les enceintes internationales et particulièrement dans les IBW, promouvoir certaines idées communes : lutte contre la pauvreté, dans le prolongement des objectifs du millénaire pour le développement, qu'elle a fait siens, augmentation de l'aide, priorité à l'Afrique. L'Union a d'ailleurs, aussi, une compétence extérieure directe en matière de développement, avec la représentation unifiée de ses Etats membres dans le cadre des négociations commerciales du cycle de Doha, qui vise spécifiquement et prioritairement les pays en développement.
Enfin, il faut relever que, par son expérience propre de la construction européenne, l'Union peut se prévaloir d'un savoir-faire réplicable dans plusieurs domaines qui touchent aux questions de développement. D'une part, la politique régionale qu'elle a menée au moyen des fonds structurels, qui a visé à aider les pays en retard de développement de la Communauté à combler celui-ci, représente un véritable succès : en témoignent, entre autre, les exemples de l'Irlande, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce. D'autre part, avec les réformes promues dans les pays d'Europe centrale et orientale sur la base des critères dits de Copenhague, l'Union a permis à ces anciens pays communistes d'assurer la transition de leurs économies vers l'économie de marché et d'adhérer à l'Union. Ils poursuivront leur rattrapage à l'aide de la politique régionale et de la solidarité européenne.
Aujourd'hui, le degré d'avancement de l'Union européenne dans les domaines économiques-financiers et de développement doit la conduire à aller de l'avant, alors qu'aucun de ses Etats membres n'est véritablement en mesure, seul, de peser sur les choix internationaux des institutions financières internationales. Mais l'Union européenne n'a, pour le moment, pas plus d'influence, bien qu'elle ait sept administrateurs à la Banque mondiale et six au FMI, et environ 30% des voix dans chacune de ces institutions. Il y va donc de son poids politique autant que de ses intérêts, c'est-à-dire de la consolidation de ses actions dans les domaines économiques/financiers et du développement au plan international. En tant que plus grand financeur de la planète, en particulier dans les deux institutions de Bretton Woods ou en accompagnement de celles-ci, l'Union a aussi intérêt à se donner les moyens de son pouvoir.
II. Malgré des obstacles nombreux et de toute nature, une unification de la représentation européenne dans les institutions de Bretton Woods est possible et souhaitable
Avant d'examiner comment parvenir à une amélioration de la représentation de l'Union européenne dans les institutions de Bretton Woods, il convient de prendre la mesure des obstacles à surmonter.
A. Des obstacles importants et des progrès réels quoique limités
L'unification de la représentation européenne dans les institutions de Bretton Woods se heurte à des obstacles dont il ne faut pas sous-estimer l'importance. Des progrès ont été réalisés au fil des années, mais ils ne sont pas de nature à permettre un véritable saut qualitatif dans ce domaine.
1. Les obstacles
Un premier obstacle tient au fait que, statutairement, dans les deux institutions, ce sont les Etats qui sont membres. Il n'est pas prévu, pour le moment, qu'une union d'Etats puisse le devenir. Cet obstacle n'est pas de nature formelle. Au FMI, qui est une sorte de coopérative de crédit, chaque Etat dispose d'une quote-part : d'une part, elle est déterminée en fonction du poids économique des Etats en termes de PIB (produit intérieur brut), de transactions courantes et de niveau des réserves de change, d'autre part, cette quote-part sert à déterminer à la fois la souscription au capital du Fonds et le niveau des emprunts qui pourront lui être faits. Et l'appartenance au FMI détermine celle à la Banque mondiale. En raison de la sur-représentation des pays européens déjà évoquée, l'unification de la représentation européenne supposerait donc une consolidation des quotes-parts, ainsi que des souscriptions au capital des deux institutions, et donc un transfert à la fois juridique et financier au niveau européen. Une telle consolidation impliquerait également, dans le calcul des quotes-parts, une neutralisation des échanges courants intra-européens.
