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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy
Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Fondation Robert Schuman
Ilham Aliev, fils du Président sortant Heydar Aliev, a été élu le 15 octobre à la tête de l'Azerbaïdjan avec 79,55% des suffrages pour 12,10% à son principal adversaire Issa Gambar, leader du parti Moussavat (Egalité). Six autres personnalités étaient candidates à cette élection présidentielle. Le taux de participation s'est élevé à 70,10%.
« L'Azerbaïdjan a besoin de paix, de stabilité, de développement économique et d'intégration au sein de la communauté internationale. Le pays ne doit pas renouer avec la période de guerre, de guerre civile, de chaos et d'anarchie. J'ai confiance dans ma victoire. Le peuple votera pour la stabilité » a déclaré Ilham Aliev en se rendant aux urnes. Sa victoire marque l'établissement de la première succession familiale dans une République de l'ancienne Union soviétique, devenue indépendante le 18 octobre 1991. Le nouveau Président a promis de suivre en tous points la voie politique ouverte par son père sans rien changer ni aux orientations actuelles du pays ni à l'équipe dirigeante. Ilham Aliev devra faire face à deux problèmes majeurs : le conflit du Nagorny Karabakh et la situation économique désastreuse (un Azéri sur deux vit avec moins d'un dollar par jour) alors que le pays bénéficie de milliards de dollars d'investissement et affiche de bons indicateurs économiques (la croissance atteint 10% par an, l'inflation est inférieure à 2% et le déficit public représente moins de 2% du PIB).
Les analystes politiques s'accordent sur un point : Ilham Aliev est moins autoritaire et plus moderne que son père. Peut-être est-ce pour cette raison que certains d'entre eux ne voient en lui qu'une figure de transition. En effet, beaucoup affirment que le véritable danger pour le nouveau Président ne viendrait pas de l'opposition mais du sein même du clan au pouvoir formé de groupes rivaux et dont les leaders possèdent à la fois une grande expérience politique et d'importantes ressources financières. Le nouveau Président va donc désormais devoir faire face à cette coalition d'intérêts que son père a tenue durant ses trente années de pouvoir par une poigne de fer et une intelligence stratégique qui pourraient faire défaut à son fils. Pour l'heure, les membres de la coalition au pouvoir se sont rassemblés autour d'Ilham Aliev. La question demeure de savoir si celui-ci parviendra à engager une véritable transition ou s'il sera la proie des intérêts politiques, économiques et tribaux de ses plus proches alliés.
La Russie a accueilli très favorablement l'élection d'Ilham Aliev. Alexandre Volochine, le chef de l'administration présidentielle russe, Vladimir Rouchaïlo, le chef de la sécurité du Kremlin, et Ludmilla Poutine, épouse du Président, se sont chacun rendus en Azerbaïdjan durant la campagne électorale pour soutenir le Premier ministre. « Ilham Aliev est le bon choix » a déclaré Vladimir Poutine qui l'avait reçu très chaleureusement à Yalta lors du sommet de la Communauté des Etats indépendants (CEI) en septembre dernier. L'élection du fils du Président sortant a également été saluée par les représentants des grandes compagnies pétrolières occidentales, eux aussi partisans de la continuité et de la stabilité du pays, et par là même de la préservation de leurs intérêts.
