Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 6 décembre dernier, la date du 14 octobre 2018 était annoncée pour la tenue des prochaines élections législatives au Luxembourg. Ce même jour, les législateurs du Grand-Duché ont également décidé que la Chambre des députés, chambre unique du Parlement, ne serait plus dissoute le jour des élections législatives mais seulement celui où les nouveaux députés seront assermentés.
La campagne officielle des élections législatives a débuté le 10 septembre. Pour Philippe Poirier, politologue de l'université de Luxembourg, le Grand-Duché est en campagne depuis le dernier scrutin législatif du 2 octobre 2013 "en ce sens qu'une partie du corps électoral luxembourgeois, que ce soit celle qui avait voté pour le Parti populaire chrétien-social (PSC/CSV) - ou même celle qui s'est prononcée en faveur des autres partis –, n'a jamais considéré la coalition gouvernementale actuelle (Parti démocratique (PD/DP), Parti ouvrier socialiste (POSL/LSAP), Les Verts/Dei Greng (LV-DG)), comme étant tout à fait légitime. Inversement, la partie du corps électoral, qui soutient la coalition jusqu'à présent, a toujours considéré qu'elle avait réalisé un acte historique, en excluant le Parti populaire chrétien-social du gouvernement".
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut TNS, le Parti populaire chrétien-social devrait s'imposer lors du scrutin du 14 octobre en remportant 26 sièges (+ 3 par rapport à). Le Parti démocratique prendrait la 2e place avec 10 élus (- 3) suivi par le Parti ouvrier socialiste 9 députés (- 4), les Verts/Dei Greng 7 sièges (+ 1), le Parti réformiste d'alternative démocratique (ADR), 5 (+ 2) et La Gauche (LG/DL), 3 (+ 1).
De nombreux observateurs politiques tablent sur la constitution d'un gouvernement regroupant le Parti populaire chrétien-social et Les Verts/Dei Greng. Cependant, à ce stade, toute configuration, impliquant à l'issue du scrutin les 4 principaux partis du Grand-Duché, est envisageable.
Les partis de la coalition gouvernementale sortante
La coalition gouvernementale actuelle conduite par le Premier ministre sortant Xavier Bettel (PD/DP) est arrivée à la tête du Grand-Duché en 2013 avec l'ambition de "gouverner autrement" et de "mettre un terme à l'Etat du Parti populaire chrétien-social". Les résultats du référendum du 7 juin 2015 sur le vote des résidents non Luxembourgeois aux élections législatives et sur l'octroi du droit de vote dès l'âge de 16 ans ont mis un bémol à ses ambitions.
En effet, seuls 21,98% des électeurs se sont prononcés en faveur du vote des résidents étrangers et 19,13% en faveur de l'abaissement du droit de vote à 16 ans. Les Luxembourgeois ont donc massivement rejeté les propositions qui leur étaient faites et qui étaient soutenue par les 3 partis du gouvernement. Le Parti chrétien-social avait en revanche appelé à voter "non" aux 3 questions comme le Parti réformiste d'alternative démocratique (ADR). Le Grand-Duché compte 46% d'étrangers, environ 35 000 d'entre eux auraient pu prendre part aux futures élections législatives si le "oui" l'avait emporté.
A l'issue du référendum du 7 juin 2015, le Premier ministre Xavier Bettel a choisi de ralentir le rythme qu'il avait impulsé à son gouvernement ne pouvant se permettre de brusquer des électeurs qui l'avaient sans doute plus choisi par défaut pour se débarrasser de l'ancien Premier ministre (2005-2013) Jean-Claude Juncker (PSC/CSV) que par une réelle volonté de changement.
Le Parti démocratique
Le chef du gouvernement sortant Xavier Bettel souhaite poursuivre son action à la tête du Luxembourg. Avec le slogan "Un avenir en luxembourgeois", la campagne du Parti démocratique (PD/DP), repose sur 5 piliers : l'emploi et la qualité de vie, l'éducation et la famille, l'identité et la culture luxembourgeoises, la mobilité et les infrastructures et, enfin, l'économie et les finances.