Avec ce transfert au niveau de l'Union, plusieurs droits et obligations à caractère financier devraient être également portés à ce niveau. Pour ce qui est du FMI, les quotes-parts des pays membres devraient être remplacées par une quote-part de l'Union, et les droits de tirage (calculés en fonction de la quote-part de chaque pays, ils lui permettent d'emprunter les ressources du Fonds x fois la quote-part, selon la nature du crédit sollicité et la catégorie à laquelle appartient le pays en cause, pour résoudre une difficulté de balance des paiements) adaptés en conséquence. A la Banque mondiale, le problème à résoudre est double : d'une part, il concerne le sort à faire aux obligations de garantie des emprunts de la Banque auxquelles les Etats membres se sont engagés [2], d'autre part, la consolidation des contributions au niveau de l'Association internationale de développement - filiale concessionnelle de la Banque mondiale, dont les ressources proviennent de contributions des Etats membres reconstituées tous les trois ans - supposera des mécanismes financiers appropriés entre membres de l'Union européenne pour que celle-ci puisse se substituer à eux.
Aucun de ces obstacles ne soulève des difficultés techniques insurmontables. En revanche, et ce n'est pas le moindre des obstacles, il faudra résoudre la question des circonscriptions. Dans les deux institutions de Bretton Woods, la représentation des Etats membres de l'Union est totalement éclatée : trois d'entre eux (France, Royaume Uni et Allemagne) sont représentés par un administrateur tandis que les autres sont associés avec d'autres Etats, pas nécessairement européens ou membres de l'Union, dans le cadre de "circonscriptions" qui désignent chacune, par rotation, un administrateur. Ainsi, au FMI [3], la Belgique représente six autres membres de l'Union, mais aussi la Biélorussie, le Kazakhstan et la Turquie, les Pays-Bas représentent Chypre mais aussi dix autres Etats non membres de l'Union (dont Israël), l'Italie représente la Grèce, Malte et le Portugal ainsi que trois autres Etats (dont Timor), tandis que huit autres membres de l'Union sont représentés par des administrateurs d'Etats n'en faisant pas partie, dont l'Espagne qui siège avec sept pays latino-américains. La situation est voisine à la Banque mondiale, si ce n'est que c'est l'Espagne qui occupe le siège d'administrateur pour la circonscription latino-américaine. De plus, ce système des circonscriptions aboutit à regrouper des pays prêteurs et emprunteurs, ce qui n'est évidemment pas le cas des trois chaises "uniques".
La recomposition et la réduction des circonscriptions soulèvent donc des difficultés, autant pour déterminer la représentation européenne que pour définir l'éventuel mode d'association avec des pays non membres de l'Union. La situation actuelle est en effet l'expression de certaines affinités politiques et culturelles - par exemple la communauté hispanique - tandis que des pays dits "petits" y trouvent également un mode d'expression politique. Plusieurs d'entre eux relèvent d'ailleurs qu'avant d'envisager une recomposition de la représentation européenne, il y aurait lieu de le faire dans des enceintes plus importantes, telles que le conseil de sécurité des Nations Unies ou le G8, ce dernier conditionnant souvent les décisions soumises aux différentes enceintes des IBW. Enfin, le Royaume Uni, qui est le seul Etat membre de l'Union à avoir développé une véritable capacité d'influence sur les IBW, pourrait ne pas être favorable à une telle évolution qui le priverait d'un important levier d'action.
Une dernière difficulté tient au mode de représentation différent, selon les Etats, dans les IBW, entre les ministères des affaires Etrangères et/ou de Coopération et les ministères des Finances : dans certains pays, dont la France, c'est ce dernier ministère qui assure la représentation dans les deux institutions, dans d'autres le ministère des affaires Etrangères/Coopération assure la représentation à la Banque mondiale. Cette dichotomie "aléatoire" se retrouve également au niveau de l'Union.
2. Les progrès accomplis
Les progrès accomplis en direction d'une approche européenne des IBW sont encore limités mais il existe une véritable volonté d'avancer.
