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Élection présidentielle en Russie, le point sept jours avant le scrutin

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

14 mars 2004
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Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Fondation Robert Schuman

L'annonce par le Président Vladimir Poutine de la dissolution de son gouvernement trois semaines avant l'élection présidentielle du 14 mars et de la nomination de Mikhaïl Fradkov au poste de Premier ministre a contribué à animer quelque peu une campagne électorale morne et atone en l'absence de véritable concurrence.

Le Président russe a surpris en annonçant le 24 février dernier, dans une allocution sur la première chaîne de télévision publique, qu'au nom de l'accélération des réformes, il limogeait l'ensemble de son équipe gouvernementale. « Conformément aux pouvoirs que me confère l'article 117 de la Constitution, j'ai pris la décision de dissoudre le gouvernement » a-t-il déclaré. « Cette démission n'est pas liée au travail du gouvernement, que j'estime globalement satisfaisant, mais à la volonté de montrer ma position sur la direction que doit prendre le pays après le 14 mars » a t-il ajouté. Il a également tenu à préciser que « les citoyens de Russie étaient en droit de connaître la personne que je présenterai comme chef du gouvernement». Vladimir Poutine a enfin évoqué son souci d'économiser du temps et d'être plus rapidement efficace après sa réélection, plus que probable, le 14 mars.

Après cette annonce, Irina Khakamada, candidate libérale à l'élection présidentielle, a appelé les autres candidats à se retirer avec elle de la course pour protester contre cette « farce » électorale. De son côté, le communiste Sergueï Glaziev a déclaré que « la bureaucratie du Kremlin n'avait plus qu'une idée : contrôler entièrement la scène politique » mais également affirmé sa volonté de « se battre jusqu'au bout ». Elena Bonner, veuve du Prix Nobel de la paix, Andreï Sakharov, et le parti libéral Iabloko ont également appelé le 21 février les quatre candidats d'opposition à Vladimir Poutine à se désister et à boycotter l'élection présidentielle. « Les participants à cette élection pseudo démocratique n'ont pas les mêmes droits. Dans ces circonstances, la seule forme de protestation des gens ayant des convictions démocratiques est de ne pas voter » écrit le dirigeant de la formation Grigori Iavlinski sur son site internet. L'ex-dissidente Elena Bonner a appelé à « ne pas participer à ce mensonge à l'échelle de l'Etat ». « Le refus de participer à la présidentielle est une lutte pour le rétablissement dans le pays de l'institution réelle des élections, en tant qu'instrument le plus important de la démocratie, à la place de leur imitation imposée aujourd'hui au pays » a t-elle déclaré. Enfin, le 5 mars, Ivan Rybkine, président de Russie libérale et proche de l'homme d'affaires Boris Berezovski, réfugié à Londres depuis son énigmatique disparition de cinq jours en février dernier, a décidé de retirer sa candidature, une déclaration assortie d'un appel au boycott du scrutin et de la dénonciation d'une « campagne de pressions sans limites ».

Vladimir Poutine a donc décidé de renouveler son équipe et de se débarrasser de son Premier ministre Mikhaïl Kassianov, proche de l'ancien Président Boris Eltsine et qui avait récemment exprimé ses inquiétudes après l'arrestation et la mise en détention le 25 octobre dernier du milliardaire Mikhaïl Khodorkovski, patron de IoukosSibneft, quatrième groupe mondial de l'industrie pétrolière. « Je suis profondément préoccupé. Le blocage des actions d'une société cotée en Bourse est un nouveau phénomène dont les conséquences sont difficiles à évaluer, c'est une nouvelle forme de pression » avait-il déclaré. Nommé en 2000, celui que chacun s'attendait à voir limogé chaque jour depuis quatre ans sera donc parvenu à conserver ses fonctions pendant tout le premier mandat de Vladimir Poutine. Mikhaïl Kassianov, devenu ministre des Finances en 1999, s'était illustré en parvenant en 2000 à négocier avec le Club de Londres un rééchelonnement de la dette extérieure et l'effacement d'une dette de douze milliards de dollars. Son départ marque la fin des oligarques, hommes d'affaires qui ont constitué leur empire lors des privatisations de l'ère Eltsine, et la victoire des siloviki (hommes de la force), personnalités issues des administrations « armées » que sont la police, l'armée et les services secrets, qui considèrent que les richesses du pays ont été bradées et qu'il est grand temps que l'Etat retrouve sa véritable place.

