Avenir et perspectives
Stefan Seidendorf
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Stefan Seidendorf
Directeur adjoint de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI), directeur par intérim
Pour de nombreux observateurs, l'entrée en fonction du nouveau gouvernement fédéral en Allemagne s'accompagne de l'attente d'un « redémarrage » européen et d'une « nouvelle dynamique » du « moteur franco-allemand ». Dès la campagne électorale, puis dans le contrat de coalition et depuis l’investiture de Friedrich Merz, les protagonistes ont développé et défendu de manière offensive des points programmatiques en ce sens. Pour obtenir une « capacité d'action européenne », ils misent fortement sur les initiatives des États membres, en particulier sur les coopérations : franco-allemande et franco-germano-polonaise (Weimar). Dans ce contexte, le gouvernement est tout à fait disposé à se doter des instruments et des moyens nécessaires pour relever les défis actuels, sans qu'il soit possible de savoir jusqu'à présent s'il pourrait en résulter un renforcement du niveau européen, par exemple grâce à des instruments de financement communs. En résumé, on peut se demander si les objectifs visés pourront être atteints de cette manière, notamment au vu de la situation instable sur le plan de la politique intérieure en Allemagne et dans d'autres États membres de l'Union européenne.
1. Positionnements : une ambition européenne
Le nouveau chancelier Friedrich Merz avait accordé beaucoup d'attention aux questions de politique étrangère pendant la campagne électorale. L'urgence qui découle de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, puis du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, se reflète dans l'accord de coalition. Les acteurs mettent en avant le fait que la gestion de ces défis exige une unité européenne. Dans le même temps, il est fait mention de la responsabilité particulière de l'Allemagne pour établir une « capacité d'action européenne ».
1) Le candidat
Élu, à 69 ans, dixième chancelier de la République fédérale d'Allemagne, Friedrich Merz a déjà une longue carrière politique derrière lui. Ce juriste et avocat a commencé sa carrière au Parlement européen (1989-1994), d’où une affinité particulière avec l'Union européenne, qu’il a encore affirmée le 9 mai lors de sa visite à Bruxelles. Après s'être retiré du Bundestag en 2009, en raison d'un conflit avec Angela Merkel, il a longtemps travaillé dans le secteur financier. Il cite notamment son engagement de 2016 à 2020 en tant que président du conseil de surveillance de BlackRock Asset Management Deutschland AG, afin de démontrer ses compétences économiques et entrepreneuriales ainsi que son réseau international et transatlantique.
Dès la campagne électorale au Bundestag, Friedrich Merz a utilisé la politique étrangère et européenne pour s’imposer et faire pression sur le chancelier sortant Olaf Scholz. Ce dernier, selon lui, n'aurait pas mené une politique européenne proactive et n'aurait pas accordé suffisamment d'attention aux relations franco-allemandes. Au vu des événements qui ont suivi l'entrée en fonction de Donald Trump, Friedrich Merz a été encore plus clair : lors du débat télévisé qui a suivi l'élection, il a déclaré que l'indépendance de l'Europe vis-à-vis des États-Unis était « une priorité absolue ».
2) Le contrat de coalition
Le contrat de coalition de 144 pages, conclu entre la CDU-CSU et le SPD à l'issue des élections législatives du 23 février, est le résultat d'un processus de négociation auquel ont participé 256 représentants des trois partis. Ce processus a permis aux protagonistes, qui s'opposaient encore frontalement pendant la campagne électorale, de développer un programme commun. Intitulé « Responsables pour l'Allemagne », il contient des compromis qui sont le reflet d'évolutions et de redéfinitions de positions amplement concertées.
Sur l'Europe, une attention particulière est accordée à la compétitivité européenne (ligne 4330). Sans aborder le débat en cours sur les réformes[1], il est souligné que la compétitivité dans le cadre du marché intérieur de l'Union européenne passe par l'innovation et non par le dumping fiscal entre les États membres (4333). Un autre thème important est celui de la création d'une union de l'énergie (4338), l'accent étant mis sur les aspects qui relèvent de la responsabilité partagée des pays concernés et de l'Union européenne, comme l'infrastructure électrique transfrontalière.