La question de l'unité de la représentation de l'Union européenne dans les IBW n'est pas nouvelle, les institutions européennes s'en étant saisies à plusieurs reprises. Ainsi, en 1998, le Conseil européen de Vienne s'était prononcé en faveur d'une représentation unifiée de l'Europe au FMI. En décembre 2003, dans une note du conseil affaires générales et relations extérieures au Conseil européen sur le programme stratégique pluriannuel, il était relevé que dans des domaines comme la coopération au développement et la politique commerciale extérieure, l'Union peut avoir "une approche intégrée des problèmes que rencontre la communauté internationale". Cette question avait également été évoquée dans le cadre des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui s'était prononcée pour une unification de la représentation extérieure de l'Union.
En pratique, des progrès ont été réalisés. Paradoxalement, ils sont plus nets au FMI qu'à la Banque mondiale, alors qu'on aurait pu penser qu'avec le consensus international sur les objectifs du millénaire pour le développement et l'existence d'une politique communautaire, partagée, de développement, c'est dans ce dernier domaine que des progrès tangibles auraient pu être atteints.
Sur les questions relatives au FMI, la coordination prend plusieurs formes. D'abord, il existe en marge de l'Ecofin un sous-comité du Comité économique et financier, le SCFMI, créé sous impulsion française, qui se réunit régulièrement. Ensuite, le groupe des administrateurs européens se réunit également régulièrement pour essayer de dégager des positions communes sur les sujets à l'ordre du jour du conseil d'administration. Des contacts réguliers ont aussi lieu entre les services du Fonds et le SCFMI tandis que la BCE siège comme observatrice au conseil d'administration lorsque sont traitées des questions relatives à la zone euro dans le domaine monétaire. D'ailleurs, c'est l'administrateur du pays qui préside le conseil qui s'exprime au nom des 25 lors de l'examen des revues du FMI sur la zone euro. A la Banque mondiale, la coordination est moins développée, sans doute parce que le consensus politique est moins affirmé qu'au FMI. Mais la Commission réunit aussi régulièrement les administrateurs européens et s'efforce de promouvoir des positions communes. Les administrateurs européens se réunissent d'ailleurs avant chaque conseil d'administration. En fait, à la Banque, la coordination la mieux établie est celle qui s'est instaurée entre les administrateurs français et allemand, qui va jusqu'à des représentations réciproques au conseil d'administration. Il faut aussi relever qu'en 2005, lors de la désignation du nouveau président de la Banque mondiale (traditionnellement un Américain), les huit chaises européennes ont publié une déclaration commune. Celle-ci exprime une vision partagée du rôle de la Banque, sans que cela traduise une divergence de vue avec d'autres chaises.
La France et l'Allemagne sont les deux pays les plus favorables à une évolution en direction d'une chaise unique. Les gouvernements de ces deux pays s'étaient déjà prononcés dans ce sens en décembre 2002 par une note commune à la Convention pour l'avenir de l'Europe. La France, qui avait déjà pris des initiatives fortes en septembre 1998 [4], semble vouloir relancer le processus puisqu'elle propose, en vue du conseil des ministres franco-allemand qui aura lieu à la mi-mars 2006, de revenir sur les questions de gouvernance économique européenne, en particulier de la zone euro, et sur l'action extérieure de l'Union [5].
B. Aller vers une unification de la représentation européenne
Concertation, coordination, harmonisation, telles pourraient être les étapes du processus d'unification de la représentation de l'Union européenne dans les institutions de Bretton Woods. Une partie du chemin a été parcourue, plus ou moins loin selon qu'il s'agit du FMI ou de la Banque mondiale, mais le problème n'est pas qu'institutionnel : l'Union ne pourra progresser dans cette voie que si elle parvient à dégager une vision politique commune sur les enjeux traités dans ces enceintes. De celle-ci dépendra la capacité à résoudre ensuite les différents problèmes de nature institutionnelle que cela soulève.