Le PD/DP veut offrir des cours de luxembourgeois aux salariés et notamment à ceux travaillant dans les secteurs de l'éducation et de la santé. Il souhaite également rendre obligatoires les cours de luxembourgeois dans les écoles privées qui bénéficient de subventions de l'Etat. Il est favorable à la gratuité des transports en commun, un système fiscal neutre (et l'octroi d'un coup de pouce fiscal aux PME), une plus grande flexibilité du temps de travail afin de mieux concilier vie professionnelle et vie privée et un meilleur accès au logement par la mise en place d'un "guichet unique".
Xavier Bettel s'est dit éventuellement prêt gouverner avec le Parti populaire chrétien-social si celui-ci s'engage à ne pas remettre en question les réformes mises en place par le gouvernement sortant (congé parental, multilinguisme, séparation de l'église et de l'Etat, loi sur l'avortement).
Le Parti ouvrier socialiste
Le 13 juillet dernier, le Parti ouvrier socialiste (POSL/LSAP), a présenté son programme électoral regroupant 16 priorités dont l'augmentation du salaire minimum de 100 €, le passage à la semaine de 38 heures grâce à la digitalisation de l'économie qui entraîne une hausse de la productivité, l'octroi d'une 6e semaine de congés payés (à raison d'un jour supplémentaire de congé par an pendant 5 ans), la gratuité des transports publics, le maintien de l'âge du départ en retraite, la réduction du taux de chômage à moins de 4% (il s'élève actuellement à 5,6%), l'augmentation des allocations familiales et leur indexation sur inflation, l'élargissement du droit de vote aux personnes âgées de 16 ans et aux étrangers vivant au Luxembourg depuis au moins 10 ans qui ont déjà voté à des élections européennes ou locales.
Etienne Schneider, ministre sortant de l'Economie, a mis en avant les 3 mesures que le parti exige de voir mises en œuvre pour participer à un prochain gouvernement : la hausse du salaire minimum, l'augmentation des pensions de retraite et l'absence de plafonnement de l'index (mécanisme d'indexation automatique des traitements et des salaires au coût de la vie, aussi appelé échelle mobile des salaires).
Le POSL/LSAP aime à mettre en avant les 600 lois votées au cours de la dernière législature (450-500 durant la législature précédente). Il a choisi de faire campagne avec le slogan Zesummen (Ensemble) afin de montrer qu'il n'exclut personne et surtout pas ceux qui ne parlent pas luxembourgeois. "Notre rôle en tant que socialistes est de réunir tous ceux qui veulent avancer et faire prospérer le Luxembourg" a déclaré Etienne Schneider. "J'appelle tout le monde à ne pas exclure les gens de ce pays par la langue luxembourgeoise mais au contraire de se servir de celle-ci pour intégrer" a demandé le vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn. Si le débat sur la question de la langue et de l'identité n'est pas nouveau au Luxembourg, l'ampleur prise par celui-ci montre que le Grand-Duché est traversé par les mêmes questionnements que les autres Européens.
Il y a quelques semaines, Alex Bodry, président du groupe socialiste à la Chambre des députés, a suscité une polémique en déclarant "Il n'existe plus de projet bleu (couleur du PD/DP), rouge (couleur du POSL/LSAP), vert (couleur des Verts/Dei Greng)". "On m'a demandé s'il existait un projet commun de la coalition pour les élections législatives. Ce n'est pas le cas, chacun mène sa campagne électorale en se basant sur ses propres idées" a-t-il précisé, ajoutant "Les coalitions se négocient après les élections".
A un mois du scrutin, le POSL/LSAP, comme d'ailleurs le PD/DP, laisse la porte ouverte à une éventuelle alliance avec le Parti populaire chrétien-social.
Les Verts/Dei Greng
Seul parti à proposer des listes paritaires pour le scrutin législatif, Les Verts/Dei Greng accueillent également de nouvelles têtes : 29 des 60 candidats se présentent pour la première fois à des élections nationales. Le programme des écologistes défend une agriculture 100% biologique (0 pesticide, 0 déchet) et des énergies 100% renouvelables (0 nucléaire). Les Verts/Dei Greng veulent également inscrire le droit au logement dans la Constitution et demandent la création massive de logements par l'Etat et les communes.