L'accord de coalition aborde en détail la « souveraineté stratégique » de l'Union européenne (4395). Ce concept, développé pour la première fois par le président français Emmanuel Macron en 2017 et qui n'a été discuté que bien plus tard en Allemagne, figure désormais en bonne place : « Face à la rupture d'époque géopolitique, l'Europe doit développer une souveraineté stratégique globale. Les technologies clés, la sécurité énergétique, la souveraineté numérique, y compris les plateformes européennes, la protection des infrastructures critiques, la résilience ainsi que les propres capacités pour s'affirmer dans la concurrence systémique mondiale, sont essentielles à cet égard. Nous nous engageons pour une Union européenne de la défense afin de renforcer le pilier européen de l'OTAN. Nous voulons un véritable marché intérieur des équipements de défense avec des règles d'exportation communes et une coopération étroite en matière de planification, de développement et d'acquisition... » (4404).
A cela s’ajoute, depuis la campagne électorale, un plaidoyer pour une Union européenne moins bureaucratique (4347-4348). Les principaux éléments de ce programme européen sont depuis longtemps thématisés dans le débat français, notamment dans le camp du président Macron (compétitivité, union de l'énergie, souveraineté stratégique, etc.). Cela vaut jusqu'à la méthode, ce dernier ayant proposé en 2017 à l'Allemagne un « nouveau pacte » pour développer l'Union européenne par des impulsions des États membres. De plus, les thèmes discutés sont depuis longtemps marqués par des divergences d'intérêts franco-allemands, notamment en matière de politique énergétique, de nouveaux accords de libre-échange (Mercosur) ou du cadre européen en matière d’aides d’État et de politique industrielle. Comme dans le passé, se manifeste ici la constellation qui structure l'Union européenne : les divergences d'intérêt franco-allemands compliquent ou paralysent la prise de décision commune au sein de l'Union européenne. En conséquence, l’approfondissement de l'Union passe par des compromis et une coopération franco-allemande qui avance des propositions acceptables pour tous les États membres.
2. La méthode : des impulsions franco-allemandes pour une capacité d’action européenne
Afin de mettre en œuvre l'agenda ainsi décrit et pouvoir notamment réagir aux défis de la « rupture d'époque géopolitique » (« geopolitischer Epochenbruch »), le contrat de coalition souligne la nécessité d'une politique européenne (plus) active de l'Allemagne (4304), étroitement liée à « l'importance primordiale » accordée à « l'amitié franco-allemande », et ce « pour toute l'Europe » (4310). Le gouvernement attache donc une place particulière à une Union européenne forte et démocratique et veut « exploiter toutes les possibilités pour renforcer la capacité d'action et la souveraineté stratégique de l'Union européenne » (4304). Plus clairement encore que dans le contrat de coalition de 2021, on se rapproche des idées et du vocabulaire qu’Emmanuel Macron n'a cessé de mettre en avant depuis son discours de la Sorbonne en 2017. Point notable : la référence à la « méthode communautaire » (2021, 104) et à l'évolution de l'Union européenne « vers un État fédéral européen » (2021,104) fait défaut. Ces deux éléments figuraient encore dans l'accord de coalition de 2021. L'action des États membres est désormais au premier plan. En particulier, une coordination plus étroite avec la France et la Pologne qui doit renforcer l'intégration européenne.
1) Retour au moteur franco-allemand
Le 26 février, trois jours seulement après les élections législatives et avant même son investiture au poste de chancelier le 6 mai, Friedrich Merz et le président français Emmanuel Macron s’étaient rencontrés à l'Élysée. Une deuxième rencontre a eu lieu le 6 mars. Pour la plupart des observateurs, ces rencontres contrastent manifestement avec les relations entre Olaf Scholz et Emmanuel Macron. Devant l’entente affichée entre les deux hommes des journalistes ont constaté : « Les deux dirigeants sont soucieux de relancer le moteur franco-allemand, alors que les relations entre le chef de l'État et le chancelier sortant, Olaf Scholz, n'ont jamais été fluides. » Friedrich Merz a même parlé d'un « moment historique » lors de cette première rencontre et a constaté « qu’ensemble, nos pays peuvent accomplir de grandes choses ».
A l'occasion de la « visite officielle inaugurale » à Paris, le 7 mai, le président français et le nouveau chancelier allemand ont publié un long texte commun, paru dans plusieurs quotidiens européens et reprenant la thématique d'un nouveau départ : « Nous nous sommes entendus sur un agenda complet de relance de notre relation et pour renforcer l'Europe. »
Il est frappant de constater que les acteurs semblent avoir une compréhension partagée du rôle et du fonctionnement de la coopération franco-allemande. La France et l'Allemagne doivent parvenir à des compromis sur des décisions politiques majeures afin d'éviter les blocages et de faire évoluer l'Union européenne : « Nous exploiterons au maximum la coordination et le réflexe franco-allemands pour rendre l’Europe plus souveraine, en mettant l’accent sur la sécurité, la compétitivité et la convergence. »
Outre cette nouvelle dynamique, le gouvernement allemand accorde une attention particulière à son voisin oriental, la Pologne. Le 7 mai, Varsovie constituait la deuxième étape du voyage inaugural européen du chancelier. Toutefois, la coopération intergouvernementale y a été discutée en premier lieu à travers la « revitalisation » du Triangle de Weimar - donc en incluant la France, dans une configuration tripartite. La coalition prévoit d'établir une coopération et une concertation renforcées avec ces pays lors de la préparation des décisions de l'Union européenne. D'autres partenaires proches devraient également être impliqués dans un format élargi « Weimar + ».