« J'appelle tous les électeurs à voter et à exprimer leur volonté. Tout a été fait pour que le scrutin se déroule de façon libre, transparente et démocratique » a affirmé dans un discours télévisé Mazahir Panakhov, président de la Commission électorale d'Azerbaïdjan, le jour du vote. L'organisation non gouvernementale Human Rights Watch avait déjà constaté que la campagne électorale avait été manipulée pour favoriser Ilham Aliev et que les autorités gouvernementales avaient fait obstacle aux rassemblements des leaders de l'opposition, arrêtant de nombreux militants. Six cent vingt-huit observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) étaient présents pour suivre cette élection présidentielle. Ils ont fait état de nombreuses « anomalies », évoquant des électeurs ayant voté plusieurs fois, d'autres fortement encouragés à voter pour tel candidat ou encore des urnes très pleines par rapport au nombre de votants déclarés. « Ce pays méritait une meilleure élection que celle-ci », a affirmé Peter Eichel, chef de la délégation de l'OSCE, déplorant « une occasion manquée pour un processus électoral authentique et démocratique ». De même, le Conseil de l'Europe a regretté que « l'Azerbaïdjan ait une nouvelle fois manqué une occasion de satisfaire aux normes européennes en matière d'élections ». Le Conseil a appelé le Président à « entreprendre des réformes démocratiques substantielles fondées sur un dialogue avec l'opposition » et « clôturer avant la fin de l'année le chapitre des prisonniers politiques ».
En dépit d'un accord conclu au mois d'août dernier sur une candidature unique, les forces de l'opposition avaient finalement rompu leurs engagements et se sont présentées à ce scrutin présidentiel en ordre dispersé. Un éparpillement qui a rappelé à la population les précédentes divisions du Front populaire au pouvoir dans les débuts de l'indépendance du pays sous le règne du Président Albubaz Eltchibey et qui leur a finalement été fatal. Les deux principaux candidats des formations de l'opposition étaient Issa Gambar (Moussavat) et Etibar Mammadov, dirigeant de l'Indépendance nationale.
« Les autorités ne pourront pas mener à bien leur scénario de falsification. Je suis le gagnant et je n'entends pas accepter un vol, mais nous n'avons pas l'intention de résoudre ce problème par la violence, nous le résoudrons par le combat des gens pour leur vote » a déclaré Issam Gambar à l'issue de la publication des premiers résultats. Environ cinquante mille personnes avaient manifesté dimanche 12 octobre dans la capitale Bakou pour protester contre la candidature d'Ilham Aliev. Issa Gambar avait également appelé les sympathisants des formations de l'opposition à manifester mercredi 15 octobre devant les bureaux de vote et à y rester jusqu'au décompte final des bulletins afin d'éviter toute fraude. Ilham Aliev avait quant à lui averti dans les jours précédents l'élection que les autorités prendraient des mesures énergiques en cas de troubles à l'ordre public après l'annonce des résultats. Des affrontements, qui ont fait un mort et plus de quatre-vingts blessés, ont eu lieu mercredi soir. Des centaines de sympathisants se sont rassemblés devant le siège du parti Moussavat pour apporter leur soutien à Issa Gambar avant d'être réprimés par les forces de l'ordre. Ali Akhmedov, le secrétaire exécutif du parti Nouvel Azerbaïdjan (YAP) au pouvoir a qualifié la manifestation de « tentative de prise de pouvoir par la force ». Deux cents personnes ont été arrêtées. Le chef du parti Uzmid, Igbal Agazadé, a également été arrêté deux jours plus tard, vendredi 17 octobre. Le leader de la formation d'opposition avait été auparavant démis de son mandat de député au cours d'une séance exceptionnelle du Parlement sur demande du Parquet général et ne bénéficiait donc plus de son immunité parlementaire. Selon Peter Bouckaert de l'organisation Human Rights Watch, de nombreuses arrestations, notamment de cadres du parti Moussavat, ont également eu lieu dans différentes régions du pays.
« Si Ilham Aliev réussit à maintenir le calme, il aura passé son premier examen. S'il arrive à écarter les clans au pouvoir qui cherchent encore à s'enrichir, il aura passé le deuxième. S'il réussit enfin à réformer l'économie et résoudre la question du Nagorny Karabakh, il sera un grand Président » a déclaré Eldar Mamazov, ancien secrétaire général de la Présidence, démissionnaire de son poste en 1999 pour protester contre le déficit démocratique du régime. « L'Azerbaïdjan est un chaudron en ébullition. Le couvercle n'a plus le même poids qu'auparavant. Reste à savoir s'il suffira à contenir la vapeur » conclut cet ex conseiller d'Heydar Aliev.
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