Du côté des forces de l'opposition
Le Parti populaire chrétien-social
"Nous avons un plan pour le Luxembourg (Mir hunn e Plang fir Lëtzebuerg)" tel est le slogan choisi par le Parti populaire chrétien-social (PSC/CSV). "Ce qui nous différencie des partis politiques concurrents, c'est que nous voulons mener une politique cohérente. Le parti fait une campagne factuelle avec une vision cohérente de l'évolution du Luxembourg des 20, 30 et 40 prochaines années. Nous ne nous limitons pas aux 5 prochaines années" a souligné Laurent Zeimet, député sortant.
L'accès au logement, la mobilité, l'éducation, la famille et l'amélioration de la capacité d'innovation du Luxembourg constituent les priorités de la campagne du principal parti d'opposition. Le PSC/CSV s'engage à offrir davantage d'autonomie financière aux communes, à réorganiser le système hospitalier et à réformer les retraites. Il considère le luxembourgeois comme une partie essentielle de l'identité des habitants du Grand-Duché. Il propose que l'Etat soutienne financièrement les cours de luxembourgeois dispensés dans les entreprises et faire que cette langue devienne l'une des 24 langues reconnues par l'Union européenne.
Le parti souhaite aussi voir adopter une législation européenne commune sur les politiques d'asile et d'immigration. Son président, Marc Spautz, a souligné qu'il était indispensable que le Parti populaire européen (PPE), à laquelle le PSC/CSV appartient, discute de la possibilité d'exclure le Premier ministre hongrois Viktor Orban (Alliance des jeunes démocrates-Union civique, FIDESZ-MPP) du PPE. Il a indiqué que les valeurs de ce dernier ne correspondaient pas à celles des chrétiens-sociaux.
"Notre but est de prendre une revanche par rapport au gouvernement actuel mais pas de supprimer tout ce qui a été fait au cours de la dernière législature" répète Claude Wiseler, désigné par 90,8% des membres du parti comme le candidat au poste de Premier ministre.
Le Parti réformiste d'alternative démocratique
Les populistes du Parti réformiste d'alternative démocratique (ADR) ont centré leur campagne électorale sur 2 thèmes: le type de croissance économique du pays (qualitative ou quantitative) et la langue luxembourgeoise. "Nous voulons choisir les entreprises qui s'implanteront dans le Grand-Duché. Nous souhaitons mettre en place une sorte de check-list avec des critères en termes environnementaux, sociétaux, etc. pour analyser leur impact au niveau des infrastructures, des ressources, avant de les accepter" a déclaré son président, Jean Schoos.
Par ailleurs, l'ADR conservatrice et identitaire défend l'identité luxembourgeoise qui, selon elle, doit passer par l'apprentissage de la langue et le respect des valeurs et des traditions luxembourgeoises. Le parti estime également que l'immigration doit être réduite. "Nous ne prenons pas les citoyens de haut. Nous ne sommes pas déconnectés des réalités du terrain ; nous ne sommes comme le gouvernement qui reste d'avis que tout le monde se porte bien dans ce pays" a indiqué Jean Schoos.
Fernand Kartheiser (député sortant ADR) affirme que le Parti populaire chrétien-social et l'ADR sont proches Si ce dernier venait à progresser de façon importante aux élections, une discussion pourrait naître sur la nécessité d'un rapprochement.
Le 2 mars dernier, l'ADR a annoncé qu'il se présenterait allié avec Wee 2050-Nee 2015, mouvement créé par Fred Keup en 2015 pour lutter contre le vote des résidents étrangers aux élections législatives proposé par le référendum du 7 juin 2015. 8 candidats du mouvement figurent sur les listes de candidats présentés par l'ADR, qui s'est donné pour objectif d'obtenir 5 élus à la Chambre des députés.
Les "petits" partis
Le Parti pirate se présente en alliance avec le Parti pour la démocratie intégrale (PID). Leur programme repose sur 3 piliers : l'introduction d'un revenu universel, la transparence et la participation citoyenne.
Le programme de La Gauche/Dei Lenk (LG/DL) compte 3 priorités : la hausse du salaire minimum, une 6e semaine de congés payés et un meilleur accès au logement. Il se bat également pour une réduction du temps de travail et 100% d'énergies renouvelables.