Compte tenu de l'issue incertaine de l'élection présidentielle polonaise dont le second tour a lieu le 1er juin, il reste à voir si cette approche pourra s'établir durablement comme un format politique d'où naîtront des impulsions essentielles pour la politique européenne. L'urgence politique en matière de politique de sécurité et de défense semble le suggérer. Mais il manque toujours au Triangle de Weimar la continuité contraignante du format et la base administrative qui caractérisent par exemple le Traité de l'Élysée et le processus politique institutionnalisé à l'époque. Enfin, la question se pose de savoir comment les autres États membres réagiront à la revendication autoproclamée de leadership et à quelles conditions ils seront prêts à l'accepter.
2) Capacité d’action
Outre la coordination bi- et trilatérale de la politique européenne entre les États membres, le contrat de coalition contient d'autres éléments qui doivent améliorer la capacité d'action de l'Union européenne ou, tout simplement, l'établir. Le contrat de coalition n'exclut pas, en principe, la possibilité d'une réforme des traités (TUE et TFUE). Dans un premier temps, il convient d'utiliser les instruments les moins coûteux (« clauses passerelles ») afin de soumettre d'autres domaines de la politique de l'Union à des décisions à la majorité qualifiée. La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) est explicitement mentionnée (4008), ainsi que l'ambition d'assumer un « rôle de leader » dans la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) (4011). Là encore, il n'est pas exclu d'agir, dans certains cas, dans des formats intergouvernementaux (avec le Royaume-Uni et la France), même en dehors de l'Union européenne. Afin d'établir une capacité d'action et d'éviter les blocages de la part de certains États membres, la coalition se prononce en faveur d'une « Europe à plusieurs vitesses » (4414), ce qui n'avait plus été défendu de manière aussi offensive par l'Allemagne depuis la proposition de Karl Lamers et Wolfgang Schäuble pour un « noyau dur européen » en 1994.
3. Instruments et moyens
Enfin, pour pouvoir mettre en œuvre les objectifs ambitieux et jouer le rôle souhaité dans le cadre du système européen à plusieurs niveaux, le gouvernement a besoin de ressources adéquates. Celles-ci ne sont pas seulement de nature matérielle et financière, mais concernent aussi le processus de coordination politique au sein du gouvernement et dans le système fédéral.
1) Politique européenne « d’un seul tenant »
Le gouvernement Scholz a été confronté à un phénomène connu depuis longtemps sous le terme ironique de « vote allemand » (The German Vote) : les processus de coordination au sein d'un gouvernement de coalition, entre des ministères formellement autonomes, sont si complexes qu'il n'est parfois pas possible d'instruire les représentants allemands au Conseil de l'Union européenne avec une position claire, de sorte que l'Allemagne doit s'abstenir lors des votes. Au cours de la dernière législature, cela a notamment concerné les votes sur l'interdiction des moteurs à combustion pour les voitures neuves et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises ; dans les deux cas, le partenaire de la coalition, le FDP, a exigé, après l'accord au Conseil, de détricoter le paquet de compromis des vingt-sept États membres.
La CDU a réussi à occuper tous les ministères stratégiques pour la politique européenne : pour la première fois depuis Gerhard Schröder (1910-1989), ministre des Affaires étrangères entre 1961 et 1966, un représentant de la CDU, Johann Wadephul, est nommé ministre des Affaires étrangères. À ses côtés, Gunther Krichbaum[2] est ministre délégué pour l'Europe. La nouvelle ministre de l'Économie et de l'Énergie, Katharina Reiche, a pour mission de surmonter « la plus longue crise de l'histoire de la République fédérale d'Allemagne » et d’accorder pour cela « la priorité à la politique énergétique » ; elle souhaite en outre entamer des négociations sur de nouveaux accords de libre-échange. Enfin, lors de sa première déclaration de politique générale devant le Bundestag le 14 mai, le chancelier a mis l'accent sur la politique étrangère et a précisé qu'il s'y impliquerait lui-même lors de la concertation intra-européenne.