1. Une vision politique commune sur les principaux enjeux actuels
Sur les questions économiques et financières internationales, l'Union paraît à même de dégager des positions communes sur nombre de sujets. Les principales priorités du FMI sont en effet les suivantes : la surveillance macroéconomique, nationale, régionale et globale, l'appui au renforcement des secteurs financiers, l'aide aux pays à faible revenu. Aucune de ces questions ne devrait soulever des désaccords majeurs, encore moins insurmontables, entre les 25. Ce domaine paraît donc mûr pour amélioration de la convergence, pour autant que puissent être résolues les questions de gouvernance et de participation aux structures du FMI. A certains égards, la construction européenne constitue une sorte de modèle réduit des enjeux mondiaux dans les domaines économiques et financiers (change, monnaie, budget, réformes structurelles, mouvements des capitaux, des biens et des services, ainsi que des personnes) sur la base duquel elle est à même de couvrir les sujets débattus dans une enceinte comme le FMI, et même si une partie de ceux-ci continue de relever de la compétence des Etats membres de l'Union.
Dans le domaine du développement, la compétence est également largement partagée entre l'Union et ses Etats membres. Mais les conditions d'une véritable harmonisation sont fortes et existent déjà dans une large mesure : les traités évoquent la nécessaire complémentarité des actions menées par l'Union et ses Etats membres, le consensus international sur l'aide est dense (objectifs du millénaire pour le développement, augmentation des moyens financiers de l'aide, cadres stratégiques applicables dans chaque pays en développement) et il s'est renforcé dans le cadre de l'OCDE avec l'adoption en mars 2005 de la déclaration de Paris sur l'harmonisation et l'efficacité de l'aide, qui évoque clairement l'"alignement" des bailleurs de fonds.
Sur ces fondements, l'Union européenne a adopté fin 2005 deux documents d'orientation qui consolident la vision européenne en matière de développement : d'une part, un texte du conseil affaires générales et relations extérieures dont le titre, "Le consensus européen", se passe de commentaire, d'autre part, un texte adopté par le Conseil européen intitulé "L'UE et l'Afrique : vers un partenariat stratégique".
Ces documents expriment une vision stratégique commune des Etats membres de l'Union européenne. Ils ne modifient pas pour autant la répartition des compétences et la politique de développement demeure une compétence partagée, même si elle doit viser à plus de cohérence et de complémentarité. Cependant, pour toutes les raisons que l'on a indiquées, une plus grande efficacité de l'Union européenne en tant qu'acteur du développement doit être recherchée. Deux voix sont envisageables.
D'une part, pourrait être créé un "Système européen d'aide au développement" [6]. Son objectif serait de mettre les acteurs existants, c'est-à-dire l'Union, en particulier la Commission, ses agences d'aide et la BEI, et ses Etats membres, en réseau, dans des formules à adapter selon les régions du monde concernées et les modalités d'intervention des opérateurs européens. Pour les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), cela impliquerait la budgétisation du FED (Fonds européen de développement), évoquée à plusieurs reprises dans les instances communautaires et soutenue par la France. Mais ce système n'impliquerait aucun transfert de compétences.
D'autre part, le mandat de la BEI pourrait être étendu dans le domaine de l'appui au développement. En 2004, les prêts de cette institution financière en dehors de l'Union ont représenté 8% de son activité, soit environ 3,5 milliards d'euros, un montant voisin de celui des banques régionales de développement. Mais les mandats de développement de cette banque ont tendance à s'étendre et elle acquiert ainsi une expertise du soutien au développement que les Etats membres auraient intérêt à renforcer. C'est, d'ailleurs, une perspective partagée par le commissaire européen chargé du développement, M. Louis Michel, qui, en juin 2005, a évoqué devant le Haut conseil de la coopération internationale la volonté de faire jouer à la BEI un rôle proche de celui de la Banque mondiale, éventuellement en filialisant l'activité développement. Et, en février 2006, la Commission et la BEI ont annoncé, dans le prolongement de la stratégie pour l'Afrique, la création d'un fonds pour financer les infrastructures dans les pays africains, qui en sont gravement démunis, et auquel les pays membres ont été invités à se joindre. Certains d'entre eux, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et la France, ont fait part de leur intention de donner suite à cette proposition. Le développement de ce type d'activité est de nature à renforcer la convergence européenne sectorielle.