Enfin, deux autres partis sont candidats : le Parti communiste (PCL/KPL), qui n'est plus représenté à la Chambre des députés depuis plus de 20 ans (1994), et les Conservateurs conduits par Joe Thein, membre exclu de l'ADR (et ancien conseiller communal de Pétange), qui fait de la défense de la langue luxembourgeoise sa priorité.
Le système politique luxembourgeois
Le Luxembourg est une monarchie constitutionnelle dirigé par le Grand-Duc Henri. Le parlement est monocaméral : la Chambre des députés compte 60 représentants, élus pour 5 ans au système proportionnel de liste selon le principe du plus petit quotient électoral. Les candidatures isolées, considérées chacune comme une liste, sont acceptées.
Pour les élections législatives, le Grand-Duché est divisé en 4 circonscriptions : le Sud (cantons d'Esch-sur-Azette et de Capellen) élit 23 députés ; le Centre (cantons de Luxembourg et de Mersch) 21 ; le Nord (cantons de Diekirch, Redange, Wiltz, Clervaux et Vianden) 9, et l'Est (cantons de Grevenmacher, Remich et Echternach) 7.
Les candidats doivent être âgés d'au moins 21 ans. Selon l'article 135 de la Loi électorale, les listes souhaitant faire acte de candidature doivent être présentées par au moins 25 électeurs de la circonscription où la liste se présente ou un député élu de cette même circonscription, ou encore par 3 conseillers communaux élus dans une ou plusieurs villes de la circonscription. Chaque liste doit être déposée au moins 60 jours avant le scrutin.
Dans le Grand-Duché, chaque électeur dispose d'un nombre de suffrages égal à celui des députés à élire dans sa circonscription. L'électeur peut exercer un "vote en case de tête", c'est-à-dire attribuer une voix à chacun des candidats d'une même liste. Il peut aussi se prononcer en faveur de candidats issus de plusieurs listes différentes ou encore faire un "vote doublé", c'est-à-dire voter deux fois (au maximum) pour l'un des candidats d'une même liste. Il est enfin libre de mêler ces deux dernières façons de voter, par exemple en utilisant le vote doublé sur plusieurs candidats de listes différentes. La répartition des sièges se fait selon la méthode d'Hagenbach-Bischoff.
Le vote est obligatoire dans le Grand-Duché. Les Luxembourgeois résidant à l'étranger ou âgés de plus de 75 ans sont toutefois exemptés de cette obligation. L'abstention non justifiée est punie d'une amende de 100 à 250 € et peut atteindre 500 ou 1 000 € en cas de récidive dans les 5 ans qui suivent le scrutin. L'électeur peut également être radié des listes électorales ou encore se voir refusé toute nomination, promotion ou distinction. Le pays ne connaît pas le vote par procuration. Dans la réalité, il est très rare que les abstentionnistes soient poursuivis. Cette année, pour la première fois, les Luxembourgeois pourront voter par correspondance sans avoir à justifier leur absence le jour du scrutin.
Au Luxembourg, tout projet de loi est soumis, au parlement, à un double vote. L'article 59 de la Constitution oblige en effet les députés à se prononcer deux fois sur un texte de loi. Un intervalle d'au moins 3 mois doit s'écouler entre les deux votes.
6 partis politiques sont représentés à la Chambre des députés:
– le Parti chrétien-social (PCS/CVS), fondé en 1944 et dirigé par Marc Spautz, possède 23 sièges ;
– le Parti ouvrier socialiste (POSL/LSAP), parti créé en 1902, membre de la coalition gouvernementale sortante, et présidé par Claude Haagen, compte 13 députés ;
– le Parti démocratique (PD/DP) du Premier ministre sortant Xavier Bettel fondé en 1955 et dirigé par la ministre sortante de la Famille et de l'Intégration, Corinne Cahen, possède 13 sièges ;
– Les Verts/Dei Greng (LV-DG), parti créé en 1983 et conduit par Christian Kmiotek, sont membres de la coalition gouvernementale sortante. Ils comptent 6 députés ;
– le Parti réformiste d'alternative démocratique (ADR), parti populiste de droite créé en 1987 et emmené par Jean Schoos, possède 3 sièges ;
– La Gauche/Dei Lenk (LG/DL), parti d'extrême gauche fondé en 1999, compte 2 députés.
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