Élections législatives en Géorgie, 28 mars 2004

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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28 mars 2004
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le 28 mars prochain, soit près de cinq mois après les dernières élections législatives du 2 novembre 2003 qui, entachées de nombreuses irrégularités, ont provoqué de nombreuses manifestations et entraîné, trois semaines plus tard, la chute du Président Edouard Chevardnadze, les Géorgiens sont appelés aux urnes pour renouveler leur Parlement. Les résultats des dernières élections concernant les députés élus au scrutin proportionnel de liste, soit cent cinquante des deux cent trente-cinq membres du Parlement, ont été annulés. Soixante élus du 2 novembre dernier au scrutin majoritaire ont conservé leurs mandats, treize autres ont été élus le 4 janvier dernier, jour de l'élection présidentielle, lors d'élections législatives partielles, deux candidats attendent la confirmation de leurs résultats et enfin, dix députés d'Abkhazie, élus en 1992, soit avant la sécession de la région et n'ayant pu être remplacés, sont toujours membres du Parlement géorgien.

Le système politique géorgien

Le Sakartvelos Parlamenti, qui comprend deux cent trente-cinq députés, est l'unique chambre du Parlement. Le pays est divisé en quatre vingt-cinq circonscriptions uninominales et dix circonscriptions plurinominales, élisant chacune de cinq à vingt-quatre députés en fonction de leur population. Les députés sont élus pour quatre ans, au scrutin majoritaire pour quatre vingt-cinq d'entre eux et au scrutin proportionnel de liste pour les cent cinquante autres. Une formation politique doit recueillir au minimum 7% des suffrages exprimés pour entrer au Parlement. De plus, si dans une circonscription, aucun candidat n'obtient au moins 33% des voix, on procède à un ballottage entre les deux candidats arrivés en tête. Enfin, la moitié des électeurs inscrits de chaque circonscription doivent se rendre aux urnes pour que le scrutin soit déclaré valide.

Les enjeux du scrutin

Élu Président de la République géorgienne avec 96,27% des suffrages le 4 janvier dernier, Mikhaïl Saakachvili avait précisé que ses premières décisions concerneraient la lutte contre la corruption, omniprésente dans le pays. Les caisses de l'Etat sont vides, les impôts ne sont que partiellement collectés et les fonctionnaires irrégulièrement payés. On considère généralement que l'économie parallèle représente les deux tiers de l'activité du pays.

Le 13 février, le Parlement a ainsi adopté une série d'amendements pour lutter contre la corruption. Le 3 février, le ministre de la Communication et des Transports et allié de l'ancien Président Edouard Chevardnadze, Merab Adeïshvili, a été arrêté à la sortie de son bureau pour abus de position dominante et réduction illégale des tarifs de plusieurs entreprises de transport. La croisade lancée par Mikhaïl Saakachvili est sans merci. Depuis son élection à la tête de l'Etat, l'ancien ministre de l'Energie, le numéro deux du fisc, le président de la Fédération nationale de football ont ainsi été arrêtés pour corruption ou détournement de fonds. Le nouveau Président avait prévenu lors de son discours d'investiture : « Tout fonctionnaire corrompu sera considéré comme un ennemi ayant trahi la nation ». Un avertissement qui ne manque pas de poser problème dans un pays où 99% des fonctionnaires sont corrompus, le régime d'Edouard Chevardnadze ayant quasiment érigé la corruption en mode de vie. Cependant, si les dignitaires de l'ancien régime ne sont pas à l'abri d'avoir à rendre des comptes de certaines de leurs actions, l'ancien Président, replié dans sa maison aux abords de la capitale, ne semble pas, quant à lui, inquiet pour son avenir.

Début février, le Parlement a également rétabli le poste de Premier ministre, qui avait été supprimé par la Constitution de 1995, adoptée après l'arrivée au pouvoir d'Edouard Chevardnadze. L'actuel ministre d'Etat chargé de coordonner l'activité du gouvernement, Zourab Zhvania, devrait être prochainement nommé à ce poste. D'autres modifications ont été apportées à la Loi fondamentale. Ainsi, le Parlement peut désormais censurer le gouvernement par un vote à la majorité des trois cinquièmes et le Président dissoudre le Parlement dans le cas où les députés refuseraient de nommer le Premier ministre qu'il a désigné ou d'adopter, par trois fois, le budget de la nation.