Pour ce faire, le gouvernement est convenu de coordonner à l'avenir la politique européenne allemande de manière centralisée à la Chancellerie (4543-4552). Si des conflits entre les ministères (« Ressortkonflikte ») devaient survenir, il est prévu de les résoudre au sein du cabinet fédéral (le Conseil de ministres), c'est-à-dire au niveau politique le plus élevé du gouvernement allemand. Cette procédure, nouvelle, illustre l'importance que devraient avoir à l'avenir la politique européenne et le positionnement du gouvernement dans les processus décisionnels bruxellois.
2) Investissements, frein à l’endettement, mais pas d’endettement commun
Enfin, qu'en est-il de la volonté du gouvernement de mettre en œuvre les objectifs qu'il s'est fixés et d'établir une « capacité d'action européenne globale » ?
Le « frein à l'endettement » introduit dans la Constitution allemande en 2009 est censé garantir l'équilibre des finances publiques à moyen terme et prévenir le risque de surendettement des pouvoirs publics. Dans la pratique, il a entraîné ces dernières années un retard d'investissement dans l'infrastructure publique, que les experts de l'Institut de l'économie de Cologne estiment à 600 milliards € et l'Institut allemand de recherche économique (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung, DIW) de Berlin à 100 milliards € dans les quatre prochaines années.
Immédiatement après les élections et avant le terme du Bundestag sortant, un « fonds spécial » d'investissement de 500 milliards €, en dehors du budget fédéral ordinaire, a été adopté le 18 mars. En outre, il a été décidé de suspendre à l'avenir les règles du frein à l'endettement pour les dépenses liées à la défense et de réformer le frein à l'endettement lui-même à une date ultérieure.
Dans ce contexte, les effets de ce fonds spécial colossal, qui sera investi sur une période de douze ans et dont 100 milliards € iront au fonds pour le climat et la transformation et 100 milliards € aux Länder, ne peuvent pas encore être réellement appréhendés à l'heure actuelle : le DIW estime que le fonds spécial aura des effets positifs sur la croissance économique, en particulier à partir de 2028, et que l'effet de croissance supplémentaire dû au paquet pourrait entraîner une croissance économique supérieure de 2% en moyenne en Allemagne.
L'impact de ces investissements publics sur l'Union européenne dans son ensemble a été moins discuté. D'une part, on peut supposer qu'une croissance plus forte de la plus grande économie de l'Union aura des répercussions positives sur les autres économies par le biais des interdépendances économiques et des chaînes de création de valeur. D'autre part, on redoute le fait que l'emprunt massif nécessaire à l'Allemagne entraîne une hausse des taux d'intérêt sur les marchés financiers. Cela pourrait également augmenter les taux d’intérêt sur les obligations que les autres États membres de l'Union européenne doivent payer, rendant leur (re-)financement sur les marchés financiers plus coûteux.
Le gouvernement allemand continue en même temps d’affirmer que l'Allemagne « continuera à ne pas être redevable des engagements d'autres États membres » (4366). Cela laisse ouverte la possibilité de doter le budget de l'Union européenne de plus de moyens, mais l'accord de coalition reste vague : le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) « doit tenir compte des défis et de l'exigence d'une Union européenne capable d'agir sur le plan géopolitique » (4361), ce à quoi l'Allemagne veut apporter une « contribution appropriée » (4360). La politique de cohésion est abordée en détail, afin de contribuer au renforcement de la compétitivité et de la capacité d'innovation, y compris dans les régions défavorisées (à partir de 4378).
4. Une ambition suffisante face aux défis internationaux et à l'instabilité nationale ?
Quelle conclusion peut-on tirer quant au rôle futur du gouvernement allemand en matière de politique européenne ?
1) Défis internationaux : le temps qui reste
La situation actuelle est marquée par une urgence en ce qui concerne les décisions politiques, en particulier les décisions européennes communes. Les problèmes existants sont marqués par des tensions politiques. C'est le cas, par exemple, de la transition énergétique et de la politique climatique, auxquelles l'accord de coalition accorde visiblement moins d'attention qu'en 2021. Or, tant le changement climatique que l'adaptation du modèle économique européen ne pourront être repoussés longtemps. Il faudrait donc agir rapidement et résolument. Cela vaut, en premier lieu, pour la transition énergétique, dont la mise en œuvre réussie nécessite une interconnexion européenne plus poussée, via le développement des infrastructures (transnationales) européennes et la poursuite du règlement[3] notamment du marché de l'électricité européen. L'objectif d'une « Union européenne de l'énergie », mentionné dans l'accord de coalition, va dans ce sens. Il suppose toutefois que la France et l'Allemagne trouvent un compromis sur la manière dont elles traiteront à l'avenir leurs différentes stratégies énergétiques nationales.