Les bases politiques d'une unification de la représentation de l'Union européenne au FMI et à la Banque mondiale paraissent donc réunies.
2. Les préalables à la chaise unique
De nombreux problèmes techniques doivent être résolus pour parvenir à une unification de la représentation européenne dans les institutions de Bretton Woods. On se bornera à les évoquer rapidement car elles nécessitent des négociations et des choix complexes.
Sur les modalités même de ce que pourrait être cette représentation - un représentant unique dans chacune des institutions, ou plusieurs, et combien ? -, une solution pourrait être de retenir le principe de deux représentants dans chacune des deux institutions, un pour la zone euro et un pour les pays hors zone euro. Elle aurait l'avantage, en particulier pour les questions économiques et financières internationales et s'agissant du FMI, de tenir compte de la plus grande intégration réalisée entre les pays membres ayant adopté l'euro. Cela pourrait se traduire ainsi, selon les structures en cause :
• dans les conseils d'administration, les administrateurs européens seraient désignés par la Commission, selon des modalités qu'il lui appartiendrait de définir,
• dans les deux comités des IBW - Comité monétaire et financier international et Comité du développement -, qui se réunissent deux fois par an, l'Eurogroupe et l'Ecofin désigneraient un de leurs membres (en principe le président) pour le CMFI, et le conseil des ministres affaires générales et relations extérieures siégeant en formation "développement" désignerait son président et un autre membre (zone euro ou hors zone euro selon le pays du président) pour le CD [7] ;
• enfin, chaque gouvernement des pays membres de l'Union continuerait d'envoyer ses représentants (ministres) aux conseils des gouverneurs (annuels) des deux institutions, à charge pour le pays présidant le Conseil européen de représenter l'Union ès qualité.
Les implications d'un tel système sont nombreuses :
• d'une manière générale, le suivi des activités des IBW au niveau européen devra être renforcé; pour les questions économiques et financières internationales et le FMI, cela signifie un engagement plus important de l'Ecofin, de l'Eurogroupe, du comité économique et financier et du SCFMI; dans le secteur développement, cela implique un plus grand engagement du conseil "développement", mais aussi la création de structures ad hoc, du type comité européen de développement; par ailleurs, un cadre devra être défini, au moins au niveau des ministres - ce pourrait être le conseil européen - pour assurer un suivi commun des deux institutions, en raison de l'étroite imbrication des questions qu'elles traitent; un rapport annuel au parlement européen, à l'instar de ce qui existe déjà en France, devrait être prévu,
• les quotes-parts au FMI devront être recalculées sur la base de balances des paiements consolidées, de manière à neutraliser les échanges intra-européens, éventuellement en modifiant la pondération des différentes composantes du calcul pour parvenir à une représentation satisfaisante de l'Union,
• il faudra réfléchir à l'association éventuelle de pays non membres de l'Union dans les circonscriptions de chacune des deux institutions, notamment pour éviter une cristallisation des représentations entre pays créanciers et pays emprunteurs.
Enfin, pour aboutir, cet exercice devra aussi être négocié avec les autres Etats membres des IBW et celles-ci en tant que telles, d'une part, pour obtenir une modification de leurs statuts et permettre à une union d'Etats d'en devenir membre, d'autre part, pour définir selon quelles modalités la représentation des pays pauvres et des pays émergents dans ces deux institutions sera améliorée. Ceci peut, éventuellement, nécessiter une modification du mode de calcul des droits de vote, qui ne sera évidemment pas sans incidence sur les propres droits de vote de l'Union, qui disposera d'ailleurs d'un véritable droit de veto dans le cadre des statuts actuels.
En termes de calendrier, compte tenu de l'importante échéance que constituera septembre 2006, il conviendrait que l'année 2006 soit mise à profit pour résoudre ces différentes questions, de manière à pouvoir commencer à mettre le nouveau système en place dès le début des nouvelles perspectives financières (2007-2013).
