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Election présidentielle en Azerbaidjan 15 octobre 2003

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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15 octobre 2003
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Au début de cette année, Heydar Aliev, Président de l'Azerbaïdjan, était victime d'un malaise en direct à la télévision. Le 4 août dernier, alors que son père est soigné pour une insuffisance cardiaque congestive d'abord en Turquie puis dans une clinique des Etats-Unis où il avait déjà subi un pontage coronarien en 1999, son fils unique Ilham Aliev est élu par le Parlement (par 101 voix pour et une abstention) Premier ministre du pays en remplacement d'Artur Rasizadé. Après son élection, le nouveau Premier ministre a eu droit à une ovation debout de la part des députés.

Le 25 août 2002, 97,3% des Azéris ont approuvé par référendum trente-neuf amendements à la Constitution destinés, selon les autorités, à moderniser la Loi fondamentale et à l'aligner sur les normes européennes et les traités internationaux. En réalité, il a surtout permis d'introduire dans la Constitution un dispositif russe qui a permis au Président Boris Eltsine le 31 décembre 1999 de lancer Vladimir Poutine sur le chemin de la Présidence. Cette mesure stipule que si le chef de l'Etat quitte ses fonctions avant la fin de son mandat, le Premier ministre assure l'intérim pendant trois mois avant d'organiser une nouvelle élection présidentielle. La nomination d'Ilham Aliev au poste de Premier ministre constitue donc la première marche vers son accession à la tête de l'Etat et vers la création d'une dynastie familiale en Azerbaïdjan.

Heydar Aliev, l'homme fort de l'Azerbaïdjan indépendant

Agé de quatre-vingts ans, le Président Heydar Aliev a dominé la vie politique depuis trois décennies en s'y faisant beaucoup d'ennemis mais également en suscitant une profonde affection chez ses compatriotes, qui lui vaut d'être surnommé « baba » (grand-père).

Entré en politique à l'époque de Staline, ce général de l'Armée rouge a servi dans le KGB avant d'être nommé premier secrétaire du Parti communiste d'Azerbaïdjan. Protégé par Leonid Brejnev, il est le premier musulman à entrer au bureau politique du Parti communiste d'où il est exclu en 1987 par la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. En 1990, il se retire dans son Nakhitchevan natal. Trois ans plus tard, alors que l'Azerbaïdjan, devenu indépendant, est enlisé dans la guerre contre l'Arménie au Nagorny Karabakh, il revient au pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat qui évince le Président Aboulfaz Echilbey. Celui-ci s'enfuit en Turquie et Heydar Aliev assure l'intérim à la tête de l'Etat avant d'être élu Président de la République le 3 octobre 1993, recueillant 92,8% des suffrages exprimés. Très rapidement, il fait taire les officiers rebelles de l'armée, signe le « contrat du siècle » avec les compagnies pétrolières occidentales et rétablit la stabilité dans le pays en signant également un cessez-le-feu avec l'Arménie (qui garde le contrôle de 13% du territoire azéri). Heydar Aliev se pose en allié des Etats-Unis et son pays devient le principal destinataire des milliards de dollars d'investissements directs étrangers par habitant parmi l'ensemble des ex-Républiques soviétiques devenues indépendantes.

Néanmoins, de nombreuses voix s'élèvent en Occident pour dénoncer les manières autoritaires du Président, l'absence de démocratie dans le pays ainsi que les nombreuses atteintes à la liberté d'expression. Heydar Aliev, grand stratège politique, s'avère incapable d'assurer la transition de son pays vers un système démocratique. La corruption est omniprésente et 40% des habitants vivent encore sous le seuil de pauvreté. L'Azerbaïdjan a récemment été rappelé à l'ordre par le Conseil de l'Europe pour son « absence de progrès substantiels sur des questions fondamentales » comme la libération des prisonniers politiques. Le 26 juillet dernier, Gabil Abbasogu, rédacteur en chef du principal journal d'opposition du pays Yeni Musavat, a ainsi été brièvement arrêté, le pouvoir en place tentant de faire taire les critiques envers Heydar Aliev. L'Azerbaïdjan a également été invité par le Conseil de l'Europe à poursuivre et accélérer sa réforme démocratique et à assurer la transparence du futur scrutin présidentiel du 15 octobre prochain.

Les enjeux du scrutin

« Je retire ma candidature en faveur d'Ilham Aliev. Il est mon successeur politique », a déclaré le 2 octobre le Président Heydar Aliev dans un discours lu par un commentateur à la télévision nationale. « C'est un candidat très fort et une personne très intelligente et énergique, je suis sûr qu'il achèvera avec votre aide ce que je n'ai pu finir » a-t-il ajouté.

Ilham Aliev a fait sa scolarité à Bakou et étudié à l'université des relations internationales de Moscou (MGIMO) où il a ensuite enseigné durant cinq ans. A partir de 1991, selon sa biographie officielle, il « fait des affaires » à Moscou et Istanbul. En 1994, il prend la présidence de la SOCAR, société pétrolière d'Etat de l'Azerbaïdjan, avant d'être élu député puis de prendre la tête du Comité olympique du pays. La santé déclinante de son père l'incite à s'engager en politique. Il est alors élu vice-président du Parti du nouvel Azerbaïdjan (YAP) majoritaire au Parlement. Il représente son père lors de rencontres internationales et mène la liste de son parti aux élections législatives, avec succès, mais dans un scrutin entaché de fraudes selon les observateurs internationaux.

Le candidat Ilham Aliev a reçu le soutien de Vladimir Poutine, la Russie étant un partenaire incontournable de l'Azerbaïdjan. De leur côté, les Etats-Unis ont récemment demandé, par la voix du secrétaire d'Etat adjoint Richard Armitage, au Premier ministre d'assurer la régularité de l'élection présidentielle que Washington considère comme « très importante ». La nomination en août dernier d'Ilham Aliev à la tête du gouvernement avait été accueillie avec soulagement par les Etats-Unis qui ont investi des milliards de dollars dans le pétrole azéri et craignent une période de turbulences après le départ du Président Heydar Aliev. L'Azerbaïdjan étant appelé à devenir une plaque tournante des exportations de gaz et de pétrole vers les marchés mondiaux, son évolution politique est suivie de près par l'ensemble des grandes compagnies pétrolières et des gouvernements occidentaux.

Ilham Aliev a commencé sa campagne électorale par une tournée au nord-ouest du pays en offrant des postes de télévision aux habitants des villages des montagnes du Caucase et en donnant les clefs d'appartements neufs à des vétérans de la guerre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Le candidat a été accueilli par une foule de trois mille personnes ; l'administration locale, dévouée au régime en place, ayant accordé un jour de congé aux travailleurs et aux écoliers pour l'occasion.

Selon toute vraisemblance, le fis du Président sortant devrait n'avoir aucune difficulté à accéder à la tête de l'Etat le 15 octobre. L'opposition est divisée et muselée, les médias sont largement contrôlés par le pouvoir en place et Ilham Aliev peut compter, outre le soutien de la Russie, sur l'aide d'une puissante machine gouvernementale. Cependant, les vraies difficultés pourraient bien survenir après son élection.

Rappel des résultats de l'élection présidentielle du 11 octobre 1998:

Participation : 74%

Source Courrier des pays de l'Est, n°1 030, novembre-décembre 2002, Paris, La Documentation française, 2002

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