La Géorgie sur la scène internationale

Mikhaïl Saakachvili a tenu à se positionner en faveur de l'intégration de son pays à l'Union européenne : « Notre politique est celle de l'intégration européenne ». Le 29 janvier dernier, il affirmait au quotidien allemand Bild « Nous partageons les valeurs européennes et pouvons dans quelques années atteindre le niveau de la Roumanie ». La présence à la cérémonie d'investiture de Mikhaïl Saakachvili du secrétaire d'Etat Colin Powell aux côtés du ministre russe des Affaires étrangères de l'époque, Igor Ivanov, témoigne, si besoin était, de l'intérêt que les Etats-Unis portent à la République caucasienne. Le nouveau Président, qui a la ferme volonté d'ancrer son pays dans le camp occidental, ne peut cependant négliger son puissant voisin russe. Mikhaïl Saakachvili s'est rendu à Moscou au mois de février pour évoquer le problème des bases militaires russes présentes sur le territoire géorgien (Batoumi en Adjarie, dans le nord du pays, et Alkhalkalaki au sud). Tbilissi exige leur retrait d'ici trois ans quand les Russes, qui ont déjà évacué deux de leurs bases, ne l'envisagent pas avant cinq ans. En 1999 au sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Istanbul, les deux pays s'étaient mis d'accord pour achever en 2000 les négociations sur l'avenir de ces bases. Mikhaïl Saakachvili a assuré les Russes du fait qu'il n'envisageait pas de laisser se déployer dans son pays d'autres bases militaires abritant des soldats de pays tiers (américains ou des forces de l'OTAN). Autre preuve de la bonne volonté du Président : celui-ci a proposé aux autorités russes la formation de patrouilles conjointes sur les portions les plus perméables de leur frontière commune. « Désormais, toutes les personnes en armes qui tenteront de s'introduire en Géorgie seront arrêtées et livrées aux autorités du pays dont elles sont ressortissantes » a-t-il déclaré. Cette question de la perméabilité de la frontière entre la République du Caucase et la Tchétchénie a longtemps été un élément de détérioration des relations entre Moscou et Tbilissi, les Russes accusant les Géorgiens d'accorder l'asile aux combattants tchétchènes.

La situation intérieure

Autre chantier prioritaire pour le nouveau Président : l'unification de la Géorgie. La République du Caucase figure, en effet, parmi les régions du monde les plus diversifiées sur le plan ethnique (on y dénombre environ cinquante langues différentes) et elle est confrontée au séparatisme de deux de ses provinces (l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud) et à de nombreuses revendications autonomistes (l'Adjarie et le Samtskhé-Javakhétie).

L'Ossétie du Sud est officiellement rattachée à la Géorgie mais agit comme une République autonome. Elle possède un Président, un gouvernement et un Parlement. Néanmoins, disposant de peu de moyens, elle est obligée de composer avec le pouvoir central géorgien, tout en réclamant la constitution d'un Etat fédéral. Mikhaïl Saakachvili a récemment offert aux cent mille habitants d'Ossétie du Sud un large degré d'autonomie en échange de leur reconnaissance de la souveraineté géorgienne. Les autorités de la petite enclave ossète, soutenue diplomatiquement et militairement par les Russes, ont rejeté cette offre, répondant que leur indépendance n'était pas négociable. « Restaurer l'intégrité territoriale est le rêve de tout dirigeant géorgien et nous les comprenons. Mais notre opinion est complètement différente » a déclaré Stanislav Kochiev, président du Parlement ossète.

En Adjarie, la situation s'est tendue après la formation dans la capitale Tbilissi d'un nouveau mouvement politique, Adjarie démocratique, dirigé par Edouard Sourmanidze, proche de Zourab Zhvania et rassemblant cinq mille délégués adjares. Cette nouvelle formation a pour objectif, selon son leader, « d'obtenir un changement de pouvoir en Adjarie par des moyens constitutionnels ». L'Adjarie est théoriquement intégrée dans l'Etat géorgien mais jouit en fait d'une autonomie d'autant plus large que la province dispose d'importantes ressources (l'Adjarie est la plus riche province du pays) dont elle ne restitue à Tbilissi qu'une infime partie. Le Président Aslan Abachidze, leader du Parti de la renaissance et ancien proche d'Edouard Chevardnadze, reproche à Mikhaïl Saakachvili de vouloir le chasser du pouvoir. Il fait face également à une opposition de plus en plus importante au sein même de sa République, opposition emmenée par le mouvement Kmara qui a récemment multiplié les manifestations et qui demande le départ du Président adjare.

Enfin, Mikhaïl Saakachvili a également promis de réintégrer dans le giron géorgien, avant la fin de son mandat de cinq ans, la République d'Abkhazie. Intégrée à la République soviétique de Géorgie en 1921, l'Abkhazie est une République autonome dépendant de Tbilissi. Elle a proclamé son indépendance en août 1992 et l'a défendue lors d'un conflit qui a duré un an, fait plusieurs milliers de morts et entraîné l'exil de 200 000 Géorgiens.

Après les fraudes constatées lors du scrutin du 2 novembre 2003, le nouveau Président géorgien a été félicité par le Président de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Bruce George, pour le bon déroulement de l'élection présidentielle du 4 janvier 2004. Espérons que les autorités européennes décerneront à nouveau leur satisfecit aux Géorgiens à l'occasion des élections législatives du 28 mars prochain, celles-ci étant cruciales pour le pays puisque, contrairement à l'élection présidentielle, toutes les forces politiques devraient y être présentes.

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