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L'Europe a devant elle une échéance importante qu'elle ne doit pas rater. D'abord parce qu'elle a intérêt à rationaliser sa représentation dans les institutions de Bretton Woods, pour y parler d'une manière plus cohérente et peser efficacement sur des choix qui engagent l'avenir, celui de la planète comme le sien. Ensuite, il y va de sa crédibilité : elle ne saurait être l'acteur le plus généreux, à l'heure actuelle, avec une grande force d'entraînement malgré une représentation éparpillée, et, dans le même temps, dénier à d'autres la possibilité d'être représentés dans ces institutions de façon équitable. L'Europe ne peut pas se prononcer en faveur d'une amélioration de la gouvernance mondiale et refuser, tant aux puissances montantes qu'aux pays les plus démunis, le droit de siéger autour de la table où s'effectuent des choix importants. Pour des raisons d'efficacité et de crédibilité, on a éliminé d'emblée la possibilité d'élargir ce tour de table. Il faut donc que l'Europe accepte, en quelque sorte, de se "serrer" un peu.
En tout état de cause, il ne faudrait pas que ces réformes, quelles que soient leurs modalités, aboutissent à priver les Etats membres de l'Union de tout pouvoir de supervision et de proposition dans le fonctionnement des IBW, ainsi que dans les échanges d'idées et sur les politiques dont elles sont le lieu. C'est la raison pour laquelle, dans les solutions envisagées, les conseils des ministres, qui associent les gouvernements des pays membres, doivent conserver un rôle important.
La représentation dans les institutions de Bretton Woods n'épuise pas le sujet de l'amélioration de la gouvernance mondiale et du renforcement du rôle de l'Europe. Le problème se pose également au niveau du conseil de sécurité des Nations Unies et du G8, pour ne citer que les deux plus importants fora internationaux. Mais il se pose dans des termes différents, ce qui justifie que le cas des institutions de Bretton Woods puisse être traité plus rapidement et avant les autres.
Enfin, ce n'est sans doute pas le problème le plus important, encore qu'il puisse être lourd de conséquences et avoir une haute valeur symbolique, mais, dès lors que la représentation unique de l'Union sera acquise, il faudra se demander si celle-ci doit réclamer, conformément aux statuts du FMI, le transfert de son siège en Europe, puisque celui-ci doit en principe être localisé dans le pays du principal actionnaire.
[1] Cf. Corinne Balleix, "La politique européenne de coopération au développement", Note la Fondation Robert Schuman n° 29, septembre 2005.
[2] A la Banque mondiale, seule une petite fraction du capital souscrit est libérée. L'autre partie, la plus importante, constitue le capital appelable : la Banque peut l'appeler pour rembourser ses dettes sur les marchés financiers internationaux si plusieurs de ses Etats emprunteurs, en particulier les pays en développement, venaient à faire défaut dans des conditions telles qu'elle ne pourrait plus faire face à ses obligations. Une telle situation, qui influerait négativement sur le coût des ressources de la Banque, ne s'est jamais produite.
[3] Les indications fournies pour le FMI et la Banque mondiale sont celles de juillet 2005.
[4] Elles devaient aboutir à la transformation du comité intérimaire commun aux deux IBW en comité monétaire et financier international (CMFI), aux compétences renforcées, et aux conclusions du Conseil de Vienne déjà évoqué. En 1999, le ministre chargé de l'économie et des finances, M. Dominique Strauss-Kahn, avait même proposé une fusion des chaises française et allemande, ce qui avait d'ailleurs suscité la réserve du ministère des affaires étrangères, qui redoutait la création d'un précédent pour d'autres enceintes internationales.
[5] Le Premier ministre belge, M. Guy Verhofstadt, paraît aller dans la même voie : dans une récente interview au journal Le Monde (11 février 2006), il propose de définir une véritable diplomatie européenne avec des représentations communes dans les institutions internationales.
[6] La paternité de cette proposition revient à M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la Banque européenne d'investissement.
[7] Le CMFI et le CD se réunissent au niveau des ministres.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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