La situation géopolitique exige également une action rapide et décisive de la part des Européens, notamment en ce qui concerne leur propre capacité de défense et la poursuite du soutien à l'Ukraine. Compte tenu de l'absence ou de l'insuffisance d'instruments au niveau de l'Union européenne, il s'agit de développer rapidement de nouveaux formats de coopération. Dans ce contexte, la France et l'Allemagne ont un rôle clé à jouer, notamment pour savoir quels autres pays pourraient être impliqués dans une alliance, et comment. Les discussions sur le rôle futur de l'OTAN montreront très rapidement si la France et l'Allemagne sont en mesure de dépasser leurs différences et de développer une vision qui puisse recueillir l'approbation des autres Européens, en même temps qu’elle apportera des réponses aux défis militaires.
Outre la politique de sécurité et de défense, la question du positionnement des Européens dans l'élaboration d'un futur ordre commercial mondial constitue une priorité. Les conflits tarifaires déclenchés par le président américain ne sont qu'une partie de la problématique. L'Union européenne est indécise sur la manière dont elle souhaite se positionner à l'avenir dans les accords de libre-échange. Là encore, un conflit franco-allemand est au cœur de cette question, qui se concentre actuellement sur la gestion de l'accord avec les pays du Mercosur.
2) Conditions instables : le défi des populistes
Les progrès sur toutes ces questions et décisions ne dépendent pas uniquement de la volonté politique du gouvernement ou même du chancelier. La marge de manœuvre limitée des acteurs, due à l'instabilité politique dans de nombreux États membres, notamment en France et en Allemagne, joue un rôle particulièrement important.
Alors que la Constitution française donne au président des possibilités considérables en matière de politique étrangère et de sécurité, mais aussi en matière de politique européenne, il reste à voir de quelle marge de manœuvre dispose réellement le gouvernement français, sans majorité parlementaire et face à un déficit budgétaire élevé, dès qu'il s'agit de faire des compromis coûteux dans les domaines politiques cités.
Pour le gouvernement allemand, le large consensus social qui prévalait jusqu'à présent sur la politique européenne ne s'applique plus automatiquement[4]. Avec 151 députés, le parti AfD (Alternative für Deutschland), parti d'extrême droite et hostile à l'Union européenne, est le deuxième plus grand groupe parlementaire au Bundestag après la CDU-CSU, ce qui en fait le plus grand parti d'opposition. Parallèlement, après l'échec de l'élection de Friedrich Merz au poste de chancelier dès le premier tour, une première dans l’histoire de la République fédérale, des doutes subsistent quant à la stabilité de son alliance gouvernementale.
Le gouvernement de coalition « noir-rouge » (CDU-CSU et SPD), ou grande coalition (GroKo) est désormais confronté au défi de positionner l'Allemagne dans une Europe en pleine mutation. Les ambitions européennes du gouvernement, notamment sur les questions de politique étrangère, la relance de la recherche permanente de compromis franco-allemands, la volonté d'impliquer d'autres États membres dans le développement de l'Union européenne, sont des éléments centraux de cette nouvelle orientation.
Le changement de paradigme dans la politique d'endettement et d'investissement pourrait donner à la politique intérieure la marge de manœuvre nécessaire pour se montrer plus offensif au niveau européen. Mais les effets du paquet de croissance financé par la dette sur l'économie de l'Union européenne dans son ensemble restent à voir, et beaucoup dépendra de la manière dont le gouvernement allemand parviendra à combiner ses intérêts nationaux avec ses ambitions européennes.
[1] Voir les rapports de Mario Draghi (2024). The Future of European Competitiveness—A Competitiveness Strategy for Europe et d’Enrico Letta (2024): Much more than a market
[2] Ndlr : membre du conseil d’administration de la Fondation Robert Schuman.
[3] Règlement (UE) 2024/1747 et Directive (UE) 2024/1711 du 13 juin 2024
[4] Wilson, Carole (2008). From ‘Permissive Consensus’ to ‘Constraining Dissensus’: A Polarizing Union?, Acta Politica – ACTA POLIT. 43. 26-49. 10.1057/palgrave.ap.5500206.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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