La nomination le 1er mars de Mikhaïl Fradkov au poste de Premier ministre a également constitué une surprise pour l'ensemble des analystes politiques. Fonctionnaire dénué d'ambitions personnelles, le nouveau Premier ministre est complètement inconnu du grand public. Agé de 53 ans, originaire de Kouïbychev dans la région de Samara et ingénieur de formation, Mikhaïl Fradkov a été conseiller économique à l'ambassade de l'URSS en Inde puis ministre du Commerce extérieur (1997-1998) et ministre du Commerce (1999-2000). Nommé en 2000 directeur adjoint du Conseil de sécurité par Vladimir Poutine, il a ensuite occupé les fonctions de chef de la police fiscale jusqu'à la dissolution de cette structure en mars 2003. Depuis lors, il était le représentant de la Russie auprès de l'Union européenne. Sa nomination témoigne de la volonté du Président de gouverner désormais avec sa propre équipe. Lors de son prochain mandat, le chef de l'Etat disposera d'hommes fidèles et d'un Parlement sûr. Si Vladimir Poutine a souhaité montrer qu'il poursuivra après le 14 mars sur le chemin des réformes, certains analystes politiques estiment, en revanche, que le choix de Mikhaïl Fradkov indique au contraire que le prochain gouvernement, plus technique que politique, sera plutôt un gouvernement de stagnation.

L'Union européenne, par la voix de son porte-parole, Reijo Kemppinen, s'est félicité du choix de Vladimir Poutine, estimant qu'il montrait l'importance que la Russie accordait à ses relations avec l'Union, des relations que la nomination de Mikhaïl Fradkov devrait faciliter. Le choix du Premier ministre a, sans surprise, été approuvé le 5 mars par la Douma, Chambre basse du Parlement, à une large majorité de ses membres (352 voix pour, 58 contre et 24 abstentions). Mikhaïl Fradkov a déclaré que le nombre de ministères (vingt-trois actuellement) allait être considérablement réduit dans son gouvernement et qu'il n'y aurait désormais qu'un seul vice-Premier ministre (contre six dans le gouvernement sortant), un poste qui sera confié à l'économiste et député de Russie unie, Alexandre Joukov. Le Premier ministre a également dressé la liste des priorités du second mandat de Vladimir Poutine, citant le développement des hautes technologies, une politique sociale efficace et la poursuite de la réforme fiscale. Mikhaïl Fradkov a enfin affirmé que son gouvernement travaillerait à réformer la justice pour « rendre le pouvoir judiciaire indépendant, de jure et de facto ».

Alors qu'il a officiellement renoncé à son temps d'antenne sur les télévisions et les radios publiques, temps qu'il a offert à ses rivaux, Vladimir Poutine est cependant omniprésent dans les médias d'Etat. Il a ainsi pu présenter son programme électoral en direct sur la chaîne de télévision Rossia où la rediffusion de son discours a conduit le candidat communiste Nikolaï Kharitonov et la libérale Irina Khakamada à déposer une plainte devant la Commission électorale. Celle-ci a débouté les adversaires de Vladimir Poutine affirmant que « les chaînes ont d'elles-mêmes décidées de diffuser dans leurs programmes d'information cette intervention électorale du candidat Vladimir Poutine. L'intervention de ce dernier comprenait son programme électoral d'un grand intérêt public et on est fondé de penser que le but des chaînes était d'informer les électeurs et non pas de mener sa campagne électorale ». Irina Khakamada s'est également insurgée contre le refus de la chaîne NTV de diffuser les débats politiques à une heure de grande écoute. La chaîne a justifié son refus en invoquant le prétexte que « ces débats n'intéressent pas le peuple ».

Le Kremlin, redoutant l'apathie des électeurs le 14 mars, a souhaité, avec la nomination d'un nouveau Premier ministre, réveiller la campagne électorale et raviver l'intérêt de la population. Rappelons que la moitié des Russes doivent obligatoirement se rendre aux urnes pour que le scrutin soit déclaré valide. Une invalidation entraînerait l'organisation dans les quatre mois suivants d'une nouvelle élection présidentielle. Le Premier ministre assumerait alors les fonctions présidentielles durant cette période. Un peu partout en Russie, les autorités locales tentent de prévenir l'abstention. Ainsi, certaines entreprises conditionnent le versement d'une prime à la participation au scrutin, des hôpitaux demandent, pour accepter les malades, que ceux-ci soient bien inscrits sur les listes électorales.

Selon la dernière enquête d'opinion publiée par le Fonds pour l'opinion publique, Vladimir Poutine est assuré de remporter l'élection présidentielle avec environ 70% des suffrages. Le candidat du Parti communiste, Nikolaï Kharitonov, obtiendrait un peu plus de 3% des voix, Sergueï Glaziev, Irina Khakamada moins de 2%.

Enfin, le 18 février dernier, la Douma a rejeté à une très large majorité une proposition visant à faire passer le mandat présidentiel de quatre à sept ans (cinquante et un députés ont voté pour, trois cent quarante-sept contre et deux se sont abstenus). L'allongement de la durée du mandat présidentiel pourrait cependant revenir au centre du débat politique prochainement, puisque selon la Constitution, le Président ne peut faire plus de 2 mandats.

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